A la rencontre de Marc’O

« L’art, c’est toujours l’art d’en sortir »

paru dans lundimatin#198, le 1er juillet 2019

Venez rencontrer Marc’O dimanche 30 juin, à la Parole Errante (Montreuil). Maquisard en Auvergne à quinze ans, marlou de Saint-Germain-des-Près après la guerre, programmateur au Tabou avec Boris Vian, introducteur de la poésie lettriste, producteur du Traité de bave et d’éternité d’Isidore Isou qu’il impose à Cocteau en 1951 à Cannes, éditeur du premier texte de Debord dans la revue Ion, animateur dès les années 1950 du groupe et du journal « Le soulèvement de la jeunesse », inventeur du théâtre musical et d’un théâtre où le comédien n’est plus réduit à interpréter des rôles, mais à créer la pièce elle-même, mentor de la jeune troupe formée entre autres par Bulle Ogier, Jean-Pierre Kalfon, Pierre Clémenti et Jacques Higelin, critique impitoyable des yéyés, de la célébrité et de la télé-réalité (et quasi-inventeur du style punk) dès 1966 avec Les idoles, pionnier de l’occupation des théâtres dès 1967 à Reggio Emilia contre la guerre du Vietnam, co-fondateur avec Monique Wittig et Antoinette Fouque à la Sorbonne en mai 1968 du Comité Révolutionnaire d’Action Culturelle (CRAC), ancêtre du MLF (Mouvement de Libération des Femmes), passeur continu, avec Guattari, entre la France et l’Italie des années 1970, présent à Bologne, toujours avec Guattari, en septembre 1977 lors du fameux Congrès international contre la répression, initiateur en 1979 de l’opéra-rock Flashes rouges porté par la jeune Catherine Ringer, chercheur dans les années 1980 autour des nouvelles possibilités qu’ouvre pour l’image le développement des techniques audiovisuelles, animateur dans les années 1990 avec Cristina Bertelli des Périphériques vous parlent et de la jeune troupe Génération Chaos, où officient des anciens de l’excellent groupe de rock Witches Valley et qui ira jusqu’à faire des premières parties de concerts de Noir Désir, et puis on s’arrête là.

C’est une affaire entendue : nous ne sommes que des lieux. Nous sommes les enfants de nos inventions, et non l’inverse. Une création qui se produit, c’est un lieu qui se contracte. Un être se retire, advient une « oeuvre ». Tout procède du vide que l’on aura su faire. N’importe quel kabbaliste sait cela. Mais la question demeure : s’il n’y a pas de sujet d’aucune création, si ce n’est pas là une surabondance intérieure qui s’extravase, si toute expression naît d’un état de disponibilité à ce qui se produit ici, maintenant, et non de quelque intention préalable de mise en forme venant s’imposer au monde, alors qu’est-ce qui fait que certains, tout au long de leur vie, se trouvent systématiquement au plus près de la source, au plus près des sources successives où l’époque s’engendre et se rend sensible à elle-même - elle dont l’aveuglement forme la plus constante signature. Et quel intérêt y aurait-il d’aller à la rencontre de ce qu’il reste du lieu où s’opérèrent plusieurs de ces rencontres fortuites, mais décisives ? N’est-ce que fétichisme ? Converser avec l’un de ceux que l’on associe à des productions qui nous ont accouchés à nous-mêmes, est-ce quelque chose comme se branler dans une culotte de Marilyn Monroe ? Et ceux que l’âge et le trop peu de vitalité restante accule à jouer les sujets de leur propre biographie, à devenir l’anecdote de trop dans un tissu d’anecdotes mal mises en scène, y a-t-il un sens à les écouter ? Le processus réel du vieillissement n’est peut-être que cela : une perte de mobilité intérieure due à l’encombrement progressif de l’être par l’ensemble des faits dont il voudrait se croire le créateur, ou au moins le sujet.

Le secret des affaires, c’est que tout marché est double : il y en a un pour les caves qui achètent à plein tarif, et un autre pour ceux qui font le marché et où tout se négocie pour une bouchée de pain, en comparaison. Le secret de la culture, c’est qu’elle est elle aussi double : il y a la production pour la masse, les succès et les flops, la célébrité et ses ratés, et puis il y a le lieu obscur où les techniques, les formes et les figures s’inventent. Il est du plus grand intérêt pour ceux qui prospèrent dans le trafic de marchandises culturelles que l’existence de cette sphère dite « d’avant-garde » soit réduite à l’état de vague rumeur, et de légende à destination des « connaisseurs ». Que le lieu où tout s’engendre soit tenu socialement à la marge ne signifie en aucun cas que tout ce qui est marginal doive être considéré comme le centre de quoi que ce soit, contrairement à ce que toutes sortes de ratés grenouillant dans leur petit ghetto créatif ou politique aiment à se raconter. Il faut reconnaître à Marc’O qu’il a réussi à se tenir avec constance, pendant plusieurs décennies, au plus près de la source ; si bien qu’il peut faussement sembler qu’il a presque « tout inventé » dans l’art et la politique de la deuxième moitié du vingtième siècle.

Maquisard en Auvergne à quinze ans, marlou de Saint-Germain-des-Près après la guerre, programmateur au Tabou avec Boris Vian, introducteur de la poésie lettriste, producteur du Traité de bave et d’éternité d’Isidore Isou qu’il impose à Cocteau en 1951 à Cannes, éditeur du premier texte de Debord dans la revue Ion financée par le cagoulard Robert Mitterrand, animateur dès les années 1950 du groupe et du journal « Le soulèvement de la jeunesse » basée sur l’idée du prolétariat externiste (le prolétariat déserte de plus en plus une classe ouvrière toujours plus intégrée et se concentre chez les jeunes et tous ceux qui se vivent comme étrangers à cette société), inventeur du théâtre musical et d’un théâtre où le comédien n’est plus réduit à interpréter des rôles, mais à créer la pièce elle-même, mentor de la jeune troupe formée entre autres par Bulle Ogier, Jean-Pierre Kalfon, Pierre Clémenti et Jacques Higelin, critique impitoyable des yéyés, de la célébrité et de la télé-réalité (et quasi-inventeur du style punk) dès 1966 avec Les idoles, pionnier de l’occupation des théâtres dès 1967 à Reggio Emilia contre la guerre du Vietnam, co-fondateur avec Monique Wittig et Antoinette Fouque à la Sorbonne en mai 1968 du Comité Révolutionnaire d’Action Culturelle (CRAC), ancêtre du MLF (Mouvement de Libération des Femmes), passeur continu, avec Guattari, entre la France et l’Italie des années 1970, présent à Bologne, toujours avec Guattari, en septembre 1977 lors du fameux Congrès international contre la répression, initiateur en 1979 de l’opéra-rock Flashes rouges porté par la jeune Catherine Ringer, chercheur dans les années 1980 autour des nouvelles possibilités qu’ouvre pour l’image le développement des techniques audiovisuelles, animateur dans les années 1990 avec Cristina Bertelli des Périphériques vous parlent et de la jeune troupe Génération Chaos, où officient des anciens de l’excellent groupe de rock Witches Valley et qui ira jusqu’à faire des premières parties de concerts de Noir Désir, et puis on s’arrête là.

Il faut s’imaginer en ce mois de juin Paris, cette ville perdue, toute cette frénésie branchée, touristique, métropolitaine, oublieuse de tout, ce maëlstrom où une distance d’une semaine équivaut à ce que fut un siècle, et au coeur du coeur de cet enfer, seul dans son appartement à contempler le monde achever de se défaire, ou clopinant dans une ruelle pas encore complètement dévastée derrière Arts et Métiers, Marc’O, toujours là, et badinant : « l’art, c’est toujours l’art d’en sortir. C’est ça . L’art d’en sortir... »

Bref : si vous voulez rencontrer ce jeune homme de quatre-vingt douze ans, c’est à La Parole Errante (9 rue François Debergue 93100 Montreuil. Métro Ligne 9 Croix de Chavaux) ce dimanche 30 juin à 17h. Il semble qu’il ait préparé pour l’occasion quelques petites surprises. Nul ne sait ce que peut une rencontre.

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