Comment l’Europe finit de trahir la révolution syrienne

La question politique de l’exil
lettre ouverte de réfugiés syriens

paru dans lundimatin#310, le 29 octobre 2021

Des camarades révolutionnaires syriens, exilés et réfugiés en France évoquent toute l’ambiguïté de leur « statut » au regard du récent retour de Rafat al-Assad, oncle de Bachar, en Syrie. Ou comment la France confond sciemment sous le vocable d’ « exilés », révolutionnaires et criminels de guerre.

Merci l’Europe, la France, l’Espagne et toutes les démocraties européennes pour ces Lumières, merci pour la culture et pour l’art, merci pour tout ce que vous offrez à vos peuples en humanité, en élévation intellectuelle.

Désormais, ce merci est teinté par la peur et l’appréhension des réfugiés, assurés que leur sécurité n’est qu’une illusion et que l’asile n’est qu’une résidence temporaire, dépendante des négociations géopolitiques et des intérêts financiers.

Cela depuis le dénouement judiciaire de l’affaire des Brigades rouges entre la France et l’Italie en juin dernier. Une affaire complexe, qui est passée entre les mains de plusieurs gouvernements jusqu’à la décision finale d’extrader ces anciens opposants politiques, après plus de 40 ans d’exil. Certains ont échappé à ce retour forcé en Italie, poursuivant leur destin loin de ces terres.

Je ne suis pas en mesure de déclarer ces gens innocents ou coupables, mais comme tous les réfugiés, j’ai eu peur. J’ai eu encore plus peur quand j’ai compris que derrière ce théâtre incriminant les Brigades rouges, il y avait un message adressé à tous les résistants politiques.

Vient alors la question des criminels de guerre syriens, qui sont aujourd’hui partout en Europe, après avoir tué, pillé et exilé nos familles. Ils sont venus s’installer ici en toute tranquillité, remarquant la fragilité du système, l’aisance avec laquelle il préfère détourner le regard. Malgré les milliers de témoignages enregistrés contre ces criminels devant les tribunaux européens, pas plus d’1% d’entre eux n’a été convoqué. Seule l’Allemagne peine à se distinguer en tentant quelques gestes timides.

Rafat al-Assad, grand criminel en poste au gouvernement lorsqu’à Hama, Palmyre, Jisr-al- Shughur ont été commis des massacres impardonnables, inoubliables, résidait depuis plus de trente ans en France. En septembre, la justice française a finalement saisi ses biens et l’a condamné à 4 ans de prison pour blanchiment d’argent et évasion fiscale. Après avoir détourné toutes les richesses de notre pays, après l’extermination de toutes ces familles à Hama en 1982 à l’époque où il était ministre de la défense : une condamnation de 4 ans, avec pour seul chef d’accusation de ne pas avoir payé ses impôts.

Début octobre, Rafat al-Assad diffuse une vidéo en live depuis son château en Syrie, dans la ville de Qardaha. Cette exfiltration a apparemment été coordonnée entre les services secrets français, espagnols et russes. Il a fui méprisant, en souriant à la justice internationale. Le voilà chez lui, et toutes vos lois ne le concernent plus. Aujourd’hui de retour dans cette Syrie hors-la-loi, comment pourriez-vous l’atteindre ?

Rafat-al-Assad fait passer un message : si le système judiciaire européen n’est pas impuissant, c’est donc qu’il collabore et est impliqué dans sa fuite en Syrie.

Les réfugiés en Europe se demandent alors aujourd’hui : Sur quelles terres pourrons-nous vivre, et à l’abri de quelles lois pourrons-nous avancer ?

La sécurité retrouvée dans un pays comme la France n’était alors qu’un mirage ? Est-ce annonciateur d’un changement politique impactant notre avenir ?

Après plus de 7 ans d’exil, comment pourrions nous, syriens, rebelles, insurgés, réfugiés, vivre enfin apaisés quand tout autour de nous marche en sens inverse de nos nécessités ?

Comment peut-on garder confiance en ces pays qui accueillent ces criminels, les protègent, les laissent impunis et leur garantissent même de longues vacances tous frais payés. Que peut-on ressentir lorsqu’on voit les réfugiés politiques menacés de toute part ? D’abord par le régime, par Daesh, et finalement par leur pays d’accueil. Mis en prison, tués, sans condoléances ni hommages, mais humiliations et accusations.

Comment peut-on se sentir, quand on voit les groupes d’extrême-droite soutenir publiquement le régime syrien qui a tué, exilé et continue à nous opprimer jusqu’en Europe ? Comment peut-on réagir quand le Haut Commissaire des Nations Unies rend visite au régime syrien pour négocier les conditions de ceux qui ont fui son pays, alors même que le sang coule encore dans les prisons en Syrie ?

Notre destin sera-t-il similaire à celui de Mazen Al Hommada ? Depuis 2014, ce jeune activiste a présenté de nombreux témoignages dans différentes instances internationales sur son vécu dans la prison de Saidnaya. Son témoignage est considéré parmi les plus importants sur la torture au sein des prisons du régime. Mazen est resté déterminé à fournir toutes les preuves possibles mais les tribunaux internationaux n’ont rien entrepris pour sauver ces prisonniers. Mazen a fini par perdre toute confiance. En 2020, il prend la décision suicidaire de repartir en Syrie, préférant même retourner en prison plutôt que rester dans ces pays où il n’a trouvé ni justice ni équité. Ses derniers mots avant son départ : ’On a été dans tous les pays européens et non-européens. On leur a raconté tout ce qui est arrivé et arrive encore en Syrie, mais le monde n’écoute pas, ou ne veut pas écouter.’ Mazen est parti pour Damas et depuis personne n’a eu de ses nouvelles. Des rumeurs courent sur son emprisonnement à la prison de Saidnaya. D’autres affirment qu’il a été éliminé dès son arrivée.

Le temps de rompre avec notre naïveté n’est-il pas venu ? Le temps de rompre avec cette image de victime prétendument gentille, proclamant au monde notre pacifisme et notre unique désir de justice ? Depuis quand la lutte pacifique est-elle devenue si fragile ? Depuis quand la justice n’est qu’un idéal dont nous ne pouvons nous emparer nous-même ?

Alors aujourd’hui j’en viens à vous dire : Cessons nos complaintes, arrêtons de pleurer le passé et accaparons-nous notre justice, même partiellement. En ces temps difficiles que traverse la révolution syrienne, rebattons nos cartes, identifions nos alliés et nos ennemis et posons nous la question principale : sommes-nous capables de créer une force protectrice face à cette trahison politique ?

Pouvons-nous devenir une puissance qui déstabilise les criminels de guerre cachés dans le monde sous le même statut que nous ? Pouvons-nous leur rappeler que nous sommes encore là, que nous n’avons pas oublié ?

Aucune justice n’a apaisé les blessures ni le chagrin. À défaut, nous ferons vivre ces criminels dans la peur et l’incertitude permanente. Nous devons poursuivre ces assassins et leur faire ressentir l’insécurité. Vous ne vivrez pas de notre sang dans l’opulence et la tranquillité.

Un dernier mot aux gouvernements européens : votre façon de traiter le « dossier syrien » est immorale. Elle engendrera de nombreux dégâts, impactant la société et sa cohésion. Enfin, nous vous remercions du fond du cœur d’avoir permis que Rafaat le boucher arrive dans le repaire des hyènes en faisant un doigt d’honneur à vos principes.

Vive la révolution syrienne

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