Apaches de Romain Quirot

[Chronique Ciné]

paru dans lundimatin#383, le 16 mai 2023

Le 29 mars dernier est sorti en salle le dernier film de Romain Quirot, Apaches. C’est le récit d’une vengeance féminine assez « classique » et consensuelle, comme une ombre qui hante le scénario et l’histoire de l’anarchie : une sorte de fable féministe historisante.

La séquence d’ouverture est étonnante : on s’attendait à découvrir la bande des apaches, ces bandits anarchistes de Belleville et on se trouve avec des ados qui dévalisent Sarah Bernard. En fait, on découvre les apaches depuis le point de vue d’une gamine des rues qui bosse pour eux. Mettre au centre du scénario une orpheline en marge c’est un peu surprenant. Même si le geste de mettre au premier plan une héroïne badass est grave à la mode, ça donne au film un côté intriguant.

Bon, après c’est un peu classique : la gamine est une victime totale. A la rue, voleuse par nécessité, son frère est tué étant gamin par la bande à Jesus. Elle décide de le venger et de devenir elle-même une apache. Billie poursuivra tout le long du film sa vengeance au nom des faibles parmi les faibles : femmes, orphelins, enfants.

Mais à travers cette vengeance féminine assez « classique » et consensuelle (ici par exemple la question du viol n’est pas vraiment posée) on peut voir se dessiner une sorte de fable féministe, ou du moins penser qu’une ombre féministe plane sur le scénario.

Les scénaristes qui se proposent de raconter les apaches – une bande de braqueurs virils en 1900 – font le choix (par conviction ou par intérêt, en tout cas sous une pression réelle) de mettre au centre du récit une femme. Les prostituées ont une place importante dans la cosmologie apache, l’héroïne n’hésite pas à tuer des hommes et notamment un commissaire de police avec une broche à cheveux (comme les féministes anglaises à la même époque). Bref, le féminisme radical, qui hante la société, hante le film au-delà du simple choix de mettre une femme dans le rôle principale.

C’est là qu’on flippe si on est venue pour voir mis en scène la bande des apaches de Belleville : est-ce-que le féminisme va servir à décrédibiliser les anarchistes, les hors-systèmes, les détrousseurs de bourgeois ; en montrant qu’ils sont finalement pire que les autres, violents, méchants, et surtout machistes ?

Heureusement non, le scénario va dans une tout autre direction : en gagnant leur confiance pour faire parti de la bande et devenir une apache afin d’accomplir sa vengeance, l’héroïne s’attache à eux, se met à les comprendre et même à les aimer. Non seulement elle est aussi violente qu’eux mais le film s’attarde à justifier leur violence commune : les apaches pillent et terrifient dans le cadre de la lutte des classes. Le film baigne dans une ambiance anti-bourgeois tout à fait charmante et pour le moins inhabituelle dans le cinéma français.

Voilà néanmoins le drame dans lequel est prise l’héroïne : en cherchant sa vengeance, elle a trouvé « la famille qu’elle n’a jamais eue ». Une famille anarchiste avec des vrais valeurs de bande qui, par l’action collective, l’empêche de crever en usine et lui permet de rétablir une justice sociale directe. Cependant, et voilà le drame, maintenant qu’elle fait partie de la bande, elle doit la détruire au nom de son frère mort et de son projet de vengeance ; c’est d’ailleurs avec tristesse qu’elle tue « l’ours », un des responsables de la mort de son frère, devenu son ami.

C’est ici que l’on peut commencer à lire la fable féministe qui nous intéresse et qui semble s’écrire à travers le film : la femme-enfant-victime trouve sa force non pas dans la dénonciation des apaches mais dans un devenir-apache, un devenir-anarchiste (qui est une bande, une famille et une violence « sauvage » débridée) bien loin de l’idéal féminin que continue pourtant d’incarner l’actrice (jolie, blonde, sérieuse). Un genre de personnage-féminin-qui-vrille donc, sur le modele de celles qu’on trouve chez des écrivaines comme Lola Lafon ou Virginie Despentes.

Ce personnage féminin, qui s’empare de la lutte des classes et de la violence en rejoignant la bande des apaches, vient questionner l’histoire de l’anarchie dans un de ses plus vieux mythes : les bandits sociaux de 1900 – qui précèdent la résistance armée du prolétariat qui aura lieu tout au long du 20e siècle.

Le film ne cache pas son lien avec l’histoire. Les apaches est un film vite fait mal fait, globalement très pauvre cinématographiquement (pas de décors, des personnages un peu schématiques, pas de recherche de montage, tout pour le scénario, etc.) mais le seul effet de style, un jeu un peu marrant avec des vrais/fausses archives de 1900, souligne le rapport qu’entretient le scénario avec l’histoire. Régulièrement des archives d’époque reviennent, accompagnées d’un discours critique du progrès ; ici un avion se crache, là l’exposition universelle montre des humains comme des objets : le film porte bien une critique historisante, mais laquelle ?

En rejoignant la violence armée des apaches, l’héroïne trouve une famille, la femme trouve une pratique de la violence, la prolétaire des camarades, et le scénario rajoute à cette histoire romantique un personnage qui avait été oublié : la femme-bandit-violente-qui-vrille.

Sauf que le scénario ramène aussi un problème qui sera celui du féminisme : au sein de ces groupes qui portent la lutte des classes, il y a une violence interne contre les enfants et contre les femmes. Si la violence sexuelle n’est pas explicite dans le film elle est sous-jacente : le personnage de Jesus, mi Che Guevara beau gosse mi pervers narcissique qui a rendu fou son ex en est un symbole criant.

Cette violence interne – dont l’héroïne cherche à se venger, car elle a mené à la mort de son frère – est ce qui l’empêche d’être véritablement une apache (ce n’est ni le fait qu’elle soit une femme, ni que ce soit trop violent). C’est pourquoi on peut dire que cette histoire raconte à travers un vieux mythe du mouvement ouvrier un drame historique qui aura lieu tout au long du 20e siècle : le lien douloureux et conflictuel entre le féminisme et les groupes menant la lutte des classes.

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