Apologie du terrorisme et tribunal de salle des profs

« Si tu continues, je te signale au rectorat ! »

paru dans lundimatin#30, le 5 octobre 2015

Depuis le 13 novembre 2014, nos législateurs ont décidé de remettre au goût du jour le délit d’apologie du terrorisme. Dans les années 1893 et 1894, les lois dites « scélérates » avaient vocation à poursuivre pour délit de presse tous les organes d’informations soutenant les anarchistes, les communistes et autres mécontents. 120 ans plus tard, le code pénal est donc revu afin de cerner et de punir plus adéquatement les comportements déviants. Depuis les attentats de janvier, on ne compte plus les langues qui fourchent et finissent au commissariat et/ou devant des juges, pour avoir exprimé quelques sympathies pour l’ennemi. Enfants, adolescents et adultes, tous ont pu gouter les limites de la « liberté d’expression ».

Dans une petite ville de Seine-Maritime, il semblerait que l’administration d’un collège ait pris le problème à bras le corps. Alors qu’au moment du vote de la loi, il s’agissait de permettre la censure des sites web diffusant des informations géopolitiquement non-conformes, un principal a trouvé opportun d’user de cette incrimination pour punir un élève. Il y a bien longtemps, quelques philosophes qui aujourd’hui n’échapperaient plus à l’incrimination de terrorisme, soulignaient le passage du régime de la loi à celui de la norme. Il s’agirait aujourd’hui d’agir sur les comportements. Un professeur de collège semble l’avoir bien compris : pour punir un élève musulman, quoi de plus efficace qu’une accusation d’apologie du terrorisme.

Nous publions ici le récit de la soeur du collégien.

"Ma mère est au travail quand elle reçoit un appel du collège de mon frère. Au téléphone le principal lui explique que son fils est soupçonné d’apologie du terrorisme. Ma mère est choquée, elle entend mon frère pleurer d’inquiétude.

Mon frère a été enfermé dans leur bureau, où il a subi un genre d’interrogatoire (exactement comme la police). Les questions portaient notamment sur le travail de mon père. Le principal du collège lui montrait des captures d’écran de son profil facebook (c’était seulement ET SEULEMENT DES partages d’images concernant la Palestine et des versets coraniques, avec en photo de couverture « ALLAH »). Ils ont donc montré cela à mon frère en lui disant qu’il faisait clairement de la propagande djihadiste.

Ensuite ma mère est arrivée au collège. Le principal avait renvoyé mon frère en classe, bien avant que ma mère n’arrive. Le principal l’a donc reçue dans son bureau, lui a montré les mêmes captures d’écran, et lui a dit qu’il avait appelé l’académie pour faire un signalement (en bref, ils l’ont accusé avant de voir mes parents et de s’entretenir avec eux). Elle lui répond que ceci n’est rien de grave que ce sont seulement des versets coraniques et des images de la Palestine, qu’il n’y a en aucun cas un lien avec le djihad ou le terrorisme en général et que ceci est une grave erreur de leur part. Mon frère étant « traumatisé » par l’événement, ma mère a gentiment demandé au principal de le laisser rentrer avec elle a la maison pour se reposer. Le principal a refusé fermement. Donc ma mère est rentrée à la maison.

A midi, je rentre chez moi, je suis mise au courant de l’histoire donc évidemment je me mets en colère. Mon frère rentre ensuite et nous explique que c’est un professeur qui est parti « espionner » son compte facebook et qui a pris des captures d’écrans, qui les a ensuite envoyé à la professeure principale de mon frère, pour ensuite les montrer au principal. Je tiens à préciser que ce prof n’a même pas mon frère comme élève, ce qui est d’autant plus choquant et incompréhensible. Le lendemain j’ai décidé d’accompagner mes deux parents au collège dès 8h du matin pour avoir une discussion avec le principal. Sachant que mes parents ont un peu du mal a comprendre les mots techniques et donc à les utiliser, j’ai décidé de moi-même prendre la parole.

Nous arrivons donc au collège de mon frère, le principal nous reçoit. Il dit à ma mere « je vous écoute ». Je prends tout suite l’initiative de prendre la parole et je lui dis : « étant donné que vous profitez un peu du manque de connaissances de mes parents, je vais moi-même prendre la parole, je suis née en France, et je connais mes droits, comment osez-vous porter de telles accusation à l’encontre de mon frère sans aucune preuve ? » Il se sent directement agressé, me demande de me calmer et menace de porter plainte. Je lui réponds que je suis majeure, que je parle comme je veux, je lui demande si je peux voir les captures d’écran que le professeur a prises. Il me les montre et pendant ce temps ma mère lui demande qui est le professeur en question. Il lui répond qu’il ne lui dira pas car ceci est confidentiel, mais pendant qu’ils parlent je regarde discrètement l’écran d’ordinateur. Je vois en fait un email. Je vois un nom, le nom du professeur en question ! (Que j’ai déjà eu d’ailleurs en cours, tout comme mon autre frère, et personnellement je ne suis pas choqué car il n’a jamais apprécié les arabes).

Je les coupe donc dans leur discussion et dis au principal « Ah, c’est donc M.**** !! Je ne suis pas du tout étonné !! » Tout de suite le principal change de tête, il comprend que j’ai réussi à lire l’email, il quitte tout de suite la page et je lui dis « pas la peine de le cacher, j’ai déjà lu et je connais le responsable de tous ces problèmes ». J’enchaine sans le laisser parler et je lui dis que ces accusations sont très graves, que ces partages n’ont rien a voir avec le djihad, je lui montre du doigt les versets coraniques en lui disant « savez vous lire l’arabe, pour en déduire qu’il y a quelque chose de mal la dedans ? Vous avez contacté un traducteur ? » Il souffle, et me dit de me calmer, car selon lui je l’agresse. Je réponds donc « ah vous soufflez ! Je vous agresse ? Non, vous vous sentez juste offensé car vous savez que j’ai raison et que vous avez tort ». Il me dit « ah, ça non, je ne vous permets pas de m’adresser la parole comme ça. » Ma mère commence à crier, elle était vraiment stressée et n’avait pas dormi de la nuit (en plus de ça elle a un problème de coeur, ce qui l’a affaibli). Mon père essaie de calmer la situation (il était beaucoup trop calme d’ailleurs, alors qu’on l’accusait a tort lui aussi, puisqu’on a questionné mon frère à son sujet). Ensuite le principal appelle le principal adjoint.

Je continue à me révolter, le principal adjoint commence à me parler et me dit de me calmer tout de suite ou sinon l’entretien risque de se terminer, mais moi et mes parents restons ferme : nous n’allons pas bouger du bureau. Ensuite, je leur dis que ce n’est pas normal du tout, que ce sont des accusations sans preuve, le principal adjoint ajoute : « ah bah en même temps, quand on partage des propos d’apologie du terrorisme c’est normal ». Je réponds : « mais vous êtes sérieux dans ce que vous dites ? M. **** vous a retourné le cerveau, vous êtes là depuis à peine 1 mois et vous jugez sans connaitre, sans même vous entretenir avec la famille. M.**** est un raciste, ça ne date pas d’hier et il vous a influencé ! ». Le principal adjoint me coupe la parole et hausse le ton : « je ne vous permets pas de dire cela ! Ce que vous dites c’est de la diffamation ». Je le coupe et lui dis « ah donc moi ce que je dis c’est de la diffamation ? Mais ce que vous faites maintenant avec mon frère ce n’est pas de la diffamation ? Accuser un petit de 14 ans d’apologie de terrorisme, ce n’est pas de la diffamation ?!! »

Je sors très énervée du bureau. J’essaye de contenir mes larmes. Le CPE que je connaissais déjà vient et me dit qu’il ne faut pas s’énerver (lui était très calme avec moi et me parlait sans être méchant) et là je n’arrive plus à me retenir et je me mets donc a pleurer et à crier. Ils m’ont tellement énervée que je suis devenue vulgaire. Par exemple, j’ai crié devant le bureau « vous me cassez les couilles (hachekoum) depuis Charlie Hebdo, vous nous stigmatisez sans cesse, ça va 5 min, ça ça se passe partout en France pas qu’ici, aujourd’hui c’est nous, demain ça sera quelqu’un d’autre !! Y en a marre !! »

Le principal dit à ma mère qu’il n’accuse pas mon frère, au contraire, qu’il a fait cela pour nous aider. Ma mere lui dit d’arrêter de nous prendre pour des cons, qu’il n’avait pas à appeler l’Académie avant de s’entretenir avec elle et mon père, et il lui repond que ce sont les procedures, que c’est obligatoire. Donc ensuite, ma mère insiste et lui dit que ce n’est pas normal du tout, qu’il n’avait pas à appeler l’académie . Donc on sort tous du bureau, on reste dans le hall et je commence à leur dire que ça ne se passera pas comme ça, que M ***** aura à faire à nous et je leur dis de bien lui faire passer le message : on est au courant que c’est lui.

On est rentrés à la maison. De suite, j’ai appelé l’académie. J’ai parlé à la responsable « Vie Scolaire » qui a dit que ça n’allait pas prendre une grande ampleur. Je lui ai expliqué que c’était grave, qu’ils l’avaient accusé a tort, qu’ils avaient sali son dossier scolaire, que maintenant il allait être surveillé toute sa vie. Elle me répétait que non, mais bon, on sait tous que ce n’est pas vrai. Le lendemain, le principal appelle ma mère, il lui dit qu’il veut bien la recevoir la semaine prochaine pour reparler de tout ça. Ma mere lui dit qu’elle n’a plus rien à leur dire puisqu’ils ne veulent, de toute façon, pas l’écouter. Elle lui dit qu’elle veut absolument voir le professeur en question pour régler l’histoire et comprendre pourquoi il allait en dehors du cadre scolaire espionner le facebook d’un élève qu’il n’a même pas en classe. Il lui dit que le prof n’est pas là (toujours la meme excuse sachant que c’est la 2e fois qu’il lui dit la même chose). Ensuite il dit qu’il est prêt à la recevoir mais SANS sa fille (moi). (En bref j’ouvre trop ma gueule et il sait qu’il ne pourra pas m’avoir niveau droits etc, donc il veut a tout prix ne parler qu’avec ma mère qui elle, ne comprend pas tout)

Ensuite il a expliqué à ma mère que ce n’est pas le professeur qui avait vu les partage de mon frère mais que l’académie le suivait bien avant cela ! Ce qui est un pur mensonge car on n’a jamais reçu d’appels, lettres ou quoi que ce soit, on n’a jamais eu de problème auparavant avec mon frère El hamdulilah. Donc j’ai pris le téléphone et j’ai commencé à lui dire : « vous nous avez pris pour des montons, on est pas cons, c’est faux ce que vous dites. Vous voulez nous empêcher de voir le professeur car vous savez que c’est par votre faute que j’ai découvert de qui il s’agissait, mais je vous rassure nous n’allons pas nous laisser faire ». Il me coupe et me dit « je ne vous adresse pas la parole à vous ! Passez moi votre maman ». Je lui dis « non je ne vous passerai pas ma mère, car elle en a marre de cette histoire, vous voulez lui retourner le cerveau avec vos mensonges mais ça ne marchera pas avec moi !! La victime est mon frère donc j’ai tous les droits de donner mon avis, vous pouvez donc faire passer le message a votre collègue (le professeur) que nous allons porter plainte pour atteinte a la vie privée ! Sachant que mon frere est mineur même si ceci était sur son compte facebook : de 1 ce professeur n’avait rien à faire sur son profil et de 2 il n’y avait absolument rien qui prônait la haine dans ses publications. Je n’ai pas attendu qu’il réponde j’ai passé directement le téléphone à ma mere. Elle lui a dit « je veux prendre un rdv avec M. **** ». Il lui a répondu que ce n’était pas possible pour le moment. Elle lui a dit « okay pas de soucis alors je viendrai moi même le voir au collège ne vous inquiétez pas ». Elle a raccroché.

Mon frère ne se sent pas bien, il pleure, ne veut plus aller à l’école, il a peur, il est inquiet. Ma mère ne se sent pas bien (baisse de tension, etc.) La famille est très stressée par cet événement et un certificat medical a été fait pour mon frère (il a notamment des medicaments anti stress a prendre).

Ah oui, j’ai aussi oublié de dire que le principal a voulu nous « mettre encore plus dans la merde » en nous donnant un numéro vert pour parler à des conseillers pour les dérives etc !!! J’ai déchiré le papier directement, il a dit que c’était pour nous aider ! En bref pour lui nous n’étions pas normaux et donc selon lui on avait besoin d’être conseillés !! Honteux."

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