Brouillards toxiques : un air, un corps, une nation

Entretien avec Alexis Zimmer

paru dans lundimatin#210, le 3 octobre 2019

En 2016 paraisssait chez Zones Sensibles une enquête d’Alexis Zimmer sur les brouillards toxiques dans la vallée de la Meuse. L’auteur y remonte les traces de la pollution de l’atmosphère, de son appréhension techniques, scientifique et politique et de la langue de bois du pouvoir à son propos. Alors que la directrice générale de Lubrizol France, Isabelle Striga se dit « réellement embarrassée que notre activité économique ait eu cet impact-là sur la population », il nous a paru important d’aller voir comment, avant elle, gouvernants et dirigeants industriels se sont arrangés avec la pollution, la "météo" et accessoirement avec la vérité. Voici donc un entretien avec Alexis Zimmer publié par nos amis de La Vie Manifeste à propos de son ouvrage sur le brouillard toxique qui a causé plus de 61 morts en 1930, dans la vallée de la Meuse.
Broulilards toxiques, Vallée de la Meuse, 1930, Contre-enquête, 2016, éditions zones sensibles.

Décembre 1930. Vallée de la Meuse. Brouillard. Odeur âpre qui brûle la gorge. Suffocations. Décès. 61 Morts. Malgré l’évidence que le Brouillard pur ne tue pas, le Dr Lacombe rends a la hâte son diagnostique : Morts du seul fait du brouillard.
La Vallée est industrielle. L’une des plus industrialisée d’Europe. 1897, maladie du brouillard. 1902, maladie du brouillard. L’odorat et les poumons des habitants protestent à leur façon contre les conclusions qui innocentent les usines. Le gouvernement Belge se résout à ouvrir une enquête. Assemblées d’experts, de chimistes, de médecins, de juristes … 12 mois d’enquêtes. Le brouillard est officiellement un hybride de nature et de culture. Le Charbon est incriminé. C’est la première fois qu’on relie par une « vérité scientifique » la mortalité des hommes à la pollution de l’atmosphère. La pollution tue. Le brouillard est toxique. Mais seule la nature par ses puissances météorologiques peut produire le brouillard mortel. L’industrie est dédouanée. On invente alors l’alerte météo.

Mars 2019, on apprends que la pollution de l’air a causé la mort de 8,8 millions de personnes en 2015. Nous respirons les airs d’une atmosphère façonnée par plus de deux siècles d’industries fossiles.

Si le brouillard toxique est un hybride de nature et de culture, il témoigne d’une nature transformée et d’une culture transformée. Au nouvel air pollué correspond la naissance d’une nation, la Belgique.
Une chimie de laboratoire se constitue. Écarte des savoirs, des pratiques, s’autonomise. L’atmosphère devient cette chose stable et universel composé essentiellement d’azote et d’oxygène, altéré de manière accidentel par toute une série d’agents chimiques. L’air n’est plus cette chose qu’on respire, toujours localement, en interaction avec les corps. Dans le laboratoire, le corps n’a plus rien à dire, il a disparu.
Une médecine de clinique se constitue. Écarte des savoirs, des pratiques, s’autonomise. Palpations, auscultations, le malade qui parle a disparu. Le corps morts, autopsié, corrélé à d’autres corps devient le corps abstrait, universel, que les médecins consultent. Le corps n’est plus ce vivant, plongé dans un milieu. Sans histoire, il commerce désormais avec des bactéries, des parasites et des agents toxiques.
La co-évolution de l’air et du corps n’est plus pensée. La nation belge peut continuer sa trajectoire, ramifier plus encore sa dépendance au charbon, au zinc. La pollution pourrait même tuer quelques bactéries au passage. L’atmosphère a ses lois, le corps a les siennes. Seule la météo (la Nature), en des circonstances exceptionnelle qu’il y a lieu de prévoir, peut se faire télescoper air et corps dans un brouillard toxique. L’air et le corps capturés par les sciences naissantes à partir de la moitié du XIX°, seront compatible avec la naissance de la nation belge. Un air, un corps, une nation.

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