A propos de Deux degrés : Les sociétés face au changement climatique, d’Edwin Zaccaï

Il paraît que ça va mal. Très mal. Qu’il faut faire attention. Que la catastrophe n’est pas loin. Qu’il vaudrait mieux tout changer tout de suite...

paru dans lundimatin#219, le 4 décembre 2019

Comment danser quand la terre tourne ?

Comment dormir quand nos lits brûlent ?

Midgnight Oil, Beds Are Burning (traduction en français)

Qu’est-ce que l’homme ? Qu’est-ce que la nature ? Qu’est-ce que la planète ? Qu’est-ce que le réchauffement climatique ? Que faire ? On aligne les questions, on cherche des réponses. On ouvre les bouquins, les journaux. On nous en parle à la télé, à la radio. Il paraît que ça va mal. Très mal. Qu’il faut faire attention. Que la catastrophe n’est pas loin. Qu’il vaudrait mieux tout changer tout de suite, plutôt qu’attendre calmement que les choses empirent sans qu’on sache clairement dans quelle direction aller... Est-ce que ça bouge ou pas ? Il y a des manifestations, des mobilisations, des marches et des occupations. Des gens sont dehors qui crient. D’autres sont dedans qui réfléchissent. Et puis il y a cette jeune Greta que tout le monde aime parce qu’elle veut sauver ce qui reste : maintenant. Il y a des promesses d’action. Parfois un ouragan, ou une tempête. Sociale, environnementale. Ça chauffe dans la rue, et dans l’atmosphère. Est-ce que le fond de l’air redevient rouge, jaune, vert ? Récemment, je lisais un essai intitulé Une nouvelle terre. L’auteur, Dominique Bourg, écrivait ceci : Un scénario à 2 ° C serait par ailleurs loin de constituer une promenade climatique. Il pourrait susciter une débâcle glaciaire dans l’Antarctique avec une montée possible des mers de plusieurs mètres, quatre à cinq, dans les siècles et des vagues géantes, si l’on se fie à certaines études. (Dominique Bourg, Une nouvelle terre, Desclée De Brouwer, 2018, p.38).

« 2 degrés », c’est justement le titre du livre d’Edwin Zaccaï paru cette année aux Presses de Science Po, avec ce sous-titre : Les sociétés face au changement climatique. J’y ai senti une tentative d’affronter notre propre impuissance face aux transformations en cours. Comment se fait-il que nous sachions tant de choses et que nous agissions si peu ? Ou si mal, enfin si lentement. Edwin Zaccaï tâche d’abord de faire le point sur la nature de la menace environnementale. Il dresse un constat éclairant sur les diverses formes de dangers qui planent au-dessus de nos têtes et risquent de se précipiter dans un avenir plus ou moins proche. Sans apocalyptisme aucun, en toute sobriété. S’appuyant sur un large éventail de sources, il rassemble ses connaissances scientifiques et philosophiques pour survoler l’état actuel du Système-Terre. Cette approche transversale est suffisamment rare pour qu’on en souligne l’intérêt pédagogique. Il s’agit bien, pour Edwin Zaccaï, de saisir le changement climatique comme un « prisme particulier par lequel explorer le fonctionnement ou le dysfonctionnement de nos société et la cohérence de nos propres discours. » (p.13) Et, plus encore, on sent que ce mouvement de recherche part d’une nécessité existentielle de se situer. Cela donne à la lecture de l’ouvrage quelque chose d’une urgence mesurée qui permet d’aborder avec sang-froid et lucidité le monde qui vient.

En quatre grands chapitres, l’auteur dessine d’abord un bilan de la « descente impossible » de nos sociétés « piégées dans le carbone » avant d’analyser les différentes « réponses structurelles » produites par des instances publiques ou privées, institutions internationales, entreprises et autres comités d’experts. Le dernier chapitre, sans doute le plus passionnant, s’arrête sur les « modes d’engagement » multiples qui tentent de mettre en place des discours et des pratiques en fonction de leurs intérêts et de leurs visions respectives. Organismes publics, mouvements de transition et mobilisation civique, de mobilisations radicales, révolutions de conscience et même les engagements de type religieux... L’auteur interroge un certain nombre d’initiatives récentes et essaye de composer une réflexion d’ensemble sur la nature de leurs objectifs : entre immobilisme, réforme et révolution. En revenant régulièrement aux images du monde vécu, il opère une sorte de va-et-vient entre l’objectivité de la démarche scientifique et les contradictions d’une expérience quotidienne de la modernité. Comme lorsqu’il déclare :

Un peu comme l’accord de Paris déconnecte les émissions de gaz à effet de serre de leur soubassement énergétique, les choses se passent comme si, dans notre vie ordinaire, nous séparions les désirs et les modèles issus de valeurs culturelles et artistiques de leurs implications en termes de destruction de l’environnement et de perturbation du climat. (p.58).

Prenant acte de ce hiatus, ou de cette déconnexion entre nos modes de vie et les équilibres écologiques modernes, à la racine des menaces climatiques et de leurs conséquences en termes de dégradations humaines et naturelles, cet essai a le mérite d’établir un panorama précis et renseigné des imbrications entre nos activités économiques et les fragments de désirs politiques et spirituels de les modifier. Car la difficulté est la suivante, comme le déclarait Dominique Bourg, nous percevons et ressentons la météo du jour mais non le climat. Le livre d’Edwin Zaccaï nous permet au moins d’éprouver intellectuellement l’espace problématique qui sépare l’homme et la nature, le langage de l’action, et de reposer l’éternelle question : Que faire ? Un élan plein d’espérance, une contribution durablement musicale à la nécessaire réparation du monde. Pour une terre sur laquelle il ferait encore bon danser...

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