Calais : occupation d’un immeuble vide pour loger les migrants

Après une semaine de siège, le bâtiment expulsé par le RAID
[Reportage vidéo]

paru dans lundimatin#327, le 21 février 2022

Le 4 février dans le quartier populaire du Fort Nieulay, un immeuble vide et voué à la destruction en 2024 a été occupé par des activistes et des migrants. L’équipe de Street Politics s’est rendue sur place pour discuter avec les habitants qui soutiennent l’initiative et la solidarité avec les migrants. Le 11 février, c’est par hélicoptère que le RAID est intervenu sur le toit de l’immeuble pour en expulser les habitants. Dans cet article, plusieurs vidéos reviennent sur l’occupation puis l’expulsion du 11 février puis, plus largement, sur la situation des exilés à Calais les dernières années.

À Calais, des jeunes et moins jeunes s’expriment lors de la soirée du 10 février 2022, suite à l’occupation du bâtiment J du Fort Nieulay par un collectif pour le droit au logement au lendemain d’une soirée tendue marquée par un quadrillage du quartier par les forces de l’ordre. Les policiers ont fait usage de gaz lacrymogène pour disperser des groupes de jeunes et afin de pourchasser les militants. Le lendemain matin, le bâtiment occupé est expulsé par le RAID.

Cette réquisition, pour dénoncer les politiques migratoires meurtrières du Royaume-Uni, de la France et de l’UE, s’est terminée le 11 février au matin. D’autres occupations menées en parallèle tiennent toujours.

Le collectif pour le droit au logement pour tous.tes participe avec ses occupations de la relance d’une séquence de lutte contre les atteintes aux droits fondamentaux des personnes exilées.

Depuis l’automne, la ville-frontière de Calais revient dans le champ médiatique avec le drame d’une tentative de passage qui s’est soldée par un naufrage dans la Manche. 27 exilés sont décédés en une nuit sans que les secours français n’interviennent alors qu’ils etaient avertis, et une grève de la faim de 3 soutiens calaisiens dont un père jésuite qui n’a pas réussi à infléchir la fermeté de la politique mise en place dans la zone.

Cette grève de la faim avait comme revendication l’arrêt des expulsions des lieux, la fin des arrêtés qui interdisent les distributions d’eau et de nourriture, et la fin de la destruction des affaires des exilés.

Elle témoigne néanmoins d’une combativité grandissante des soutiens aux exilés face à la politique meurtrière menée à la frontière, qui s’est radicalisée sous le quinquennat Macron.



Le 7 février dernier, une nouvelle séquence de lutte s’ouvre avec l’irruption d’un collectif pour le droit au logement pour toustes qui rend publiquesdeux occupations de bâtiments, le lendemain de la journée internationale « commémor-action », une journée de mobilisation internationale à l’initiative des familles et des proches des personnes décédées aux frontières. Un mois et demi auparavant, une tentative d’ouverture d’un bâtiment avait lieu, mais fut rapidement mise en échec par la police.

D’après le communiqué du collectif « Calais logement pour toustes » :

“Les bâtiments ouverts cette dernière semaine l’ont été dans la perspective d’ouvrir des lieux de soins, de soutien et de vie collective pour les personnes à la rue et dans le besoin.
Depuis l’expulsion de la jungle de Calais la police expulse et saccage les campements toutes les 48h, empêche les associations de distribuer eau et nourriture, contrôle et enferme les personnes exilées à la moindre occasion, maintenant une pression continue et mettant ainsi entre 1000 et 1500 personnes dans une précarité extrême”.

L’objectif : accueillir les personnes à la rue dans des lieux de vie collective, à l’abri du harcèlement policier, du froid, de la faim et la soif. Le communiqué reprend également les revendications de la grève de la faim.

L’immeuble occupé se trouve dans le quartier populaire du Fort Nieulay, au sud de la ville. Auparavant vide, cette tour située dans la rue d’Ajaccio compte une dizaine d’étages. C’est le premier sur la liste des bâtiments qui vont prochainement être détruits dans ce quartier, tandis que les immeubles adjacents comptent encore quelques habitants dont une partie refuse d’être relogé dans le quartier de la ZUP à l’autre bout de la ville.

Dans les pavillons du quartier situé juste à côté, Francis, un ancien marin-pêcheur de 56 ans témoigne du fossé entre ce quartier et la Mairie de Natacha Bouchart qui méprise les habitants des immeubles qui se font déloger à tour de rôle. « Elle nous emmerde avec son dragon, tandis qu’il n’y a rien pour nous ». 

« Quand je leur ai posé des questions sur les relogements en réunion publique, je n’ai obtenu aucune réponse » affirme Greg, "grand frère" du quartier, ancien gilet jaune et militant à la France Insoumise.

Comme d’autres, il dénonce des relogements qui conduisent à une une dispersion dans la ville, ce qui éloigne les enfants de l’école à laquelle ils sont habitués, comme du reste des liens sociaux avec le quartier. La plupart des voisins rencontrés habitent ici depuis qu’ils sont nés.


Cette atomisation sociale impliquerait aussi un préjudice économique avec le passage d’un chauffage central à un chauffage individuel, ce qui augmenterait les charges, en plus d’un loyer plus élevé. Des habitants refusent donc de quitter leurs logements ; l’un d’eux, raconte un voisin, aurait même balancé un micro-onde sur le capot d’une voiture de police suite à une mise en demeure de quitter son logement, suite à quoi il aurait finit en prison pour 4 mois, temps largement suffisant pour l’expulser en son absence.


Au soir de la publicisation de l’occupation, le 7 février, une quinzaine de policiers locaux débarquent devant l’immeuble. Ils refusent de prendre les preuves de l’occupation, hurlent sur les occupants de descendre, pointent leurs lumières dans les visages des soutiens et habitants curieux, embarquent une personne, avant de se retirer sous les huées venues de toutes part. La solidarité entre des habitants et leurs nouveaux voisins ne relève pourtant pas de l’évidence.

Au fil des décennies, le quartier a changé, et par rapport à l’occupation, Greg affirme qu’« il y a 20 ans, ils se seraient fait virer direct ». À l’entendre, c’était un bloc soudé. Et s’il y avait auparavant des îlotiers, les policiers recevaient des projectiles de toutes parts en cas de conflit. « Pas une expulsion locative ne pouvait avoir lieu, les huissiers et les flics on les dégageait » résume Francis à propos des "blocs blancs" avant de déplorer que les voisins viennent aux abords de l’occupation davantage pour le spectacle qu’autre chose. Mémoire vivante des lieux, il évoque des années 70-80 durant lesquelles la municipalité rouge se souciait alors de leur sort. Depuis, l’immeuble s’est entièrement vidé de ses habitants et sa démolition est prevue pour 2024.

Le 8 février, une quinzaine de policiers de la CDI locale met en place un siège du bâtiment : plus personne ne rentre. Et la commissaire annonce une présence policière jusqu’à ce que les occupants sortent, quitte à ce que cela prenne une semaine. Des premières tensions apparaissent entre les flics et les militants venus en soutien à l’extérieur avec l’arrivée d’agents Enedis chargés de couper l’électricité.

En fin de journée, c’est la sortie du centre aéré, et des jeunes chamaillent les CRS. Au départ, des jeunes s’approchent de la ligne des CRS. Ils veulent jouer « au policier et au voleur », ce à quoi des CRS répondent par des injonctions du type « rentre chez ta mère » puis quelques coups de matraques qui enveniment la situation tandis que les militants résistent passivement face au mur de bouclier qui les repousse.

Des groupes de jeunes dont la moyenne d’âge se situe autour de 12 ans commencent à lancer quelques petits cailloux sur les flics qui ne répondent qu’avec une grenade de lacrymo et quelques avancées pour les faire fuir. Plus tard, les CRS repoussent à coups de matraque et gazeuse la trentaine de militants qui leur fait face, et derrière lesquels se trouvent quelques dizaines d’habitants du quartier.

L’engrenage répression-réaction s’enclenche, pour culminer le lendemain.

Vers 17h, le mercredi 9 février, des militants installent une table avec un goûter devant le bâtiment occupé ; la police gaze et le le nuage va jusqu’au terrain de foot situé à proximité. Il y a plus de jeunes qui affluent par rapport à la veille. Des affrontements durent toute la soirée autour du bâtiment occupé, sans faire de blessés. Plus tard dans la nuit, la BAC sort du dispositif auparavant statique et repousse à tirs de LBD les derniers émeutiers jusqu’à une heure du matin.

Au fil des discussions avec les habitants, et au fil des jours, il s’avère qu’une majeure partie des voisins considèrent qu’il n’y a pas lieu pour eux de se plaindre tant qu’il n’y a pas de nuisances liées à l’occupation. Au contraire, une très grande partie d’entre eux considère comme une bonne chose l’occupation au regard de la situation dégradante dans laquelle sont maintenus les exilés dans le calaisi. 

La plupart considèrent que les affrontements ne démarrent pas du fait des militants occupants, "des no borders", mais de la répression policière. Pour la majeure partie des habitants du Fort Nieulay, refuser les droits fondamentaux aux exilés relève de l’inhumanité. Et ils accusent de racisme les policiers qui viennent les prévenir d’une "invasion de migrants".

Le 10 février, le dispositif policier se renforce d’une compagnie de CRS qui quadrille le quartier avec la BAC. Après un feu de poubelles, les groupes de jeunes sont dispersés par des tirs de grenades lacrymogènes. Un mineur est interpellé. Puis une quarantaine de militants parvient à sécuriser la sortie d’une partie des occupants, épuisée par le siège, suite à une danse devant la formation perlée des CRS devant le bâtiment occupé. Les flics pourchassent les groupes qui cherchent à s’extirper du quartier, 15 militants sont interpellées. 4 d’entre eux sont convoqués pour un procès le 18 mars prochain.

Le lendemain matin vers 8h, un hélicoptère dépose des agents du RAID sur le toit. Après voir créé une brèche par l’usage d’explosifs, un agent du RAID aurait carrément braqué au fusil à pompe un militant qui n’avait pour seul arme qu’un kit de broderie.

Un autre bâtiment occupé, situé dans le sud de Calais, rue Frédéric Sauvage, tient encore. Les occupants l’ont nettoyé et y accueillent une dizaine d’exilé.e.s mais le quartier s’oppose à cette ouverture. L’ambiance qui y règne n’a rien à voir avec celle du Fort Nieulay. Les occupants craignent une expulsion à venir, avec le même procédé utilisé pour l’expulsion de la tour du Fort Nieulay.

Le tribunal avait pris ordonnance « sur requête », une procédure anonyme et sans contradictoire. Sur twitter, le syndicat des avocats de Lille avait réagit et dénoncé "une installation de Calais dans le non-droit".


Pour re-contextualiser les conditions de vies des exilé.e.s à la frontière à l’ origine des actions d’occupation menées ces jours-ci, voici deux autres vidéos diffusées par Street Politics pendant le Brexit et la sortie effective du Royaume-Uni des accords de Dublin , en 2020, à une époque où les dynamiques associatives étaient en crise, et celles militantes au point mort. La politique menée par l’État sur les campements n’a en revanche peu évoluée depuis.

À Calais, le phénomène des small boats est en pleine expansion, l’accès aux camions de marchandises étant de plus en plus surveillé et dangereux. Depuis tout le continent, de nombreuses personnes exilées y arrivent dans l’espoir de fuir l’UE et attirées par la possibilité réelle de rejoindre l’Angleterre, passée en quelques années aux yeux des candidats à la traversée de "first choice" à "last chance".

Une première vidéo, très courte (2:20), filmée par des exilés soudanais au telephone portable, témoigne de la stratégie de harcèlement policier mise en place sous Macron et qui vise à empêcher toute installation pérenne des campements d’exilé.e.s en transit vers l’ Angleterre. L’arrestation par clef d’étranglement au sol d’une jeune fille de 15 ans est racontée par sa mère face aux gendarmes lors de leurs operations de démantèlements quasi-quotidiennes :

Une seconde vidéo, bien plus longue (23:40), revient sur la plus grande opération de mise à l’abri forcée depuis 2016 et le démantèlement de la ’’new jungle’’. On y voit entre autre la formation d’une nasse géante autour d’un bois qui sera (spoil) rasé un mois plus tard. Les occupants présents au moment des fais seront soit emmenés vers Toulouse par exemple, soit frappés, abandonnés sur une aire d’autoroute proche ou dans un « centre d’accueil » pour quelques jours.

Enfin, pour retracer l’histoire des luttes et de la situation des personnes bloquées à la frontière, nous conseillons de fouiller et de suivre l’excellent blog, en plusieurs langues, Calais Migrant Solidarity du nom d’un collectif présent sur Calais depuis 2009.

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