Axa au collège - Par Nathalie Quintane

« Pour la première fois, la compagnie d’assurances Axa venait "proposer ses produits" dans notre collège... On les a reçus. »

Nathalie Quintane - paru dans lundimatin#226, le 23 janvier 2020

Longtemps, on a eu des représentants des Citadelles & Mazenod, au collège. Les Citadelles & Mazenod, c’était des gros et grands livres très chers qu’on regardait avec admiration en passant devant les tables, avec nos gobelets en plastique, à la récré. Il y en avait sur Naples, sur Chagall, sur la peinture au XIXe siècle. Une fois, je me souviens en avoir feuilleté un, rapidement, un peu gênée de toute façon ne pas le prendre, sous les commentaires et recommandations du représentant.

Cet automne, ce ne sont pas les Citadelles & Mazenod qu’on attendait, mais les représentants d’Axa, la fameuse compagnie d’assurance, dont on a récemment appris qu’elle faisait partie du panier Blackrock — ce fonds d’investissement qui siège dans les conseils d’administration de la moitié des entreprises du CAC40. Les Axa, ils avaient pris rendez-vous dès le mois d’octobre, pour nous proposer leurs produits. On avait trouvé ça fort, qu’avant même que la réforme des retraites ne soit votée, et même discutée (s’il était envisageable qu’elle le soit), ils passent le pied dans la porte, entrent dans la salle des profs, et s’installent à la table, ouvrent leurs grandes mallettes, disposent leurs petites brochures, d’un seul mouvement prévu se relèvent tendant le bras pour inviter à s’asseoir. Il paraît qu’à la lettre que la compagnie avait envoyée au chef d’établissement pour l’informer de sa venue, celui-ci avait répondu en poliment déclinant l’offre, et qu’il lui avait été en substance dit qu’on prenait bonne note de sa décision, mais que comme Axa avait l’autorisation de son ministère de tutelle pour pénétrer notre établissement, elle se voyait contrainte d’en référer à sa hiérarchie.

Bref, l’automne avançait, et finalement les Axa avaient deux fois reculé la date du rendez-vous (hésitation ? indisposition ?). Après les fêtes, et comme le mouvement social continuait, on se disait qu’on ne les verrait peut-être qu’à la prochaine rentrée, ou plus du tout. Puis, ils s’annoncèrent le 14. A neuf heures quinze précises on les attendait, les Axa, à côté de notre petite planche sur tréteaux et de nos Thermos, sur le perron du collège. Les Axa, ils ont commencé par nous demander s’ils pouvaient entrer (vu qu’on était devant la porte) et qu’ils étaient venus nous parler de notre santé.

On le prend quand même un peu comme une provocation, on a dit, venir sur le terrain de la prévoyance santé, on a ajouté, et puis très rapidement vous allez glisser sur celui des retraites, ça nous pose vraiment un problème, de vous accueillir, en plein mouvement social, dans notre établissement scolaire.
Vous bloquez l’accès aujourd’hui, a dit un Axa, parce que c’est la conjoncture des événements qui vous y motive mais quand, j’espère, ce sera fini, a continué l’Axa, est-ce qu’on pourra reprendre rendez-vous ou est-ce que vous serez toujours là pour…
On sera toujours là, on l’a coupé, de toute façon, nos collègues sont grands, ils peuvent aller directement vous voir. Et puis les fonds de pension et les initiatives foireuses, on a connu, dans l’Education nationale, avec la COREM [1], quand on a perdu la moitié de ce qu’on avait placé et que les dirigeants s’en sont mis plein les fouilles… Plein les fouilles ! quelqu’un a renchéri chez nous. Vous n’avez pas l’impression, on a dit alors, d’être comme des vampires qui viennent sur un cadavre encore chaud ? Parce que nous, ça nous donne vraiment cette impression.
Vous savez, a dit un autre Axa, les agents généraux, nous, on a les mêmes problèmes que vous, hein, on a une caisse indépendante et ils vont nous mettre avec...
Ben on vous voit pas beaucoup avec nous, on a dit, mais on va pas reculer avec vous, faut se bagarrer là, faut pas se laisser faire, ce qui se passe en France, c’est historique, c’est pas parce qu’Edouard Philippe nous raconte ses conneries… Rejoignez-nous, c’est tout ce qu’on peut vous dire, on a dit, tandis que les Axa finalement s’éloignaient et qu’on leur souhaitait un bon retour.
Ensuite, on a bu un café, et on a discuté de savoir s’il aurait mieux valu dire croque-morts au lieu de vampires. Vampires, c’était pas mal, mais croque-morts, y avait peut-être quelque chose de plus exact. Croque-morts, oui.

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