C’est le manutou qui l’a dit...

« alors le lendemain
petit saut du muret et ils et elles sortent des maisons, des immeubles, des bosquets, comme des rats, de partout »

paru dans lundimatin#234, le 21 mars 2020

ça se sera passé d’une manière assez banale
cette révolution noire complète autour du soleil
parce que finalement le lundi les institutions scolaires n’ouvrent pas
elles n’ouvriront pas
c’est le manutou qui l’a dit

l’Etat est un homme en costume d’un peu plus de quarante ans et ses subalternes

eux et elles, et bien ils et elles ne mettent pas forcément de costumes

c’est leur droit de subalternes

une secrétaire prend des notes ou un ordinateur

le manutou il a dit que ça n’ouvrirait pas alors ça n’ouvre pas

alors ce lundi-là il y a donc des subalternes qui arrêtent de faire marcher la machine

aucune institutions scolaires

grandes grilles ou petites grilles fermées

les clés de la ville n’ouvriront rien

ni crêches, ni écoles publiques, ni privées

ni cités scolaires, ni collèges, ni lycées, ni

pôles nords universitaires et pôles suds universitaires

et ça n’ouvrira pas, ni lundi, ni mardi, ça n’ouvre pas

ni le mercredi ni tous les jours qui suivent alors ça se passe comme avant

sans l’horrible travail

dehors ça traîne

et le lundi et le mardi et le mercredi et les jours suivants ça reste fermé

alors ça traîne

ça disparaît tellement facilement du monde dehors les adultes

celles et ceux qui grandissent encore se touchent les épaules

et ça fait traîner les pattes au-dessus d’un muret

lascifs et lascives regardent les bagnoles passer

lascifs et lascives ont pris des notes et ils et elles ont noté qu’il fallait

révéler cette âme généreuse

les temps sont durs, le mot âme ne traîne pas si facilement dans les poèmes de nos jours

ils et elles ont noté qu’il fallait

inventer dans cette période de nouvelles solidarités

« OK, alors », qu’ils et elles se disent les lascifs et lascives

« on se retrouve demain »

alors le lendemain

petit saut du muret et ils et elles sortent des maisons, des immeubles, des bosquets, comme des rats, de partout

il n’y a pas de joueur de flûte pour guider les petits rats qui descendent le long de la départementale

toutes têtes de tous les âges

ils et elles mangeront dans leurs mains laissant les bouches tâchées un peu dèg

la route est longue

le dernier son de Kekra passe sur la petite enceinte au moment du départ

grâce à quoi on chaloupe la randonnée vers la grande ville

absolument aucun but et aucun sens

glâner autres gosses comme jolies plantes pour que ça grandisse

caravanes bruyantes qui partent tout dans les sens et arrachent

le monde adulte en traversant où elles passent

les clébards n’aboient pas, ils chantent

et celles et ceux qui grandissent pas encore devenu-e-s lascives et lascifs

rejoignent la danse pas trop macabre, les semelles chauffent les départementales

ça rapplique par grappes de partout et

au fur et à mesure croisade se constitue et gamins avec

vieux foulard avec t-shirt 70’s america

ou jogging dortmunt / milan ac ou jeans

un peu troués délavés et juppes pas plissés

sacs de bouffe pas chère et

ça grossit

et que ça gueule, le dehors ne fait pas de bruits quand le cortège fend

le désert

lâchant crachouillis , vieuxfonds gras de gorges en râclant bien

pour éloigner adultes et flicailles bleusailles

râclant quelques secondes glaviots translucides probablement

un peu covidé-19

ça disparaît tellement vide le monde adulte et les subalternes qui le tiennent

oui, un 1 et un 9 avec les deux mains, ce ralliement-là

le signe tourne au-dessus de leurs têtes via les satellites

le covid 19 ne va pas à l’école, il trouve ça pourri

caravanes gamines se disloquent, et se reforment, et se disloquent

et se noient dans nouvelles, pillent, dimunient et grossit

se disloquent et se noient dans nouvelles, continuent de grandir

c’est le sens et le but

les rats ne se noient pas dans le courant de flotte car personne ne les guide

le monde adulte ne respire pas lorsque lascifs et lascives le

fendent enfin, lascifs et lascives continueront avec groove

cette idée difforme de l’ensauvagement de celles et ceux qui grandissent

et apprennent encore

Roberto Bolognaise

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
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