Cauchemars et facéties - spécial 31 mars

Quand tu manifestes et que...

Cauchemardos - paru dans lundimatin#55, le 4 avril 2016

Nous devons avouer nous être retrouvés dans l’impossibilité de compiler un grand nombre de récits de ce qu’il s’est passé le 31 mars dans tant de villes de France. Nous vous conseillons donc de consulter ce site pour trouver plus d’informations sur la mobilisation contre la Loi Travail.

# Toulouse

Un récit de la manifestation du 31 mars, trouvé sur IAATA

C’est à 12h15 que des étudiantEs du Mirail ont décidé d’honorer ces promesses. Il aura suffi d’un mouvement bien senti, d’un pas de côté... La rue de Rémusat nous ouvre les bras et nous nous y engouffrons, hurlant, dansant, repeignant les murs, on est un millier à avoir fait sécession du reste du troupeau pour aller déverser trois semaines de frustration dans les rues de l’hypercentre.

On fait raisonner des "Toulouse, réveille-toi" dans la rue du Taur, on baricade à Saint-Pierre, on déborde les flics partout, on vibre, on vibre collectivement.

On retrouve un millier de manifestantEs à Saint-Cyprien. C’est le reste du cortège, les vivantEs, celleux qui ont refusé de rentrer chez elleux après l’inconséquente balade que leur avait concoctée les syndicats. LycéenNEs et inexpérimentéEs pour la vaste majorité, ils et elles sont méduséEs devant l’agressivité des flics. Des remarques d’une naïveté désolante fusent : « c’est ça, la démocratie ?! »

Mais ils et elles ne mettent pas bien longtemps à me faire ranger ma condescendance au placard. Pendant que des dizaines de lacrymos font disparaître la place Saint-Cyprien dans un épais brouillard, les CRS chargent. Ca crie, ça pousse, ça tombe.

Alors que le nuage commence à se dissiper et que tout le monde s’est relevé, l’inattendu se produit.

Les mots ne suffiront pas, car il fallait les voir, ces lycéenNEs aux yeux rougis, silhouettes dans les lacrymos, revenir lentement sur leurs pas, en bloc, et hurler à la face des keufs : « ON LÂCHE RIEN ! ».

Je n’en crois pas mes yeux, au moins 500 personnes avancent, reprennent le terrain qu’on leur avait volé. Je retrouve des regards familiers, des sourires complices.

Pendant plus d’une heure, on tiendra la police en respect, en répliquant à chaque charge, à chaque tir. A leurs gestes robotiques et désincarnées, on répondra par toujours plus de rage, toujours plus de vie. Pendant que les unEs allument des poubelles, les autres renvoient les palais de lacrymo. Sens du vent aidant, les bleus s’étouffent dans leur propre gaz, provoquant l’hilarité générale.

Des nouvelles nous parviennent, et elles sont bonnes. L’avenue de Grande Bretagne est sens dessus dessous, des petits groupes foutent le bordel un peu partout, les flics paniquent au point de se rentrer dedans en bagnole. Avenue Etienne Billières, ils continuent de charger, on continue de revenir, aussi sûrement que les vagues sur un récif.

Un mois d’attente. Mais plus de doute.

Toulouse s’est réveillée.

Et elle nous promet des matins blêmes.

# Strasbourg

La bac dans la fac.

Le 31 mars, de retour de manifestation (8000 personnes), les étudiants ont tenu une AG (400 personnes) et ont voté l’occupation nocturne d’un bâtiment : le Patio. Le président de l’université a décidé de faire intervenir les forces de l’ordre pour procéder à l’évacuation. Les 80 occupants ont décidé et mis en oeuvre le principe d’une résistance active mais non violente.

Université de Strasbourg : évacuation musclée par les CRS et la BAC from Maillard Pascal on Vimeo.

# Lille

# Grenoble

Selon le journal local le Dauphiné (extraits) :

21 h 45 : importants affrontements actuellement devant l’hôtel de police de Grenoble : la police a répondu à des jets de projectiles par des jets de gaz lacrymogène et a chargé les manifestants.

21 h 05 : les manifestants, après un long parcours erratique dans les rues du centre-ville, font un sit-in actuellement devant le complexe cinématographique Pathé-Chavant, bloquant ainsi la circulation sur l’un des plus importants carrefours de Grenoble.

20 h 25 : les manifestants ont quitté l’hyper-centre et, par l’avenue Alsace-Lorraine, se sont engagés sur le cours Jean-Jaurès, puis sur le cours Berriat, de nouveau vers le centre-ville…

18 h 50 : Des affrontements ont éclaté entre les forces de l’ordre et environ 500 manifestants qui ont refusé de quitter l’anneau de vitesse. Police et gendarmerie viennent de tirer des gaz lacrymogènes et ont investi les lieux.

11 H 54 : un responsable de la police vient d’indiquer que la manifestation déclarée au parc Mistral s’achève à 16 heures. Et que tout rassemblement qui se maintiendrait ensuite serait considéré comme illégal.

12 H 35 : les syndicats annoncent la participation de 25 000 manifestants à Grenoble.

11 H 44 : 7000 manifestants défilent à Grenoble selon la police.

11 H 37 : un cordon de police a tenté de séparer le cortège en deux pour stopper la route aux casseurs place de l’Etoile. Mais débordé par le nombre, pris sous de multiples jets de projectiles, il a dû renoncer. De nombreuses dégradations continuent à être commises par des jeunes gens masqués.

# Rouen

Un récit qui nous a été envoyé par un lecteur :

Tous ensemble pour que rien ne se passe, jamais !
Tel pourrait être le mot d’ordre des organisations syndicales sur Rouen. Réunies en intersyndicale quelques jours auparavant, elles avaient surtout eu soin d’organiser un service d’ordre visant à éviter tout débordement en s’assurant d’être cette fois-ci en tête de manif. Encore raté.

Tôt le matin, les lycéens s’étaient organisés pour bloquer leurs établissements comme ils l’avaient décidé. Malgré le zèle de la police administrative (les proviseurs et leur suite), les blocages tiennent à plusieurs endroits et l’administration reste impuissante. Parfois, la violence des proviseurs est pointée par des TAGS ou des banderoles. « Déchéance d’humanité pour le proviseur », peut-on lire sur les murs du lycée Corneille. Les lycéens se retouvent et leur cortège rejoint bruyamment le cortège syndical pour la manifestation.

Avant même le départ, la banderole officielle et le SO des syndicats essaient de prendre la tête de la manifestation à plusieurs reprises, en vain. Le cortège des jeunes, lycéens et étudiants, part en tête avec ses deux banderoles renforcées : « ne perdons pas notre vie à la gagner » et « Ni chair à patron ni chair à matraque ». Il décide de ne pas suivre le parcours soporifique imposé par les syndicats, et fonce droit sur le PS pour lui rendre les hommages qu’il se doit. Nouveau ravalement de façade pour l’occasion. Devant l"évidence du nombre, le SO syndical, ou ce qu’il en reste à cet endroit, tente sans grande conviction d’empêcher la chose. Après un petit tour en manif sauvage, le cortège reprend la tête de la manifestation officielle pour se rendre place de la préfecture où des affrontements avec la police ont eu lieu : projectiles en tout genre versus gaz lacrymogènes.

Nuit debout : l’appel à se rendre place de l’hôtel de ville, relayé par le comité de mobilisation depuis plusieurs jours, a bien circulé pendant la manifestation. De nombreux cortèges s’y rendent en manif sauvage. 800 personnes s’y retrouvent. Crêpières, réchaud, assiettes, barnum, palettes en tout genre fleurissent ici et là. Les cabanes pour passer la nuit se montent.
Le programme : 18h00 assemblée générale, 20h00 repas collectif, 21h30 diffusion de merci patron. Et advienne que pourra. Mais pas chez soi !

Effrayée par la possibilité d’une nouvelle ZAD en plein Rouen, le PS envoie promptement sa police. Les charges sont violentes, nous sommes matraqués et gazés. Des têtes sont en sang. On compte au moins 7 arrestations, les journaux parlent de 15 GAV pour la journée. Des avocats ont été contactés. L’absence totale de toute organisation syndicale et/ou politique, malgré les invitations lancées, a largement facilité le travail de la police. Faut dire qu’ils avaient lancé une AG e à l’heure même du rassemblement : ils y étaient à 15 ! C’était du coup assez rageant de les voir arriver un peu trop tard pour agiter la solidarité face à la répression et encore plus tard pour dire que la projection pouvait se faire car elles avaient eu l’accord auprès de la mairie.

La place est évacuée. Mais les manifestants restent déterminés. Départ en manif sauvage. Les différents cortèges éparpillés se retrouvent et décident d’aller à l’hotel de police où les personnes arrêtées sont détenues. Cortège rapide et déterminé. Les flics sortent en nombre et ne nous laissent pas approcher. Voiture déplacée au milieu de la route. Container de verre renversé. Les flics chargent. Les manifestants refluent. Ils passent devant le lycée Blaise Pascal et bloquent un temps. Puis repartent et rentrent dans le centre commercial Saint Sever. Panique de la sécurité à l’intérieur. Ca fait du bruit. Les magasins baissent leurs stores. Une porte d’entrée est fêlée. Ca ressort. La dispersion est lancée. Quelques groupes continuent.

On se retrouve à 18h00 à l’Hotel de ville. On est moins nombreux. On a perdu les palettes pour s’installer même si le reste du matériel a été récupéré à l’arrache. Après discussion, Il est décidé de rester une partie de la nuit. Un barbecue est improvisé. Des canapés sont posés. Une centaine de personnes ont tenu la place une partie de la nuit malgré tout. Prochain rendez-vous pour projection et discussion à l’amphithéatre Axelrad (facultés de Mont St Aignan) le premier avril à 20h00.

# Lyon

Après la manif contre la loi travail, qui finissait place Bellecour (cf. photos au dessus), des centaines de personnes se sont regroupées dans la Croix Rousse, d’abord place Colbert, puis sur l’esplanade. Un groupe est ensuite parti en manif sauvage dans les pentes avant de revenir festoyer en haut. Extraits :

Comme on pouvait s’y attendre il y a du monde à la manifestation de l’après-midi. La tête de cortège nous a donné la pêche, tenir la police à distance, l’envie de s’arrêter à Bellecour n’étant pas là, rencard est pris à Colbert, 18h.

Besoin de reprendre des forces, on se pose on boit un coup. On discute de ce qui vient de se passer place Bellecour, avec un goût amer dans la bouche, l’envie de bouger se fait sentir. On commence à voir les keufs tourner autour de la place sous les huées de la foule. Finalement on bouge direction l’esplanade, le départ se fait dans la bonne humeur, chants, collages et tags sont au rendez vous.

Sur l’esplanade de la grande côte, on se pose un peu, [...] une partie des personnes présentes n’a pas envie d’en rester là, l’envie d’arpenter les rues, de s’éprouver ensemble, se fait sentir, c’est reparti pour un tour.

Un cortège s’élance derrière une banderole « Nos nuits sont plus belles que vos jours » . Certains décident de rester pour tenir la place. On descend en zigzaguant dans les pentes, assez vite les sprays sont de sorties on laisse diverses traces de notre passage, ce qui permet aux retardataires de retrouver le cortège. On chante « la loi travail on s’en fout on veut pas de boulot du tout » « on est nombreux, on fait ce qu’on veut ». [...] Des armées de robocops nous attendent un peu partout. Le cortège explose certains montent d’autres descendent. La banderole s’engouffre alors vers le bas des pentes. Un des fragments du cortège éclaté finit sa course dans les vitres du commissariat rue des capucins. L’autre partie du cortège se fait chasser par la BAC, l’ordre de disperser tout ce petit monde a rapidement été exécuté. Un groupe se fait contrôler place des Terreaux. Il semblerait que deux personnes se soient faites arrêtées.



# Dijon

Aujourd’hui, manifestation, à Dijon, sur la fin du parcours un ancien cinéma va permettre aux personnes présentes de sortir des fauteuils tout en regardant la police, qui fera ensuite usage de très nombreuses grenades lacrymogènes. L’ingéniosité des manifestants est telle que rapidement les fauteuils se transforment en barricade et une réponse adéquate prend forme.

Violences policières.

Un récit nous a été envoyé par des lecteurs :

Jeudi 31 mars, Dijon, 14h
La manif part, les intentions de la police sont claires, le Directeur Adjoint à la Sécurité Publique donne la consigne d’arrêter tous les gens masqués. Mais l’ambiance qui s’impose oblige les flics à rester loin. À l’avant du cortège les gens sont bouillants, on n’aperçoit aucun drapeau, ça gueule, ça tape sur tout se qui fait du bruit, ça balance des œufs de peinture sur les flics. La BAC n’ose pas approcher la meute. À la fin de la manif syndicale beaucoup de monde veut continuer mais se heurte à une ligne de flics. L’idée est de rejoindre un lieu à occuper pour une nuit rouge. Ça s’affronte aux keufs, ils gazent, et après plusieurs tentatives de sortie, le cortège repart de la place par une autre rue. Il reste autour de 2000 personnes à partir en manif sauvage, on tente de rejoindre le centre-ville mais les flics arrivent toujours in-extremis pour bloquer les rues devant le cortège.

On essaie d’autres rues, on accélère, on se met à courir pour passer les barrages de keufs mais on se retrouve toujours face à plusieurs camion et des lignes de boucliers. À ce moment là on tente d’aller vers la gare, même impossibilité de s’y rendre. On fait demi-tour, quelqu’un éclate un pare-brise de voiture de flic avec un pavé et on arrive vers un ancien cinéma désaffecté qui est ouvert dans l’idée d’y regarder un film et d’y faire une assemblée. Sauf que l’ambiance n’était pas à s’asseoir mais à continuer de tenir la rue. On se met à sortir les fauteuils et tout ce qui traîne dans le ciné pour barricader la rue devant.

Les CRS arrivent, se positionnent et chargent. C’est le début de la débandade, il n’y a plus de banderole pour faire front, les gens s’éparpillent. On voit une belle scène de désarrestation pendant laquelle un gars de la BAC prend cher, mais la suite s’apparente à une chasse à l’homme. Les flics poursuivent en camion les groupes qui se disloquent, et la porte ouverte continuent à gazer en continu un boulevard et les rues adjacentes. Des voitures de flics arrivent de tous les côtés, certains s’en sortent en escaladant des toits, entrant dans des immeubles ou se faisant accueillir par de gens chez eux. Au final 23 personnes se font arrêter. C’est complètement fou par rapport à la taille de la ville, les flics se sont défoulés. On a vu des gens se faire défoncer à coup de matraque et on a retrouvé au moins 20 balles de flashball sur les lieux d’affrontements. Un groupe arrive à rester sur la place adjacente au cinéma et propose de rester manger là. L’appel est quelque peu suivi mais le froid et la fatigue prennent le dessus et après le repas tout le monde rentre. 3 personnes passent en procès le lendemain, une centaine de personnes se réunissent devant le tribunal pour les soutenir. Ils prennent 2 mois ferme pour deux d’entre eux et 4 mois ferme pour le troisième, sans mandat de dépôt. Les autres sont convoqués pour des compositions pénales. Samedi une discussion a lieu pour revenir sur la manif, les GAV, le procès et parler de la prochaine manif. Les gens sont déters, Ils sont chaud pour retourner dans la rue mardi. On tient bon.

# Violences partout

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