Billet d’humeur d’entre-deux tours

« Ces élections sont décisives. Non parce qu’elles porteraient en elles une importance intrinsèque – loin s’en faut -, mais précisément parce que le second tour signe leur mort. »

paru dans lundimatin#102, le 4 mai 2017

Un lecteur nous a soumis ses impressions sur l’entre-deux tours.

Ces élections sont décisives. Non parce qu’elles porteraient en elles une importance intrinsèque – loin s’en faut -, mais précisément parce que le second tour signe leur mort. Opposant la tentation fasciste et raciste aux tenants les plus en vogue du néolibéralisme (ces derniers ayant été la condition de possibilité de la première, et celle-ci constituant le mur sur lequel vient s’adosser la victoire des seconds), ce deuxième tour confirme que, si 2017 a bien eu lieu, c’est in fine pour se faire harakiri. Chaque jour, nous rions de leurs scènes si comiques. La droite avait déjà du mal à se distinguer du gouvernement lorsque le spectacle politique imposait qu’elle le fasse. Aujourd’hui, elle peine à se distinguer d’Emmanuel Macron, tandis que ce dernier se voit contraint d’accepter avec embarras les ralliements et soutiens venant de sa gauche, vis-à-vis de laquelle il tente pourtant avec ardeur de construire une distance imaginaire. Et, alors que tout s’unifie sur l’échiquier politique institutionnel, tous et toutes tentent de « rassembler les Français ». Poussant à l’unité, c’est finalement, à notre plus grande joie, l’arrêt de mort de la politique qu’ils signent.

La politique est une contradiction dans le terme : plus elle achève son concept, plus elle unifie, plus elle se meurt. La politique est un mensonge. Les élections, figure ultime de la politique, consistent dans le choix, proposé par intermittence, entre différents mensonges. Si 2017 est si particulier, c’est parce que plus personne ne peut se mentir à soi-même. Trop gros, trop lourd, trop visible. Le mensonge est là. Les élections ne sont plus un événement exceptionnel, l’étincelle qui nous sort de notre quotidienneté. Elle deviennent au contraire secondaires, à la manière de ce paysage qui défile à la fenêtre du train de nos vies, auquel nous jetons un coup d’œil si l’on s’ennuie. Plus rien ne se joue au niveau électoral, c’est dépassé, ringard. Or c’est précisément leur caractère décoratif qui rend ces élections si décisives. Car vient maintenant l’heure du choix, de la décision. Non entre deux acteurs trop occupés à gesticuler dans le dernier acte du théâtre si morose de la politique, mais entre deux camps. Celui de la résignation et celui de l’action. Celui de la fuite et celui de la confrontation.

La question n’est pas affaire de principe. Je ne fais pas miennes les injonctions morales à aller ou ne pas aller voter. Le citoyen m’insulte si je n’y cours pas ; l’anarchiste me déclare mouton si j’y vais. Les deux sont fétichistes. C’est donner bien trop d’importance à un détail. Il n’y a, en soi, pas plus de vertu dans l’abstention que dans le vote. La question est ici décisionnelle. Elle est d’ordre ontologique : se résigne-t-on, oui ou non, à tenter de croire au mensonge (toujours en vain, c’est tautologique) ? Point de jeu sur les paradoxes ici, mais tentative de montrer l’éclatante contradiction que porte en elle la politique : voter, c’est fuir. Participer à leur spectacle, c’est se résigner au mensonge. Le vote réclame un effort physique pour se mouvoir jusqu’au bureau le plus proche ; il est en réalité une paresse.

Dorénavant, point d’arbre derrière lequel se cacher. L’heure de la décision vient nous heurter de plein fouet. Il faut faire un choix. Le moment de cette décision est vrai, il n’y aura pas de mensonge. L’heure arrive inéluctablement et la déchirure est certaine. D’un côté, ceux qui consentent à se mentir à eux-mêmes, se résignant à accompagner dans la mort leur bientôt défunte politique. De l’autre, ceux qui refusent ce mensonge, ceux qui s’organisent et agissent et qui, reléguant loin derrière le spectacle bien macabre qui se joue, remettent leur vie au premier plan. Pour enfin rire, danser et aimer.

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