CAMILLE 3 POLICE 0

Vous avez dit « injures publiques » ?

paru dans lundimatin#305, le 20 septembre 2021

En son temps, le mouvement des Gilets Jaunes avait mis le projecteur sur la police et sa répression brutale. Personne ne pouvait alors continuer d’ignorer l’ampleur du phénomène. Il est par contre plus simple de fermer les yeux sur les suites de la chaîne répressive, dans les prétoires, souvent moins spectaculaires et disséminées dans le temps mais aboutissant à des centaines de condamnations plus ou moins aberrantes et absurdes. On en trouvera ici un aperçu, certes minimal, à travers le récit des tribulations de Camile H, dont nous avions déjà relayé l’histoire l’année passée. Observatrice des manifestations GJ pour la Ligue des Droits de l’Homme, elle avait été relaxée à deux reprises pour des accusations fantaisistes. Cette fois, c’est elle qui portait plaintes pour « injures publiques » par personne dépositaire de l’autorité publique...

Le 1 juillet 2021 s’est jouée la troisième manche opposant Camille H. à la police, en l’espèce le chef-adjoint de la BAC - Brigade Anti Criminalité - de Montpellier, Daniel B.

Les deux premières fois c’est elle qui était poursuivie devant le tribunal correctionnel : d’abord pour « entrave à la circulation », ensuite pour « dissimulation du visage », « rébellion » (envers la personne du commissaire divisionnaire Buil) et « refus de se soumettre à un prélèvement biologique permettant l’identification de son empreinte génétique ». Elle a à chaque fois été relaxée, respectivement les 3 octobre 2019 et 16 janvier 2020, et à chaque fois le Parquet n’a pas relevé appel alors qu’il était à l’origine des poursuites, démontrant la solidité de la position de Camille H.

Cette fois, elle est plaignante, à l’origine des poursuites pour « injures publiques » par personne dépositaire de l’autorité publique : le 16 février 2019 dans l’après-midi, à l’angle de la place de la Comédie et de la rue Maguelonne, alors que que se déroulait l’acte XIV des Gilets Jaunes, le chef-adjoint de la BAC, responsable opérationnel sur le terrain, l’a invectivé en ces termes : « connasse, espèce de gaucho va, anarchiste, gauchiste, allez casse-toi va casse-toi, allez va t-en ou sinon je prends ton nom et je vais te rentrer… au commissariat, pauvre conne » ; faits prévus et réprimés par l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881.

Camille H. a initialement déposé plainte le 27 février 2019 auprès du procureur de la République mais ce dernier a classé sans suite. Elle a donc saisi directement le Doyen des juges d’instruction en se constituant partie civile par l’intermédiaire de son avocat, Alain Ottan, le 16 mai 2019. Le procureur proposait alors une médiation pénale, pour éviter le risque pour le policier d’un procès public, procédure acceptée par Camille H. qui s’est déroulée le 1 juillet 2019 mais s’est avérée infructueuse, la plaignante refusant d’accepter les excuses formulées du bout des lèvres par le policier persistant à maintenir qu’elle avait eu un comportement provocateur à son égard. Par ordonnance du 25 février 2020, la juge d’instruction renvoyait Daniel B. devant le tribunal correctionnel de Montpellier dans les termes précités et, après divers renvois pour raison de procédure, l’affaire a été examinée en audience collégiale le 1 juillet 2021, audience à la tonalité épique s’il en est !

Daniel B. un excellent fonctionnaire , titulaire de la médaille du courage

D’entrée, la présidente fait comprendre dans quel camp elle se situe alors qu’elle est censée être impartiale et s’en tenir aux faits.

Elle fait l’éloge de cet « excellent fonctionnaire », très bien noté par ses supérieurs, félicité par le Préfet pour son comportement sur le terrain, ayant reçu « la médaille du courage », et l’invite à s’expliquer. Après avoir indiqué avoir pris sa retraite anticipée en septembre 2020 avec le grade de major, il revient sur cet après-midi du 16 février 2019.

Ayant constaté que les manifestants risquaient de descendre en direction de la gare après avoir tenté de dégrader la station de tram « Comédie », il s’est positionné à l’angle de la place avec la rue Maguelonne donnant sur la gare et indique avoir été très vite « agacé » par le comportement de Camille H.

A l’entendre, elle était déjà présente depuis plusieurs manifestations, suivant les équipes policières partout, les filmant tout le temps des pieds à la tête pour diffuser ensuite les images sur les réseaux sociaux. En début de manifestation, devant la Préfecture, elle s’est servie d’un mégaphone pour faire connaître aux manifestants leurs droits en garde à vue, ce qui pour lui constituait « une incitation à casser de sorte qu’on n’est plus dans un Etat de droit »... Et au moment des faits, alors que lui et ses hommes recevaient des projectiles - ce qui aurait pu être aussi dangereux pour elle (sic !) -, Camille H. leur collait littéralement aux basques, était ainsi à l’écoute des instructions qu’il recevait par talkie-walkie et pouvait donc les communiquer ensuite à « ses amis manifestants » !

S’il a été amené à l’invectiver, c’est parce que la situation était plus que tendue et qu’elle l’a apostrophé à plusieurs reprises en lui demandant son RIO - Il s’agit du Référentiel des Identités et de l’Organisation, ensemble de deux matricules de 6 et 7 chiffres qui identifie individuellement les policiers et les gendarmes et qu’ils ont l’obligation de porter de manière visible au terme de l’article R 434-15 du Code de la Sécurité Intérieure reprenant un arrêté de décembre 2013, mais cette obligation n’est assortie d’aucune sanction en cas de manquement… -. On peut pourtant d’autant plus le comprendre que Daniel B. était habillé d’une combinaison entièrement cagoulée et ne portait pas de brassard pouvant l’identifier comme policier.

Il reconnaît donc les injures proférées à l’encontre de Camille H. mais l’explique par le contexte et le comportement de cette dernière tel qu’il l’a décrit précédemment et conclut en indiquant qu’il avait accepté la procédure de médiation au cours de laquelle il lui a présenté ses excuses mais elle ne les a pas acceptées. Il est toutefois décontenancé lorsque l’assesseur de gauche lui demande s’il n’a pas conscience d’avoir perdu son sang-froid…

Montrez moi votre numéro de RIO, Monsieur, vous devez me le montrer !

Son de cloche bien évidemment radicalement opposé du côté de Camille H. lorsqu’elle est, à son tour, amenée à s’expliquer. Elle indique tout d’abord que les manifestations doivent pouvoir se dérouler selon les règles de droit applicables. Ensuite, elle est toujours à au moins trois mètres de distance des policiers, en amont de la manifestation, et n’a bien sûr aucun contact direct avec les manifestants. Elle est là pour observer ce qui se passe et en rendre compte en tant qu’observatrice de la Ligue des Droits de l’Homme sur la base des règles de droit international applicables en la matière. Elle n’a donc pas pas à être insultée lorsqu’elle filme pour constater des violences policières qui ne seraient ni proportionnées ni mises en œuvre avec discernement, ou en l’espèce le manquement du port du RIO et du brassard « police » pour les policiers en civil, d’autant plus lorsqu’ils sont entièrement cagoulés et pourraient être confondus avec des « casseurs » : « Montrez-moi votre numéro de RIO, Monsieur, vous devez me le montrer ! » ainsi qu’on l’entend clairement sur la vidéo qu’elle a tourné et qui est versée aux débats.

Et si Daniel B. affirme s’être excusé lors de l’audience de médiation, elle estime que ce n’étaient pas des excuses vu qu’il lui reprochait vertement ce qu’il estime être de sa part un comportement partial et hostile envers les forces de l’ordre.

La présidente la coupe : « Quel intérêt de vérifier le RIO ?
— Pour les rapports que notre association rédige par la suite, pour avoir la preuve que les policiers n’étaient pas identifiables. »

« Vous allez effectivement au contact des policiers ?
—  Non, je ne les ai jamais gênés ; les deux années où j’ai officié en tant qu’observatrice, j’ai toujours été à distance respectable. »

La présidente se met alors à lire le PV rédigé par le commissaire divisionnaire Buil dans le dossier qui a fait l’objet d’une relaxe le 16 janvier 2020, lequel est non seulement totalement étranger à la procédure et n’avait donc pas à être produit, mais a en outre tourné à la confusion de son rédacteur puisqu’il est révélé mensonger ainsi qu’avait été contraint de l’admettre le commissaire lui-même, mais la présidente n’en a cure :
« Votre attitude gêne l’action de la police ! »

L’avocat de la défense en rajoute alors une couche : « Vous avez un mandat de la LDH ? »
Et la présidente de reprendre la balle au bond, après que Camille H. ait hoché négativement la tête : « Ce n’est pas acceptable que vous puissiez entendre les instructions internes des policiers. Vous perturbez l’action de la police et en plus vous n’avez pas de mandate officiel ! Madame la greffière, notez : la partie civile devra produire un mandat de la Ligue des Droits de l’Homme et justifier qu’elle est à jour de ses cotisations ! »

« Une simple déclaration de culpabilité me suffit »

La parole est enfin donnée à l’avocat de la plaignante, Alain Ottan, pour faire valoir ses observations. Il s’emploie à faire retomber la pression : « La police est légitime. C’est une lourde tâche que de maintenir l’ordre. Mais à regarder de plus près ce qui s’est passé fin 2018, début 2019, lors des manifestations des Gilets Jaunes qui se sont succédées, il est avéré que certaines réactions policières étaient disproportionnées, n’étaient pas admissibles. Ma cliente prenait à coeur sa mission et elle a été effectivement très présente pendant toute cette période. Elle assume une vigilance citoyenne. Elle n’a pas de mandat écrit car elle n’en a pas besoin . Elle est membre de la Ligue des Droits de l’Homme, une association profondément républicaine, et puisque vous le demandez je justifierai en cours de délibéré qu’elle est à jour de ses cotisations, mais de toute façon elle n’a pas besoin de tout ça pour observer. Au terme d’une circulaire du ministère de l’Intérieur du 23 décembre 2008, ‘les policiers ne bénéficient pas de protection particulière en matière de droit à l’image et ils ne peuvent donc empêcher quiconque de les filmer’. »

Sentant tout de même que le terrain est miné, et sachant que l’avocat du prévenu va plaider l’excuse de provocation pour obtenir la relaxe, il argumente subtilement : « L’exercice d’un droit n’est pas une provocation. N’inversons pas les rôles. Dans ce dossier, une simple déclaration de culpabilité me suffit. Pourquoi pas dans ces conditions une dispense de peine ? Cela calmera les esprits. J’ai fait également une demande de dommages intérêts pour préjudice moral et remboursement des frais d’avocat, Je vous en laisse apprécier le montant. »

Le procureur, pour sa part, se contente de simple s observations sans requérir la moindre peine : « Vous êtes nécessaire, vous faites un travail nécessaire » dit-il en s’adressant à la plaignante. « Il y a eu certes un dysfonctionnement de la police, mais je stigmatise tous les commentaires négatifs envers les policiers qui ont été répandus sur les réseaux sociaux à la suite de la publication de votre vidéo. »

Vient alors le temps de l’avocat de la défense, Bruno Leygues, qui déclare d’emblée qu’il va plaider l’excuse de provocation et solliciter en conséquence la relaxe.

Il plante le décor tel qu’il le voit : Acte XIV des Gilets Jaunes, des rues dévastées, des gilets jaunes infiltrés par des groupes d’extrême-gauche et des anarchistes, des violences commises envers les policiers de la BAC. Il cible ensuite sans ménagement Camille H. : elle prendrait ouvertement le parti des manifestants en leur donnant des conseils sous le camouflage de la LDH ; il la soupçonne fortement de renseigner les manifestants car elle collerait littéralement au dispositif des policiers pour entendre les instructions échangées entre eux et les répercuter ; bref elle gêne la police dans le cadre de son maintien de l’ordre et son comportement c’est de la provocation : les policiers sont ouvertement « lynchés » sur les réseaux sociaux.

« Anarchiste, gauchiste », on est dans la polémique politique et ces termes ne peuvent être considérés comme injurieux. Certes, « connasse » et « petite conne », eux, le sont formellement, mais sur la base de l’excuse de provocation, la relaxe s’impose.

On pourrait lui rétorquer que l’expression outrageante peut aussi s’analyser comme un propos avec une tonalité méprisante ayant pour effet de rabaisser, dans son esprit, celui ou celle à qui il s’adresse Et c’est bien le cas ici en cherchant à faire l’amalgame avec les manifestants, comme son avocat évoquant dans sa plaidoirie l’extrême-gauche et les anarchistes, non pas comme idées politiques mais comme des fauteurs de troubles …

Le 2 septembre, le tribunal a vidé son délibéré et, au vu de l’impression d’audience, la collégialité a du bon. Le tribunal a estimé en effet les injures en partie établies et par voie de conséquence a déclaré Daniel B. coupable de l’infraction reprochée. Il l’a toutefois dispensé de peine et indiqué que cette condamnation ne figurerait pas sur son casier judiciaire. Il a enfin déclaré recevable la constitution de partie civile de Camille H. et lui a alloué 500 € pour son préjudice moral et 500 € pour ses frais d’avocat. Le prévenu n’a pas souhaité faire appel de cette condamnation qui est donc définitive. C’est un « hat trick » pour Camille H. dans ses démêlés avec la police !

Une condamnation, même de principe, d’un policier en matière d’injures publiques envers un particulier, est assez rare pour être soulignée.

La leçon à retenir de cette histoire, c’est que c’est la vidéo prise par Camille H. qui a permis la condamnation de Daniel B. C’était sinon sa parole contre la sienne. Pas de preuve, pas de condamnation...

Le 14 septembre 2021
Jean-Jacques GANDINI

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