Ça peut arriver près de chez vous [Podcast]

Ép.1 : La seconde guerre civile américaine

paru dans lundimatin#241, le 4 mai 2020

L’élection de Trump en 2016 a revigoré les groupes fascistes aux États-Unis. Face à eux, les gun clubs d’extrême-gauche et les contestations métropolitaines prolifèrent. Selon le podcast It Could Happen Here du journaliste Robert Evans, les ingrédients d’une guerre civile susceptible de fragiliser la souveraineté américaine sont réunis. Les milices suprémacistes qui ont pris les rues ces dix derniers jours contre le confinement confirment ses analyses. Nous avions traduit le cinquième épisode de cette série de podcasts et nous vous présentons maintenant le premier qui se concentre sur l’extrême-droite.

WebRadio Crochet · Ca peut arriver prêt de chez vous (It could happen here) Episode 2

En 2016, Robert Evans se rend en Irak en tant que reporter de guerre, la même année, il couvre aussi les campagnes électorales des républicains et des démocrates qui mèneront à l’élection de Donald Trump. C’est en voyant les militants de l’alt-right brandir leur fusil mitrailleur et applaudir Alex Jones qu’il perçoit la possibilité d’une seconde guerre civile américaine, peut-être plus imminente qu’on ne l’imaginerait. C’est depuis cette intuition que le journaliste écrit et produit un podcast d’une dizaine d’épisodes de 45 minutes : It Could Happen Here.

Si le journaliste explore de multiples facettes de cette hypothèse, il ne prétend pas pour autant prédire l’avenir et se garde de sombrer dans le type de catastrophisme qui revient toujours in fine à légitimer l’ordre présent. Tout l’intérêt de son travail réside au contraire dans le fait de rendre visibles les lignes de partage et les fractures de la société américaine aujourd’hui.

L’épisode traduit ici, "La seconde guerre civile américaine" est une fiction qui, à partir des données et de la situation actuelle, envisage la possibilité d’une nouvelle guerre civile.

Contrairement aux Français, les Américains n’ont jamais cru à la paix. Du moins savent-ils concrètement que l’ordre civil n’est jamais qu’une paix armée. Sans doute la cause profonde en est que le bénéfice immense arraché aux corps africains était cruellement ostensible, alors qu’il était lointain et feutré en Europe. La civilisation des mœurs y a suivi un autre cours, et c’est pourquoi nous nommons en français « Guerre de Sécession » ce qui, en langue originale, se dit plus franchement « guerre civile ».

Qu’est-ce qui, alors, est susceptible de déclencher une nouvelle guerre civile aux États-Unis ? Selon Robert Evans, l’élection de Trump a donné un élan inédit aux groupes d’extrême-droite. Certes ils ont bien par le passé commis des attentats qui ont visé en vain à déclencher un soulèvement. Ainsi par exemple de l’attentat quelque peu oublié d’Oklahoma City en 1995. Mais ce qui caractérise la situation actuelle, c’est un niveau de défiance mutuelle inédit. Evans s’appuie sur plusieurs études selon lesquelles les volontés sécessionistes ont rarement été aussi élevées, ainsi que la peur que ressentent l’un pour l’autre des concitoyens d’obédiences opposées.

Nous trouvons dans les évènements récents, en particuliers dans l’État du Michigan où des hommes armés sont entrés dans le Capitole pour demander la levée du confinement, une confirmation des analyses qu’Evans publiait il y a un an et que nous traduisons aujourd’hui. À sa lumière, on peut comprendre l’irruption des milices dans les rues et aux abords voire à l’intérieur des lieux de pouvoir, plutôt que de les refouler d’un hochement de tête au grand n’importe quoi américain. Les voix marginales et pourtant toujours plus écoutées d’Alex Jones, de Joey Gibson ou des cowboys du clan Bundy récusent entièrement l’évènement pandémique et n’y voient que le prétexte du gouvernement fédéral pour restreindre la liberté constitutionnelle des patriotes. Les miliciens y voient quant à eux une nouvelle occasion d’arborer leurs armes automatiques, y compris devant les bureaux et les résidences des hommes politiques.

Robert Evans insiste sur le fait que la seconde guerre civile n’aura pas la même physionomie que la première. Il n’y aura pas de batailles rangées, mais des affrontements asymétriques. Il n’y aura pas de date précise de déclanchement non plus, puisque certains protagonistes estiment qu’elle a déjà commencé et que les appareils d’États continueront à nier jusqu’à leur dernier souffle qu’elle ait jamais eu lieu. Leur rhétorique consiste à euphémiser toute violence d’État et dramatiser toute violence contre l’État, bref, à refuser essentiellement l’idée qu’une lutte suit son cours. Finalement, et peut-être en partie à son insu, le podcast d’Evans vient ébranler l’idée que la guerre civile est un évènement que l’on pourrait circonscrire dans le temps et dans l’espace. Que ce soit en sollicitant l’imagination de l’auditeur par des expériences de pensée, en relayant la parole d’universitaires ou en décortiquant les fantasmes d’illuminés survivalistes, en faisant la chronique des soubresauts de l’ère Trump ou en évoquant la situation révolutionnaire de Maidan en 2013, ce podcast explore non pas ce qui peut arriver, mais ce qui, déjà, arrive effectivement près de chez nous : l’affrontement dispersé, bouillonnant et cyclique des factions américaines.

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