Chiapas : Des semences rebelles aux solidarités internationales

En guise de transition

paru dans lundimatin#453, le 28 novembre 2024

« (…) Peut-être que notre pensée est trop simple et qu’il nous manque des nuances et des subtilités si nécessaires, toujours, dans les analyses mais, pour nous, Zapatistes, à Gaza, il y a une armée qui est en train d’assassiner un peuple sans défense.

Qui, en bas et à gauche, peut rester sans rien dire ? »

Sous-commandant insurgé Marcos.
Mexique, 4 janvier 2009.

La première série “Semences rebelles” consacrée au mouvement zapatiste (I) [1], nous a permit d’introduire quelques-unes de ses contributions politiques - autonomie rebelle, graine zapatiste pour une autre politique (A) - et philosophiques - ontologie rebelle, graine zapatiste pour une autre philosophie (B) - pour les recherches-actions écologiques et critiques de la Modernité capitaliste et de l’Etat, et pour la résolution collective des crises écosytémiques.

Pour situer et approfondir ce que nous avons ébauché, tu peux te référer à une synthèse généalogique et à une courte bibliographie :
ici [2].

Des graines aux forêts

« Nous sommes rébellion et résistance. Nous sommes une de ces nombreuses masses qui abattront les murs, un de ces nombreux vents qui balayeront la terre, et une de ces nombreuses graines desquelles naîtront d’autres mondes.

Nous sommes l’Armée zapatiste de libération nationale ».

Sous-commandant insurgé Moíses, août 2019.

Depuis le soulèvement armé du 1er janvier 1994, le mouvement zapatiste a particulièrement cheminé en s’interrogeant, au travers des sentiers rebelles de la résistance - construction civile de l’autonomie - et de la rébellion - contributions théorico-pratiques aux basculements philosophico-ontologiques, politiques et anthropologiques nécessaires à la destitution du triptyque Modernité-Capitalisme-Etat de son hégémonie planétaire.

En chemin, entre les territoires autonomes du Chiapas et les multiples mondes qui composent la Terre, le mouvement zapatiste sème des graines de résistance-rébellion, d’imaginaires d’écologie terrestre anticapitaliste et non-moderne, de réflexions et d’analyse-critiques, de rage, de dignité et d’espoir, entre tant d’autres.

Contre la prétention unimondiste de la Modernité capitaliste et la configuration étatique du politique, les brutalités systémiques et les destructions écologiques qui affectent tant la bio-communauté et notre écosystème terrestres, des germes d’inspiration zapatiste poussent partout sur la planète Terre.

Depuis 30 ans, le mouvement zapatiste a largement contribué à nos cheminements écologiques et rebelles et au maillage international des luttes anticapitalistes et pour la vie.

Les semences écologiques et rebelles animent les cœurs-pensées de celles et ceux, de celleux, qui luttent pour la vie et la dignité, chacun.e à sa manière, sans relâche - bon, parfois, une petite sieste est bien méritée - souvent depuis en bas et à gauche. Effectivement, parfois c’est difficile de les situer. D’ailleurs, peu importe où ces personnes se situent, au fond ce qui nous importe c’est qu’elles luttent, bien que différemment, pour la vie digne, c’est-à-dire, contre l’hydre capitaliste, la Modernité occidentale et coloniale, et l’Etat.

Si l’ampleur des crises écosytémiques nous inquiète et nous effraie, si l’écocide terrestre, l’asservissement des peuples, le génocide palestinien, les féminicides, l’indifférence, le colonialisme et un long etcétéra de brutalités et d’horreurs, nous indignent et nous enragent, n’oublions pas que la Terre est aussi composée de personnes qui vivent-luttent pour la vie et la dignité, la liberté et la justice.

Ces personnes, aux multiples visages et aux diverses voix, parfois invisibles et inaudibles, qui existent et résistent malgré les obstacles et les souffrances, nous démontrent que vivre, dans ce monde mortifère, c’est lutter.

Parmi elles, nous savons que nous pouvons compter sur les zapatistes. Nous savons que depuis trois décennies, le mouvement zapatiste nous interroge et nous oriente, nous fait rêver et espérer, nous encourage à nous organiser, différemment selon nos géographies et nos calendriers, et à vivre l’utopie possible d’autres mondes écologiques et rebelles.

Ensemble, ici et maintenant. Mais aussi demain. Puis après-demain, l’année prochaine, dans 30 ans, 120 ans et pour les prochains siècles.

Parce que nous sommes des milliards, et plus encore, et que si nous peinons souvent à nous reconnaître, à nous écouter et à nous comprendre, des racines vieilles de plusieurs millénaires, sages d’histoires, de savoirs et de pratiques, nous relient par-delà les mondes et les différences.

Tant que nous lutterons pour vivre dignement, la configuration hégémonique du monde - que nous synthétisons par le triptyque Modernité-Capitalisme-Etat, ne sera JAMAIS le monde. Rien de plus qu’un système-monde pourri, meurtrier, puant, affreux, (…).

Malgré sa brutalité déconcertante, ses changements d’apparence et sa prétention de permanence, les reconfigurations actuelles du système qui détruit nos mondes nous montrent que sa reproduction est chaque fois plus difficile. Ce monde s’affaiblit. De nombreuses brèches fissurent le mur de l’Histoire sans futurs.

Sans négliger ses capacités réelles d’imposition d’un présent perpétuel, une illusion publicitaire pour nous conformer, le système que nous connaissons, que nous vivons et perpétuons n’est pas éternel.

La brutalité de l’hydre, l’imposition coloniale de la Modernité occidentale et l’Etat, nous affectent différemment, en fonction de l’être-terrestre que nous sommes et de la place systémique que nous occupons. Pas besoin de préciser que les femmes, les gens d’en bas, les peuples originaires, les personnes dissidentes et racisées sont, bien souvent, les premières affectées. Mais aussi les premières à résister, c’est-à-dire à vivre-lutter.

Parce qu’il n’y a jamais eu de continuité ininterrompue de la domination systémique. Nous avons toujours résisté.e, contourné.e, saboté.e, (…) mais aussi construit d’autres mondes et d’autres modalités d’existence au bord du système-monde dominant, souvent dans les interstices.

Le mouvement zapatiste nous démontre qu’en nous organisant, nous pouvons expérimenter d’autres mondes, d’autres imaginaires, d’autres théories et pratiques, d’autres subjectivités, etc. Ce n’est pas simple, ni idéal, mais c’est possible et largement désirable.

D’un côté à l’autre

« Il n’existe pas pour nous de frontières ni de géographies lointaines. Tout ce qui se passe dans n’importe quel coin de la planète nous affecte et nous concerne, nous inquiète et nous fait mal. (…) nous pouvons comprendre la souffrance, la douleur, la tristesse et la digne rage que provoque le système. »

Sous-commandant insurgé Moíses

« Neuvième partie : La nouvelle structure de l’autonomie zapatiste », 12 novembre 2023

A la suite des « Semences rebelles », nous allons donc nous concentrer sur l’actualité zapatiste, c’est-à-dire, sur les récents communiqués de l’EZLN et la situation des conflits politiques et armés dans l’Etat du Chiapas, au Sud-Est du Mexique.

Au gré de cette seconde série, « Solidarités internationales », nous souhaiterions contribuer à l’amplification des complicités et des alliances, de l’attention et des solidarités internationales sans lesquelles tant de luttes seraient isolées, affaiblies…et détruites.

Parce que « chaque bombe qui tombe à Gaza tombe aussi sur les capitales et les principales villes du monde », parce que l’éco-génocide de la population palestinienne et des territoires de Gaza est un bio-anthropocide qui affecte la communauté terrestre que nous sommes.

Parce que ce qui paraît lointain, affectant une autre géographie et une autre population, est en réalité très proche.

D’octobre à décembre 2023, l’EZLN a publié une nouvelle série de communiqués, esquissant l’actuel cheminement réflexif et pratique du mouvement.

La parole zapatiste témoigne de la préoccupation du mouvement pour la population palestinienne, dont l’existence est menacée par la guerre eco-génocidaire menée par Israël et ses forces armées - avec la complicité, active et passive, de la « communauté internationale ».

La « nouvelle étape » du mouvement zapatiste, entamée en 2023, approfondit la structure de l’autonomie rebelle, les analyses-critiques du système-monde et de la Tempête, et la lutte ontologico-politique. D’une certaine manière, les cheminements de la perspective ontologico-politique zapatiste, notamment depuis la Déclaration pour la vie (2021), nous permettent de penser l’actualité sanglante et destructrice de la guerre à Gaza - laquelle est une terrible illustration de l’état actuel du monde moderne-capitaliste et des États nationaux.

Alors que les communautés zapatistes sont constamment menacées, intimidées et attaquées, et que l’EZLN a récemment suspendu ses communications publiques - en raison de la situation préoccupante des conflits politiques et armés affectant principalement les communautés indigènes et zapatistes au Chiapas, allons-nous taire ces offensives contre l’autonomie civile d’un mouvement qui a tant contribué à la vie, à la dignité et à la possibilité de nos mondes résistants-émergents contre les dominations systémiques ?

Dans un texte intitulé « À propos de semis et de récoltes », le sous-commandant Marcos écrivait : « Nous ignorons si vous le savez, mais nous, Zapatistes de l’EZLN, savons combien il est important, au milieu de la mort et de la destruction, d’entendre des mots de soutien » (4 janvier 2009).

Le 17 novembre 2024, l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) a célébré ses 41ans de formation. Au regard du contexte préoccupant du Chiapas, du Mexique et de la planète Terre, nous pensons qu’il est important de prendre la mesure des apports du mouvement et de propager les graines zapatistes de résistance et de rébellion, préservées et diffusées par l’EZLN depuis plus de trente ans.

C’est donc une occasion, parmi tant d’autres, pour analyser la littérature zapatiste et ses pratiques rebelles, mais aussi pour repeindre les murs de nos villes, organiser nos villages, labourer nos champs, déconstruire nos subjectivités, partager notre digne rage, semer la résistance, intensifier nos rebellions, écouter nos différences, penser nos ressemblances, nous informer, combiner nos tactiques, peaufiner nos stratégies, libérer des espaces, chanter et danser, croiser nos imaginaires utopiques, interroger nos servitudes, crier nos indignations, tisser des complicités et des alliances, cartographier nos besoins, rêver, orienter nos énergies, sentir-penser nos peurs et nos désirs, désarmer les machines, amplifier nos solidarités, préserver les racines, affirmer notre dignité, nourrir nos espoirs, construire nos mondes, ouvrir des chemins (…).

Les solidarités internationales ne sont pas inutiles.

Nos paroles rencontrent d’autres mots, d’autres langues, d’autres manières de s’exprimer, elles se transforment en un « murmure » polyphonique, puis un chant harmonieux, un bruit dérangeant, un cri enragé dont l’écho planétaire permet, peut-être, que les personnes qui luttent pour la vie à Gaza, dans les territoires autonomes zapatistes et les autres recoins de résistance et de rébellion sur Terre, sachent que nous sommes nombreuses et nombreux à nous engager.

Peut-être que nos cris et nos soutiens n’arrêtent pas les guerres. Mais ils rompent l’indifférence apparente, et nous démontrent que nous ne sommes pas seul.es à vivre-lutter.

La lutte pour la vie digne relie les géographies, de la Palestine au Chiapas rebelle, en passant par tous les corps et les territoires qui résistent et se rebellent.

Aujourd’hui, trente ans après le célèbre « Ya Basta ! » du soulèvement zapatiste, celles et ceux, celleux, qui refusent de capituler, d’abandonner, de se résigner et de se vendre, continuent de crier : « Ça suffit ! ».

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