Bravo M. Mélenchon

Les chasses du compte Macron - Par Jacques Fradin

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#162, le 23 octobre 2018

« En France, la justice est indépendante »
Emmanuel Macron

Brandissons le panneau : « MENTEUR » !

La France est l’un des pays les plus condamnés par la cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Condamnations pour torture et traitements inhumains par des policiers, conditions carcérales inhumaines, lenteur sélective des procédures judiciaires, et, enfin, ce qui nous concerne ici, non indépendance du parquet.

Un nouvel arrêt (à la suite de nombreux autres) de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) du 27 juin 2013, Vassis et autres contre France, n’a pas fait sortir les parlementaires et le gouvernement de leur amnésie … La Cour y rappelle en effet de nouveau que le parquet français ne peut être considéré comme une autorité judiciaire au sens de l’article 5 § 3 de la Convention, justement en raison de ce lien hiérarchique tenant notamment à ses conditions de nomination, et qu’il ne peut dès lors être chargé de contrôler et prolonger une mesure privative de liberté.

Cette nouvelle condamnation de la France vient à point nommé pour rappeler l’urgence de la réforme constitutionnelle. Il ne s’agit pas, comme certains aimeraient le faire croire, de modifier à la marge la composition du CSM, mais bien de conférer au ministère public les garanties statutaires lui permettant d’exercer ses missions avec toute l’indépendance nécessaire au bon fonctionnement de notre démocratie.

Le Syndicat de la magistrature, comme il ne cesse de le faire depuis plusieurs années, revendique avec force le vote d’une telle réforme du CSM qui mette – enfin ! - à l’abri les magistrats du parquet de toute influence du pouvoir politique. C’est pour cela qu’il réclame que la nomination des magistrats du parquet intervienne sur proposition du CSM et non plus sur celle du pouvoir exécutif qui, à défaut, garde la main sur leur carrière. À tout le moins, si les parlementaires n’étaient pas animés de la même forte ambition, la survie du modèle judiciaire français impose que la nomination des parquetiers soit soumise à l’avis conforme du CSM et que ce dernier se voit confier un pouvoir de proposition pour la haute hiérarchie parquetière.

C’est tout l’enjeu de la réunion du Congrès et du vote de cette réforme. Ne pas le mesurer serait avouer qu’il n’existe pas de réelle volonté politique d’améliorer l’indépendance de la justice. Ce serait un triste constat.

Et pour un coup d’éclat, ce fut un coup de maître.
Que désigne « l’éclat Mélenchon » ?
La corruption du soi-disant « État de Droit ».
Avec un mot, un nom : colère, Kohler.
Nyssen, Kohler, Benalla, les affaires s’accumulent (les beaux jours de la Troisième République reviennent).
Scandale du parquet assujetti [1].
Scandale des procureurs politiques avec leur police politique [2].

Lorsque les enquêtes se limitent (« mystérieusement ») à ceux que le gouvernement déclare « ennemis de la république », lorsque les enquêtes sont déjà ciblées sur les opposants au gouvernement censitaire et plombé par « les affaires », lorsque les soutiens de l’opposition aux institutions visiblement pourries sont fichés et surveillés, ne faisons-nous pas face à un gouvernement de police politique ? [3]

Qui enquête (et comment ? voir Sarkozy) sur le financement de la campagne du « président des riches » (et des riches donateurs) ? Hébergé par le patronat, chouchouté par les banquiers ? [4]

Qui dénonce la justice expéditive (un classique de la répression anti-militante), toujours à Bure ? Ou, au contraire, la lenteur remarquable de la défense des « droits » contre la police, l’affaire Rémi Fraisse) ?

Qui dénonce les atteintes aux droits imprescriptibles des citoyens à « la désobéissance civile » ? Serions-nous revenus aux beaux jours de la guerre d’Algérie ?

Ce que met en lumière « l’éclat Mélenchon » c’est l’autoritarisme croissant (avec sa délégitimation) de ce nouveau pouvoir de la bourgeoisie répressive, nouveau pouvoir si ancien.

Toute opposition, qu’elle soit pacifiste, non-violente ou violente, qu’elle soit légale (mais selon quel droit ?) ou illégale, toute opposition doit être éliminée. Et la rigidité ou la rigueur est toujours le signe du cadavre en décomposition.
Criminalisation du syndicalisme, du militantisme et des militants, répression patronale exacerbée (revoilà les beaux jours de 1900) prolongée en répression policière (les CRS « républicains » au service du patronat).
Avec Macron le jeune réactionnaire, voilà le retour de la plus vieille république répressive (la Troisième République versaillaise).
Est remis à l’ordre du jour le plus ancien patrimoine culturel et politique de la monarchie (de juillet) ressuscitée.

Le monarque est le propriétaire du troupeau populaire parqué dans son domaine royal, dans son enceinte nationale qui est définie comme une grande réserve de chasse.
Telle est la signification de « l’obéissance à la loi » ; quelle que soit la loi, scélérate, illégale ou même absurde.
Tous les animaux du cheptel nationalisé sont « égaux devant la loi » : les sbires garde-chasse du monarque peuvent exiger l’obéissance en agissant par la force (force de l’ordre et non pas force de loi).

Même si la loi est imposée par « ordonnance » (royale) vétérinaire, avec sa « chambre introuvable » de godillots absentéistes, Mr 25%, le nouveau Louis Philippe de la meilleure des républiques, peut actionner ses sbires, ses chasseurs et ses courtisans obséquieux (comme les journalistes).

Depuis la Grande Révolution, et encore plus depuis Nuremberg, nous savons que l’obéissance à la loi peut être criminelle. Et la fonction d’un véritable tribunal constitutionnel démocratique, respectant les attendus internationaux (de l’ONU, par exemple), serait de vérifier la potentialité criminelle des actions violentes des forces de l’ordre (qui ne sont pas des forces de loi). Si l’on traque « la violence », il faut d’abord traquer la violence (dite) légitime (sinon légale ; selon quelle loi ?) des chasseurs du parc national (les forces de l’ordre).

Pourquoi devrions-nous accepter d’être une tête (qui ne doit pas dépasser) d’un troupeau surveillé ? Pourquoi devrions-nous accepter d’obéir (et cela vaut pour les forces de répression) sans critique préalable des lois et des actions des forces de l’ordre, sans critique structurelle de la justice assujettie et de la police sans conscience, pour ne pas dire « zélée » dans sa fonction de garde-chasse ou de chien de garde ?

Quelle est la véritable différence entre « la république » et « la démocratie » (étant compris que les deux choses sont opposées) ?
La république s’occupe d’abord de l’ordre (républicain). De la tranquillité du troupeau des consommateurs. Qu’il ne se passe rien ! Business as usual.
La démocratie s’occupe d’abord de la conscience (et de l’objection de conscience), de la pensée critique.
Alors que l’école républicaine cherche à former de bons serviteurs (efficaces), de bons opérateurs, une école démocratique cherche à former des consciences émancipées [5].

Au-dessus de la loi, si honteusement ordonnée, il y a la conscience, le refus de cette république bourgeoise rétrograde [6].

Les fameuses lois républicaines ne « représentent », au mieux et en gros, que 25% (forme) sans parler de leur contenu réactionnaire ou scélérat (fond).

Si donc les lois (scélérates) s’imposent, si donc les procureurs, les juges, les policiers, les sbires garde-chasses, peuvent prétendre « agir au nom de la loi », voire « parler le langage de la loi », c’est que les institutions républicaines sont mauvaises.

Et qu’il faut les dénoncer sans relâche.
Et qu’il faut les combattre.
Et qu’il faut désobéir : la désobéissance est fondée en conscience.
La désobéissance, civile, ou la « contre-sécession » (contre la sécession des riches ou des fraudeurs fiscaux) devient une nécessité.

BRAVO M. MÉLENCHON
Encore un effort pour être un véritable démocrate.
S’opposer radicalement à « La République », LR ou LREM, c’est un bon début.
Depuis longtemps on sait qu’un « socialiste » (ou un démocrate) ne peut être un républicain (toujours depuis les années 1900).
Qu’il faut abolir toutes les institutions monarchiques (dites républicaines, autoritaires) et leurs corrélats (scélérats) ; scander sans cesse : d’où viennent les millions de Macron ? Comment (et par qui) sa campagne a-t-elle été financée ?

Mettre en cause les partis et le système de leur financement ; mettre en cause le financement des campagnes (trop à l’américaine, avec les lobbies qui guettent) ; etc.
Défendre la désobéissance généralisée, comme M. Mélenchon vient d’en donner l’exemple.
Se soulever pour Bure, pour les syndicalistes menacés.
Appeler à l’abstention généralisée.
Comprendre que « la révolution par les urnes » est une absurdité.
Que, jamais, de l’intérieur, en respectant « les règles », aucun pouvoir corrompu (et finissant) – un gouvernement, un État, des institutions défectueuses et dangereuses, etc. – n’a pu être transformé.

Comment transformer la république conservatrice et répressive en démocratie ouverte ?
Certainement pas en mobilisant les institutions du pouvoir républicain, autocrate et censitaire !
Certainement pas en acceptant de jouer avec le gouvernement des macrons, en acceptant les élections (et en faisant cette confusion fatale : démocratie = élections !!).

BRAVO M. MÉLENCHON.

Vous venez de franchir un pas décisif et qui mène vers « la cause du peuple ».

Maintenant il faut poursuivre.
Vous êtes sur le bon chemin de la sécession démocratique (contre la sécession des ploutocrates républicains).

[1Mélenchon et les perquisitions : le scandale du parquet assujetti, François Bonnet, Médiapart, 17 octobre 2018

[2Soyons clairs : les policiers en action répressive (contre des anarchistes, des syndicalistes, des manifestants, ou en perquisitions musclées, etc.) affirment toujours : « nous ne faisons pas de politique ; nous obéissons aux ordres ; ordres légaux dans un “État de Droit” ; etc. ». La question se pose toujours : est-ce qu’obéir aux ordres n’est pas faire de la politique ? Ne pas mettre les ordres en contexte, ne pas réfléchir et penser avant d’obéir, n’est-ce pas cela faire de la politique ? Renvoyons toujours aux attendus des tribunaux internationaux (depuis Nuremberg) : obéir aux ordres peut être un délit ou même un crime, tout dépend du cadre des ordres. Par exemple : peut-on dire que la justice est « indépendante », ou que la carrière des procureurs ne dépend pas du gouvernement (séparation des pouvoirs), etc. Et de fil en aiguille, à détricoter, qu’est-ce cette « république » qui se prétend « État de Droit » ?

[3La documentation de telles analyses est facile à trouver.

Ne renvoyons qu’à Médiapart.
Jade Lindgaard, À Bure, la crainte d’une justice d’exception, 17 octobre 2018 ;

Christophe Gueugneau et Jade Lindgaard, À Bure comme ailleurs, les autorités ciblent l’autodéfense juridique, 21 juillet 2018 ;

Jade Lindgaard, Contre Greenpeace, l’État fait le procès de la désobéissance civile, 18 mai 2018.

Une telle république autoritaire (au service des patrons) est-elle encore un « État de Droit » ?

[4Toujours Médiapart.

Mathieu Magnaudeix et Mathilde Mathieu, Emmanuel Macron embarrassé par ses millions, 5 mars 2017 ;

Antton Rouget, Mathilde Mathieu, Mathieu Magnaudeix, Martine Orange, Macron Leaks : les secrets d’une levée de fonds hors norme, 21 mai 2017 ;

Fabrice Arfi, Emmanuel Macron ou la démocratie de complaisance, 14 mai 2018 ;

Antton Rouget, Les riches heures du bénévole Alexis Kohler, 21 mai 2018.

Il est toujours facile de faire (d’abord) pourchasser « les bricoleurs du dimanche », les pégreleux qui courent après la thune (sans aucun enrichissement personnel, il faut bien distinguer Mélenchon de Fillon, pour lequel (Fillon) l’intérêt personnel primait sur tout), lorsque soi-même (finalement élu grâce au bombardement écrasant des médias du patronat) on reçoit des « dons » digne d’une campagne à la Trump ! Toujours les Macron Leaks ! Et l’analyse des comptes de campagne du « candidat des banquiers ».

[5Il est significatif de devoir répéter ce qui était une évidence pour les « démocrates socialistes » d’avant 1900 ou pour les « démocrates radicaux » des années 1960.

Le néolibéralisme à la Hayek est tout à fait limpide : écraser la démocratie en république et définir cette république comme l’état du despotisme économique.

Toujours Médiapart.

Antoine Perraud, La République censitaire du chef Emmanuel Macron, 14 février 2018 ;

Romaric Godin, Pour Macron, le néolibéralisme est un socialisme, 9 juillet 2018 ;

Michel Deléan, Macron veut choisir lui-même ses procureurs, 26 septembre 2018.

[6Et pour savoir ce que veut dire « conscience », nul besoin de lire Michéa, il suffit de se tenir au courant de l’actualité sociale la plus violente ; comme lire cet article qui ne peut qu’inciter à la révolte (« la révolte logique » que tentent sans cesse d’interdire les médias du pouvoir patronal) : le retour de la troisième classe ;

http://www.laviedesidees.fr/Le-retour-de-la-3e-classe.html#.W8Y0tTw8aO8.email

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
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