Chroniques de l’entre-deux tour

Mercredi soir.
Retransmission du débat télévisé entre Marine le Pen et Emmanuel Macron à La Bellevilloise.

paru dans lundimatin#102, le 4 mai 2017

Ce débat est une histoire de bouche et de dents.
Montrer les dents, c’est ce que se font les deux candidats, en face à face.
Faire la fine bouche, c’est ce que font les deux journalistes « modérateurs » malgré eux qui ont écopés de la lourde tache d’interrompre les flots des deux catcheurs. Doigt levé, bouche en cul de poule, c’est l’image qu’on gardera de Nathalie Saint-Cricq, singeant sans s’en rendre compte le geste d’une maitresse d’école tentant d’interrompre scolairement et sommairement le combat de coq qui se déroule sous ses yeux.

Peut-être était-ce du à cette fameuse autorisation du plan de coupe et aux inventions de cadrage et de montage qu’elle permettait (que dire de cette utilisation récurrente du « top shot », cette plongée à 180 degrés au-dessus de la table démocratique sinon que c’était comme inviter Terrence Malick à filmer un spectacle du cirque) quoi qu’il en soit, plus qu’aux discours, c’est à leurs vecteurs que je me suis intéressée ce soir : les bouches.

Voici ainsi un petit traité d’anatomie buccale de l’entre-deux tour, croqué sur le vif.
Marine le Pen a des petites dents très serrées et carnassières, qu’elle aime exposer, lors de grands éclats de rire faignant une incrédulité pour son adversaire, assez honteusement démagogique.

Dans la bouche d’Emmanuel Macron au contraire, il y a de l’espace. Ni à droite, ni à gauche, la voie est libre. Tellement que des postillons s’y glissent. Provoquant généralement l’utilisation quasi immédiate d’un plan de coupe, ou générosité suprême du régisseur audiovisuel derrière son combo le passage à un contre-champ ; le temps d’essuyer le ledit résidu échappé des dents du bonheur.
Dents de lait contre dents du bonheur. Les termes du combat sont posés et nous on se dit qu’à voir ces deux sourires (cripsés) que la petite souris n’a pas bossé avec la même intensité sous les oreillers de nos deux candidats. Il est temps de légiférer.

On parle de l’Europe.
Marine le Pen y dévoile un bout de son programme avec la même parcimonie avec laquelle elle montre de temps à autre un bout de gencive : il y aura donc un retour à la monnaie souveraine, et nouvelle dont elle parle en la plaçant d’ores et déjà et avec un certain détachement dans le portefeuille des français comme s’il s’agissait d’argent de poche. Retour triomphal de la petite souris qui décidemment risque d’avoir plus de boulot avec Le Pen et ses écus qu’avec Macron et ses capitaux virtuels.

Macron, justement qui se passe un temps des mots pour les remplacer par des gestes, mimant l’action de lire un bulletin de paye en utilisant une de ses fiches de lecture.
Prendre une fiche pour un bulletin c’est un peu comme prendre le spectateur pour une bille. A défaut de ne pas éclairer davantage ses propos sur l’augmentation effective ou non des cotisations cette comparaison malencontreuse vient faire douter de la connaissance réelle de Macron d’une fiche de paye et donnerait presqu’envie de confondre de la même manière fiche et bulletin dimanche prochain (paraît-il qu’une certaine Pénélope fait des supers fiches. On pourrait les lui demander.)

Trêve de mauvaise langue, revenons à nos bouches.
Si les dents sont différentes, les lèvres elles ont un point commun : une lèvre supérieure définitivement plus fine que sa moitié inferieure : charnue pour Macron, étendue pour Le Pen.
Que peut-on déduire de cette répartition inégale des chairs buccales ?
Que si la lèvre supérieure (celle avec laquelle on donne, on embrasse) est l’offre et la lèvre inférieure (celle avec laquelle on réclame), la demande, eh bien quel que soit le résultat des présidentielles, on risque pas d’en avoir beaucoup plus dans nos assiettes pendant les 5 prochaines années.
Bon appétit.

Pour conclure sur ces considérations, je dirais que s’il faudra bien que je donne ma voix dimanche prochain pour faire taire une bouche que je me refuse d’entendre, ce n’est que du bout des lèvres que je la poserais dans l’urne.
Ce que je ne donnerais pas, et qui résistera derrière cette voix c’est un souffle. Le mien. Chaud et retenu, attendant son moment, demain, la semaine prochaine, dans un an ou dans 5 ans seulement, mais se réservant quoi qu’il arrive pour cette bouche qui sera enfin lui parler, lui donner envie de sortir enfin et de tout emporter.
Retiens ton souffle France. ça arrive.

Claire Dietrich

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