29 octobre : prise de la méga bassine de Sainte-Soline

« Maïs partout, justice nulle part »

paru dans lundimatin#357, le 2 novembre 2022

Sept mois se sont écoulés depuis notre dernier carnet de bord. Fin mars, on avait oublié notre duvet et failli mourir de froid après être arrivés juste à l’heure pour se joindre à de très belles scènes champêtres d’affrontement avec la police. Les Soulèvements de la Terre avaient annoncé la couleur depuis plusieurs semaines : la bassine de Sainte-Soline, ça allait pas être simple de la remplir.
Vu qu’on s’était quand même bien marrés la dernière fois, on est donc passés à Décat’ choper un duvet, et on s’est remis en chemin, direction les Deux-Sèvres.

Vendredi 16h  : On prend la route. Le coffre est chargé de notre tout nouveau matos de camping, cette fois, hors de question de passer deux nuits à grelotter sur le parking.

17h 30  : Passées les cent premières bornes, premier contretemps : faut faire le plein.
L’essence est hyper chère, et tout le monde quitte la ville pour faire le pont. Forcément, on est pas les seuls à vouloir du carburant.
Jamais vu autant de monde sur une aire d’autoroute. On prend notre mal en patience, remplit le réservoir, grignote des Tucs. On apprend qu’il existe une théorie selon laquelle un être humain est incapable de manger plus de six Tucs en une minute. On essaie.

18h : Notre conducteur a failli s’étouffer avec des biscuits apéros, mais l’honneur est sauf. On a de l’essence, et ça roule plutôt bien. A croire que le marais poitevin n’est pas une destination en vogue pour ce week-end prolongé.

20h : Début de l’interdiction de circuler pour les voitures et les vélos des non riverains aux abords de Sainte-Soline. Il nous reste une centaine de bornes avant d’arriver. Ça parait mal barré.

20h20  : On nous encourage à ne pas essayer d’accéder au périmètre, les axes routiers sont apparemment truffés de gendarmes et policiers qui s’intéressent fortement au contenu des bagnoles qui circulent dans le secteur. 135€ d’amende par tête dans la voiture, plus une pour la voiture. On fait l’addition, on n’a clairement pas les moyens (et encore moins après le passage à la station service)

22h30 : Après avoir slalomé pendant quelques heures sur des sentiers à peu près carrossables, traversé une bonne partie des champs de la région et déjà rencontré pas mal de ce qui reste de la faune locale (mais pas la police), on arrive au camp.
A l’accueil, les bénévoles nous félicitent. On nous informe qu’un certain Nico s’est engagé à payer une tournée à ceux qui arrivent aussi tard. On dit bravo au chauffeur, merci aux cartes IGN et à Philippe Béguin pour son invitation.

23h  : Pas de trace de Nico. On boit quand même un coup au bar. Malgré l’important dispositif policier dans le secteur, il y a déjà pas mal de monde, certains se sont garés à plusieurs kilomètres et ont fini à pied, d’autres sont arrivés bien avant. Sur les tables, au comptoir, sous les barnums et dans les tentes, ça discute de la manif du lendemain. ça risque de sérieusement chauffer pour la méga bassine.

00h : On s’installe pour la nuit.

Samedi 29 Octobre, 9h : Café et petit dej. Une fois de plus, l’orga semble avoir pris au sérieux la question de l’alimentation. Porridge, compote, fruits, cookies, tartines de confiture, de miel. On fait la queue, prend des forces puis s’avance faire quelques tours du lieu avant le début de la manif, qui doit partir vers 14h.

Pendant la matinée : Y a du beau monde. Pas beaucoup de chiens, mais des chiens de qualité. On discute avec les potes, ceux qu’on reconnait de la dernière fois, et ceux qu’on croise rarement au milieu d’un champ. Des Lensois de Marseille, des Toulousains de Lille, des Bretons de Bretagne, des vieux, des jeunes, des inconnus des locaux et des touristes.

Au milieu de tous ces anonymes, première déconvenue depuis l’arrivée : une rencontre fortuite avec Yannick Jadot, qui gare sa Toyota hybride juste en face de notre tente. Peu enthousiasmés par la perspective de tomber sur un politicien en claquettes-chaussettes pendant notre week-end à la campagne, on fait demi-tour, en espérant qu’il se casse dans pas trop longtemps.
On tombe sur une deuxième célébrité : Philippe Poutou en pleine démonstration de ses talents d’orateur, qui nous encourage à « abandonner collectivement tous nos scrupules ». On note cette phrase inspirante sur notre avant-bras, pour ne jamais l’oublier.

12h  : Pique-nique. On fait cramer deux feuilles de PQ sur une boite de sardines. Intrigués, des gens viennent nous demander le but de la manœuvre. On leur explique que c’est un protocole très sophistiqué permettant de libérer parfaitement les arômes du poisson et lui donner un délicieux goût fumé - une alternative shlag mais efficace au barbecue. Ils nous répondent « faites attention à vous quand même ». Ils ont pas l’air convaincu par la recette.

14h : Début de la partie de « 1,2,3 Bassines ». Le plan : trois cortèges s’élancent depuis des points différents du camp, avec le même objectif : aller interrompre le chantier de la méga-bassine de Sainte-Soline. A chaque équipe une couleur (vert, blanc, rouge), un itinéraire (est, nord, ouest) une cadence (marche, trot, course).
(Spoiler : on arrivera les derniers. Le vert ne nous a pas porté chance. Surement la faute à Jadot.)

Sur notre route, fourgons de la gendarmerie et policiers bien équipés passent un sale moment. Les projectiles sont nombreux, on court plus vite qu’eux, et les habitants du coin sont assez sympas pour nous ouvrir leurs jardins. Un villageois d’une cinquantaine d’années fait carrément tomber sa clôture pour laisser passer le cortège. Merci pour le raccourci, et pour la pause sur les balançoires. (Théâtre d’une discussion courte mais éclairante sur les perspectives locales d’actions antifascistes à mener contre le Futuroscope)

On traverse plusieurs champs, des fossés, des barbelés, des ronces, des rosiers. On est vraiment nombreux à travailler notre cardio, notre endurance et notre sens (collectif) de l’orientation. Et on a hâte de rejoindre les deux autres cortèges.

Après avoir cavalé pendant une bonne heure et demie suivis par six hélicos, quelques biches et un lièvre déter, on entend des tirs de mortiers. Au loin, on aperçoit la fumée des lacrymos lancées sur la bassine : bonne nouvelle, les copains de l’équipe rouge sont parvenus à entrer sur le chantier, et on s’est pas perdus en chemin.

Aux abords de la bassine, après une pause goûter et une fois passées les réjouissances des retrouvailles avec les deux autres équipes, on essuie une bonne pluie de matériel contre-insurrectionnel. PMC (Produit Marquant Codé) qui salissent encore plus nos sapes, ces bonnes vieilles lacrymos, LBD, désencerclantes, assoudissantes et toujours ces putains d’hélicos. On s’en prend plein la tronche, mais on s’en tape : le lendemain, on verra des images de fonctionnaires de police se ramasser dans un fossé et les chiffres annonceront deux fois plus de blessés chez eux que de nôtre côté. On a gagné la partie.

17h  : retour au camp. Sur le parking, bonne surprise : la voiture de Jadot est désormais ornée de deux magnifiques inscriptions à la peinture blanche. « CREVURE ». Cheh.

Samedi soir : on se sert du mafé, du pinard. On rallume les braséros.
Pendant que l’équipe rouge se la raconte, certains lisent des poèmes, d’autres s’adonnent à un rituel original consistant à jeter leurs habits techniques dans le feu. Un k-way contre une bassine, échange plutôt bénef.

Dans la nuit de samedi à dimanche : on entend résonner des tirs de mortier au loin. Certains seraient retournés allumer la bassine. ça sent les prolongations.

Dimanche matin  : courbatures, fatigue, café. On apprend qu’on a changé d’heure. Ca fait quand même deux jours qu’on s’est pas lavés, et même si y a une bonne ambiance à l’auto-wash, il s’agirait de reprendre la route.

Dimanche midi : les forces de l’ordre encerclent les environs, distribuent des amendes à la pelle, fouillent corps et véhicules. Bref, ils ont le seum. On attend que les hélicos partent faire un tour un peu plus loin, et nous voilà repartis, carte IGN en main, vers une nouvelle partie de chassé-croisé contre la police.

Sur notre tableau de bord, en guise de porte-bonheur : un cendrier bricolé à partir d’une vieille capsule de lacrymo, un tournesol brûlé par le soleil, des stickers de l’action antifasciste de Poitiers (hyper rares), un épi de maïs, et le double album de Jul, La Zone en Personne.

Cette fois encore, c’est passé crème.

Braséro (sans Pétou)

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :