« Si "l’univers se déploie en Dieu, qui le remplit tout entier, il y a donc une mystique dans une feuille, dans un chemin, dans la rosée, dans le visage du pauvre". Le monde chante un Amour infini, comment ne pas en prendre soin ? » (Pape François, Laudate Deum, 65)
Bénis sois-tu François ! Pour ce don du coeur fait à la Corse, pour cette joie que tu as créée, pour ta présence à nos côtés, hier, à Ajaccio.
Bénis sois-tu Francois ! Pour avoir par quelques saintes paroles fait vibrer la pierre de notre cathédrale, auréolée en ce jour d’une joie toute neuve. N’est-il pas merveilleux d’observer, sous la douceur du regard d’un saint homme, le visage d’une Dame qui s’empourpre ? Car c’est pour toi qu’elle s’est faite belle, tu sais. L’annonce de ta venue fut pour elle une lumière ! Alors, avec ses petits moyens, elle s’est empressée de se rendre présentable, de se hisser à la hauteur du rendez-vous, de sa rencontre avec toi. Si l’on nous passe le mot, sa seule « obsession » depuis fut de te rendre sa lumière : cet éclat prude et rassurant qui va si bien aux mères. Comme à son habitude, Notre-Dame-de-l’Assomption revêtait aujourd’hui la grâce des choses simples et vraies : proportions modestes, ornements discrets, ne cherchant ni à écraser ni à éblouir, elle sut rester ainsi à bonne hauteur. Une beauté chaste en somme, pudique, humble ; mais qui renvoie aux yeux purs la plus douce des lueurs.
Alors ce n’est pas qu’elle « trouve un motif de fierté par comparaison à une autre » — car elle ne se prend pas pour une autre, « elle qui n’est rien » (Galates, 6.4). Mais tout de même, accordons-lui le droit d’être fière (de cette fierté non écumante, propre à celles et ceux qui se fichent de la gloire), fière de s’être sentie choisie, elle la petite, elle la timide, elle que le monde, par lassitude ou par mépris, ne voit même plus, et qui en ce jour resplendit à nos yeux comme la plus belle des Dames : cette mère des pauvres que seul guide l’amour du peu. Mais soyons clair : cette modeste condition n’obscurcit pas son coeur, bien au contraire ! La vue rivée sur l’horizon, Notre-Dame-de-l’Assomption voit plus loin, pense plus juste, rêve plus beau que n’importe laquelle de ses soeurs embastillée dans un chaos urbain.
La parisienne, elle, n’est pas tout à fait cette madone à l’accent chantant et à l’odeur de sel, cette mère aimante et chaleureuse qu’on imagine très bien nous prendre affectueusement dans ses bras. Non : Notre-Dame-de-Paris, c’est la glace des hauteurs, le faste excentrique, la majesté qui attire en tenant à distance. Vu d’ici, pas étonnant qu’elle se soit toute sa vie offerte « aux grands [qui] conspirent entre eux » (Ps 2.2). À ces milliardaires et ces politiques qui tentèrent après l’incendie de se racheter une conscience, de redorer leur image en bondissant sur les ruines encore fumantes de la cathédrale, nous reconnaissons ce trait spécifique qui les révèle pour ce qu’ils sont et n’ont jamais cessé d’être : des vautours alléchés à la vue du cadavre encore chaud. De quoi voudraient-ils se racheter ?? Cela frères et sœurs, nous ne le savons que trop ! C’est une loi de l’économie trop souvent oubliée que pour faire quelques riches, il faille simultanément faire beaucoup de misères… Depuis que ce monde fait monde les choses tiennent ainsi. Mais rassurons-nous :
« Il est plus facile pour un chameau de passer par le trou d’une aiguille que pour un riche d’entrer dans le royaume de Dieu » (Mt 19.24)
Il faut le dire sans ambages : l’arrogance et le mépris du monarque Macron, ami des créanciers vautours, accomplissent l’œuvre du Mal : saigner la plèbe et s’enivrer de son sang jusqu’à plus soif. Et si le sang des modestes était aussi celui du Christ ? et leurs corps, son corps ? Ainsi les rois avides ne manqueraient jamais ni de vin ni de pain… Frères et sœurs, entendez-vous ici le sens de ces paroles ?
« Leur argent et leur or ne pourront les sauver, au jour de la fureur du Seigneur (…) car l’or et l’argent sont la cause de leur péché. De leur splendide parure ils ont fait leur orgueil ; (…) j’en ferai leur souillure. » (Ez 7-20).
Alors même si, avec toute l’habileté communicationnelle qui le caractérise, le cardinal Bustillo nous a bien expliqué que l’on ne devait pas poser les choses ainsi, que l’on ne devait pas opposer la Corse à Paris et ressasser ainsi la division, accepte néanmoins, François, que nous y voyons tout de même un pied-de-nez adressé aux puissants. Car oui, nous le savons, tu n’as qu’un visage François. Alors en le tournant vers Notre-Dame d’Ajaccio, tu ne pouvais que le détourner de Notre-Dame-de-Paris. Même si ce n’est pas tout à fait comme cela que tu commenterais ton geste, accepte qu’il soit ainsi par nous perçu : comme l’accomplissement d’une justice élémentaire.
Bénis sois-tu Francois ! Pour avoir avec élégance fait passer ce message : ils comptent aussi, « ceux qui ne sont rien », et à tes yeux aujourd’hui bien plus que ceux qui les désignent et les considèrent ainsi — je veux parler de ceux qui les méprisent ! Tu as rappelé par là le message simple de Jésus repris par François d’Assise ; le message que certains hauts dignitaires de ton Eglise — franciscains de surcroît ! — semblent avoir oublié lorsqu’ils s’égarent à bénir des banques :
« Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent » (Mt 6.24)
Bénis sois-tu François ! Pour avoir subtilement désigné le danger que certains groupes identitaires, par leurs manigances honteuses, font courir aux âmes en perte de repères. En se servant par exemple de traditions pieuses pour mener une croisade hallucinée contre les musulmans.
« C’est en toute justice qu’ils seront punis à cause de leur méchanceté, car ils ont manifesté pour l’étranger une haine particulièrement cruelle » (Sagesse 19.13).
Celui qui exclut l’étranger, qui pêche et repêche son identité dans une mare de sang, qui puise dans l’infamie les conditions de son salut, qui sculpte sa voix dans la pierre du mensonge, celui-la n’a pas sa place dans le royaume de Dieu. Leur passion de l’Empire est un mal millénaire. À ce titre, la torsion symbolique affichée sur la place du Casone est un curieux hommage qui leur fut fait : au-dessus du fronton arborant la paix (« A Pace »), la silhouette d’un guerrier sanguinaire découpe le ciel : Napoléon, petit César français, est là pour rappeler que l’Empire et sa Pax Romana ne sont pas morts — et que jamais il ne feront pénitence…
Bénis sois-tu François ! Toi qui n’as pas non plus hésité à pointer du doigt la folie d’Israël, lorsque la France des Droits de l’Homme peine encore à simplement nommer le massacre en cours à Gaza. Songeons-y : effacer la Palestine, c’est quelque part aussi effacer la figure historique de Jésus…
« Qui ferme l’oreille à l’appel du faible criera, lui aussi, sans qu’on lui réponde. » (Proverbes 21, 1-6 ;10-13)
Bénis sois-tu François ! Pour ne pas avoir eu peur de trancher lorsque cela s’imposait. En chassant avec force la mafia de ton Eglise, par exemple, lorsqu’à Naples tu l’as fixée droit dans les yeux, l’as appelée par son nom et lui as dit : va-t’en ! À l’inverse, nous apprenons dans un article du Monde que Mgr Bustillo ne refuse l’amitié de personne, lui. Au point même de rencontrer, discuter, visiter, et dîner avec des figures que François n’a pas hésité à excommunier. Allons cardinal, un peu de courage ! Si l’exemplarité est votre meilleure arme, tâchez donc d’en user ! Lorsque par crainte de diviser vous refusez de trancher, vous mettez à mal (fut-ce malgré vous) la distinction décisive entre bien et mal. Or ce n’est pas exactement la vocation de l’Eglise que de se positionner par-delà bien et mal — c’est que les gens de peu de foi attendent pieusement qu’on leur montre la voie…
Afin de vous donner de la force, rappelez-vous que Jesus n’a pas eu peur de trancher face aux marchands ! Et qu’il ne s’est pas caché, lui, derrière une pseudo « exigence de bénédiction » ! Ainsi lorsqu’il fallut maudire, Jesus le fit sans sourciller :
« Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites ! » (Mt 23.13-36).
Comprenons : si Jesus « apporte l’épée et non la paix » (Mt 10.34-36), c’est précisément pour trancher ! Car ne pas trancher expose au risque de tout aplatir, de tout affaisser, de tout avachir ; et finalement de tout confondre dans la quiétude de l’indistinct… Mais « le Mal, c’est de ne le pas distinguer du Bien. L’indisctinction est son royaume. L’indifférence, sa puissance » (Tiqqun1). Ne pas trancher, c’est finalement choisir de parler « le langage des ténèbres » :
« Ce n’est plus "oui - oui, non - non", mais « ni - ni », un mélange des deux. Ce langage permet de s’adapter confortablement à toute circonstance. C’est le langage des ténèbres. Les ténèbres, cependant, ne sont pas toujours faites d’obscurité. Chers jeunes, sachez-le : il y a des ténèbres déguisées en lumière. » (…) La vérité n’étant pas négociable, la tâche est difficile » (Pape François, Nei tuoi occhi… p. 162-163)
Ainsi il ne sert à rien de prêcher la paix dans le vide — car en vérité tout le monde est déjà rompu à cet idéal. La question de la paix devrait plutôt regarder ce qui organise le conflit dans nos sociétés et dans nos vies : les dispositifs qui l’articulent et les intérêts qui le guident. Avoir fait de l’Economie l’alpha et l’omega de toute valeur, c’est là un péché qui a tout d’originel. D’ailleurs, c’est justement parce que ses lois n’ont rien de « naturelles » que cet ogre d’édifice fait tant de mal à la Nature. Et la fable anthropologique sur laquelle cette idéologie repose, qui fait de l’Homme un loup pour l’Homme, n’a rien de commun avec la vision d’un Jesus. Alors imaginer aujourd’hui le Christ défendre le statu quo qui va bien aux puissants, désolé mais c’est trop pour notre imagination et notre foi.
Pour résumer avec Hugo : on peut « rester au paradis et y devenir démon », ou bien « entrer en enfer pour y devenir ange ».
Pardonnez-nous de vous corriger ainsi cardinal, mais ce ne sont pas des « pulsions tanatophiles » qui encouragent les plus lucides à crier leur rage ; bien au contraire ! En vérité, c’est là le peu de vitalité encore présente qui tente de donner de la voix, de se faire entendre, de réveiller les somnambules et chasser les démons qui empêchent de sentir. Là où vous croyez reconnaître la mort et le désespérance, cardinal, c’est bel et bien la vie qui parle — qui hurle même ! — pour tenter de briser cette bulle d’ambition qui rend sourd.
Passé ce moment de ferveur populaire, passée la communion dans la joie et l’allégresse, nous reposons à présent la question de François : « Che dobbiamo fare ? » Que devons-nous faire désormais pour que subsiste un peu de cette joie ? Pour que ce transport et cette élévation persiste au-delà de cette visite, et que ce 15 décembre demeure bien davantage qu’un faux souvenir figé dans un goodies ? Commencer d’abord par ne pas oublier pourquoi François nous a choisis : pour notre condition modeste. Rendre visite à la région la plus pauvre de France en déclinant au même moment l’invitation de la plus riche, c’est continuer le geste qu’il déploie depuis son élection au Saint-Siège.
Nous avons vu hier un peuple fier, une communauté revigorée par le miracle enchanteur de la reconnaissance. Pour cela François, merci encore. Toutefois, frères et soeurs, n’allons pas faire de ce geste et de ce jour un motif d’orgueil ! Eriger sa fierté en étendard, c’est prendre le risque de l’arrogance. Alors, à l’inverse, laissons fleurir la fierté en silence, dans le secret des coeurs et la paix des âmes, afin qu’elle ne cesse jamais d’être vive.
Aussi n’oublions pas qu’à l’origine, le latin ferus (« fierté ») désigne avant tout le « sauvage, le barbare fougueux et féroce ». Elle est une plaie qui saigne et qui cherche à blesser en retour ; un sentiment fixé sur une défense, sur la quête vengeresse d’une estime de soi égarée. Comprenons bien : la fierté est toujours le symptôme d’un manque à être, le cri de l’humilié qui souffrait dans l’ombre et qui tout à coup gagne une place, rencontre la lueur d’une reconnaissance bienveillante, d’une oreille qui l’écoute, d’un coeur qui le comprend, d’une voix qui lui répond enfin. Nos blessures François, tu es venu les panser, les recouvrir de la plus belle onction : la miséricorde. Un regard bienveillant qui reconnaît et qui absout, qui pardonne et qui console, efface les fautes commises comme les affronts subis.
Alors tâchons d’être dignes de l’attention exceptionnelle qui nous fut portée, en la retournant précisément vers celui qui nous en fit présent. Pour cela nous devons à notre tour écouter François et entendre son message : le message clair et urgent qu’il souhaite laisser au monde et dont nous nous faisons aujourd’hui les dépositaires scrupuleux : il faut sauver la maison commune !
« La logique du profit maximum au moindre coût, déguisée en rationalité, en progrès et en promesses illusoires, rend impossible tout souci sincère de la Maison commune et toute préoccupation pour la promotion des laissés-pour-compte de la société. Nous avons constaté ces dernières années que, étourdis et enchantés par les promesses de si nombreux faux prophètes, les pauvres eux-mêmes tombent parfois dans la tromperie d’un monde qui ne se construit pas pour eux. » (Pape François, Laudate deum, 31)
Et encore :
« Dans leur conscience, et face au visage des enfants qui paieront les dégâts de leurs actions, la question du sens se pose : quel est le sens de ma vie, quel est le sens de mon passage sur cette terre, quel est le sens, en définitive, de mon travail et de mes efforts ? » (Pape François, Laudate deum, 33)
Alors, à la manière de nos ancêtres qui ont un temps protégé les papes, nous pouvons être la garde corse qui s’engage et porter et protéger sa mission : sauvegarder notre terre.
Sans cela que dirons-nous à nos enfants ? Et eux, quelle impression garderont-ils de sa venue ? Pourront-ils conserver quelque chose de cette joie ? de cette reconnaissance ? de cet amour reçu ? Ne les exposons pas à la honte en nous vautrant dans l’inconséquence et l’ingratitude. Il ne faut qu’aucun d’eux puisse dire un jour : « Alors quoi ? Papa Francescu est venu, il m’a vu, m’a pris dans ses bras et m’a béni, il a rempli de joie le coeur de mes parents, et voici qu’à présent ils lui font faux bond ! Voici qu’ils oublient ses avertissements, se gaussent de ses conseils, piétinent sa prévenance et trainent sa bonté dans la poussière ; et voici enfin que sur le tronc de leur orgueil fleurit ma honte… Etaient-ils à ce point sourds qu’ils n’entendaient même plus les hurlements de la misère ? les cris des bêtes qui agonisent ? les océans qui gémissent et les forêts qui crament ? N’ont-ils pas reconnu, dans la colère du ciel qui en ce jour s’abattaient sur Mayotte, un signe des temps qui gronde ? Une Némésis furieuse prête à entrer en scène ! »
Alors, frères et soeurs, pourrons-nous supporter la douleur de ces suppliques, et livrer ainsi consciemment nos enfants aux châtiments du siècle ? Ecoutons-les encore, qui nous parlent depuis demain : « Vous vous êtes enivrés de vos excès, de vos errements, de vos disputes et d’innombrables vanités encore, sans même penser à nous, sans même un instant vous demander ce que nous, nous penserions de vous… Alors aujourd’hui nous vous posons la question : qui applaudissiez-vous, en 2024, à Ajaccio ? François ? un pape parmi tant d’autres ? ou bien seulement vous-mêmes ? »
Souvenons-nous : « Ils ont couru après des riens, et les voilà réduits à rien. » (Jr. 2:5) Dans cette sentence vieille de 2600 ans, il y a déjà toute une sorcellerie marchande qui s’affirme : la vacuité de nos consommations nous transforme en êtres vides ; et dans ce vide qui nous creuse, l’avidité prend forme. Alors on nous vend toujours plus de riens, toujours plus de vide, toujours plus de manque pour attiser le désir et encore faire tourner la Machine. Dès lors, si l’on veut conserver en nos coeurs quelque chose de cette visite du pape, en garder une impression autrement plus forte, autrement plus vivante qu’un vulgaire imprimé de son visage sur une casquette, un t-shirt, un mug ou un magnet, nous devons avant tout nous souvenir de qui il est, de qui il défend et de qui il combat, de ce pourquoi il s’engage et ce à quoi il nous engage : trancher dans le monde pour lui donner sens, afin que nos joies et nos colères se répondent en justice.
La Corse qui a réellement rendu hommage à François — c’est-à-dire à l’homme plutôt qu’au rang, à l’être plutôt qu’à l’image (image au sens d’eidolon : « idole ») —, est une Corse qui se dit au futur : c’est la Corse qui mettra en acte l’enseignement de François (qui est aussi déjà celui d’un Jésus ou d’un Francois d’assise : le seul temple qui vaille est le temple du cœur) ; c’est la Corse qui se souviendra que la pauvreté, les guerres, les catastrophes naturelles à répétitions n’arrivent pas sans raisons, et que ces raisons sont celles d’un monde et de gens qui n’en ont plus.
Ce que François a dores et déjà laissé au monde et qu’il a également laissé hier en Corse, c’est l’exemple d’un pape qui recherche moins les honneurs et le faste que la joie simple d’une communion vraie ; l’exemple d’un homme sage, donc, qui a compris que ce monde devait finir — afin que d’autres naissent.
un prete senza fama