Appel du Caire

« Donc depuis aujourd’hui, on ne sait pas exactement ce qui se passe autour du palais présidentiel, mais en gros, la police (ou l’armée, ou que sais-je) a décidé d’élever les murs du palais parce que ça fait plusieurs jours qu’on lance dessus des cocktails Molotov, des pierres, etc., et c’est à peu près tout ce qui se passe maintenant au Caire à part des confrontations près du centre ville. »

paru dans lundimatin#30, le 5 octobre 2015

Le 9 février 2013 un ami français s’entretenait avec un ami égyptien. Ils en ont fait un concert et un CD. Pour conclure notre série d’article sur la révolution égyptienne.

Julien : « Ah oui, et tu sais au fait, on a oublié de te dire qu’on joue plus tôt que prévu, parce qu’il y eu interversion… »

Aalam : « Ah bon, heureusement que tu me le dit. »

Julien : « Il y a eu interversion entre, euh… »

Aalam : « Entre la première partie et vous ? »

Julien : « Voila, et donc on va jouer à 8h. »

Aalam : « Ah putain, heureusement que tu me le dit ! »

Julien : « 8h30 »

Aalam : « D’accord. Donc ça sera 21h30 chez moi. »

Julien : « Voila »

Aalam : « OK »

Julien : « Et je t’appellerai un petit peu avant que ça commence. »

Aalam : « Ok, ça marche… Ça roule. »

Aalam : « Donc moi, ce que je voudrais faire là, c’est aller au palais présidentiel. Comme ça, quand vous m’appelez, je suis là-bas. Et si je n’y arrive pas pour une raison X…. »

Les lieux communs II

Aalam : "Donc voila, donc, et ça depuis le 19 novembre, c’est un flot ininterrompu de combats de rue, de confrontations entre la police, la police en civil, les services secrets, etc., et des manifestants et des mômes.

…des actes de résistance. Donc, qui se défendent, c’est à dire avec des moyens de légitime défense qui sont les cocktails Molotov et les pierres. Et c’est la destruction, en fait, des symboles d’Etat et de la présence policière. Et c’est ça que l’Etat essaye de black-lister comme une espèce de chose…, de terrorisme, de machin truc etc., enfin bon, toute les âneries auxquelles on est absolument habitués."

Dans le taxi

Aalam : « Je disais que j’essaye d’aller vers le palais présidentiel, et c’est un peu compliqué. »

Julien : « Tu es loin, encore ? »

Aalam : « Ouais, en fait, c’est qu’il y a plus de flics en civil que d’habitants. Là, je suis dans un taxi, en fait. »

Julien : « D’accord »

Aalam : "Bon, là ça semble, euh… En fait, je vais devoir sans doute m’arrêter quelque part et continuer à pieds. Il y a un black out, j’ai aucune idée de ce qui se passe autour du palais présidentiel… Le chauffeur demande si on peut passer par une rue adjacente…
Donc depuis aujourd’hui, on ne sait pas exactement ce qui se passe autour du palais présidentiel, mais en gros, la police (ou l’armée, ou que sais-je) a décidé d’élever les murs du palais parce que ça fait plusieurs jours qu’on lance dessus des cocktails Molotov, des pierres, etc., et c’est à peu près tout ce qui se passe maintenant au Caire à part des confrontations près du centre ville. Le reste, en réalité, c’est surtout dans les provinces que ça se passe. Ça c’est complètement différent. On a pas vu ça depuis deux ans. C’est vraiment toute les villes de province qui se soulèvent, qui se rebellent, qui sont en révolte contre tous les symboles de l’Etat, c’est à dire les mairies, les postes de police. C’est drôle parce que cette révolution, de A jusqu’à Z, aura été contre la police, contre l’Etat policier. Et ça continue.

Là je crois que je suis en train d’approcher.

C’est bizarre, ce qui apparaît maintenant, c’est la faillite complète des politiques, c’est à dire les partis, l’opposition, le gouvernement, l’Etat.
Et en même temps ce qui est malheureux c’est la difficulté de dépasser ce qu’il y a maintenant, c’est à dire une résistance continue. La résistance maintenant ce n’est plus une question de révolution, mais une résistance organisée, qui reste quand même sans leader. Et les partis se donnent l’illusion qu’ils dirigent ce qu’il se passe, mais en fait ils ne dirigent rien du tout.

Et je crois que ce qui aura sauvé ce qui se passe en Egypte jusqu’à maintenant, c’est qu’il n’y a pas de leader de cette révolution. C’est cela peut-être la chose la plus désarçonnante pour la police, pour l’Etat, pour le gouvernement. Il n’y a aucune tête à couper pour que cette chose s’arrête. Et je me demande si ça n’est pas une espèce d’intuition qu’on a eue, comme un virus qui mute en permanence pour préserver son existence, c’est cette façon qu’on a eue de conserver cette organisation populaire, sans hiérarchie, complètement horizontale, organique, diffuse. Et je crois que c’est ce qui est extrêmement énervant, mais qui donne aussi de l’espoir, et qui donne du souffle à ce mouvement. Et quand même, ça fait deux ans !
Deux ans….« Julien : »Est-ce que tu penses que l’organisation horizontale dont tu parles est capable de produire une situation irréversible qui empêcherait que le même processus qui a déjà eu lieu, à savoir des élections et que n’importe quel gouvernement, comme espèce de dernier rempart contre le chaos, s’impose de nouveau et recommence la même farce ?« Aalam : »En fait il y a un désaveu complet de tout ces processus, c’est à dire : voila un processus démocratique qui amène un facho, le président. Et une clique de fachos, c’est à dire les Frères Musulmans et les mouvements islamistes. Et ils ont beau clamer la légitimité des urnes, cela fait rire tout le monde ! Et tout le monde a des réponses toutes faites, c’est à dire que le Hamas aussi a été élu démocratiquement, qu’Adolf Hitler a été choisi par voie d’élection, etc., que le vote en lui-même n’est pas une finalité, et n’est pas l’expression de la démocratie. Il y a eu beaucoup de boycott des élections. Le parlement à été voté par une minorité, peut-être 25% de la population. Les élections sénatoriales ont obtenu la participation de 5%, c’est rien. Donc on ne croit pas du tout à ces processus.

Donc, ce que je voulais dire, c’est que en tout cas ici, et je ne sais pas, peut-être que c’est un sentiment que l’on a ailleurs, c’est que c’est plus qu’un problème d’une démocratie qui est malade, ou qui se cherche, ou je ne sais quoi, c’est que il y a une division entre la population et l’Etat, que l’un ne représente pas l’autre. C’est un sentiment que j’ai même eu en France, d’ailleurs, ou dans d’autres pays. Il y a comme une dépossession de ce que c’est que vivre qui s’opère par l’existence d’un Etat, par l’existence d’une délégation de tout ce qui fait la vie, c’est à dire les institutions, les écoles, le nettoyage de la rue, etc. Depuis deux ans nous sommes en crise avec cette vie-là dont nous sommes dépossédés au quotidien et on arrive a faire des choses très réussies, c’est à dire quand il y a un problème on le résout nous-même, on s’organise nous-même pour le faire. Cela me rappelle par exemple les usines auto-gérées, mais prendre le principe des usines auto-gérées et l’étendre à toute sorte d’autres domaines. C’est d’une certaine manière ce qu’est sensé faire le mouvement Occupy. C’est à dire d’occuper les espaces, de se les ré-approprier, de les gérer soi-même, et de reprendre le pouvoir en fait. Et ce qui est curieux, c’est que, alors que c’est un gouvernement qu’on a élu, on se trouve en face de ce gouvernement, et en face de ses fusils, de ses cartouches, de ses gaz lacrymogènes…

Aalam : « La question qu’on se pose toujours, c’est : quelle est l’alternative ? C’est à dire : quelle est l’alternative aux frères musulmans, quelle es l’alternative à l’armée. L’armée par exemple, se réjouit naturellement parce qu’elle se dit : chic bravo, on revient au pouvoir. Elle fait croire à tout le monde que sans elle le pays s’écroule, l’Etat s’écroule parce qu’il n’y a pas d’alternative, pas d’opposition crédible, mais en fait ce qui doucement est en train de se passer, peut-être que la chose n’est pas encore formulée, mais que l’alternative c’est précisément nous, c’est à dire ceux qui ont réussi à s’organiser tout seuls, à faire des hôpitaux tous seuls, à s’occuper de la sécurité tous seuls, à combattre les agressions sexuelles organisées, et politiques d’ailleurs, des femmes, c’est à dire à constituer carrément des bataillons qui se battent contre ça dans la rue, avec des organisations super efficaces. Donc en fait il y a des alternatives populaires. C’est ça que moi je voudrais, et d’autres, répandre, c’est l’idée que l’alternative c’est tout simplement nous. »

Spring Roll/Printemps

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