Comprendre le covid-19 avec un chercheur spécialiste des pathologies respiratoires

« Il est évident qu’un monde capitaliste ne peut que sombrer face à une situation telle que cette pandémie. »

paru dans lundimatin#235, le 23 mars 2020

La communication gouvernementale autour du Covid-19 étant ce qu’elle est, calamiteuse, nous avons choisi cette semaine d’aller nous informer directement auprès de quelques spécialistes. En complément de notre entretien avec un jeune retraité de l’industrie pharmaceutique, nous avons discuté avec L., docteur en biologie cellulaire et immunologie, responsable de recherches sur les pathologies respiratoires et la sûreté de nouveaux médicaments pour l’industrie pharmaceutique.
Sans surprise, nous apprenons que santé et économie ne font pas bon ménage.

Bonjour, nous sommes très heureux de pouvoir échanger sur cette pandémie en cours afin de comprendre la gravité et les enjeux de la période actuelle. Avant toute chose, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Docteur en Biologie cellulaire et Immunologie actuellement chercheur au sein d’une industrie pharmaceutique. Je suis responsable d’une équipe dont les activités se concentrent sur la mise au point de systèmes in vitro pour comprendre des pathologies respiratoires et évaluer la sûreté de nouveaux médicaments. J’ai effectué ma formation académique entre la France, le Canada et la Suisse. J’ai enseigné pendant cinq ans au sein de l’université. Mes domaines de compétences comprennent l’immunologie, la virologie, la cancérologie et le développement de médicament.
Beaucoup de choses ont été dites sur ce virus, énormément d’informations circulent et malheureusement, il semblerait que cette multitude de canaux empêche une partie importante de la population de comprendre ce qu’est réellement le coronavirus 19 et la maladie qu’il déclenche, le covid-19. Peux-tu nous présenter ce virus, notamment son origine et ses caractéristiques ?
Avant toute chose, un virus est une particule microscopique infectieuse qui ne peut se répliquer qu’en pénétrant dans une cellule et en utilisant sa machinerie cellulaire. À ce titre il est qualifié de parasite. Le coronavirus 19 appartient à la grande famille des coronavirus. Possédant un génome à ARN extrêmement long, ils sont entourés d’une coque de protéine appelée capside en forme de couronne (d’où leur nom). De nombreux coronavirus infectent des animaux mais nous en connaissons à ce jour cinq capables d’infecter et de se reproduire chez l’homme. Les coronavirus responsables des épidémies de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), du MERS (Middle East Respiratory Syndrom) et du Covid-19 proviennent de virus issus du monde animal qui ont franchi la barrière inter-espèces. Le SRAS-CoV et le MERS-CoV ont tous deux la chauve-souris comme réservoir chez qui ils ne semblent pas générer de symptômes. Dans les deux cas, un hôte intermédiaire a été nécessaire à la transmission de ces virus à l’Homme : la civette palmiste masquée pour le SRAS-CoV et le dromadaire pour le MERS-CoV. Dans le cas du SARS-Cov-2, l’hôte intermédiaire reste indéterminé après l’exclusion du pangolin. De nombreuses études suggèrent que la destruction de la biodiversité et de l’habitat naturel de ces virus favorise leur émergence.
Il semblerait aussi que ses effets soient à minima peu connus, mais aussi bien trop souvent minimisés. Que produit ce virus sur les corps ?
Les coronavirus sont associés à des rhumes et des syndromes grippaux bénins dans les formes les plus communes. Ils peuvent néanmoins être associés à des complications respiratoires de type pneumonie. Le SARS-Cov-2 étant apparu relativement récemment, nous apprenons tous les jours le concernant. Comme le SRAS-Cov, il infecte des cellules humaines grâce a la liaison de ses épines à un récepteur appelé ACE2 (Angiotensin-converting enzyme 2). Les cellules pulmonaires constituent sa cible de choix et c’est en partie pour cette raison que des syndromes respiratoires peuvent apparaître. Sa capacité à infecter les cellules dites du système respiratoire haut (nez, trachée, bronches) pourrait faciliter sa contagiosité tandis que sa capacité à se propager jusqu’aux alvéoles du poumons serait responsable de sa dangerosité. La première permettrait ainsi au virus de contaminer d’autres personnes par l’intermédiaire de gouttelettes venant du nez ou de la bouche, par expiration ou toux. Une autre voix de contamination est indirecte, lorsque ces gouttelettes se retrouvent sur des surfaces ou objets qu’un autre individu touchera et portera ensuite à sa bouche. Ce sont les raisons pour lesquelles une distance minimum d’un mètre est recommandée ainsi que de ne pas porter ses mains à la bouche sans les avoir préalablement lavées. Une fois contaminé, il vous faudra entre deux et 14 jours avant le début des symptômes.

D’après la commission de l’OMS en Chine, nous pouvons définir trois catégories parmi tous les cas diagnostiqués positifs au coronavirus : 80% légers à modérés ne nécessitant pas d’oxygène, 14% sévères ayant besoin d’une supplémentation en oxygène, 6% critiques souffrant de défaillance respiratoire voire même de plusieurs organes.

88% des patients ont de la fièvre mais pas nécessairement dès le début des symptômes. 15 à 20% présentent des symptômes gastro-intestinaux de type diarrhée, nausée, vomissements avant l’apparition de symptômes respiratoires. Pour la majorité des patients, la maladie commence et se termine par des symptômes respiratoires dus à l’infection des cellules de poumons comme mentionné plus haut. Ce faisant, le virus cause la mort de nombreuses cellules de poumons ce qui crée une inflammation responsable de la toux puis de la fièvre. Durant cette période, la fatigue est intense et d’autres symptômes peuvent apparaître comme le nez qui coule, la gorge qui gratte, des courbatures, tremblements, maux de tête. C’est en moyenne au jour 7 que certains patients ont besoin d’une hospitalisation en raison de la difficulté à respirer et qu’une partie d’entre eux développe une pneumonie. Si le système immunitaire de ces personnes s’emballe, les poumons se remplissent de fluide et la fonction respiratoire devient impossible nécessitant une admission en soins intensifs avec l’accès à des instruments de respiration artificielle spécifiques. C’est cette catégorie qui génère le plus l’engorgement de l’hôpital en raison du manque de lits, de machines et de personnel qualifié. Cette tâche est rendue d’autant plus compliquée que les gens auraient besoin en moyenne de deux semaines et demi en soins intensifs pour se rétablir et que certains nécessiteront des mois d’hospitalisation. Des personnes de tous âges peuvent être infectées par le nouveau coronavirus (2019-nCoV). Les personnes âgées et les personnes souffrant de maladies préexistantes (comme l’asthme, le diabète, les maladies cardiaques) semblent plus susceptibles de tomber gravement malades à cause de ce virus. Il existe néanmoins une portion significative de jeunes (20 à 60 ans) touchés malgré l’absence de comorbidités connues.

Il y a maintenant environ une semaine, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a annoncé que nous ne faisions plus face à une épidémie mais bien à une pandémie, quelles sont les différences qui obligent à changer de terme ?
Une pandémie se définit par une épidémie qui atteint un grand nombre de personnes dans une zone géographique étendue. L’OMS s’est défendue d’utiliser le terme auparavant car la dissémination n’était alors pas considérée comme non confinée. Avec 155 pays touchés à ce jour et aucun traitement disponible, le Covid-19 représente dorénavant une maladie alarmante tant par sa propagation que sa gravité.
Bien, maintenant que les bases scientifiques sont posées et que la dangerosité du virus n’est plus à prouver, quels sont selon toi les éléments qui aggravent cette pandémie ?
La mondialisation peut constituer un facteur aggravant en raison du nombre considérable de voyageurs qui passent d’un pays à l’autre à titre personnel ou professionnel. À une autre époque, le coronavirus 19 aurait peut-être mis un an ou deux à rejoindre Milan depuis Wuhan. Et le virus continue actuellement de se propager sur le même mode et la même vitesse.
Comment s’organisent les laboratoires scientifiques dans ce contexte ?
Pour commencer par l’exemple de la France, le consortium REACTing coordonné par l’INSERM s’est formé sous l’impulsion de l’Alliance pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan). Avec le soutien du ministère des Solidarités et de la Santé et du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, 20 initiatives scientifiques ont été sélectionnées par le conseil scientifique de REACTing. Elles portent sur des thématiques aussi diverses que la modélisation de l’épidémie, la recherche de traitement ou la prévention. Pour ceux intéressés, je vous suggère de consulter le site dédié. À l’échelle globale, d’autres initiatives ont été lancées telle que le Covid-19 Therapeutics Accelerator le mois dernier ou en 2017 le Coalition for Epidemic Preparedness Innovations. Beaucoup de laboratoires réfléchissent comment contribuer à leur échelle. Bien sûr c’est compliqué car la recherche fondamentale ou la recherche appliquée à d’autres maladies méritent probablement de continuer leurs efforts. Quand nous nous relèverons de cette pandémie, nous aurons encore des cancers ou maladies auto-immunes à soigner.
On a beaucoup parlé des tests de dépistage et notamment de leur non généralisation ici en France. Beaucoup de personnes ont pu se plaindre de ne pas se faire dépister malgré la présence de symptômes ou une exposition prolongée au virus via des proches contaminés. En même temps, leur rareté semble être un véritable problème et il est difficile de cerner dans quelle mesure cela est réellement un souci. Finalement, chaque pays semble développer sa propre approche du dépistage, et certains citent la Corée du Sud en exemple tandis que d’autres louent les louanges d’une prétendue efficacité du gouvernement taïwanais. Si la France annonce via ses responsables des Agences Régionales de Santé tester uniquement les patient·e·s dont les cas nécessitent une hospitalisation, les personnels soignants et les membres des EHPAD, l’OMS demande de son côté de généraliser les tests. Quels sont actuellement les enjeux autour de ces tests et quelles stratégies devraient selon toi être mis en œuvre ?
Le diagnostic peut se faire de différentes manières : par le titrage de l’anticorps neutralisant contre ce virus, à partir d’une culture virale d’un prélèvement réalisé sur un malade, ou par la détection du matériel génétique du virus (par une technique de transcription inverse et d’amplification appelée RT-PCR). Ce dernier est celui principalement utilisé en France et ailleurs. Je tiens à rassurer les personnes soucieuses de voir leur ADN séquencé ou devenant la propriété d’un tiers : ce test ne détectera que la présence génétique du virus. Peu coûteux par rapport à d’autres tests diagnostiques, il nécessite néanmoins un personnel qualifié et des équipements spécifiques. Il prend 4 à 6h dans sa version la plus répandue actuellement et manque encore d’automatisation. Des solutions de matériel et personnel sont mises en place pour augmenter le nombre de tests faisables par jour, en passant de solutions RT-PCR ’maison’ à des kits commerciaux. Un autre problème est la possibilité de faux négatifs, c’est à dire d’une non-détection si vous n’êtes pas encore malades, ce qui complique la mise en quarantaine de toutes les personnes infectées. Aussi, la récupération de matériel biologique se fait aujourd’hui majoritairement à l’hôpital par un prélèvement nasopharyngé où au moyen d’un écouvillon qu’un soignant récupère des sécrétions infectées. Les laboratoires de ville ont récemment été autorisés à le faire mais tous ne sont pas encore équipés ou formés. À l’avenir, une prise en charge au domicile pourrait être mise en place mais par un infirmier dans la mesure où le geste de prélèvement est assez technique et désagréable. Avec le déploiement de ces solutions, nous serons mieux équipés pour gérer la crise et envisager la levée du confinement général.
Bien évidemment, beaucoup parlent de vaccins et des informations circulent sur des rachats potentiels de boites développant des vaccins contre le covid-19. Quelle est la probabilité qu’un vaccin puisse voir le jour à moyen ou long terme et quels sont les enjeux autour de ces vaccins dans le monde concurrentiel des laboratoires pharmaceutiques ?
Un vaccin est possible mais prendra un an ou deux avant d’être approuvé et mis à disposition, dans le meilleur des cas. Comme pour chaque médicament, il est obligatoire de prouver la sûreté et l’efficacité d’un vaccin avant de pouvoir le mettre à disposition du plus grand nombre. La concurrence représente moins un obstacle que la possibilité que le vaccin soit finalement inutile, car le virus aura muté ou disparu. Il est aussi possible que des traitements auront réglé l’ampleur de son impact et minimisé le retour sur investissement d’un vaccin. En plus du vaccin, deux autres stratégies sont en effet possibles, le traitement thérapeutique et le repositionnement de molécules existantes. Puisqu’il faut souvent des années pour un nouveau médicament, le repositionnement est une solution attractive car elle a l’avantage d’être plus immédiate. Le principe est d’utiliser des médicaments approuvés qui sont sur le marché pour pouvoir les réutiliser sur d’autres pathologies. Plusieurs essais cliniques sont actuellement en cours et visent le virus ou la réponse immunitaire associée.
Une équipe de chercheurs et chercheuses chinois·es a évoqué le succès d’un traitement initialement prévu contre le paludisme dans la guérison de patient·e·s atteint·e·s du covid-19, un professeur marseillais expérimente aussi actuellement un traitement anti-paludisme à base de chloroquine qui semblerait donner de bons résultats, en sais-tu davantage ?
Il est pour le moment difficile de se prononcer sur l’efficacité d’un traitement antipaludique à base de chloroquine contre le coronavirus. Même si des essais cliniques de petite taille et des recherches in vitro suggèrent son action anti-virale et potentiellement bénéfique dans le cadre du Covid-19, il faut beaucoup de patients pour valider l’effet d’une molécule et avoir des résultats statistiquement significatifs. Par ailleurs, cela demande de constituer des groupes contrôles versus traités de façon non biaisée et d’évaluer le risque bénéfice du traitement en raison de potentiels effets secondaires. La chloroquine est par exemple associée à des risques cardiaques et respiratoires à haute dose. Il convient donc de tester cette molécule comme d’autres sur de grandes cohortes afin d’en confirmer ou réfuter son utilité.
Y-a-t-il une coopération entre les laboratoires pharmaceutiques pour dépasser les logiques financières ?
Oui, je le vois à ma petite échelle et je sais qu’il existe beaucoup d’initiatives à plus haut niveau. Par exemple le Covid-19 Therapeutics Accelerator lancé par la Bill&Melinda Gates foundation, Wellcome and MasterCard vise à regrouper les efforts du secteur public, du secteur privé, de donateurs, des agences du médicament, de l’OMS et des gouvernements. Ceci a pour but d’accélérer la découverte et validation de traitements antiviraux ou d’immunothérapies contre le Covid-19 et des pathogènes émergents dans le futur. L’objectif est aussi de minimiser les risques financiers et techniques en les distribuant sur les divers partenaires, permettant ainsi d’assurer des médicaments abordables et accessibles à tous, y compris les pays à plus faibles ressources. J’espère qu’à l’avenir ces exemples seront légions et que nous contribuerons ainsi à créer un système de santé juste et accessible à tous.
Passons maintenant au volet politique de la gestion de la crise. On l’a vu, depuis 2 mois en France, et certainement depuis environ le même temps dans les autres pays européens, nos gouvernants ont pu dire tout et son contraire sur cette pandémie. Penses-tu qu’à ce stade, nous pouvons dire qu’ils ont bien géré cette crise qui venait ?
Je pense que le gouvernement français comme d’autres gouvernements européens a eu du mal à anticiper cette crise sanitaire sans précédent depuis le demi-siècle dernier. Pour leur défense, je connais beaucoup de médecins et scientifiques qui en ont fait de même et disaient encore en février que le covid-19 ne serait pas plus grave que la grippe et sans doute très rare dans nos contrées. Malgré tout, je trouve que la réaction de la France a été relativement rapide et à la hauteur. Nous pouvons déplorer le manque de masques pour les soignants, le manque de vulgarisation et éducation scientifique de la population, le manque de moyens pour le dépistage massif. Mais cela ne me semble pas être une particularité française à la lumière de ce qui se passe dans le reste du monde.
La Chine a poussé à l’extrême le resserrement biopolitique en contrôlant les corps dans leur moindre déplacement. De son côté, l’Angleterre a au contraire semblé faire le choix d’une liberalité économique dans un premier temps, en insistant sur la nécessité de créer une immunité collective à l’échelle nationale. Quels sont les différentes réponses politiques qui s’offrent à nous pour répondre à cette crise et les recommandations du monde de la recherche ?
Nous avons eu tendance à présenter la Chine comme une solution à proscrire dans le contexte des sociétés démocratiques attachées au libertés individuelles qui font le propre des pays européens. Cette analyse est probablement partiellement responsable de la lenteur à adopter le confinement en France et ses mesures drastiques comme nous les vivons en ce moment. Je trouve l’attitude de l’Angleterre, ou plutôt de son gouvernement, particulièrement irresponsable et totalement dénuée d’humanité. Dans la mesure où nous n’avons aucune idée de si et quand l’immunité collective aurait lieu, cette stratégie reviendrait à condamner un demi-million de la population anglaise et épuiser tout son personnel soignant. Comme souvent, la solution intermédiaire doit exister et j’ose espérer que le confinement ne soit pas une solution à long terme pour la France et le reste du monde. Cette mesure d’urgence vise à acheter du temps pour que la science, la médecine et la société toute entière trouvent une troisième voie. Celle-ci pourra par exemple être la mise en place d’un dépistage massif, rapide et sensible d’un grand nombre de la population. À cela nous devrons ajouter la quarantaine systématique de chaque personne infectée et des cas en contacts susceptibles d’être infectés. Nous aurons besoin d’augmenter les capacités en soins intensifs et en particulier des problèmes respiratoires de façon significative tout en assurant l’accès aux soins pour toutes les autres pathologies.
Ici en France, nous sommes passés en l’espace de deux semaines d’une approche consistant à nous dire qu’il fallait continuer à vivre, à l’instauration d’un ’état d’urgence sanitaire’ qui confine les corps tout en les incitant à continuer à se rendre sur leur lieu de travail. On l’a vu, les restrictions vis-à-vis des libertés individuelles les plus simples que sont les libertés de circuler et celles de se réunir sont suspendues. Quelle est la part nécessaire de ces restrictions individuelles au nom d’un intérêt collectif supérieur ? Et notamment, apparaissent un peu partout des arrêtés interdisant aux individus de se balader ou d’exercer des activités physiques en forêt, dans les montagnes, en bord de mer. Ces mesures sont-elles appropriées ?
Ces mesures sont à ce jour probablement nécessaires le temps que nous puissions mettre en place une stratégie différente de gestion de la crise sanitaire. Puisque le virus peut conduire à une période d’incubation de 2 à 14 jours, et qu’il est possible d’être contagieux durant cette période, la probabilité est grande de contaminer des gens à son insu. Les individus contaminés sont aussi contagieux quelques jours après la disparition de symptômes. De plus le virus reste actif de quelques heures (papier, carton) à quelques jours (plastique) sur des surfaces, ajoutant une complexité supplémentaire à la limitation de l’épidémie. Si la liberté des uns s’arrête là où celle des autres commence, nous sommes exactement dans le cas de figure où nos libertés individuelles se retrouvent restreintes pour l’intérêt du bien commun. À mes yeux, nous pourrions éviter ce contrôle des corps si chacun se responsabilisait pour adopter les gestes d’hygiène recommandés de façon stricte et limitait ses déplacements à l’activité physique solitaire en extérieur. Je trouve par contre regrettable (et peut-être même dangereux à ce stade) que se rendre sur son lieu de travail soit encore encouragé par trop de milieux dont l’activité n’est pas critique à la survie des individus mais à celle de notre économie. Tant que les gens et les entreprises ne sont pas conscients des risques et de leur gestion, je trouverai plus raisonnable d’empêcher la majorité de travailler à l’extérieur de son domicile. L’État se doit d’accompagner chaque profession à créer un environnement le plus sûr possible en attendant que nous contrôlions la pandémie.
Le capitalisme ou l’Économie, appelons -e comme vous le voulez, peut-il se sauver de cet évènement ? Et quel est le ressenti de tes collègues sur ce sujet en ce moment ?
Il est évident qu’un monde capitaliste ne peut que sombrer face à une situation telle que cette pandémie. Nous en vivons l’illustration tous les jours depuis trois mois, et intensément depuis quelques semaines. Les bourses s’effondrent, les plans se multiplient pour sauver les meubles et notre ministre veut nous faire retourner au travail en plein confinement. Nos entreprises craignent de devoir mettre la clé sous la porte et les individus tremblent de perdre leur emploi. Je ne peux pas parler pour mes collègues, mais je crois que ça pourrait être l’occasion de réinstaurer plus d’économie locale et solidaire pour augmenter la résistance du système quand un problème apparaît à l’échelle globale. En agriculture, ce problème est bien connu. Si un pathogène attaque le blé, la majorité de nos récoltes en souffre car nous plantons la même espèce partout. Si au contraire, nous plantons dix variétés différentes, si possibles plus rustiques, nous avons une chance que quelques unes d’entre elles résistent au pathogène. En biologie c’est l’avantage de la biodiversité. Alors pourquoi ne pas favoriser ’l’éco-diversité’ plutôt que le capitalisme ?
Certain·e·s considèrent que c’est la casse des services publics, et dans ce cas précis, de l’hôpital public, qui empêche de pouvoir gérer la pandémie actuelle et qui expliquerait la nécessité des mesures de confinement, que voudrais-tu leur répondre ?
C’est loin d’être aussi simple car il n’existe probablement aucun système de santé qui peut aujourd’hui ne pas faillir face à ce tsunami que représente Covid-19. Je pense que le confinement était difficilement évitable en première réaction lors d’une situation sanitaire qui progresse aussi vite dans une société clairement pas habituée à la gestion du risque infectieux. De plus, le meilleur service public ne pourrait pas prévoir de multiplier par 100, 1000, ou plus le nombre de lits en soins intensifs, de machines ECMO et de respirateurs sans le spectre d’une épidémie d’infection respiratoire telle que nous la vivons. Par contre, il est certain que les économies de bouts de chandelle, le manque de personnel, de moyens et pire la gestion de l’hôpital sur le mode du profit ne font qu’aggraver la situation.
De multiples exemples montrent qu’on assiste à des bouleversements majeurs. La pollution diminue fortement et pour la première fois, des dizaines de millions de citadin·ne·s découvrent l’existence des étoiles. L’Espagne nationalise ses hôpitaux publics et par la même redonne vie à une forme d’État-Providence. Les avions ne circulent presque plus, des voisin·ne·s se rencontrent, des villages se repeuplent et il ne s’est rarement vu autant de personnes flâner à pied dans les milieux ruraux... En quoi cette période parait-elle pouvoir représenter une aubaine pour une transformation radicale de nos façons d’habiter les mondes ? Dit autrement, en quoi l’effondrement de l’Économie en cours peut-il nous permettre de sauver ce qui peut l’être ?
Nous vivons aujourd’hui ce qu’un scientifique appellerait une expérience pilote, un première manip test ou une démo ! Nous entrapercevons ce que notre monde pourrait être et comment nous pourrions peut-être encore sauver l´humanité tout en arrêtant de détruire la planète et la biodiversité qui l’habite. Pourrions-nous en profiter pour fragmenter l’économie, privilégier la solidarité et les initiatives locales, reconsidérer nos loisirs et nos besoin de voyager, se reconnecter à la nature proche de chez nous ? Je vois des collectifs s’organiser pour venir en aide aux plus faibles ou aux malades (déposer les courses devant la porte d’une personne fragile, acheter les médicaments, remonter le moral des soignants,...). Je vois des scientifiques et des médecins se porter volontaires pour aider notre monde à surpasser cette pandémie. Je vois des parents qui découvrent le plaisir de jouer avec leurs enfants au lieu de travailler. Je vois beaucoup d’espoir et d’optimisme apportés par cette pandémie, si seulement nous saisissons cette opportunité unique de changer collectivement. Et si le Covid était une dernière chance, notre dernière chance ?
Merci pour cet entretien, nous espérons que tous ces éclaircissements permettront de mieux saisir ce qui se joue dans la période actuelle. Bon courage pour les semaines à venir qui seront assurément cruciales dans la lutte en cours contre ce nouveau virus, et merci pour le temps accordé alors que l’urgence sanitaire doit fortement occuper votre emploi du temps !
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