À la recherche de la formule perdue

Quelques considérations punk anarchistes à propos de Basculements de Jérôme Baschet

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#294, le 1er juillet 2021

Alors que nous préparions l’entretien avec Jérôme Baschet que nous publions cette semaine, nous avons tout naturellement sollicité notre ami Jacques Fradin en lui demandant ce qu’il pensait du livre Basculement dont nous comptions discuter. Dès le lendemain, il nous transmettait ces 17 pages de notes critiques que nous reproduisons ici pour enrichir et approfondir le débat entre institution et destitution.

Institution ou destitution ?

Il semble essentiel, aujourd’hui, de penser la destitution ou la politique négative, contre les politiques affirmatives.
Pourquoi aujourd’hui ? Parce que nous sommes dans le champ des ruines de ces politiques constituantes.
Et parce que nous ne pouvons nous contenter d’un « appel » à un grand retour à « l’animisme ».

Penser la destitution est un sujet vaste et tortueux. Nous allons donc résumer sauvagement ce thème, en empruntant une seule direction : celle de la critique du « positivisme ».
Mais cette critique, bien que très restreinte (et, peut-être, secondaire), elle-même oblige à explorer de nombreux tunnels. L’exploration sera donc, encore, limitée.
Et se limitera à deux choses : la présentation de l’espace du positivisme, puis l’introduction de l’idée de « la sortie du positivisme » (une des « sorties » qu’il faut emprunter pour « la destitution »).

Pour concentrer au maximum, dans une toute petite boîte rouge, posons que le débat s’organise entre, d’un côté, la destitution ou le communisme tribunicien, et, de l’autre, la politique constructive ou affirmative, ou le pouvoir instituant.
Précisément, il s’agit de casser la dialectique « classique » qui est supposée mettre en musique la destitution, ou simplement la critique, pour encore plus limiter, ET la reconstruction. Dialectique ordinaire de la destitution, du pouvoir destituant, ET de l’institution, du pouvoir instituant.
Alors, « le positivisme » est une expression de cette dialectique classique (autant que Comte peut être lu en termes hégéliens, « progressistes » par exemple).
« Sortir du positivisme » signifie : rejeter toute dialectique du style :
Savoir, critiquer, espérer >> monter des scénarios, développer une stratégie, dans l’incertitude, par exemple >> organiser, mobiliser,
Avec le dogme qu’il faut espérer (savoir, critiquer) pour agir.
Toute politique instituante pose le savoir, l’espoir, AVANT la lutte, espoir qui « in-forme » la lutte ; alors que la politique destituante pose toujours la lutte AVANT ; l’agir vient toujours AVANT, il est IN-DOCTE et sans espérance.
Renvoi à : Comment généraliser la révolution copernicienne opéraïste ? sur John Holloway, LM 108, 13 juin 2017.

Notons par ailleurs, qu’il y a bien longtemps (la dernière guerre) que la pensée économique est passée du déterminisme à l’indéterminisme ou à l’aléatoire, « les possibles », MAIS en conservant sa capacité de calcul. En témoigne le rôle clé de « la théorie des jeux » et l’introduction massive de la pensée par scénarios (hypothèses « probables » ou probabilistes).
Ce glissement vers le calcul stochastique n’introduit en aucune manière une limitation à la calculabilité ; on considère même qu’il s’agit d’un progrès dans l’ingénierie sociale ; « progrès » qui a ouvert un immense champ de possibilités, vers le calcul stochastique à la base de « l’ingénierie financière » (ingénierie qui est la nouvelle logique du monde).

Bien entendu, ce positivisme des ingénieurs peut être présenté de diverses autres manières.
Par exemple, ce positivisme peut être introduit comme l’analyse historique « des tendances » : le positivisme est un empirisme.
Le positivisme est lié aux « généalogies » (l’analyse empirique des tendances) et jamais à « l’archéologie » (l’analyse théorique des logiques).
Le positivisme est, au mieux, une « analyse fine », une description empirique détaillée, des dites contradictions. Et, sur la base de l’analyse de ces contradictions, permet d’introduire des « potentialités », potentialités ici définies empiriquement comme des tendances « possibles ».
La question est alors : quels sont « les possibles » qu’ouvre le mouvement multiforme complexe (les tendances) ?
Ce positivisme (empirisme) circonscrit un champ politique de type ingénierie sociale (savoir, prévoir, agir).
Ce type politique (le positivisme d’ingénieur) repose sur l’élimination ou le refus de deux caractéristiques politiques :
(a) Le chaos n’est jamais introduit ; il est toujours réduit à du probable, du possible ; ce qui autorise une pensée par scénarios (qui n’est jamais de la politique, mais est toujours de l’ingénierie).
Le chaos mène de l’imprévisibilité à l’erratisme et au désordre ; et donc à la guerre civile (dont le thème est essentiel).
Nous disons (en termes heideggériens) que l’historial erratique (le fameux « risque » incalculable) doit être substitué, analytiquement, à l’histoire empirique des tendances potentielles.
(b) Le point de vue de la lutte (de la guerre civile) n’est pas introduit comme déterminant.
Même la version négriste de l’opéraïsme introduit la lutte comme le déterminant.
La lutte est à la fois ce qui génère le chaos ET détermine tous les mouvements (« historiques »).
Toute description « fine » des « possibles » (en termes ou pas de scénarios) doit en passer par une introduction aux luttes.

Et c’est finalement cela qui distingue radicalement l’analyse politique (en termes de destitution) de l’analyse positiviste (en termes d’affirmations constructives) : la place des luttes. Viennent-elles AVANT (sans programme ni projet) ou APRÈS (inscrites dans un mouvement historique de possibilités, des tendances).

À la recherche de la formule perdue

L’insupportable légèreté du programmatisme idéaliste et des promesses constructives d’un autre monde.

L’éthique se tient dans le mouvement même de la rébellion présente (ou de la résistance en acte) et non pas dans un projet utopique (futurologique) ou dans un commandement (constituant).

Notes de lectures buissonnières
Pour circonscrire l’espace épistémique de la politique classique (« réformiste »), espace auquel appartient le dernier ouvrage de Jérôme Baschet, Basculements, 18 février 2021.

Que peut vouloir dire « anti-capitalisme » ?
Maîtrise sociale ou reprise en main (« l’expropriation ») ;
Gestion populaire ou démocratisation (« la gestion coopérative ») ;
La réappropriation populaire des services publics ;
Etc. Tout un ensemble bien connu de « premières mesures révolutionnaires ».
Avec, toujours, l’idée « d’alternative », alternative plus ou moins radicale.

Renvoyons pour commencer aux indispensables études de Danièle Linhart, dont la dernière, L’insupportable subordination des salariés, 14 janvier 2021.
Et aux « propositions » pour « la reprise en main ». De la cogestion à la gestion coopérative et au-delà, « un nouvel agencement des productions ». Pour un monde alternatif (alter-monde).

En ce sens, réformiste, même au sens maximisé du « réformisme révolutionnaire » (le nouvel agencement), anti-capitalisme signifie d’abord construction alternative (de la participation à la gestion coopérative, alter-économie, économie sociale, communalisme, et diverses variantes solidaires, et à la reconfiguration « démocratique » ou « populaire » des structures productives).
Par exemple, dans le domaine technique, sortir des réseaux, en produire « un nouvel usage ».
Commencer par lire tous les ouvrages, en style Latour, de Dominique Boullier, dont Comment sortir de l’emprise des réseaux sociaux, 8 octobre 2020 ;
Ou, plus loin, se passer d’internet (enfin revenir aux lettres manuscrites : les beaux poèmes d’amour ! plutôt que les réseaux anonymes de « contacts »), liquider l’informatique.
Ou, autre exemple, « se réapproprier la santé »,
Danielle Montel, Daniel Vergnaud, Danielle Sanchez, Thierry Bodin, Sanofi, Big Pharma, L’Urgence de la Maîtrise Sociale, 2014 ;
Mikkel Borch-Jacobsen, Big Pharma, Une Industrie toute puissante qui joue avec notre Santé, 2013 ;
Nathalie Gimenes, Industrie Pharmaceutique : L’heure du choix, Plaidoyer pour un modèle plus égalitaire et plus écologique, 28 avril 2021.
Et nous pourrions prendre, secteur industriel par secteur industriel, les innombrables propositions de réforme (pour la maîtrise sociale de l’économie ou pour sa refonte « démocratisée »).

Mais toute construction réformiste (à révolutionnaire), d’abord essentiellement imaginaire (s’apparentant à de la littérature de science-fiction) ou idéale (programmatique), n’est-elle pas frappée par l’ENTROPIE, voire l’inanité (sonore) ?
Ce qui fait parler d’Entropocène plutôt que d’Anthropocène !
Il faut détourner l’intention du dernier ouvrage collectif, sous la direction de Bernard Stiegler, Bifurquer, 10 juin 2020.
Ouvrage, Bifurquer, à lire avec celui de Jérôme Baschet, Basculements, 18 février 2021.
Bifurcations, basculements, transformations, changements (de modes de vie), de quoi s’agit-il ?

Nous nommerons cet ensemble idéal d’éthique programmatique : l’espace épistémique du réalisme constructif.
Et, peut-être, pour nous référer au grand style sud-américain, réalisme magique.
Nous allons, alors, lire le dernier ouvrage de Jérôme Baschet, Basculements, comme un élément commun de cet espace ou en le plongeant dans cet espace, qui le contient, l’espace affirmatif ou constructiviste, et au milieu de trop nombreux autres ouvrages de même facture (collection d’ouvrages que nous venons juste d’introduire, et dont nous produirons une bibliographie nécessairement limitée – il doit être publié au moins un livre par semaine sur ce thème des propositions pour un monde alternatif – et cette quantité de publications soulève le problème de « l’effectivité », la fameuse question de la vanité de la critique, surtout reconstructive).
Espace épistémique qui permet de définir les limites de l’ouvrage de Jérôme Baschet (c’est un ouvrage supposé « réaliste » : c’est-à-dire, en notre sens, qui ignore le Réel désastreux).
L’ouvrage de Jérôme Baschet est ainsi « situé » (topologiquement) comme un ouvrage de style tout à fait classique, de politique classique positiviste ou affirmative (il faut toujours « proposer » un schéma constructif, même sous forme de balbutiements, pour pouvoir engranger les bénéfices de l’espérance).
Comme nous avons déjà, par ailleurs, défini et critiqué (assez intensément) ce style classique constructiviste ou programmatique, nous nous contenterons, ici, de développer quelques notes complémentaires. Pour une analyse plus complète renvoyons à PUNK Anarchism, en cours de publication dans LM (mai juin 2021). Plus quelques remarques « rhizomatiques » en annexe de cette note de lecture.

Mais, avant que d’avancer, notons que l’analyse critique, que Baschet développe contre Lordon, s’inscrit intégralement dans cet espace politique classique (que nous introduisons) ; il s’agit d’une controverse de « programmes » ou de « propositions » : plan contre plan, voilà le plus ancien débat, entre « réformistes » ou « constructeurs d’alter-mondes » (et au couple diabolique Baschet / Lordon, nous pourrions ajouter Varoufakis, Les Atterrés, Thomas Piketty, Eloi Laurent, et combien d’autres !).
Débat qui mène toujours dans un cul de sac.
Alors même que tous les « programmateurs » (de propositions supposées inédites et propres à « sortir » de l’impasse – les formules perdues) accentuent l’emprisonnement dans l’espace politique classique (réformiste ou programmatique).

Pour résumer de manière très dense :
Depuis, au moins, les débuts du christianisme, christianisme avec ses promesses d’un nouveau monde, la politique, d’esprit religieux, messianique, eschatologique, fonctionnant à la promesse, à l’espoir et à l’espérance, à l’enthousiasme – [terme qu’il faudrait déconstruire : l’enthousiasme est à la base de tout progrès, Henry Ford, la vision est fille de l’enthousiasme, l’enthousiasme est révolutionnaire comme il était « évangélique »] — cette politique « enthousiasmante » religieuse classique (lourdement métaphysique) se déploie comme positivisme (croire pour agir), l’annonce d’une construction nouvelle (et évidemment merveilleuse).
Plombée par son positivisme constructiviste (ou programmatique) cette politique religieuse échoue sans cesse. Échoue de ne pas comprendre ce qu’est la politique ou de confondre politique et ingénierie sociale (même si cette ingénierie est de style « horizontaliste »
anarchiste communaliste à la Murray Bookchin, pour ne pas parler des « utopies concrètes » à la Erik Olin Wright, par exemple Stratégies anti-capitalistes pour le XXIe siècle).
Cette politique religieuse échoue, à ne pas reconnaître, dénie même (par dénégation de croyance : « croire au monde »), que le monde (et donc tout alter-monde) fonctionne au chaos, à l’entropie, à la corruption.
La crise permanente est la caractéristique générale « économique » du capitalisme : le capitalisme se déploie « à la crise », « à la destruction créatrice ».
Cette politique religieuse échoue de ne pas comprendre que la grande question politique (mais qui n’est plus chrétienne) n’est pas celle des constructions fantasmagoriques et harmonieuses (« plus démocratiques ») mais celle du combat sans limite. En termes techniques, il ne s’agit pas de penser une nouvelle réalité, de manière « réaliste », mais de penser En Réel ; la politique se tient dans le combat, l’éthique est celle de « la communauté des luttes », sans autre « promesse » que celle de « tenir son poste » (la lutte venant toujours avant, comme événémentialité diffuse : la poussée Réelle).
Toute construction enthousiaste s’effondrera d’elle-même : entropie ou corruption.
La politique classique, religieuse, se présente, alors, en termes de répétition illimitée : enfin trouver le nouveau monde « évangélique » de la bonne promesse.
La politique classique est la recherche sans fin de « la bonne formule » (un terme d’ingénieur).
Et cette répétition illimitée doit se nommer : guerre civile permanente (les nouvelles guerres civiles d’après la promesse évangélique, ces guerres qui sont toujours des croisades ; et ne sont plus de simples vendettas).
Il est temps de sortir de cet espace politique classique (auquel appartient encore Jérôme Baschet : son appétence médiéviste serait-il le signe d’une religiosité réprimée ?).

Mais ici, il ne sera pas question de « sortie ».
Sortie des promesse merveilleuses ou des futures constructions harmonieuses.
Sortie du positivisme métaphysique et de la politique conçue comme « espérance », voire, même, « espoir d’ingénieur » (pour une construction parfaite, « idéale » ou « démocrate populaire »), avec des plans, des programmes, des imaginaires constructeurs, inventés ou récupérés (la pensée « néo-indienne » du communisme archaïque reconfiguré).
Nous le disons sans cesse : il y a trop de propositions de reconstruction, inutile d’en rajouter (ce pourquoi nous nous contentons ici de déployer une sorte de taxonomie, taxonomie présentée en termes d’espace topologique des imaginaires). Trop plein de propositions qui débordent (« ruissellent ») de toute part ; et ne mènent nulle part.
Sortie de l’économie, autant que cette « économie » est bien comprise comme la nouvelle religion évangélique ; avec ses promesses de bonheur et de « bien vivre » (welfare).
Sortir de l’économie ne revient pas à substituer une promesse à une autre (une économie à une autre), la convivialité plutôt que la richesse, par exemple (la richesse « ne faisant pas le bonheur ») ; sortir de l’économie veut dire : quitter le monde « évangélique » des promesses.
Ce qui, en termes techniques, s’énonce : sortir du métaphysique (défaire l’oxydant).
Nous ne parlerons donc pas, ici, de ce que veut dire « sortie ».
Ici, il ne sera question que d’arpenter l’espace épistémique positiviste ; où la pensée politique se pense « concrète » (les fameuses utopies concrètes) et « réaliste », constructive, générant une bulle d’espérance (de cet espoir supposé être nécessaire à l’action, mais qui conduit toujours au désastre, quel que soit le nom de ce désastre, fatigue, dépression, entropie, corruption, « concrétude », BHL, etc.).
Plutôt que de définir analytiquement cet espace (de la politique métaphysique) nous allons le définir en extension et au moyen d’une bibliographie (limitée !) qui permettra de définir la situation de (« mettre à sa place ») l’ouvrage de Jérôme Baschet.
Ici, « lire Basculements », ne consistera pas en une lecture critique des thèses portées par l’ouvrage (lecture critique que pourrait effectuer Lordon, en inversant la critique de Baschet, mais ce jeu « géométrique », par inversion, de la controverse programmatique ne nous intéresse pas) et qui mènerait à une controverse de programmes (sans remonter jusqu’à la question de « la souveraineté », jusqu’à l’aporie de la souveraineté, Derrida Agamben – renvoyons à Jean-Luc Nancy, Un Trop Humain Virus, 14 octobre 2020, commencer par la section VIII).
« Lire Basculements » consistera à expliciter l’espace épistémique dans lequel se situe l’ouvrage.
Si l’on veut, il s’agit d’un travail de déconstruction ; travail rendu nécessaire en raison de l’épais brouillard religieux (espoir & espérance d’une nouvelle formule) qui masque l’appartenance de l’ouvrage à un domaine politique si classique.
Lecture de second degré donc : nous passons de l’ouvrage Basculements à l’espace dans lequel l’ouvrage est situé.

Rappelons : l’espace politique classique (métaphysique) est l’ensemble des « positions » des critiques reconstructives ou des « propositions », critiques qui se veulent constructives, affirmatives, instituantes, constituantes, critiques affirmatives toujours énoncées en termes d’ISSUE (et non pas de « sortie ») ou en termes de nouveaux modèles politiques extraordinaires (de nouvelles « formules politiques constructives » pour « défaire l’oxydant »).
Cet espace est réglé par une géométrie interne, celle des bifurcations, vers de nouvelles voies « carrossables », ou celle des basculements, vers une nouvelle ouverture des possibles (et non pas par l’affrontement aux « impossibles »).
Basculements : basculements sociétaux ou civilisationnels considérables (toujours la promesse évangélique) qui nous engageraient vers des manières de vivre échappant aux logiques du système monde capitaliste (le nouveau monde auquel il faut croire, poussé par l’espérance, toujours évangélique).
Peut-être un nouvel agencement des productions ou des techniques (la fameuse concurrence des « bonnes nouvelles », Sloterdijk – notons que l’objet de nos réflexions est de répondre à « la critique de la pensée critique » formulée, il y a longtemps, par Sloterdijk, comment échapper au « cynisme » style, encore, BHL).
Un nouvel agencement qui renoncerait à la centralité des déterminations économiques.
La plus vieille promesse « anti-capitaliste » est ainsi réactivée.
Mais si l’on pense que cette promesse (disons, en style « conservateur anti-capitaliste » : défense et illustration « rétrovolutionnaire » des communautés « néo-indiennes ») a maintenant, au moins, deux cents ans (sinon beaucoup plus : les Jésuites du Paraguay !), il peut être intéressant de se poser la question de « l’impossible ».
Poser la question de l’impossible (comment le penser comme Réel déstructurant) plutôt que celle de l’ouverture des possibles
Même si cela paraît affreusement « démoralisant » — telle est bien la question sartrienne, celle de « la démoralisation » : quand sortirons-nous de l’espace religieux des croyances et des espérances ? Peut-on penser l’humain sans l’espoir, sans la religion, donc ? Comment déployer une pensée négative qui ne serait pas « cynique » ?
(Notons bien que nous avons répondu largement à toutes ces questions, qui forment la trame de notre lecture de Baschet, pour nous un auteur « évangéliste »).

Finalement nous avons besoin d’une analyse TOPOLOGIQUE (au sens de Reiner Schürmann) du champ politique RÉFORMISTE, avec toutes ses gradations (de la réforme à la révolution), réformiste voulant dire AFFIRMATIF, ou formulé au moyen de PROPOSITIONS affirmatives, ré-instituantes.
Réformiste voulant dire qu’il est toujours question de propositions (quel est votre programme ?), de constructions programmatiques ou idéales.
Réformiste voulant dire positiviste ; mais d’un positivisme d’ingénieur chrétien appuyé sur l’espérance (« ça va finir par arriver » ; ce qui est imaginé depuis deux millénaires, sinon plus de quinze mille ans et « le basculement » vers l’esclavage).

« Lire » l’ouvrage de Jérôme Baschet consiste à le situer dans l’espace, très peuplé, dense même (c’est l’espace de la richesse), dans l’espace de la critique affirmative du capitalisme (mais qui, néanmoins, est « sans force »).
Comment alors résumer l’ouvrage de Baschet ?
Comment le placer comme « position » (ou « proposition ») dans l’espace constructiviste ?
Eurêka, enfin nous avons trouvé la bonne formule de construction, après plus de deux cents ans d’expérimentations ratées : maintenant ça va marcher !
Et cette « formule », ce sont « les indiens » qui nous l’apportent (réactivant le vieux mythe du « communisme primitif », désormais « reformulé »).
Baschet se réfère-t-il au Beckett de Badiou ?
Et quelle chance, aubaine même, que, justement, cette formule magique (extraordinaire au sens de extra occidentale, « néo-indienne ») apparaît « pour nous » ! Alors que pour « les indiens » il n’y a rien de nouveau ; c’est même tout le contraire !
Doit-on opposer la suspicion légitime de narcissisme ?
D’autant que le narcissisme (et ce narcissisme du miracle généré « pour nous ») est un élément définitionnel du capitalisme (l’égocentrisme aurait-on dit autrefois).
Comme on le sait (mais qui reste impénétrable ou mystérieux) la seule véritable « sortie », qui dépasse de loin la « déconstruction de l’oxydant » (oxydant dont fait partie tout ordre stabilisé, communautariste, communiste, anarchiste, « indien », etc.), est celle du métaphysique (la déconstruction de la souveraineté déployée par Agamben, à la suite de Derrida).
La sortie de l’économie (et non pas seulement l’anti-capitalisme) n’étant qu’un produit dérivé de la sortie du métaphysique.
Et sortir du métaphysique (au-delà d’un basculement civilisationnel hypothétique et à bien définir) exige d’abord de sortir des politiques constructives, des plans, des programmes, des projections, des espérances, des visions.
Penser l’Amor Fati (Nietzsche) implique que « la colonisation de l’imaginaire » (Serge Gruzinski, Carmen Bernand) doit être mise au centre de la critique.

La bibliographie, qui constitue l’espace épistémique que nous analysons, sera présentée de manière « simple », en dualité.
Toutes les questions sont donc à poser en dualité (renvoi à PUNK Anarchism).

1 – Du Réel à la réalité : que veut dire « conformer un monde » ?
Renvoyons à Jean-Luc Nancy, Un Trop Humain Virus, 14 octobre 2020.
Et comme pour tous les livres, il faut commencer par la fin : sections VII, VIII, IX, surtout la section VIII.
Dans un autre style, mais toujours au second degré (rappelons que « nous lisons » Jérôme Baschet au second degré) :
Jean-Pierre Dupuy, La catastrophe ou la vie, pensées par temps de pandémie, 4 mars 2021.
Cet ouvrage propose une critique des critiques.
Pour l’idée de « conformer un monde par et dans la résistance » (ce que nous nommons « force pauvre ») :
Les arts de la résistance, Macko Dragan, Blog Médiapart du 13 juin 2021.
Cet article (de Blog) renvoie à Ludivine Bantigny, Introduction à James Scott, La domination et les arts de la résistance, Fragments du discours subalterne.
Il faudrait comparer Jérôme Baschet et James Scott.
Les ambiguïtés libérales libertariennes de ce dernier, anthropologue, devraient alors être explicitées en détail ; la différence entre le « communalisme » et le « libertarianisme » devrait faire l’objet d’une étude entière. Mais cette « différence » constitue une structure de l’espace épistémique que nous analysons (pour « placer » Baschet).
Par contre, une caractéristique commune (des analyses « opposées » par différence) est bien le TON, le style, ton enthousiaste, style dithyrambique, ton évangélique. Le TON militant révolutionnaire est toujours un ton religieux : IL FAUT CROIRE.
Pour opposer ce ton apologétique à la tonalité aristocratique (revendiquée par Badiou, par exemple), nous pourrions plagier le grand précepte (de la maison d’Orange) :
Il faut, on a besoin, d’espérer pour passer à l’action ; la désespérance immobilise ;
Et il faut quelques menues réussites (au sens du jeu) et un simulacre de réalisation (mais toute réalisation est simulacre) pour continuer.
Le TON militant révolutionnaire doit mobiliser ; c’est ce que l’on retrouve clairement depuis la révolution française (de l’enthousiasme, toujours de l’enthousiasme – jusqu’au « conscrit de 1813 »). Mais ce ton religieux est commun à tous les mouvements religieux messianiques.
Ce qui soulève la question de l’éthique :
L’éthique est-t-elle première (à la Lévinas) : faut-il poser un objectif canon, un commandement ?
Ou l’éthique est-elle politique, un accompagnement des mouvements de rébellion, un engagement dans la rébellion ? Où c’est la rébellion qui est, elle-même et en elle-même, éthique ?

2 – De la réalité au Réel : la critique peut-elle casser des briques ?
Partons de ce point fondamental que la critique est la critique du capitalisme (c’est-à-dire de la forme monde dominante, forme qui doit être analysée dans les termes de « la subsomption réelle » ; le capitalisme n’est pas un mode de production mais un mode de vie).
Il est alors essentiel de voir que ce capitalisme (pour nous l’économie) fonctionne à la crise, que sa dynamique est chaotique (tout monde réalisé est au chaos).
Les références de Jérôme Baschet à la théorie des systèmes mondes (Immanuel Wallerstein) seraient à systématiquement déconstruire.
Nous retrouvons sans cesse le même questionnement : autant que nous nous appuyons sur une analyse critique (du capitalisme, par exemple), autant que nous mettons la critique au point de départ (savoir pour agir, toujours le positivisme), la manière précise dont se formule la critique va déterminer la forme du réformisme (révolutionnaire ou pas). Plus encore, c’est le détail de la critique (qu’est-ce que ce capitalisme ?) qui va générer un type d’action plutôt qu’un autre ; penser l’impérialisme plutôt que l’empire, par exemple.
Misère du positivisme.
La critique, quelle que soit son expression, se manifeste comme réformisme ; réformisme plus ou moins révolutionnaire, selon la manière dont on critique (analyse) le monde du capitalisme.
L’espace épistémique de ce réformisme est alors articulé (par des controverses qui renforcent l’emprise réformiste).
Il faut donc placer l’ouvrage de Baschet dans cette subdivision analytique (2) ; mais au milieu d’une quantité impressionnante d’autres ouvrages de même style messianique, ouvrages que l’on peut classer selon leur niveau de réformisme, ou selon l’importance de la bifurcation suggérée.

Proposons une classification élémentaire :
2.1 – Collectif Par ici la Sortie ;
Cahiers éphémères et irréguliers pour saisir ce qui nous arrive et imaginer les mondes de demain, 18 juin 2020,
Avec Thomas Piketty, Eva Illouz, Emmanuel Todd, Didier Fassin, Mireille Delmas-Marty, Christophe Bonneuil, etc.

Ouvrage auquel on peut ajouter :
Relions-nous ! La Constitution des Liens, L’an 1, 2 juin 2021.

Et, plus ancien :
Eva Illouz, 20 penseurs pour 2020, 3 janvier 2020.
(Les meilleurs articles des grands penseurs de notre temps !)

2.2 – Le Manifeste Travail, Démocratiser, Démarchandiser, Dépolluer ;
Isabelle Ferreras, Julie Battilana, Dominique Méda, 1er octobre 2020.

2.3 – Les Convivialistes, Résistance, Résonance, Apprendre à changer le monde, 28 octobre 2020 ;
Texte qui fait suite au Second Manifeste Convivialiste de l’Internationale Convivialiste, 12 février 2020.
Apprendre à changer le monde !

2.4 – Timothée Duverger, Utopies Locales, Les solutions écologiques et solidaires de demain, 18 février 2021.
Livre à lire avec les ouvrages de Erik Olin Wright.

2.5 – Daniel Tanuro, Trop tard pour être pessimistes, Écosocialisme ou Effondrement, 10 juin 2020.
À lire avec les ouvrages de Michaël Löwy et Arno Münster.
Arno Münster, Osons l’Utopie pour construire un monde meilleur, 9 octobre 2019 ;
Michaël Löwy, Qu’est-ce que l’écosocialisme ? L’alternative radicale à la catastrophe écologique capitaliste, 9 juin 2020 ;
Arno Münster, Le Marxisme Ouvert et Écologique de Michaël Löwy, 15 mars 2019.
Et renvoyons à : Arno Münster, L’Utopie Concrète d’Ernst Bloch, 2001.
Livre à comparer à ceux de Erik Olin Wright. Erik Wright vs Ernst Bloch : un beau sujet !

Et pour la mise en espace :
Matthieu Le Quang et Tania Vercoutère, Ecosocialismo y Buen Vivir, Dialogo entre dos alternativas al capitalismo, Quito, 2013.

2.6 – Bernard Stiegler, Bifurquer, L’absolue nécessité, 10 juin 2020 ;

2.7 – Jérôme Baschet, Basculements, 18 février 2021.

Ajoutons tous les programmes d’alter mondes, de Varoufakis aux Atterrés.
Eloi Laurent
Et si la santé guidait le monde ? L’espérance de vie vaut mieux que la croissance, 4 novembre 2020 ;
Sortir de la Croissance, mode d’emploi, 9 octobre 2019.

On a alors peine à croire qu’un si grand nombre d’ouvrages si enthousiasmants aient un si faible impact, perdus qu’ils sont dans la (fameuse) marée éditoriale.
Tout un chacun « proposant » son projet pour « éviter la catastrophe » (qui continue de plus belle).

Comment alors « rendre justice » au flux illimité des révoltes (l’événémentialité diffuse) ?
Des révoltes paysannes millénaires ?
Comment « rendre justice » à cette puissance si faible qu’elle ne réussit jamais à apparaître autrement que comme un surgissement, une insurrection plus ou moins durable, mais jamais stabilisée, un soulèvement qui se dissout bientôt, pour réapparaître sans cesse.
La force des faibles (voir les thèmes de La Théologie de la Libération).
La force faible avec son événémentialité diffuse et permanente.
Événémentialité qu’il ne faut jamais trahir en l’associant à un projet évangélique ; même si l’évangélisme fut toujours le lexique des révoltes, souvent millénaristes.
Événémentialité qu’il faut dévoiler comme puissance irrépressible (la poussée).
Passage à l’acte (de résistance) qui semble de simple réaction (l’insurrection contre l’oppression) ; mais qui exprime le torrent déterminant (destituant) de l’histoire ; le torrent sans fin, « la face cachée » du progrès.

Et puisque nous parlons d’histoire (ou d’histoires), peut-être serait-il temps de réhabiliter « la grande histoire soviétique des révoltes ».
Le nom d’Albert Soboul vient alors « spontanément ».
Guy Lemarchand
Féodalisme, Société et Révolution Française, 2000 ;
Troubles et Révoltes Populaires en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, Essai de mise au point, Bulletin de l’Université de Moscou, 1991 :
Renvoi à Boris Porchnev, Les Soulèvements Populaires et la Société Française du XVIIe siècle, 1972 ;
Il est plus que temps de réhabiliter Boris Porchnev.

Trouver dans les Annales Historiques de la Révolution Française, 376, avril-juin 2014, la correspondance de Boris Porchnev et d’Albert Soboul, publiée par Varoujean Poghosyan.

Lecture complémentaire : Comment généraliser la révolution copernicienne opéraïste, sur John Holloway, LM 108, 13 juin 2017.

ANNEXE

Badiou : En Lutte
Version POP de la PUNK Philosophie

Méditation autour de la question : comment se fait-il qu’une crise récurrente (économique, écologique, sanitaire, épidémique, etc.) ne soit pas suivi par une révolution ?
Comme pourraient l’imaginer les marxistes historiques, comme tout le discours sur « le monde d’après » (l’épidémie, en avril 2020) le fantasmait.
Nous reviendrons sur la question : comment se fait-il que le néolibéralisme (le despotisme économique) se nourrit de ses échecs (comment se fait-il que le despotisme « évolue » vers l’autoritarisme accentué en dictature) ?
La réponse à cette (double) question se trouve dans le plus lourd des mythes : celui de l’imaginaire de la liberté, celui de « l’humanisme » de la volonté.
Et dans le socle fantasmatique que ce mythe donne à « la démocratie libérale », posée comme le règne de « la liberté ».
Une déconstruction systématique des mythèmes de la volonté ou du vouloir est plus que nécessaire. Déployer l’anti-humanisme de « la dernière volonté » contre l’humanisme de « la bonne volonté ».
[Revenir à Reiner Schürmann ; lire comme introduction :
Bret Davis, Heidegger and the Will ]

Le texte qui suit sera composé de notes désarticulées (ou heuristiques), à propos du dernier ouvrage d’Alain Badiou, Les possibles matins de la politique, mai 2021.
Mais nous lirons ce Badiou AVEC l’ouvrage essentiel d’un de nos auteurs fétiches, Günther Anders, Die molussische Katacombe, 1992, bientôt traduit (ou seulement traduit) en français !
On supposera, comme préalable, la lecture de ces deux ouvrages.
Die molussische Katacombe est le plus important ouvrage de G. Anders ; c’est l’aboutissement de la recherche juive émigrée, Adorno, Arendt, Benjamin, Broch, etc., sur la dictature (le dit « totalitarisme »).

Nous partirons alors du postulat de G. Anders : nous sommes en prison, nous sommes des prisonniers (thème gnostique classique ; relire Hans Jonas sur le gnosticisme, 1958).
« La liberté » est une illusion (« pratique ») que propage « la démocratie libérale » et son âme damnée libertarienne : liberté de voter, liberté de choix sur le marché, liberté d’entreprendre, toutes des libertés économiques, sans possibilité de contester ces libertés (guerre aux ennemis de la liberté, défense de la propriété, etc.).
Ce mythe de « la liberté » (liberté économique soigneusement régulée) permet de maintenir les prisonniers dans l’activisme, dans l’activité, dans le fantasme de « la gestion » (et « l’ingestion », « la corruption », sera un thème essentiel de ces notes lancées au vent – de nouvelles miettes).
Et s’appuyant sur la critique cinglante des « petites libertés » (des privautés) des petits humains (les derniers hommes), nous pourrons compléter Badiou (et son anti-humanisme revendiqué).
Nous pourrons comprendre sa critique du « matérialisme démocratique » (matérialisme étant pris au sens vulgaire de satisfaction matérielle, la jouissance en un sens vulgaire, non lacanien). La démocratie libérale « sécurise » la possibilité de « jouir » paisiblement (en passant par le marché).
Nous devrons donc penser en termes de « catacombe », de cave, de cul de basse fosse, de salle de torture, de « caverne » (Platon Badiou) ; et non pas en termes d’idylle champêtre (rousseauiste) ou de mimique caricaturale du « mode de vie » de l’aristocratie anglaise (le gentleman farmer, style prince Charles écologiste ou Pierre Rabhi, l’ami des princesses à beau jardin de fleurs).
Refus de tout rêve « immédiatetiste » (tout, tout de suite) d’une construction parallèle de poches libérées ; nous devons partir de l’impossibilité de la sécession (le modèle zapatiste n’est pas transposable en Europe).
À l’opposé de « l’immédiat » se trouve le TEMPS LONG (et l’endurance de la pensée).
Retour au christianisme des catacombes.
Et à la lutte au temps des persécutions (ou du sécuritaire, ou du proto-fascisme du despotisme autoritaire).

Les 3 D : Devoir, Difficulté, Dureté (ou Détermination).

La lumière de ces notes de lecture ne sera pas celle de la chaleur communautaire (ou familialiste) « des matins qui chantent » (ou de l’enchantement orphique), mais celle, lunaire et froide, d’une résistance toujours menacée, dans l’obscurité des catacombes.
L’après Mai 68, en France, sous la répression multidimensionnelle, répression policière, interdictions, censures, récupération par le PS, etc., l’après 68 s’était résumé dans ce qui restait de ceux qui n’étaient pas passé au Rotary – pourquoi les homos sont-ils désormais de droite ? – et la censure style « nouveaux philosophes », et BHL – donc « les fidèles » persécutés s’étaient regroupés sous le drapeau de « la nouvelle résistance », l’armée des ombres errantes ou la nouvelle armée Bourbaki secrète.
[Hocquenghem, Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary ;
Michael Christofferson, Les intellectuels contre la gauche ;
Daniel Lindenberg, Le procès des Lumières.]
Il est devenu évident, à partir de 1981, et « la victoire PS » et Mitterrand, qu’il fallait plonger dans une lutte obscure ; une lutte qui serait très longue, une course d’endurance, et que le mot d’ordre serait : « la fidélité » (toujours Badiou).
Dans le grand cimetière de la renégation ou de l’apostasie, il allait falloir lutter corps à corps.
Leçon française de l’après 68 :
Rejet de la participation gestionnaire ; l’horreur PS et ses succédanés, jusqu’au Parti de Gauche et ses Insoumis électoralistes ;
Impossibilité de la sécession et de la lutte à l’italienne (qui, du reste, en 1981, est achevée).

Sautons alors dans le Badiou : comme la lutte doit se faire DANS et CONTRE « le palais frelaté » des classes moyennes consuméristes, contre ce bras armé du despotisme (le bras armé du despotisme n’est qu’indirectement la police, mais directement le consommateur touriste), contre les petites satisfactions narcissiques de la gestion locale, de l’illusion de participation « à la politique », il est impossible d’imaginer un pas de côté ou un retrait ; nous sommes emprisonnés, et seule une révolte des prisonniers est imaginable (style révolte des gilets jaunes ou émeutes des « banlieues » — chôra ??).
Il faut absolument partir du refus de l’imaginaire sécessionniste.
Revenir à la fin du mouvement italien, de 1970 à 1980, et au plus pur produit de la répression, Berlusconi, le grand jouisseur.
Il faut insister : aujourd’hui, dans l’Europe despotique, la lutte armée est impossible (ce serait un bon prétexte et presque une provocation policière).
Encore une fois, malgré tout l’amour porté aux zapatistes, le modèle zapatiste est inutile ; il est impossible de l’importer.
L’illusion romantique ou écologiste des possibilités « communales » est un danger et une impasse ; nous retournons à la question cruciale de « l’ingestion ». L’impossibilité des « communes » découle de l’impossibilité de la sécession (qui exigerait une guerre ou une force armée ; mais l’EZLN n’est pas imaginable en Europe).
L’autoritarisme croissant du despotisme peut prendre la forme de la lutte « anti-communautariste », qui vise, comme produit dérivé, le communalisme écologique (obligé de se loger dans le cadre « démocratique », gestionnaire, électoraliste, etc. – les écolos, de radicaux, deviennent des sénateurs, et rejouent le grand opéra de la transformation « par la voie interne », changer de l’intérieur, le réformisme le plus classique, qui indique une défaite dans la lutte).
La voie électoraliste, ou de la participation gestionnaire (à la charité), est une stupidité intéressée ; qui masque la satisfaction de n’avoir rien à changer et de continuer « à jouir des avantages impériaux ».
De manière générale, la participation (critique) aux institutions ne peut se faire que de manière agonistique, jusqu’au sabotage : porter le combat dans l’université, effectuer des contre-cours systématiques – retour à 68 !
Ce qui est important est que la lutte doit se mener « sans illusion » ; nous retrouvons la question de l’agir sans espérance (manichéens contre gnostiques, un thème que nous reprenons régulièrement).
Agir par devoir désenchanté.
Et, encore une fois, la morale des catacombes (je maintiendrai).

Que reste-t-il ?
Il reste la construction lente et menacée (comme toute construction) et dans le très long terme (séculaire) d’une contre société, construction qui doit commencer par une contre pensée.
Construire l’encyclopédie communiste. Attaquer sans relâche toute orthodoxie.
La fameuse question de l’hégémonie culturelle.
Qui a été réglée par des familles de Berlusconi.
Conquérir l’hégémonie culturelle ne peut être qu’un objectif lointain ; et, certainement, difficile à tenir (mais il faut toujours insister sur la difficulté, jamais sur les promesses de rédemption – c’est cela, déjà, « sortir de l’économie », pas du pain, mais du sang, et abandon de tout « positivisme » ou de toute positivité ; nous ne « positiverons » plus).

Il faut toujours partir de l’idée que la construction, dans la lutte et l’antagonisme, sera très longue et erratique ; et ne nous concernera pas personnellement : aucun avantage à en tirer, pas de plateaux télé !
Nous ne verrons jamais poindre le communisme (de l’émancipation).
Et alors ?
Nous n’agissons pas par intérêt personnel, ni pour satisfaire un quelconque narcissisme.
Nous ne serons pas « libérés » ; mais seront toujours dans l’errance (à la Debord).
Et alors ?
Nous devons dépasser les petites satisfactions de la vie (c’est cela « sortir de l’économie »).
Nous ne verrons jamais le résultat, s’il y en a, de notre lutte (mais l’absence de résultat, c’est cela « sortir de l’économie »).
Mais la lutte est première. Impératif catégorique. Devoir impérieux.
Le communisme doit être « aristocratique », de la Grande Politique de Nietzsche à la fibre aristocratique de Badiou ; après celle de Visconti !
Notre lutte est un hybride monstrueux : une combinaison de christianisme primitif (ou de gnosticisme pourchassé) – les catacombes et la persécution – et de retrait aristocratique sur les terres du combat (déjà intellectuel, depuis la bibliothèque, comme Marx).
Rejet de toute espérance ; le devoir « appelle » ;
Rejet des « attachements » aux formes lascives de la reconnaissance (la force est en soi, non pas dans le regard de « l’autre », grand ou petit).

Il ne s’agit pas de créer, puis soutenir, un petit monde supposé séparé, mais bien trop « ingéré » — toujours méditer l’échec des communes – il s’agit d’inventer un monde, d’abord intellectuel, POUR MODIFIER LA VISION.
Encore le schéma chrétien.

Maintenant on fait la guerre.
Et cela implique de la dureté, du devoir et non pas du plaisir.
L’idée essentielle est qu’il n’y a pas de plaisir à prendre ; peut-être de la jouissance lacanienne, c’est-à-dire des coups à prendre (des carrières brisées, des mariages naufragés, des amitiés dissoutes).
Mais cette idée est essentielle parce qu’elle signe une rupture avec la morale consumériste, de la facilité, du plaisir, de la reconnaissance (ne jamais chercher la reconnaissance).
Critique à la Badiou du « matérialisme démocratique ».
Tout va être difficile (et casse gueule).
Il ne faudra jamais céder ; ni, a fortiori, trahir !
« Vendre son âme pour un plat de spaghettis ».
La vente de l’âme, l’arrivisme, la réussite, étant la forme générique de la corruption.
Il va falloir accepter d’être isolé, ostracisé (comme un « communiste pédophile ») ; sans communauté chaleureuse, mais dans une communauté des luttes en butte aux persécutions.
Il faut toujours voir l’avenir comme un avenir de persécutions et non pas comme un avenir radieux ; et il faudra tenir.
Voilà un « test communiste ».

Nous pouvons alors revenir au diagnostic de la situation, diagnostic effectué par Badiou.
Et nous dériverons à partir de ses propositions.
Nous n’emploierons pas ici de termes analytiques ou élaborés (ce qui a été fait ailleurs) ; nous mettrons entre parenthèses les concepts qu’il faudrait développer (comme Éco-Nomie ou despotisme – plutôt que capitalisme ou démocratie).
Le cadre global, de l’Occident ou de l’Europe, est celui du « capitalisme total ».
Nous sommes face à une organisation hiérarchisée tournant autour de l’économie : l’économie n’est pas une infrastructure technique, mais le cœur politique de l’organisation politique de l’Occident « libéral ».
L’économie est le cœur du réacteur despotique.
Cette économie (supposée « libre ») implique un autoritarisme fort, la dictature voire le fascisme : il faut un État fort pour « sécuriser » « la liberté économique » (et les propriétés)
Ce que Badiou nomme « capitalo-parlementarisme », avec le « matérialisme démocratique », l’idéologie de support (le mythe de la liberté), tout cela doit être la cible prioritaire.
Tant que « nous » n’aurons pas « délégitimé » la démocratie libérale et qu’il ne sera pas common sense de remplacer démocratie par despotisme (avec tout ce que cela implique) puis économie par salle de torture (Éco-Nomie ou dictature des riches), tant qu’il ne sera pas « évident » (bien visible) que « le règne économique de la liberté » est un mensonge (déconcertant), il faudra continuer à lutter (et inventer des armes).
La critique doit se déployer en critique de l’économie (thème ancien marxiste à reformuler en analyse de l’économie comme formation politique de domination – rejet de toute compréhension « technique » de l’économie).
Et pour se focaliser, la critique de l’économie doit se déployer en critique de la société de consommation (retour à 68) ; le tourisme doit être une cible privilégiée de l’analyse critique, comme miroir grossissant de la lâcheté consumériste (comme profiter du travail esclave en toute bonne conscience).
C’est parce que nous savons que l’économie (la corne d’abondance) doit être défendue, qu’il est interdit de la critiquer (quelle que soit la forme de l’interdiction, du libéralisme de « la liberté économique » au technocratisme à la Lordon, l’impossibilité d’échapper à l’emprise), c’est parce qu’il y a cette censure préalable (augmentée par la domination médiatique), qu’il faut attaquer là.
Il n’existe pas encore de forme articulée (et médiatisée) de la critique radicale de l’économie ; il en existe des éléments disséminés et qui restent aux catacombes ; c’est donc depuis les catacombes qu’il faut se lever.
Encore une fois, cette référence aux catacombes est symptomatique : elle renvoie au christianisme des origines (une secte méprisée) et à la persécution.
Comment résister à la persécution ?
Adoptons le pont de vue de Badiou : mener la guerre hégémonique dans le champ des idées (notons qu’il a fallu 3 ou 4 siècles pour que le christianisme triomphe ; et de manière tout à fait pervertie !).
Suivons l’analogie de Badiou (dans son Paul) : pour le christianisme le dogme (ahurissant pour les rationalistes païens) de « la résurrection » (chanter sans cesse ; le Christ est ressuscité !), pour le communisme, le dogme (délirant pour les rationalistes technocrates) de la sortie de l’économie (chanter sans cesse ; sortir de l’économie pour vaincre l’inégalité ! – il n’y a pas de solution économique à un problème économique, puisque l’inégalité est au fondement de l’économie – voilà plein de thèmes à « populariser »).
Le dogme communiste de la sortie de l’économie doit être « enchanté », déployé sous toutes ses formes ou variantes (toujours l’attaque contre les touristes et les globe trotteurs).
MAIS il est impossible d’en rester là : la critique de l’économie DOIT se déployer en critique de « la démocratie ». De la démocratie libérale.
Tant qu’il sera massivement imaginé que « nous sommes en démocratie », que nous sommes dans le royaume de la liberté, le communisme est impossible.
Être contre la démocratie (dénoncée comme despotisme) est aussi inaudible qu’être contre l’économie.
Et c’est là où la critique devient une lutte (renvoi aux thèses sur la lutte d’abord).
Il faut donc déployer tous les arguments possibles. On demandera toujours à l’opposant (à la norme), à l’hérétique, d’apporter cent fois plus de preuves : toujours la dureté et la difficulté.

Maintenant, posons une question (que pose Badiou) : pourquoi les critiques de l’économie et de la démocratie sont-elles inaudibles ?
Réponse : parce que les classes moyennes (le stabilisateur politique si bien analysé par Badiou, renvoyons à ses analyses) sont corrompues, achetées, et participent au pillage et au partage du butin (même si le partage est inéquitable !) et sont rivées (comme des moules) à leur « mode de vie » consumériste (qui accepterait d’échanger « sa vie » occidentale contre celle d’un esclave congolais ? Et pourtant, « la richesse » des une vient de la misère des autres ! – l’exploitation est donc acceptée sans états d’âme).
Posons que la question centrale (d’éthique politique) est celle de « la pauvreté » (la voie pauvre). On sait, au moins depuis Rousseau Mably et le grand conflit sur « la richesse économique » (contre les Physiocrates) que le développement économique de la richesse implique une inégalité féroce (il ne peut y avoir de richesse pour tous) et, inversement, que l’égalité implique de sortir de l’économie, au prix de « la pauvreté partagée ».
Il peut y avoir de la pauvreté partagée, mais pas de richesse partagée.
Mais qui pourrait accepter, dans les classes moyennes occidentales, droguées à la consommation (aux voyages, aux petits luxes, aux commodités facilitant « la vie »), cette « voie pauvre » ?
Voilà le plus difficile combat, celui de la désintoxication (de cette drogue dure qu’est l’illusion de la richesse).
Jamais les classes moyennes ne voudront perdre leurs avantages acquis : plutôt le fascisme ou le massacre (des populations superfétatoires).
Badiou propose de tenter de fracturer « le bloc des classes moyennes », ce bloc d’appui (consumériste donc proto-fasciste) des oligarques.
Par exemple, en insistant sur l’idée que la politique ne peut être de la gestion (avec : gestion = interdiction de mettre en cause l’économie).
Par exemple, critiquer sans relâche la participation électoraliste (dite démocratique).
Et penser que tous ces éléments critiques, à déployer en forme d’encyclopédie, qui heurtent le consensus démo-économique, doivent être développés comme des déclarations de guerre.
La dénonciation radicale du capitalo-parlementarisme doit être soutenue.
Aucune compromission n’est possible. Aucune participation, réaliste, opportuniste, n’est acceptable.
Et, nous l’avons dit, cette dénonciation sans compromission isole, comme une hérésie coupe du monde.
Si l’on se réfère toujours au modèle du christianisme antique persécuté, il n’est pas tant besoin de « communauté de croyants » (communauté qui serait vite visée comme « communautariste » et sécessionniste) ou de « secte agricole » que de MISSION ; le fameux rôle de Paul, selon Badiou ou Agamben.
La plus difficile question est celle de contourner la dictature médiatique, la censure préalable et la propagande démo-économique, par une contre propagande, pour propager l’hérésie.
Contre propagande qui doit se déployer depuis le niveau le plus théorique (combattre l’université à l’université) jusqu’aux formes les plus « pop ».
La question de l’encyclopédie communiste.
Ce déploiement de la contre propagande peut et DOIT prendre la forme de débats internes. Il ne faut pas reproduire l’erreur du dogmatisme chrétien ou bolchévik, nous pouvons anticiper cette erreur (renvoyons à PUNK Philosophie qui traite de cette question, de la corruption dogmatique, extensivement).
Les débats et divisions internes, autant qu’elles déploient les deux dogmes du communisme, sortir de l’économie et abolir la démocratie (abolir la politique gestionnaire posant l’économie comme incritiquable), sont des sources de force (la force vient de la division).
Contre tous les conciles unificateurs (de la dogmatique figée) il faut promouvoir les débats qui permettent d’approfondir l’esprit critique – et sont une formation à la véritable démocratie (caricaturée par les fameux « grands débats » bien encadrés).
Mais sans doute l’écueil le plus redoutable (de menace fasciste) est celui de « la richesse », ou du mode de vie consumériste (non négociable et que l’on doit pourtant combattre), du tourisme, « de la liberté de se déplacer » (la bougeotte cosmopolite).
C’est là qu’il faut tenter de briser le bloc des classes moyennes : qui refuse le mode de vie consumériste (et peut être écologiste anti-économique) ? qui soutient « la voie pauvre » ?

La menace essentielle qui guide ces notes (qui constituent une simplification drastique de la PUNK Philosophie) est celle de « l’ingestion » (ou de la défaite intellectuelle).
Ingestion : glissement, corruption, de la révolte ou de l’insurrection du refus vers la participation gestionnaire (cette corruption si classique).
Bien sûr tout le monde connaît les vieilles méthodes « démocratiques » de dissolution des révoltes (il y faudrait une entrée entière de l’encyclopédie).
Ne citons qu’un exemple récent et caricatural : celui du fameux « grand débat national » octroyé par le pouvoir pour « répondre » au mouvement des Gilets Jaunes.
Question : comment était-il possible de se laisser prendre (pigeonner, arnaquer) par une manipulation si grossière et si ancienne (celle des comités Théodule) ?
Mais voyons les deux éléments qui structurent ce « grand débat » (dont il était prévisible qu’il ne mène à rien – malgré l’émerveillement médiatique devant cet exercice de « démocratie participative », évidemment de pure propagande) : il y a d’abord eu la répression sanglante, puis, profitant de l’effet de sidération, le montage d’un simulacre de débat (bad cop, puis good cop, mais toujours cop, l’État de répression).
Pour illustrer le concept de despotisme, il faut sans cesse rappeler le rôle d’étouffement de toute démocratie véritable par la dite politique démocratique libérale (et ici nous sommes au cœur de la guerre des mots, sur l’idée de « démocratie », un élément crucial de la guerre culturelle).
L’ingestion, pousser à la gestion, peut prendre de nombreuses formes, que le pouvoir « démocrate libéral » mobilise selon les circonstances – tout l’art de la domination.
Pour reprendre l’exemple du « débat » octroyé, on pourrait parler de la participation citoyenne encadrée (dont l’effet essentiel est sans doute de gonfler les petites gloires locales – regarde je passe à la télévision – et dont la fonction se tient dans la manipulation narcissique – enfin je suis écouté et je peux participer à la gestion).

Structurons un peu plus les choses :
La situation est celle du despotisme glissant vers la tyrannie des régimes sécuritaires.
Le cadre est celui de l’autoritarisme décomplexé, proto-fasciste.
Tout mouvement communiste est interdit ; ou n’est autorisé que dans la mesure où il reste insignifiant et se trahit lui-même en acceptant (sous contrainte) les règles de jeu de la démocratie libérale, et se soumet à la réduction électoraliste (le destin bien connu de la social-démocratie).
Il est interdit de mettre en cause le cœur du despotisme, l’économie. Et cette interdiction a été intériorisée, « ingérée », jusqu’à devenir un élément axiomatique (qui peut se déguiser en pseudo-marxisme de l’infrastructure, le cas Lordon ou tout économiste qui n’arrive pas à « sortir de l’économie », qui n’arrive même pas à penser politiquement l’économie comme élément despotique).
Toute sécession communiste ou communaliste est interdite, dès qu’elle prétend toucher l’économie, et, pire, la destituer.
Il serait intéressant de méditer sur la différence entre la sécession des riches (autorisée, puisqu’elle conforte l’économie) et la sécession des pauvres (qui risque d’entraîner l’économie à sa perte, comme le soulignent tous les grands auteurs néolibéraux, à commencer par Hayek – il faudrait relire sa critique de John Stuart Mill, critique néolibérale cinglante du « socialisme humaniste »).
Deux exemples pourraient être étudiés :
(a) L’Italie d’après 1970 en voie de berlusconisation, et la criminalisation des mouvements « communistes combattants ».
Il faudrait alors une analyse complète de l’échec des mouvements armés, à commencer par le zapatisme de foyer combattant.
(b) Plus globalement ce qui est important à comprendre (et pour suivre Badiou) est l’échec total des « communistes contestataires » de l’ex-bloc soviétique.
Les dissidents du communisme alternatif, comme Rudolf Bahro (relire L’Alternative), ne jouèrent aucun rôle, et ne purent empêcher l’accélération du développement capitaliste.
Quel est encore le point clé ? Le fait sociologique manifeste qu’il y avait dans l’URSS puis qu’il y a dans la Russie un bloc majoritaire de soutien à l’oligarchie (relire Tronti et Rita di Leo). Les citoyens de l’Empire (auquel adhère la Russie, après l’avoir mimé en URSS), les fameuses « nouvelles classes moyennes », apportent un soutien massif à l’ordre oligarchique despotique (déguisé en démocratie de marché — ce qui compte est la consommation, même inégalitaire, l’inégalité n’étant plus envisagée comme une difficulté, juste un mode de gestion efficace).
La forme de la démocratie libérale est plébiscitée et le jeu électoral considéré comme indépassable (permettant fictivement et imaginairement la participation à la gestion ; le micro-localisme dominant et exprimant une dépolitisation profonde).
La dépolitisation, l’acceptation du mode gestionnaire et des jeux électoraux, le repli dans le consumérisme (le lieu supposé du « libre choix »), cette dépolitisation n’est même plus perçue comme telle ; on finit par appeler « politique » les jeux parlementaristes et narcissiques de la gestion économique ; jusqu’au point de la désaffiliation : je ne fais pas de politique !
Les citoyens de l’Empire profitent de la domination impériale, et touchent le salaire de cette domination, et, donc, soutiennent cette domination (jusqu’au rejet de toute immigration).
Le bloc des classes moyennes est majoritairement ségrégationniste et proto-fasciste.
Comment alors lutter ?
La lutte dans le despotisme, despotisme glissant vers l’autoritarisme et la tyrannie, se manifeste comme hérésie (il faudrait développer le thème de l’économie comme religion).
La cible est bel et bien l’économie (contre les idées réformistes ou technocratiques).
La lutte est bien celle de « la sortie de l’économie », dans le cadre inquiétant du soutien massif à l’économie (soutien qui se retrouve jusque chez les critiques réformistes, à la Lordon, par exemple).
Finalement tout le jeu « politique » tourne autour de l’économie.
Voir Cinq Nuances de Despotisme Économique, LM 98, 27 mars 2017.
Renvoyons aussi à notre série Qu’est-ce que le despotisme économique ? LM 203, 6 août 2019, et suite, 4 épisodes estivaux.
Les tentatives communalistes de sécession locale sont vouées à l’échec ; et, exactement, à l’ingestion (dans l’économie sociale et solidaire, voire dans le caritatif – il faudrait expliquer que ce caritatif « philanthrope » n’est qu’une résurrection de l’ancienne charité religieuse : il faut combattre toute forme de charité, souvent justifiée par le « il faut bien faire quelque chose », mais pas trop quand même, « on n’est pas Saint François »).
Maintenant il faut tirer les leçons de tous les échecs, de toutes les corruptions, de tous les renoncements réformistes.
Et pointer le lieu du crime : la classe moyenne vendue.
Il faut penser le réformisme (l’acceptation de la conservation du cœur économique) comme « la politique spontanée » (quoique refoulée) de la classe moyenne corsaire (au service des oligarchies et se contentant des restes du butin). On sait bien que la politique de Troisième Voie (Clinton Blair) a consisté à flatter l’égo moyen des classes moyennes (qui ne demandent qu’à continuer le pillage, pourvu qu’il reste, pour elles, quelques scories récupérables).
Il y a donc deux voies impossibles :
La voie réformiste, réaliste : la misère de l’économie alternative ;
Voir LM 99 du 3 avril 2017, Changer d’Avenir ? Poisson d’Avril ; la participation démocratique électoraliste est un cul de sac.
La voie communaliste de la sécession locale : depuis l’économie solidaire jusqu’aux « économies écologistes ».
Étudier l’exemple de la Drôme et des réseaux bio.
À mettre en référence à la corruption (allemande) de l’écologie passée de l’opposition au gouvernement libéral.
Il est impossible de sortir de l’économie en restant dans les marges de l’économie ou en pensant apporter un nouveau modèle économique (plus écolo).
L’écologie libérale économiste est une nouvelle plaie.

Résumons alors les impasses :
Il est impossible de compter sur une crise pour politiser.
Reprendre l’exemple central des Gilets Jaunes : il faut toujours partir d’un événement de rébellion (voir la critique de Badiou de ce mouvement de révolte) ; et toujours poser la question : pourquoi la rébellion des Gilets Jaunes a-t-elle finie ingérée dans « le grand débat », cette machine à dissoudre les oppositions ?
LM 169, 14 décembre 2018, Que veulent les Gilets Jaunes ?
LM 175, 21 janvier 2019, La machine de guerre Gilets Jaunes ;
LM 192, 21 mai 2019, L’insurrection des Gilets Jaunes et la révolution de la révolution :
LM 184, 27 mars 2019, Qu’aurait pu dire Alain Badiou des Gilets Jaunes ?
Il est impossible de maintenir la lutte frontale face à la répression accentuée.
Répression dont la finalité est la dérivation dans la nasse de l’ingestion démocratique.
Nous sommes dans une phase de violence étatique augmentée (pré-fasciste) pour empêcher toute violence rebelle.
LM 168, 5 décembre 2018, Violence légitime ou légitime défense ?

Dans la dictature démocratique du despotisme économique en phase pré-fasciste, nous sommes poussés vers la guerre idéologique.
Déjà en affirmant que nous ne sommes pas en démocratie.
En dénonçant ce nouveau mensonge déconcertant : la démocratie libérale.
Et en pensant que la critique doit s’affirmer comme une déclaration de guerre.
Et une déclaration de guerre contre le plus proche : la classe moyenne, à laquelle nous appartenons objectivement, mais déjà plus subjectivement.
Et penser, supporter, qu’à partir du moment où l’on se met en ordre de bataille, POUR UNE GUERRE TRÈS LONGUE (penser par siècles) il va falloir DURER.
Et durer, c’est dur (mais anti-libéral – critique de la flexibilité !).
Nous rencontrerons toujours la question de la trahison, des renégats (BHL), des repentis, des vendus, de ceux qui ne peuvent dépasser leur avantage personnel (le « profiter de la vie » des manichéens viveurs) – la question de l’anti-humanisme.
Le sujet de la lutte n’est pas « l’individu » (trop limité par le temps) mais un « collectif dogmatique » (qui se maintient dans le temps bien au-delà de la mort individuelle).
Et toujours penser comme si l’on était déjà mort.
Comment la MISSION va-t-elle continuer ?

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
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