Bure : Paroles de malfaiteurs

« Nous avons décidé de témoigner, de mettre des visages sur ce qu’on nous inflige en tant qu’individus, pour nous atteindre et nous museler en tant que collectifs, associations : en tant que lutte. »

paru dans lundimatin#167, le 29 novembre 2018

Comme on le sait, la lutte contre l’enfouissement des déchêts nucléaires à Bure est devenue, pour le pouvoir, un laboratoire décomplexé des pratiques anti-terroristes appliquées au militantisme politique (voir, à ce propos, l’article de Liberation qui décortique le dossier et les moyens titanesques mis en oeuvre par la « cellule Bure »). Il y a bien des raisons d’être attentif à ces nouvelles formes de répression, en particulier celles qui ont été légalisées depuis juin 2016 comme l’Imsi-catcher, "cette « valise espionne » qui agit comme une antenne-relais et intercepte les données de communication de tous les téléphones portables présents alentour". Néanmoins, cet article, reprennant une initiative des militants de Bure, propose de mettre en avant la parole des malfaiteurs eux-mêmes sous la forme de témoignages. On reprend ici les quatre premiers témoignages mais on pourra en trouver de plus nombreux sur la chaîne youtube qui leur est consacrée.

Depuis septembre 2017, la lutte contre le projet d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure a connu une vingtaine de perquisitions, près de 50 procès, des dizaines de mois de sursis et de prison ferme, près de 30 interdictions de territoire… L’intensité des mobilisations et de la répression de la lutte ont mis Bure sous le feu des projecteurs.

Ce 14 novembre, en cour de cassation, 7 personnes demandaient la levée du contrôle judiciaire auquel elles sont soumises depuis leur mise en examen, en juin dernier, pour « association de malfaiteurs ». Interdites d’entrer en contact entre elles et interdites de territoire de plusieurs communes meusiennes et parfois jusqu’aux département de Meuse et Haute-Marne tout entier, leurs déplacements et leur engagement relèvent d’un véritable casse-tête.

Au lendemain de cette audience le journal Libération, ayant eu un accès direct au dossier, dévoilait la débauche de moyens liberticides déployés par le gouvernement pour criminaliser cette lutte. Ecoutes, géolocalisation, balisages, utilisation d’un Imsi-catcher pour intercepter les données de communication de tous les téléphones portables présents alentour, perquisitions, expertises ADN et interrogatoires, etc. Soit 10000 pages de dossier, de procédures où les moyens hérités de l’antiterrorisme et la répression du grand banditisme s’appliquent de façon inédite au militantisme politique. Tout ça pour … pas grand chose, l’instruction peinant à faire les preuves de ce qu’elle prétend poursuivre.

Nous avons toujours préféré ne pas personnaliser cette lutte collective aux visages multiples. Mais parce que la répression de cette lutte passe par le fichage, l’individualisation des responsabilités et conduit à l’isolement judiciaire, la criminalisation de tout.e.s celles et ceux qui y prennent part, de quelque manière que ce soit, nous avons décidé de témoigner, de mettre des visages sur ce qu’on nous inflige en tant qu’individus, pour nous atteindre et nous museler en tant que collectifs, associations : en tant que lutte.

Il ne s’agit surtout pas de faire de celles et ceux qui luttent des
héros ou des martyrs. Il s’agit d’éclairer cette résistance en rappelant qu’elle n’est pas faite que de mots et de procédures judiciaires, mais de chair et de coeur, de vies humaines, de désirs de construire un monde plus juste et solidaire que celui qui nous est imposé par le lobby nucléaire.

Nous voulons expliquer à chacun-e pourquoi nous luttons et ce à quoi cette lutte nous expose. Les personnes qui témoignent ont choisi et choisissent encore de s’exposer parce qu’elles pensent que d’autres, qui ne se sentent peut-être pas encore menacé-e-s, risquent de vivre demain ce qu’elles vivent aujourd’hui.

Mais aussi parce que nous pensons tout.e.s que ce qui nous a motivé.e.s à nous engager dans cette lutte, et la diversité des expériences qu’elle suscite, peuvent inspirer d’autres personnes. Témoigner, c’est une manière de se relier alors qu’il est interdit à 10 personnes, ami.e.s, de se rencontrer et de communiquer, peut-être pour plusieurs années alors qu’elles ont lutté plusieurs années côte à côte ; c’est agir collectivement alors qu’on veut nous en empêcher ; c’est sortir de l’état de sidération dans lequel les perquisitions, les interrogatoires et la surveillance permanente visent à nous plonger ; c’est compléter le récit lacunaire de nos vies dressé par ceux qui nous épient ; c’est aussi, nous l’espérons, le moyen d’entretenir le feu de cette lutte, et de la faire grandir, en y ralliant encore davantage de personnes, et la nourrissant de ces nouvelles énergies.

Pour envoyer des jolis mots de soutien, textes, poèmes, chansons et autres propositions et encouragements aux personnes mises en examen, écrivez à l’adresse : soutienmalfaiteuses@riseup.net

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :