Cesare Battisti a interrompu sa grève de la fin :

autopsie d’une nouvelle

paru dans lundimatin#294, le 1er juillet 2021

Le 26 juin, Cesare Battisti a été transféré de la prison de Rossano Calabro, où il se trouvait enfermé dans le secteur réservé aux djihadistes, à celle de Ferrare. A cette occasion, cédant aux instances de ses avocats et de ses proches, au 24e jour de sa grève de la faim et des soins, Cesare Battisti l’a suspendue. Suspendue seulement. Car, pour l’heure, et contrairement à ce qu’on avait pu croire dans un premier temps, il est toujours sous le régime AS2 (haute surveillance 2).

La raison de cette interruption de l’action que Cesare avait lancé aux dépens de son propre corps est que, à Ferrare, même si son régime de haute surveillance est maintenu, sa vie quotidienne devrait y être moins dure, et qu’il devrait par exemple avoir quelques interactions sociales avec d’autres détenus – ce qui lui était impossible à Rossano, étant donné le profil des autres prisonniers.

Si le moment n’est pas venu de crier victoire, il faut tout de même prendre la mesure de ce qui s’est passé : en mettant sa vie dans la balance, Cesare a déjà obtenu, outre une amélioration probable de son sort, que soit rompue l’unanimité compacte qui entourait le projet élégamment formulé par Salvini : le laisser « pourrir en prison jusqu’à la fin de ses jours ». Le garant des droits des détenus, des éditorialistes de renom de la presse dominante, et même, implicitement, le président de l’association nationale des victimes du terrorisme, ont soutenu que la « justice n’était pas la vengeance », et que ce qui devait s’appliquer à Cesare, c’était la loi et rien que la loi.

Conformément à la loi, c’est-à-dire au jugement de la Cour d’appel de Milan qui l’a condamné à la réclusion, mais pas au régime de haute sécurité, Cesare réclame toujours la levée de celui-ci, et dans un premier temps, il exige qu’on lui communique enfin pour quelle raison on continue de le traiter comme un détenu qui représenterait une menace si grave que ses droits de prisonnier garantis par la Constitution italienne doivent être mis entre parenthèses. Rappelons qu’il a été condamné pour sa participation aux activités armées des PAC (Prolétaires armés pour le communisme), organisation disparue depuis près de quarante ans, et que les autres membres encore vivants, tous jugés, et notamment son chef, sont tous en liberté depuis de longues années. Depuis quarante ans, dans ses actes et dans ses écrits, Cesare a montré qu’il n’avait plus rien à voir avec l’activisme armé de ses jeunes années, mais l’administration pénitentiaire continue à le traiter comme s’il représentait une menace grave pour la société. Or, malgré les nombreuses démarches de ses avocats, le ministère de la justice et l’administration pénitentiaire refusent toujours de communiquer pour quelles raisons il est maintenu au régime AS2. C’est donc pour obtenir, pour commencer, la levée de ce mystère, que Cesare pourrait se remettre en grève de la faim.

La députée PD de la Calabre, Enza Bosio, qui était allée voir Cesare en prison la veille, a déclaré à l’annonce du transfert : « J’en suis satisfaite, mais j’espère que maintenant, à Ferrare, il pourra vivre une détention digne, dans un régime ordinaire. Si ce n’était pas le cas, je m’engagerais à connaître les motivations d’une assignation différente de celle du régime ordinaire. » Nous pouvons peut-être aider l’onorevole à saisir dans quelle direction chercher pour comprendre les « motivations » derrière l’acharnement inique de l’administration pénitentiaire italienne. Il suffit pour cela de voir comment les avocats et la famille de Cesare ont appris son transfert. Ce n’est ni la prison de Rossano, ni le ministère de la Justice qui les en a informés, comme la bonne règle l’aurait exigé. L’information est venue de l’Ansa, l’agence de presse nationale italienne, qui la tenait du Sappe (Sindacato Autonomo Polizia Penitenziara), le syndicat des gardiens de prison. Elle était assortie des considérations suivantes : « Nous rappelons que parmi les homicides commis par Battisti, il y a aussi celui du brigadier Santoro, alors directeur de la prison d’Udine. Nous espérons que maintenant, il purge la peine prévue, c’est-à-dire la réclusion à perpétuité. » Cette chaîne de l’information fait penser à celle qui fonctionne aujourd’hui en France pour tout fait divers spectaculaire : les syndicats de policiers sont les premiers informateurs des journalistes, ce qui est cohérent avec leur rôle central dans le fonctionnement du Ministère de l’Intérieur. Revenant à l’Italie, comment ne pas en conclure que la politique de détention appliquée à Cesare, est largement pilotée par ceux-là même qui risquent d’avoir des raisons personnelles de lui voir appliquer le programme de pourrissement en prison claironné par Salvini, venu accueillir Cesare à l’aéroport en gilet de maton ?

En Italie comme en France, les lobbies sécuritaires, ceux des forces de l’ordre et des gardiens de prison, ont gagné en puissance autonome au fur et à mesure que l’Etat se recentrait sur ses tâches de répression. En Italie comme en France, contrer leurs cruelles exactions est une tâche de première nécessité.

Pour Cesare, pour toutes ceux et celles menacés d’être emprisonnés derrière les barreaux de la vérité officielle sur les années 70, pour celles et ceux à qui l’Etat mène la guerre de la mémoire, le combat ne fait que commencer.

Addendum

On trouvera ci-dessous un communiqué du Comité calabrais de solidarité avec Cesare Battisti, publié le 27 juin sur le site Informazione et Communicazione. Il nous semble important de le traduire et de le faire connaître, pour les informations qu’il contient, autant que pour qu’on se rende compte que Cesare n’est plus dans la solitude absolue à laquelle on voudrait le condamner.

Enfin, Cesare Battisti a été transféré à Ferrare, dans une prison différente de celle de Rossano où il était reclus, depuis septembre 2020, dans une section réservée aux combattants islamistes accusés de terrorisme.
Bien, un premier résultat a été atteint, au moins pour le moment, vu que semblent encore persister, aussi incroyable que ce soit, les restrictions relatives à sa détention sous un régime de sécurité maximum, malgré la confirmation en Cassation de la sentence n°3 de 2019 de la Cour d’assises d’appel de Milan, qui avait établi la nécessité que Battisti purge sa peine sous un régime ordinaire, et malgré les violations graves et continues de ses droits et des ceux de ses proches, parvenus à leur apogée, hier justement, avec l’annonce du transfert, envoyée à l’Ansa dans un honteux communiqué de presse rédigé par un syndicat de police. Comme camarades, nous avions promptement répondu à l’appel de Cesare Battisti et ces derniers mois nous avons essayé de maintenir, par l’intermédiaire du camarade Adriano d’Amico, auquel vont tous nos remerciements, un canal direct de communication avec Cesare et sa famille. Nous avons mis sur pied un comité, composé de membres du mouvement de la région de Cosenza et de Calabre, de l’Association Yairaiha, de l’Observatoire sur la répression, de syndicalistes, d’activistes anarchistes, des centres sociaux, de Refondation communiste et de divers camarades sans attache qui ont essayé, non sans de grandes difficultés, de faire vivre l’attention sur l’affaire Battisti, en réussissant à se lier à sa famille, aux activistes et aux camarades de diverses nations, de la France au Brésil, qui ont invoqué et invoquent avec force la nécessité que l’on considère et que l’on tienne compte de l’homme, du citoyen et du père qu’est aujourd’hui Cesare Battisti. Nous sommes tombés d’accord pour un appel national auquel ont souscrit, entre autres, les juristes Cesare Antetomaso, Aurora D’Agostino, Laura Longo et Giovanni Russo Spena ainsi que Maurizio Acerbo.

Même la déterminante visite d’Enza Bruno Bossio, à laquelle vont nos remerciements pour avoir été l’unique parlementaire qui a accepté la demande du Comité (demande qui pourtant avait été adressée à plusieurs reprises à des membres de la soi-disant gauche de gouvernement), est le fruit, outre de sa constante activité sur ce terrain, d’une discussion approfondie qui s’est déroulée dans le Comité et qui a prise en compte aussi bien l’urgence de faire sortir Cesare Battisti de la condition de torture que certains appareils de l’Etat ont décidé de lui infliger, que de l’urgente nécessité d’éviter, surtout, l’irréparable.

Et maintenant, bien sûr, nous ne nous arrêterons pas, étant entendu que nous avons déjà contacté quelques activistes de la Gauche contestataire de Ferrare, qu’ils nous ont déjà garanti qu’ils suivront l’évolution de la situation et nous tiendront au courant. Notre bataille est une bataille démocratique, sachant que l’engagement de nous tous s’accomplit au grand jour, qu’il est tout entier construit sur la base de la Constitution, écrite dans le sang versé des camarades partisans durant la lutte de Libération, et dont nous voudrions qu’elle soit pleinement appliquée, surtout s’agissant des principes de garantie juridique qui devraient orienter le fonctionnement des institutions totales.

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