Paper planes

Retours et analyses du soulèvement au Sri Lanka

paru dans lundimatin#349, le 7 septembre 2022

Le 9 Juillet 2022, le monde entier assistait à un spectacle plutôt rare : des dizaines de milliers de manifestants Sri Lankais mettaient en fuite le président Gotabaya Rajapaksa et prenait d’assaut son palais. Parvenus à l’intérieur du bâtiment, soit au cœur symbolique du pouvoir, les occupants décident alors de se réapproprier son luxe et sa démesure en poussant de la fonte dans la salle de sport présidentielle ou en organisant des concours de plongeons dans la piscine personnelle du chef de l’État.
Si les images de cette mise en commun spontanée et populaire ont réjoui et amusé la planète entière, la situation au Sri Lanka reste néanmoins opaque pour beaucoup. C’est la raison pour laquelle des amis américains ont décidé de se rendre sur place afin d’enquêter sur ce soulèvement. Ils en sont revenus avec ce texte d’analyse et la ferme conviction que cette séquence insurrectionnelle doit être comprise dans la continuité de celle ouverte par les Printemps Arabes de 2011, c’est-à-dire aussi de leurs limites [1].

Les révolutions veulent des hommes qui aient foi en elles. Douter de leurs triomphes, c’est déjà les trahir. C’est par la logique et l’audace qu’on les réalise et qu’on les sauve. Si vous en manquez , vos ennemis en auront pour vous ; ils ne verront qu’une chose dans vos faiblesses : la mesure de leurs forces. Et leur courage se relèvera en raison directe de votre timidité.
Blanqui

Au début de l’année 2022, le Sri Lanka est au cœur d’une crise économique. La réponse du gouvernement, dirigé par le président Gotabaya Rajapaksa, est assez lente dans un premier temps, puis complètement déraisonnable. Le mouvement commence à la campagne, chez les agriculteurs, puis s’étend aux banlieues de Colombo, la capitale. Le 9 avril, une manifestation de masse à Galle Face, le cœur de Colombo, a donné lieu à un campement énorme connu sous le nom de GotaGoGama [Gota rentre chez toi]. Les occupations se sont propagées et de nouveaux campements ont vu le jour à Colombo et dans d’autres villes. Cette dynamique a connu des hauts et des bas pendant plusieurs mois. Le 9 juillet, des centaines de milliers de Sri Lankais ont submergé la capitale, prenant d’assaut et occupant la maison du président et un certain nombre de bâtiments gouvernementaux. Le président s’est enfui. La maison du premier ministre a été incendiée. L’armée n’a pas bronché. Le 13 juillet, les manifestants ont occupé le bureau du Premier ministre, pris d’assaut une chaîne de télévision et tenté d’assiéger le Parlement. Le lendemain, le président a démissionné depuis son exil. Le 20 juillet, le premier ministre Ranil Wickremesinghe a été élu par le parlement pour terminer le mandat de Gota à la présidence [2].

C’est ainsi que s’est achevé le premier acte de l’Aragalaya [3]. On ne sait pas encore ce que sera l’acte deux. Il s’agit maintenant de rendre le soulèvement irréversible. La voie à suivre est périlleuse, l’issue incertaine. L’avenir n’est pas écrit.

Les réflexions suivantes se veulent une contribution aux débats actuels sur la prochaine phase de l’Aragalaya, ainsi qu’une tentative de clarifier les leçons de l’expérience srilankaise pour les insurrections à venir ailleurs.

I.

 
Les révolutions sociales deviennent possibles à la suite de séquences de luttes qui rencontrent des limites et les dépassent. Ces séquences ont tendance à se dérouler en une série de vagues, les tactiques, les mots d’ordre et les formes d’organisation se répandant rapidement dans différents pays. Ces vagues apparaissent souvent au milieu de turbulences économiques mondiales, qui créent un ensemble de conditions similaires dans différentes parties du monde.

Nous sommes toujours au milieu de la séquence de luttes qui s’est ouverte avec le Printemps Arabe. Ce cycle a été ponctué de deux vagues : d’abord en 2011, puis en 2019. Les problèmes économiques attisés par la pandémie et la guerre en Ukraine créent les conditions de possibilité d’une nouvelle vague mondiale de lutte. Cette année déjà, des manifestations et des émeutes ont eu lieu dans près d’une douzaine de pays, déclenchées par l’augmentation du coût de la vie. Le soulèvement au Sri Lanka a été la lutte la plus intense et la plus soutenue cette année, elle nous donne les indications les plus claires sur les dynamiques et les limites de ce qui pourrait venir ensuite.

II.

Pendant près d’une semaine, le Sri Lanka s’est trouvé sur le point de basculer. La plupart des principaux bâtiments gouvernementaux étaient occupés, le président avait fui le pays, et l’armée restait en retrait. Et si la révolution allait plus loin, le pays avait des chances de plonger dans l’anarchie. On ne sait pas quelles conditions seront nécessaires pour que les luttes franchissent ce point de non-retour. Mais c’est peut-être autant une question d’idées que de circonstances matérielles. Un pas dans l’inconnu est toujours un acte de foi. On le fait par conviction, lorsqu’on croit en quelque chose si fermement que cela semble valoir tous les risques. Naviguer sur les mers déchaînées sans faire naufrage peut nécessiter un plan. Il se peut que l’on ait besoin de révolutionnaires capables de dire, avec un certain degré de confiance, comment un processus insurrectionnel peut éviter de se terminer en catastrophe.

III.

Les luttes sont souvent vaincues non pas par l’État mais par le choc de leur propre victoire. Une fois qu’ils ont pris de l’ampleur, les mouvements ont tendance à atteindre leurs objectifs bien plus vite que ce à quoi ils auraient pu s’attendre. La chute du régime Rajapaksa s’est produite si rapidement que personne n’a sérieusement envisagé la suite. La fenêtre ouverte par le mouvement s’est vite refermée et l’air suffocant de la normalité a repris toute la place dans la pièce.

IV.

Un des premiers mots d’ordre de l’Aragala était ’les 225 doivent tous partir’, en référence aux membres du Parlement. C’était un écho au slogan visionnaire du soulèvement argentin de 2001 : Que se vayan todos - ils doivent tous partir. Ce mot d’ordre est apparu au milieu d’une crise économique semblable à celle que traverse actuellement le Sri Lanka. La foule a refusé de quitter les rues jusqu’à ce que tous les politiciens qu’elle accusait d’être responsables de la crise aient été emportés par la vague de protestation. En l’espace d’un mois, trois gouvernements différents ont été renversés. Aujourd’hui, l’Aragalaya craint qu’en continuant à pousser pour une « table rase », elle s’aliène une grande partie du pays et entraîne une chute vers le chaos. Cependant, l’histoire nous apprend que c’est précisément grâce à cette anarchie qui s’est répandue que l’Argentine a pu se donner un peu de répit [4].

V.

L’Argalaya s’est opposée à la formation d’un gouvernement multipartite ou de coalition après la chute des Rajapaksas. Seule une nouvelle forme de pouvoir - un Conseil du peuple - pourrait garantir que les victoires du 9 juillet ne soient pas remises en cause. Ce Conseil serait composé de représentants de la lutte et aurait un droit de veto sur les décisions prises par le gouvernement par interim. Cette proposition rappelle ce que l’on aurait appelé au début du XXe siècle le double pouvoir. Dans les premiers jours de la révolution russe de 1917, les Soviets pouvaient contrôler l’activité du gouvernement provisoire, et retoquer ses décisions. Ce double pouvoir est aussi une question de rapport de forces : les Soviets avaient ainsi une véritable base sociale et une force matérielle derrière eux. L’équilibre de ces forces est toujours instable, un pouvoir finissant toujours par l’emporter sur un autre ; aussi le double pouvoir ne doit donc pas être séparé de la question de l’insurrection.

VI.

Une fois qu’un soulèvement est en cours, toute élection ne fera que conférer une légitimité « révolutionnaire » à l’ancien régime. L’élection de Ranil par le Parlement le 20 juillet a offert un cas exemplaire de cette règle générale. Il n’y a aucune raison de croire qu’une élection au suffrage universel, souhaitée par de nombreux participants à l’Aragalaya, se déroulerait de manière très différente.

Récemment, Ben Ali et Moubarak ont fui leur pays face aux contestations populaires. En Tunisie et en Égypte, ce que l’on a appelé un ’processus constituant’ était en fait l’organisation d’un grand jeu de chaises musicales pour les partis au pouvoir, en s’assurant d’éviter toute rupture décisive. En organisant des élections à grande vitesse, le nouveau gouvernement gagne sur deux tableaux. D’une part, il établit une légitimité fragile dont il ne peut être sûr de bénéficier tant qu’il est encore autoproclamé. Il montre que ses intentions sont pures, qu’il n’a pas l’intention de s’accrocher au pouvoir. D’autre part, il empêche les ’extrémistes’ d’avoir le temps dont ils ont besoin pour diffuser leurs idées. Après février 1848, Blanqui a ces craintes en tête lorsqu’il demande le report des élections, alors que le gouvernement provisoire est décidé à forcer le pas. Blanqui réussit à imposer un report au moins temporaire lorsque cent mille prolétaires armés marchent sur le Parlement.

VII.

Une défaite politique de l’armée, plutôt que militaire, est possible. Mais ses conditions de possibilité doivent être repensées pour notre siècle. Une situation révolutionnaire s’ouvre lorsque les forces armées sont appelées dans la rue mais refusent de tirer sur la foule, comme ce fut le cas le 9 juillet lorsque l’armée a fini par s’écarter alors que la foule pénétrait dans le palais et le bureau présidentiel. Cependant, il arrive souvent que ces mêmes forces armées qui se sont retirées pendant le soulèvement initial réapparaissent plus tard comme l’arbitre final du sort de la révolution, assurant une continuité entre l’ancien régime et ce qui vient après. Après que les élections du 20 juillet aient restauré une certaine légitimité à la présidence de Ranil, l’armée a pris d’assaut et expulsé le bureau présidentiel, le dernier bâtiment gouvernemental alors occupé. Les révolutions de notre siècle se sont en grande partie produites dans des pays où l’armée fonctionne comme un État dual. En Égypte et au Soudan elles ont été stoppées net lorsque les militaires ont pris le pouvoir par un coup d’État. Cela risque moins de se produire au Sri Lanka où, bien qu’ayant connu une longue guerre civile, l’armée n’a pas l’habitude de fonctionner comme une force politique et économique indépendante. Mais la révolution au Sri Lanka est confrontée à un autre risque. Les pays qui ont été déchirés par la guerre civile, comme le Soudan et le Myanmar (Birmanie), ont vu la violence qui s’est propagée à la périphérie pendant ces guerres revenir au centre pendant le soulèvement. Si les choses continuent à s’aggraver, c’est l’un des destins possibles de la révolution au Sri Lanka.

VIII.

Les luttes trouvent leur force dans leur capacité à tisser ensemble différents fragments du prolétariat. Le soulèvement n’a été couronné de succès que parce que, dans tout le pays, des personnes de tous horizons et de toutes communautés ont trouvé leur propre façon de participer. C’est particulièrement important dans une société comme le Sri Lanka, fondée sur des séparations ethniques et religieuses et déchirée par des décennies de guerre civile. Ces tensions ont été particulièrement mises en évidence à la suite des attentats de Pâques 2019. Cela contraste avec l’Aragalaya , premier mouvement à rassembler les bouddhistes cinghalais, les Tamouls et les musulmans dans une lutte contre l’État. Cette lutte a également rassemblé des agriculteurs, des pêcheurs, des étudiants, des conducteurs de tuk tuk, la gauche traditionnelle et divers partis d’opposition. Les moines bouddhistes ont composé avec les prêtres catholiques et le mouvement queer ; les déclassés ont combattu aux côtés des pauvres des villes, les immigrants indiens travaillaient main dans la main avec les anciens militants des partis nationalistes. Cependant, les séparations présentes dans le reste de la société ont tendance à réapparaître au sein de la lutte, surtout après ses premiers succès. C’est une limite que les révolutions de notre siècle n’ont pas réussi à surmonter.

IX.

Les luttes anti-austérité ont tendance à adopter une critique de la corruption comme idéologie spontanée. Dans un monde de plus en plus dominé par des hommes forts autoritaires, cela a un certain sens, et particulièrement au Sri Lanka, étant donné la façon dont le clan Rajapaksa a dominé la politique au cours des dernières décennies. Dans le même temps, les critiques de la corruption donnent une fausse image des capacités d’action effectives dont l’État dispose dans les crises économiques et sociales, car elles supposent que l’État pourrait trouver un moyen de sortir de la crise actuelle, qu’il pourrait choisir d’éviter de mettre en œuvre l’austérité, si seulement il le voulait. Cette confusion est également la raison pour laquelle les luttes contre l’austérité ont tendance à aboutir à un rebattage des cartes plutôt qu’à un changement de jeu. Après la chute du régime, les gens sont confrontés au fait que la logique structurelle de la société capitaliste reste en place. Les gouvernements issus de la révolution se retrouvent souvent à mettre en œuvre des mesures d’austérité similaires à celles qui avaient initialement déclenché les protestations.

Il s’agit peut-être d’une étape nécessaire sur la voie d’une critique plus systémique. Les militants de l’Aragalaya ont parlé de cela comme le développement nécessaire de la conscience de classe. Après l’élection du 20 juillet, l’unité fondamentale des intérêts de la classe dirigeante est devenue évidente pour tout le monde. Cependant, il serait peut-être plus juste de penser au développement d’une conscience du capital. Pour que le soulèvement aille plus loin, il aurait fallu qu’il affronte l’incertitude de savoir comment le pays allait se nourrir et vivre alors que sa relation avec le marché mondial était interrompue. Après tout, ce n’est que par et dans les relations de la société capitaliste que les prolétaires sont capables de reproduire leur force de travail. C’est précisément la limite, et ce qui est remis en question, par les luttes d’aujourd’hui [5].

X.

Les soulèvements sont souvent déclenchés par la lutte d’un groupe social particulier. Cependant, lorsque l’épicentre d’une lutte se déplace géographiquement, des changements dans la composition de classe ont tendance à suivre. Lorsque les manifestations se déplacent vers les grandes villes, les classes moyennes urbaines deviennent le centre de gravité. Par exemple, le soulèvement au Sri Lanka a commencé par des manifestations d’agriculteurs dans l’arrière-pays rural, puis s’est déplacé vers les banlieues entourant Colombo, puis vers le cœur de la capitale. Là, les classes moyennes urbaines ont, dans un premier temps, joué un rôle important, notamment dans les occupations. Alors que les protestations et les occupations prenaient encore plus d’ampleur, Colombo a ensuite été envahie par des prolétaires venus de toute la ville et du reste du pays, notamment le 9 juillet. Après avoir atteint la capitale, les manifestations ont commencé à se répandre dans tout le pays, même si cette dernière a conservé une certaine attraction centripète. Cette concentration géographique peut rendre plus difficile la participation des populations minoritaires, comme les Tamouls qui vivent principalement dans le nord et l’est du pays.

En même temps, la géographie de la lutte ne correspond pas exactement à la géographie du pouvoir. Certains révolutionnaires sri-lankais affirment que la prochaine phase devra se décentrer de Colombo et mieux répartir les forces dans tout le pays. Cela soulève la question de savoir à quoi ressemblerait réellement la prise et l’organisation du pouvoir, et, par la même, ce que cette nouvelle cartographie de l’insurrection pourrait impliquer [6]. En occupant les lieux du pouvoir, l’Aragalaya a compris qu’elle avait, en un sens, pris le pouvoir. Mais l’État a simplement continué à fonctionner dans son dos. C’était peut-être une étape nécessaire de la révolution, mais insuffisante pour la rendre irréversible. Pour certains, le pouvoir réside dans l’infrastructure, ’le pouvoir réelle de la société réside dans ses infrastructures’ [7]. Mais quelles infrastructures, et qu’est-ce que cela signifierait d’occuper et de réaffecter, plutôt que de simplement bloquer, en particulier au milieu d’un effondrement économique et d’une catastrophe potentielle ?

XI.

Les soulèvements ont tendance à être suivis de processus d’organisation, car les militants formés par la vague de lutte se retrouvent et développent des moyens de se préparer aux luttes à venir. Le Sri Lanka a l’avantage de pouvoir s’appuyer sur une décennie d’expériences récentes ailleurs dans le monde. L’expérience du Soudan est peut-être la plus marquante. Après un soulèvement en 2013, une prolifération de comités de résistance a vu le jour et s’est donné pour tâche de préparer la prochaine vague de luttes. Concrètement, cela signifiait : maintenir des centres sociaux de quartier, construire les infrastructures et stocker les matériaux qu’ils jugeaient nécessaires, développer des réseaux de camarades et de sympathisants à l’échelle de la ville et du pays, et tester la capacité de ces réseaux par des campagnes coordonnées. Lorsque la révolution est arrivée, fin 2018, ces groupes ont pu servir de vecteurs d’intensification. Les comités de résistance ont également été en mesure de soutenir la révolution dans sa phase suivante, après que le président Al-Bashir ait été contraint de se retirer [8].

Cette succession de luttes a également donné lieu à des expériences qui ne méritent pas d’être imitées : les mouvements de masse sont souvent suivis d’une poussée vers la formation de partis politiques capables de se présenter aux élections, comme en Grèce ou en Espagne. Leurs premiers succès tendent à dissimuler un certain piège. Lorsque la crise est suffisamment profonde, l’État et le capital veulent faire porter le poids de la gouvernance sur les mouvements. Comme il n’y a pas de moyen de sortir de la crise, les mouvements deviennent responsables de sa gestion. Une fois que le mouvement social est au pouvoir, il est rapidement discrédité. Parfois, la gauche est même capable de faire passer des réformes ou des mesures d’austérité qu’un autre gouvernement n’aurait pas été en mesure de faire. Dans ce cycle, les révolutionnaires ont découvert la forme adéquate pour intervenir dans les luttes mais pas pour prendre le pouvoir.

XII.

La crise ne peut être résolue uniquement au Sri Lanka. Avec une pénurie de nourriture, de carburant, d’argent et d’autres produits de base, l’aide, sous une forme ou une autre, devra venir de l’extérieur de l’île. Pour l’instant, la seule aide disponible prend la forme d’un renflouement d’urgence du FMI et d’une aide de pays comme la Chine et l’Inde. Un renflouement du FMI, c’est comme si on vous jetait une bouée de sauvetage alors que vous êtes échoué au milieu de l’océan. Cela peut offrir un sursis temporaire, mais il n’est pas une solution et ne garantit certainement pas la survie. Il ne fait que perdurer la même situation : se battre pour garder la tête hors de l’eau.

Les tentatives révolutionnaires d’aujourd’hui commencent dans l’isolement, exposées à la répression parce qu’il n’est dans l’intérêt d’aucune puissance existante de les soutenir. Les explosions sporadiques de la contestation révolutionnaire sont contrées par une organisation internationale de la répression, fonctionnant avec une division globale des tâches. Jusqu’à présent, aucune organisation pratique de l’internationalisme révolutionnaire n’existe pour soutenir le mouvement au Sri Lanka. Pourtant, ce n’est que par l’approfondissement de cette séquence de luttes, et au sein des constellations de forces qui pourraient en émerger, qu’un internationalisme pratique, capable de rompre l’isolement des tentatives révolutionnaires, peut devenir possible [9].

XIII.

Les révolutions trouvent toujours une forme adéquate à leur contenu et à leur situation. Dans GotaGoGama et la prolifération des occupations qui en sont issues, nous apercevons l’ébauche de ce que certains ont commencé à appeler la commune de Galle Face. La commune fournit une base possible pour la révolution sociale. La commune peut se lire à travers les pratiques dans lesquelles le mouvement prend soin de lui-même et se reproduit, dans ses efforts pour surmonter les séparations de la société capitaliste et dans sa tendance à l’expansion. À chaque avancée de la lutte, le mouvement d’occupation s’est étendu : le campement de Galle Face s’est agrandi, de nouveaux campements ont vu le jour, de nouveaux bâtiments ont été occupés. Certains manifestants se sont plaints que les médias qualifient les manifestations de « fête sur la plage ». Mais la déclaration de la commune est toujours marquée par une fête.

Les occupations fournissent l’espace et le contexte permettant aux participants de se retrouver, de s’organiser et de prendre des initiatives. Elles fournissent l’infrastructure nécessaire au mouvement pour reprendre des forces pendant les accalmies et être prêt à redémarrer à chaque nouvel élan d’agitation plus intense. Il sera toujours plus facile de défendre ces endroits que de les reprendre. C’est toujours plus difficile de taper dans le mille la deuxième fois. Les révolutionnaires égyptiens et soudanais l’ont appris à leurs dépens.

La vie en commun qui a été tentée à Galle Face Greene, sous des tentes, dans le froid, sous la pluie, entourée par la police sous la plus morne des tours de Colombo, n’était certainement pas un déploiement complet de la vita nova – mais elle a révélé à quel point l’existence métropolitaine était triste.

Même si les dernières occupations sont évacuées, cela ne signifie pas que la commune a été éradiquée. Il faut se rappeler que les soviets sont apparus pour la première fois lors de la révolution de 1905, pour réapparaître en 1917.

Tout le pouvoir aux communes.

S. Prasad

[1Pour lire l’article en version originale, c’est par ici https://illwill.com/paper-planes. Nous conseillons aussi la lecture (en anglais) de deux entretiens avec des anarchistes sri lankais, parus eux aussi chez nos amis de Ill Will.

[2Pour une chronologie plus détaillée du soulèvement, voir : “Dispatches from Sri Lanka,” Ill Will, August 10, 2022. Online here.

[3Le mot cinghalais pour Lutte.

[4Voir David Graeber, “The Shock of Victory” (2008). Online here

[5Voir Endnotes, “L.A. Theses” (2015). Online here.

[6On the geography of insurrection, see “The Kazakh Insurrection,” Ill Will, Feb 23 2022. Online here.

[7Comité invisible, “Répandre l’anarchie, vivre le communisme.” Online here

[8Sur le Soudan, voir “Theses on the Sudan Commune,” Ill Will, April 16 2021. Online here.

[9A ce propos, voir : « The Kazakh Insurrection. » cité plus haut.

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :