Canaliser

Méga-canal, Méga-scandale : récit d’un week-end

paru dans lundimatin#493, le 20 octobre 2025

Les 11 et 12 octobre se tenait un grand week-end de mobilisation contre un encore plus grand méga-canal Seine Nord Europe qui doit relier Compiègne à Lille. Retour et récit de ces journées de rencontres et d’actions.

Régime hydraulique – récit

L’eau du canal fait du sur-place, se déplace dans un sens puis dans l’autre au fil des écluses médiatiques. Ici un navire russe, là la dette, puis un fait divers, nos belles régions, un ministre qui fait trois petits tours et puis s’en va, quelques chansons, le zapping d’une limite planétaire dépassée, une réforme agitée tel un vieux chiffon rouge et une page de pubs. Mais moi, j’entends d’autres clapotis : 8 fois les terres de l’A69, 22 fois l’eau de Sainte-Soline, A bas l’état policier en fanfare, les visages et les souvenirs d’autres luttes : des centaines de vélos, le dédale de la Crémade, les danses sur des voiliers ; de la couleur, de la détermination, du sourire et du soutien. La flaque du quotidien - malgré la distance, l’organisation, l’énergie - a besoin de retrouver du courant.

La convergence pour remplir un véhicule se fait toujours plus ou moins sinueusement mais 48h après, nous roulons sur les départementales dans la nuit, indifférents aux gesticulations des Guignol politocards. Vient alors l’heure de lire le niveau de pression, les conduites ouvertes et fermées du réseau répressif. Marcher, continuer plus loin ? Axes principaux ou secondaires ?

Tels les écluses, nous aussi on va les balader dans un sens puis dans l’autre.

La garde nationale à cheval vient saluer notre arrivée, un père de famille parle de Disneyland, un jeune me sourit en tendant ma carte. Bonus de départ pour nous : il y aurait erreur dans la réquisition donc pas de fouille poussée. De la gare, du chemin de halage, du pont, de la route, coulent entre un ou deux milliers de gouttes. Un wrap à la main, je chante, revendique avec les copaines que les arrivants rejoignent notre équipe. L’autre équipe ne se bouge pas beaucoup et n’a rien à manger et n’a pas de paillettes de toute façon.

Le cortège se faufile entre les haies d’honneur des casqués derrière les glissières, attends puis traverse entre deux passages de trains. Mais un cortège en cache d’autres comme je le découvrirai plus tard avec nos cyclistes déter. Un hélico survole le champs. Nous sommes au bord du chantier. Voilà l’équipe casquée qui court le long des grilles avant de commencer à les découper pour venir avec nous. Sans courir mais marche dynamique on vous dit ! Le zodiak s’invite au milieu des baigneur.euses et des bateaux en papier. Ils jouent les prolongations de la promenade batelière. A leur tour de proposer un jeu : déploiement d’un cordon brutal pour un épervier surprise. Abattre la carte des garde-à-vue et faire les titres dans les journaux a un air de mauvais joueurs. Et nous, nous célébrons dans un tourbillon-artifice et des concerts la fin de la journée.

Le lendemain entre départ des piquets-comissariats, table ronde, vidange des toilettes sèches, plonge, lectures et discussions, les bleus demandent la revanche. A l’heure de boire une bonne soupe chaude, on les voit à la lisière les bottes sur l’herbe grillée par le glyphosate du champs voisin. Cri de ralliement. Ils voulaient un atelier grimpe avec récolte de palette-banderole et ils ne s’étaient pas inscrits pour l’initiation. Pas de 1,2,3 Police ce coup-ci mais un « cap ou pas cap » et un tourbillon pour les yeux. Allez ! On tourne dans un sens ! Maintenant dans l’autre !

Pour améliorer la digestion : nous leur proposons des marches naturalistes régulières entre acacia, prunelles et noisettes. La partie se finit sur un quizz de sortie « Il en reste combien encore dans le camp ? -Mais il en reste des milliers Mr l’agent. Il reste nos hôtes : les araignées de la prairie, les paysans expropriés, les jeunes pousses des phacélies et des moutardes prêtes à affronter cet hiver, les battements de cœur au démontage, le bruissement des peupliers, le champs rendu à lui et mes larmes au départ. » Nous ne sommes pas prêt.es de partir.

Les indiscipliné.es - décryptage du projet et réflexions

Une emprise de 300m de large pour un canal de 50m de large. Derrière emprise, il y a le broyage du végétal, la fuite des renards dans les jardins, les champs expropriés, les forêts abattues et le cœur serré des riverains, le limon orangé et doux sous les doigts marqué des pneus d’engins, à nu, à vif, la terre est dépecée sur 107km. On ne creuse pas un canal : on le construit. Avec du béton, poreux. l’eau stagnante et contaminée aux hydrocarbures au-dessus et d’éventuelles nappes phréatiques en-dessous. Ceux et celles qui qualifient les espèces d’envahissantes ou d’invasives oublient qu’elles (inter)viennent dans les environnements dégradés. « Nos tags détruisent moins que les entreprises », entre nous, le mot est donné par des locaux d’éviter les maisons. Nous tentons d’être plus délicats, sans mortiers ni cailloux, on réinvente.

Les médias sont là, la répression aussi. Alors maintenant quoi faire pour réveiller l’eau stagnante ? Elle dort dans le canal existant, faisant vivre les batelièr.es. L’un d’eux salue le cortège. Non exhaustif, j’ai glané ici et là les doutes, indignations, prudences et questionnement autour du projet. Éviter : il paraît qu’il faut absolument un deuxième canal pour des bateaux 4 fois plus gros. Tandis que je lave la table, l’homme installé tend l’oreille aux prises de paroles et me confie le scepticisme d’entrepreneurs sur l’intérêt économique. Céréales, gravats : que va-t-on transporter et en quelle quantité ? J’entendrais qu’il y a des ponts trop bas pour laisser passer 3 rangées de containers.

Réduire, mais le trafic de camion ne diminuera pas comme promis ; au contraire des zones industrielles et logistiques sont déjà en projet. Effet rebond.

Alors il faut compenser sur de l’existant ou avec du pas-moins pire : par exemple, la création de zones « naturelles » sur remblais. Boucher les trous et couvrir de vert avec des communicants et des flyers colorés dans les boîtes aux lettres. Entre 7 et 10mrd d’euros d’argent public, ça laisse de quoi avoir un budget comm’ raisonnable.

Je vous invite à chercher le nom des départements qui ne soient pas des rivières ou des montagnes. Sèvres, Loire, Eure, Sarthe, Mayenne, Var, Dordogne, Rhin, Seine, Marne, Vendée … car L’Oise va être coupée. Ni le cortège M.I.N.T, ni nous, ni L’Oise ne nous laisseront canaliser. L’artère et nom du département va être sectionnée par un méga-bassin de béton en ligne. Il y a problème de retour veineux ou de caillots sanguins vous ne croyez pas ?

J’aimerai me faire castor. Le castor sait ne pas canaliser : il détourne, guide, adapte sa construction au réel, à l’environnement. Par son action l’eau renonce à la rectilignité, à l’ennui des parois, à la stagnation pratique et confortable, au bon-vouloir des écluses, au croupissement et à la monotonie des comportements. Elle trouve son repos, ralenti. Elle décante, gagne en profondeur, chute, s’oxygène. Elle s’élance, coure et entraîne avec elle les graines, les feuilles, les troncs, les minéraux, les nutriments. Elle s’éveille, abrite têtards et alevins. Elle bouillonne, éclabousse et chante.

Alors dîtes-moi ? Comment devient-on castor quand on retourne à la flaque du quotidien ?

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