Airbnb en Procès ?

Quatre multipropriétaires de « meublés touristiques » devant les tribunaux de Marseille !

paru dans lundimatin#492, le 17 octobre 2025

Les lundis 13 et 20 octobre 2025 se tiendra à Marseille le procès de quatre gros propriétaires de AirBNB. La Ville, après des années de Far-West dans le business du dit « meublé de saison », attaque quelques gros propriétaires pour « non-respect de la réglementation sur les locations saisonnières »… Et en faire, dit-elle, « un exemple ». Haro sur la touristification et la gentrification de la cité phocéenne ?

Se retrouveront à l’audience (s’ils s’y présentent) quatre investisseurs, près de 40 logements, 7 immeubles volés aux Marseillais.es. Dont un en arrêté de péril au moment du lancement de la procédure... Et désormais un deuxième, placé en urgence en « sécurité » et vidé d’une partie de ses habitants le weekend du 4 octobre (voir « Medhi Guenouni, l’investisseur parisien et l’eldorado marseillais »).

Une quarantaine de logements donc... des multi-propriétaires qui en possèdent plusieurs voire des dizaines, font des milliers d’euros de chiffre d’affaire par an (plus de 20 000 euros en moyenne par tête), et qui se torchent parfois, face caméra, avec la loi et les besoins en logement de la population marseillaise.

Comme Vincent Challier, ce chirurgien du Périgord repéré dès la fin d’année 2023 par les habitant.es du quartier des Réformés [1] avec son immeuble où un incessant défilé de valises à roulettes commençait à faire tâche. Et déclarant pépère dans la foulée aux micros de Complément d’enquête se trouver en « flagrant délit d’illégalité » mais affirmant s’être seulement « débrouillé ». Pauvre Vincent.

Après avoir prétexté en plein hiver 2021 un arrêté de péril afin d’en expulser les occupants par la préfecture, l’horrible personnage a entretemps découpé, à la façon des marchands de sommeil à l’ancienne, tout l’immeuble et placé 14 chambres en Airbnb sans la moindre autorisation, avec un bel espace dit de co-living. Pour « adoucir » les taxes comme on dit.

Crevardise ou procès du mal-logement 2.0. ? « C’est Marseille bébé ! »

Ces lundis 13 et 20 octobre comparaîtront 4 beaux exemples de la crevardise générée par l’économie de plateforme. L’hospitalité 2.0., l’opacité des annonces et des pratiques, le contournement généralisé des règles pour amasser profit et rentabilité sur le dos des habitant.es. Les audiences sont bien faites, et mixeront habilement :

  • le « capital étranger » (étranger à Marseille s’entend), et ces investisseurs qui, comme Vincent Challier, le périgordien ayant racheté le 30 rue Thiers et rebaptisé le « tueur du quartier », ou le parisien Medhi Guenouni, propriétaire du 31 rue Barthélémy, déboulent sur la cité phocéenne depuis le fameux été 2020. Eldorado touristique post Covid, tout le monde comprend alors qu’à Marseille, aucune réglementation ne freine la « renta » pour un prix du mètre carré équivalent à celui des plus pauvres des communes du 9.3., et plein de taudis.

Mais au royaume de la crevardise, ils auront fort à faire avec :

  • le « capital autochtone », nos bons petits Marseillais à l’ancienne, composé, d’un côté, des époux Chevalier, aux immeubles entiers avec pour seuls intermédiaires de beaux boîtiers électroniques comme au 38 rue du Progrès, et d’autres loués en Airbnb malgré pourtant des arrêtés de péril comme rue Vacon, et de l’autre, les époux Bonefay, exploitant n’importe comment plusieurs Airbnb au 165 de la rue Consolat.
Fausse Une du Point collée sur la mairie de Marseille lors de la marche « du taudis au airbn » du 5 novembre 2023

Dès 2022 en réalité, 16 000 annonces Airbnb étaient recensées à Marseille, 400% d’augmentation en à peine 5 ans. La cité phocéenne, peu après les effondrements de la rue d’Aubagne le 5 novembre 2018, est vite devenu un eldorado à crevards 2.0.

Reconvertir des taudis, obligation de rénovation face à l’insalubrité massive, débarquement des touristes dans des quartiers à forte « renta » (soit pas chers et délabrés)… l’appât du gain a vite produit ses effets. Délogements en pagaille, contournements et bordel généralisé. Et malgré les nombreuses réglementations prises depuis, on compte encore 12 760 très officielles annonces, affirme la mairie à quelques semaines du procès. Pour seulement 1 300 locations disponibles à l’année en location ordinaire alors qu’on en comptait près de 13 000 en 2018.

Pas besoin de chercher très loin pourquoi tant de monde galère depuis à trouver un logement. Sans même parler de l’explosion des loyers. Entre 25 000 à 30 000 personnes ont été privées de logement grâce aux business des plateformes et de cette nouvelle moula pour blaireaux qui s’affichent parfois tout à fait publiquement sur leurs comptes Insta, vantent leurs combines pour revendre des taudis ou passer à côté des taxes et des réglementations.

Florent Richard, coach en immobilier faisant la promo sur Instagram du rachat d’immeubles dégradés pour les placer en « meublé touristique » à Marseille.

D’après les chiffres (enfin) délivrés par la mairie de Marseille, qui attendait le ruissellement tant promis, ce sont même finalement 40% des annonces qui s’avèrent en réalité frauduleuses.

Ce qui n’empêche pas le nouveau syndicat des propriétaires AirBNB, créé en février 2025 à Marseille - ledit « Syndicat des professionnels de la location meublée  » – d’attaquer les dernières mesures mises en place par la Ville pour limiter la prédation (en abaissant par exemple à 90 nuits par an les locations touristiques dans les résidences principales et en imposant l’obligation de compenser par du logement longue durée tout logement placé en meublé touristique dans une résidence secondaire).

6 000 annonces frauduleuses. « Les fraudeurs, c’est vous ! »

Face à cette situation, la mairie a longtemps brillé par son absence. Ou feint de croire que dans la capitale de l’insalubrité, les propriétaires vertueux joueraient le jeu de la « grande rénovation de Marseille ». Elle a surtout cherché à collecter la fameuse taxe de séjour, et d’assez rapidement constater que... tout ce beau monde ne respectait pas le jeu pourtant tant vanté. Même avec les durcissement de la réglementation en 2022 et 2023, le chaos a continué à se propager. Et beaucoup ne s’en cachaient pas vraiment d’ailleurs.

Capture écran forum « Airbnb Propriétaires France », janvier 2023

Il a pourtant fallu attendre les premiers saccages de printemps, dans ces appartements du Prado ou de La Plaine, par des voisins en colère, les innombrables tags et affiches en ville, enfin les destructions de boites à clés par centaines, pour que la Ville officialise puis double les effectifs de sa brigade de contrôle des Airbnb. Il faut dire qu’à l’automne, une brigade de « Marseillais.es du centre-ville » avait annoncé son intention de « jeter les touristes dans le Vieux port » si la situation perdurait, après un rapt de dizaines de boites à clés reversées en mairie empaquetées dans une valise à roulette.

« C’est la réglementation la plus stricte et la plus forte de France pour lutter contre les meublés de tourisme »
Patrick Amico, maire-adjoint au logement à la Ville de Marseille, Le Monde, 8 octobre 2025

Les fraudes étaient devenues évidentes, et le ras-le-bol marseillais tout autant. Il faut pourtant attendre la fin 2024 pour voir les premières mises en demeure distribuées par la Ville chez certains propriétaires, parfois dénoncés depuis deux ou trois ans.

La faute aux Jeux Olympiques ? Aux 4 millions d’euros de taxe de séjour récoltés au 1er janvier de cette année-là ? Aux désormais 40% de fraude dans le business supposé si régulier ?

La situation a de quoi faire réfléchir surtout quand, depuis des années, collectifs militants et habitant.e.s répètent que les marchands de sommeil sont en train de se reconvertir, profitent du « meublé touristique » pour éviter le permis de louer à Noailles [2], quartier meurtri par les effondrements et les délogements. Dès 2019, l’association « Un centre ville pour tous » prévenait de la dérive. Car, derrière la communication rodée du mastodonte numérique, de la théorie du « petit coin de canapé sympa pour finir les fins de mois », derrière les propriétaires-occupants stylés genre Yannick Nobile (le communicant de la plateforme à Marseille), beaucoup captent assez vite que le tout sert avant tout à engraisser véreux, gros investisseurs et, par dessus le marché, détruit une bonne partie du parc de logements encore accessible aux Marseillais.es. Devra-t-on atteindre les 99% de fraudes pour en arriver à la conclusion qui s’impose ?

Medhi Guenouni, l’investisseur parisien et l’eldorado sans habitant.es

Avec le procès du 13 octobre, la Ville de Marseille, sous la pression des luttes d’hier, et des élections municipales de demain, veut faire des exemples : attaquer l’arbre qui cache la forêt en mettant en lumière quelques-uns. Et il faut dire qu’entre des Challier et Chevalier, des Guenouni ou des Bonefay, notre cœur (ou le vomi) balance. Chevalier, plombier chauffagiste, louait encore en Airbnb il y a quelques semaines un immeuble sous arrêté de péril rue Vacon, au milieu des rénovations tous azimuts et des touristes qui inondent le Vieux Port.

Vincent Challier, on l’a vu, exotique périgordien à Marseille, a vite saisi comment exploiter le trauma de la rue d’Aubagne, les peurs des effondrements, pour en dégager les habitants rue Adolphe Thiers, passer à côté de toutes les réglementations et augmenter sa rentabilité, à distance.

La palme de l’automne 2025 revient pourtant probablement au parisien Medhi Guenouni, maître es plateau-télé France 24, et qui, dans le bel immeuble résidentiel du quartier des Réformés, au 31 de la rue Barthélémy, vient de réussir le tour de force de mettre en danger habitants et structure du bâtiment à la veille du procès :

« Aujourd’hui, l’immeuble est quasiment vide. Il y a 5 logements au rez-de-chaussée, en Airbnb ou en bail mobilité [3]. 4 autres au 1er où le proprio a déjà tout découpé. Son projet, c’est d’en faire 4 à nouveau au 4e. Petit souci, il n’a jamais eu l’autorisation pour ces travaux. Les rachats se sont effectués entre 2020 et 2022. L’immeuble passe alors de proprio, racheté par les Benjamin puis par Guenouni. Entretemps, les premiers avaient viré un squat et tendu l’atmosphère ».
Un lanceur d’alerte, 8 octobre 2025

Car, au milieu du printemps 2022, l’aventure mafieuse du 31 se répand. Des occupants sans titre et même certains locataires sont empêchés d’accéder au bâtiment, face à d’étranges gros bras qui ferment l’accès.

« On s’est retrouvé face à des gars qui jouaient les faux-policiers avec brassard et ont évacué en prétextant que le nouveau propriétaire se retrouvait à la rue avec des enfants en bas-âge à cause de l’occupation par les squatteurs. Place en crèche du petit à l’appui... Ils ont ensuite brandi de faux Cerfa ayant constaté de l’amiante et concluant qu’à ces dates personne n’occupait l’appartement squatté... Bon, le tout frisait le délire de cette famille d’ultra riches, les Benjamin, au point d’en devenir contreproductif. Comme ça marchait pas, ils ont envoyé une vraie compagnie de sécurité privée mafieuse, Black Corps, chargée de lutter et mettre dehors (illégalement) les squatteurs, avec leur chef Jean-Christophe ».
Un délogé du 31 au printemps 2022, octobre 2025

Le tout aurait pu alerter les pouvoirs publics, avec tout ce beau monde zonant nuit et jour face à la petite école du quartier.

« Une fois les squatteurs partis, Guenouni rachète à l’été 2022. Il file 3 000 euros aux locataires du 1er qui se sont barrés et lance les travaux dès septembre. Tout était dans l’illégalité mais quand les gens voient une revente, d’un proprio à un autre, tout le monde pense au départ qu’il est dans son bon droit. Bref, Guenouni fait tout découper au 1er étage. Mais, à l’automne 2024, les travaux reprennent. Là, les ouvriers attaquent les combles, sans la moindre déclaration. Ils construisent aussi un local de chantier énorme dans la cour. Là, les riverains commencent à se méfier. L’un d’eux alerte les services de la Ville, qui fait logiquement intervenir le service de l’urbanisme, et l’inspection du travail, comprenant que, depuis le départ, le gars devait avoir un permis de construire qu’il n’a jamais demandé, l’autorisation de mettre les appartements en Airbnb qu’il n’a jamais eue et que des ouvriers ne sont pas censés dormir dans les gravats qu’ils produisent eux-mêmes. Bref, l’inspection du travail et l’urbanisme arrivent super vite. Les travaux s’arrêtent, l’espace de chantier dans la cour est réduit au strict minimum légal »
(un lanceur d’alerte, 8 octobre 2025)

Mais Le sieur Guenouni n’est pas de ceux qu’on effraye si facilement. A 800 kilomètres, bravant les interdits depuis son appartement rue du Chevalier de la Barre, dans le 18e arrondissement de Paris, il s’élance dans une énième bataille :

« Le gars prépare une contre visite en juin 2025 pour relancer les travaux. Et là, on assiste à quelques ajustements minimaux pour tenir compte du droit de l’urbanisme et d’éventuelles poursuites. Le local de la cour, 20m2 de buanderie sauvage, prend un coup d’essorage et est réduit à 3m2, la taille légale d’un abri de jardin, sans permis. Les machines à laver et les sèche-linge entassées dedans sont serrées. Pour l’image, une ancienne femme de ménage, de l’équipe qui régulièrement lave, sèche, plie, remplace la literie des Airbnb et qui présente super bien est finalement promue au rang d’agente immobilière. Une petite dame, d’origine asiatique, dont le propriétaire sait pertinemment que personne ne va vouloir l’embrouiller, qui fait visiter les studios en placo pour étudiant.es et autres travailleurs.euses de passage ».

Un lanceur d’alerte, 8 octobre 2025

Et qui passe mieux, selon certains riverains encore, que le gérant d’un mètre 90 qui met des coups de pression en permanence aux habitant.es. La prratique épurée de l’usage à triple ou quadruple détente de la « femme de ménage », souvent payée le prix d’un seul boulot (et encore), est d’ailleurs une de ces pratiques courantes des gros investisseurs Airbnb, comme le rappellent ouvertement certains crevards bien connus des réseaux sociaux.

Mais voilà, trois mois après la contre-visite, Medhi Guenouni, pourtant à dix jours de son procès, envoie du lourd. Il fait relancer les travaux, toujours illégaux, tant et si bien qu’en cherchant à multiplier les surfaces à louer, il fait exploser certains murs supposés non porteurs qui l’étaient devenus avec le temps.

« En quelques jours, ils ont tout pété, tout détruit. C’est samedi, en revenant, qu’on a découvert de grosses fissures. Les portes ne fermaient plus, le sol s’affaissait. C’était la panique totale. »
(Julie, délogée du 31 le 4 octobre au soir, cité dans La Marseillaise, 08 octobre 2025)

Appelé en urgence par un des habitant.es, un architecte et ancien expert de la ville, constate le désastre. Il lance l’alerte aux marins pompiers et techniciens de la ville qui collent un arrêté de péril sur les 3e et 4e étages, face au gérant qui beugle, intimide et harcèle des occupantes en train de faire leur paquetage en urgence.

« J’ai mis 7 ans de vie dans des sacs et là je dors chez des amis »
Julie, délogée du 31 le 4 octobre au soir, La Marseillaise, 08 octobre 2025)

La colère monte. Les traumas de la rue d’Aubagne ressortent. Et ses assassins, ancienne manière ou version 2.0., courent toujours les rues de Marseille.

L’arrêté de péril vite retiré par le propriétaire et des camions de chantier de la Ville pour écouler les gravats du chantier illégal. 8 et 9 octobre 2025.

En finir avec AIRBNB. Des logements pour toutes !

Car la racine du problème reste entière. Et ailleurs que chez les seuls crevards ou les plus gros des investisseurs. Un coup de disqueuse sur trois cadenas accrochés au mobilier urbain, vite repositionnés sur les porte d’entrée ou dans une cage d’escalier, quelques cadenas explosés ou quelques vautours pour faire peur à 300 propriétaires mis en demeure suffiront-ils à réparer les dégâts ? A calmer la colère habitante ? A ramener les 30 000 personnes dégagées de leur logement ? Sans même parler de faire revenir à des niveaux moins délirants des loyers qui poussent toute une partie des Marseillais.es loin de leur quartier ?

Depuis des années, AirBNB et les plateformes transforment l’hospitalité en commerce et en pure rentabilité, nos quartiers en zoo à touristes, les logements en distributeur de billets, légaux ou non. Tant de Marseillais.es n’en peuvent plus, comme dans plein d’autres villes, villages, campagnes. Et combien se taisent par peur de connaître le même sort, acceptent des hausses indues de loyers, l’insalubrité, l’isolement, le délogement. Quand, enfin, certains véreux sont poursuivis, ils remettent bien souvent le couvert en légalisant le tout voire en plaçant les logements en bail mobilité en veux-tu en voilà. Marre d’un business qui détruit la ville et nos quartiers, qui accélère sa gentrification et la touristification contre ses habitant.e.s.

Contre la marchandisation et l’épuration sociale de nos quartiers, un seul procès n’y suffira pas.
Mort au airbnb et à la gentrification !

#Airbnbtuenosquartiers #Mortauxvalisesàroulettes infos - vismaviedemarseillaise@riseup.net

[1Et non par Complément d’enquête ou la Ville comme c’est un peu trop souvent dit depuis.

[2Passé en urgence par la mairie de feu (et pas regretté) Jean-Claude Gaudin pour sauver les meubles après les effondrements et 8 morts de la rue d’Aubagne, le permis de louer imposer en novembre 2019 la visite d’experts de la ville avant toute nouvelle location ou renouvellement de bail dans le périmètre des effondrements. Les plateformes, évitant comme par miracle, l’obligation deviennent alors vite un refuge pour nombre de propriétaires « indélicats ».

[3Le bail mobilité, plaie des villes balnéaires depuis quelques années, permet de mettre en location à des précaires de septembre à juin et de mettre les logements sur les plateformes tout l’été. Beaucoup s’y sont convertis quand les réglementations se sont durcies et ont abaissé le nombre de nuits autorisées dans les résidences principales et mis en place les règles de compensation (très lourdes) dans les résidences secondaires.

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :