« Ces gens-là »

Gilets-Jaunes : Récit d’un procès ordinaire

paru dans lundimatin#267, le 18 décembre 2020

« Les gens les plus intelligents ne sont pas forcément ceux qui parlent le mieux »
Orelsan, Simple, basique

Ce vendredi 4 décembre 2020, au Tribunal de Grande Instance de Paris, trois membres du collectif Les Réfractaires du 80 (dont je fais partie) sont venus soutenir Aurélien, Jérémy et trois autres prévenus qui passaient collectivement en jugement pour violences en réunion et (pour l’un d’entre eux), attroupement en vue de commettre des violences lors de la manifestation du 14 juillet 2020.

Je vous laisse juges de la vidéo, libre d’accès, dans laquelle on peut voir les croches pieds qui ont mis à terre deux gendarmes et les affrontements qui en ont suivi. De l’affolement, de la peur, des blessures légères et quelques jours d’ITT pour les gendarmes présents. Une arrestation plusieurs mois après, à l’aube, à leur domicile ou sur leur lieu de travail pour les accusés. 5 personnes sur 9 ont été arrêtées, placées plus de 48h en garde à vue et jugées ce vendredi du mois de décembre. C’est ainsi que nous avons subi pendant plus de 7 heures d’audience la mise en scène de la bourgeoisie, son bien penser, son bien parler, sa morale républicaine et son allégeance à peine cachée au pouvoir en place.

En maître de cérémonie, le juge et Président de séance, Monsieur Humbert, que les avocats estiment humain et à l’écoute mais qui nous a plutôt semblé dissimuler sa sévérité et son manque d’empathie derrière une bienveillance feinte et un professionnalisme méticuleux qui le place à l’abri de toute critique. Mais nous ne sommes pas dupes.

5 avocats, deux autres juges, un procureur, une greffière, un huissier très attentionné et des policiers qui veillaient au bon port du masque, au silence absolu du public et à la bonne tenue de toutes et tous.

D’un côté les accusés et de l’autre, les 6 gendarmes concernés par cette affaire et leur colonel, tous arrivés en grande pompe, étriqués dans leurs costumes de cérémonie, gants blancs, blasons, écussons et képis. De quoi impressionner un public non averti et vêtu confortablement pour tenir le choc d’une journée longue et éprouvante.

Un Président qui remercie toutes les personnes présentes et qui souligne être sensible à la marque de respect dont font preuve les gendarmes en portant leurs belles tenues, tout en précisant quelques minutes après que son jugement ne serait en rien influencé par cette marque de déférence de leur part. Première révolte intérieure pour nous, il y en aura des centaines d’autres…..mais l’audience n’aura pas lieu tout de suite et nous voilà repartis dans le grand hall du tribunal pour une attente de plus de 2 heures.

16H30 – L’audience peut commencer.

Le Président insiste à maintes reprises sur l’importance d’avoir un débat riche et constructif pour que les uns et les autres apprennent à mieux se connaître et que (je le cite) la fracture qui existe aujourd’hui en France entre le peuple révolté et les forces de l’ordre puisse être un peu réparée. Pendant plusieurs heures, chacun se présente à la barre à tour de rôle et la vie des accusés est décortiquée dans les moindres détails, nous plaçant dans une position de voyeurs passifs, anéantis par la dureté de vies cassées, disloquées, inimaginables. Ce à quoi nous assistons cette après-midi là, c’est à la très grande et insupportable précarité d’un côté, et de l’autre, les mots de gendarmes contrariés et en colère mais solidaires, parlant comme un seul homme. Le colonel a sûrement veillé à ce que tout se passe bien et que ces hommes tiennent le même discours. L’uniformité des réponses est frappante.

20h15 – Le procureur prend la parole et parle comme un procureur. Il affirme haut et fort que des vies brisées ne justifient en rien les actes infâmes (je rappelle, des croches pieds) commis par ces affreux black blocs (rien n’a d’ailleurs prouvé que les accusés en étaient) qui sont là pour détruire l’unité de la France et disloquer l’État. Il traite abondamment les accusés de lâches et égrène la série de peines très lourdes qu’il réclame pour eux.

Puis arrivent les plaidoiries, à commencer par celle de l’avocat des gendarmes, Maître…… qui après un discours d’une dizaine de minutes et ne pouvant plus se retenir, fini dans un grand souffle haineux par traiter les accusés et ceux qui sont présents pour les soutenir, de « vermine ». Grande révolte intérieure, nous sommes sous le choc.

Puis les avocats des accusés parlent à tour de rôle. Nous pouvons enfin, à travers notamment la plaidoirie de Maître Bouillon et Maître Becker, souffler un peu et profiter pendant quelques minutes d’un point de vue plus juste sur les faits relatés : chacune rappelle ce qu’est le contexte d’une manifestation et notamment que les tensions qui naissent ne surgissent pas de nulle part. La pratique massive et abusive de la nasse échauffe les esprits, tout comme les coups de matraque et les gazs lacrymogènes tirés sans aucune raison. Mais aussi que ce 14 juillet 2020, il y aurait visiblement eu un problème de gestion, une défaillance dans la chaîne de commandement des forces en présence puisque 6 gendarmes se sont retrouvés seuls face à un grand nombre de manifestants en colère, l’escadron de CRS se trouvant à proximité ayant quitté les lieux sans se soucier de la sécurité des gendarmes postés un peu plus loin. Mais le répit fût de courte durée….

En effet, l’avocat de l’un des accusés n’a pas pu s’empêcher de défendre son client en parlant de « ces gens là », comprenez les pauvres, qui se révoltent de façon excessive. Il a osé citer Eddy Bellegueule et a eu cette phrase terrible pour évoquer le parcours de vie de son client « si leur situation n’était pas aussi triste, on pourrait croire à un sketch des Deschiens ». On en revient toujours à ce mépris de classe et c’est désolant.

Ainsi, pendant de longues heures, nous avons assisté au spectacle d’une classe sociale qui défend ses intérêts et tout un système qui leur permet d’être ce qu’ils sont, une élite écrasante et méprisante.

Les peines prononcées ont été très sévères et disproportionnées : prison ferme, mois de sursis probatoire, interdiction d’aller à Paris pendant 2 ans, amendes de dommages et intérêts pour les gendarmes.

Alors Mesdames et messieurs les représentants de la Justice, ceux que vous appelez « ces gens là » ne sont pas là pour créer le chaos, parce que le chaos, c’est vous. Vous brisez des vies déjà en morceaux.

La violence c’est vous. La peur, c’est vous. Et le séparatisme, c’est encore vous.

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