Nach Gaza

Notes pour un néonihilisme politique depuis la campagne Stop Arming Israël

paru dans lundimatin#482, le 1er juillet 2025

Nous avons reçu ce brillant texte depuis le mouvement Stop Arming Israël en Belgique. Il propose de penser stratégiquement et politiquement depuis les campagnes de soutien à Gaza, soit, pour reprendre Adorno, depuis et par-delà Gaza.

« Lorsque Moïse décrit le pays où coulent le lait et le miel, il décrit le paradis. Cet attachement à l’image la plus ancienne du bonheur est l’utopie juive. Qu’importe si la vie de nomade représentait effectivement le bonheur. Probablement pas. Mais plus le monde de la sédentarité en tant que monde du travail reproduisait l’oppression, plus l’état ancien ne pouvait apparaître que comme un bonheur qu’il ne fallait pas autoriser, auquel il fallait interdire de penser. Cet interdit est à l’origine de l’antisémitisme, les expulsions des juifs sont des tentatives visant soit à achever l’expulsion du paradis, soit à l’imiter. »
Adorno

Se situer politiquement

Ce n’est plus le sentiment d’urgence qui anime notre révolte, c’est celui d’une rage qui sait qu’il est trop tard. Pas trop tard pour sauver encore des vies : pour ça il n’est jamais trop tard, pour ça nous nous battrons toujours. Mais nous savons désormais qu’il est trop tard pour empêcher la pire des catastrophes d’advenir : un peuple est à l’instant même en proie à un processus génocidaire qui s’assume comme tel au vu et au su de toustes, un peuple voit sa terre chérie être ravagée pendant que des milliardaires projettent à même les décombres leurs rêves d’avenir délirants, et une internationale fasciste qui hésitent plus ou moins (selon ses foyers) à s’autoproclamer comme telle soutient ce processus et cherche à y accommoder ses populations à coups répétés de matraquage propagandiste et de répression féroce proprement dystopiques quoique réels (ces deux termes ayant désormais bel et bien scellé leur union dans notre présent : notre réalité est dystopique).

Au confluent de l’impérialisme et du racisme les plus sanglants : la Palestine. Que celle-ci suscite aujourd’hui un écho aussi retentissant de par le monde n’est probablement pas seulement dû aux images insoutenables de la violence génocidaire, ou au cri désespéré de parents palestiniens qui ne comprennent le sort qui leur est méthodiquement fait, c’est aussi le signe que quelque chose là-bas se « joue » et qui relève d’un destin qui ne concerne pas le seul peuple palestinien. Il ne s’agit pas dans ce qui suit de reléguer au second plan le peuple palestinien, sa lutte, ses souffrances, mais de déterminer ce qui ici – disons l’Europe, l’Occident, l’Empire – peut encore faire signe et sens pour toustes celleux qui ne pourront jamais supporter la soufffrance des palestinien.ne.s (d’autant moins que cette souffrance annonce peut-être la mise en oeuvre d’une nouvelle machine de guerre islamophobe), pour toustes celleux qui reconnaissent la lutte (armée) du peuple palestinien mais aussi que cette lutte (complexe) n’est pas la leur, pour toustes celleux qui ne se résoudront jamais au destin que l’Empire occidental veut imprimer au monde.

C’est donc pendant (car le pire est en cours) mais aussi après (car le pire est advenu) Gaza qu’il nous faut nous situer, situer toute réflexion quant à une éthique possible, quant à une pratique politique possible pour notre présent. À l’instar d’Adorno, et de son fameux « nach Auschwitz » – que l’on traduit souvent par « après Auschwitz », qu’il faudrait bien plus justement traduire par « depuis Auschwitz », car quand l’horreur advient et fait césure dans l’histoire elle persiste en-deça de la césure et par-delà la césure non seulement comme mise en échec de toute croyance encore possible en ce monde mais aussi comme répétition possible (à l’avenir) de ce que l’on avait cru impossible jusqu’à l’horreur advenue. C’est aussi pourquoi le même penseur disait que le legs moral d’Hitler à l’humanité était un impératif catégorique nouveau : penser et agir en sorte que jamais Auschwitz ne se répète, que jamais un autre génocide ne vienne attester l’infamie de la race humaine occidentale. S’étonnera-t-on que les plus sourds à cet impératif soient ceux qui ont figé la mémoire d’Auschwitz, en ont fait leur apanage pour mieux s’en servir comme d’un collier d’immunité justifiant toutes les horreurs (ou du moins les horreurs islamophobes, quoiqu’on sache aujourd’hui que le gouvernement Netanyhou n’a pas hésité à abattre des juifves, des humanitaires, et n’a cure des otages du Hamas) ? Adorno, ce « demi-juif » [1] comme l’a nommé avec une normativité et un mépris effarants – quasi policiers – Hanna Arendt, n’aurait pas survécu en constatant le soutien frénétique de l’Allemagne (jusque dans des sphères répertoriées à gauche) à un gouvernement génocidaire. S’étonnera-t-on qu’un gouvernement d’extrême-droite ait conduit l’État né des cendres de la Shoah à perpétrer un génocide avec l’appui de certains de ceux qu’on nomma un jour Alliés ? Pour ne pas s’en étonner, c’est « nach di Nakba », « depuis la Nakba », qu’il faut commencer à réfléchir : la Nakba, la catastrophe qui est venue actualiser avec force une dynamique coloniale déjà présente sur le sol palestinien depuis bien avant 1948, une catastrophe continuée depuis lors (en-deça, par-delà la césure) dans l’horreur (colonisation, apartheid, massacres) et venue se répéter plus vigoureusement encore depuis le 7 octobre (génocide à plein régime). La fondation d’Israël en Palestine ne relève pas de la terre promise d’un peuple génocidé par une machine de guerre occidentale, ne relève pas de la terre promise par l’Occident bienveillant à un peuple persécuté (à en vomir) et aux rescapés de la Shoah. Cette fondation c’est le dernier râle nauséabond de la Shoah, un dernier souffle vicieux de l’entreprise nazi – comme un dernier mauvais tour joué au monde, un mauvais sort jeté au monde pour qu’on ne sorte jamais de l’horreur – qui n’aura de cesse de gagner en force et en amplitude, de gonfler les voiles de la catastrophe. Et aujourd’hui de s’amonceler sans cesse ruines sur ruines en Palestine, jusqu’à ce que toute ruine soit rasée pour que pousse une babylone démentielle sous l’impulsion de Jérusalem, une Jérusalem déjà babylonisée (la désormais tristement fameuse vidéo, faite par IA et relayée par Trump, de ce que sera Gaza une fois débarrassée des palestinien.ne.s et de sa culture, dit bien quelque chose d’Israël aujourd’hui dans ses rapports avec le plus haïssables des impérialismes, celui des USA).

Netanyahou, sa cour, ses soutiens ne sont pas des descendant.e.s des victimes et des rescapé.e.s de la Shoah, une généalogie réellement historique les rattache aux nazis. Ramener le judaïsme au camp ou à la terre étatique (établie, de fait, sur la terre des autres qu’on installera à leur tour dans des camps), c’est au fond donner une solution finale à ce qui, en tant que fait non seulement religieux mais aussi, en-deça, anthropologique, historique – et culturel ! – avait trouvé dans les motifs du départ et de la traversée un régime de production de sens inouï [2]. Mais concentrer, chez nous en Occident, toute l’attention critique sur Israël, quand bien même serait-ce pour indiquer des partenariats entre nos institutions et Israël, c’est verser dans une facilité où, à nouveau, les juïfs ont bon dos. C’est surtout ne pas comprendre qu’Israël est un rouage de l’Empire, son relai oriental principal, mais aussi un terrain d’expérimentation sans précédent pour les technologies innovantes de pouvoir répréssif. Lors d’une des grandes actions de désarmement écologique qui ont eu lieu en Belgique cette année, un policier bonhome et fanfaron s’est ainsi aventuré à expliquer à des activistes que sa formation de policier mobilisait notamment des pogrammes de l’armée Israël, dont un programme psychologique pour lire les humains comme des bêtes.

Chanter politiquement

Au fond, quelle ligne devrait aujourd’hui prendre notre lutte pour la Palestine, « depuis Gaza » mais ici, loin de Gaza ? On ne peut prétendre répondre à une question pareille. Mais quelques remarques, depuis les luttes (les observations qui s’y font, les perspectives qui s’en dégagent, etc.), ne sont jamais superflues pour encourager et faire écho aux percées les plus intéressantes des derniers mois, pour aussi se détourner de ce qui aujourd’hui n’est pas à la hauteur de ce « depuis Gaza » qui nous oblige. Deux remarques seulement, à propos de deux chants qui ont été entendu à l’impressionnante action de blocage et de désarmement Stop Arming Israel ayant eu lieu la semaine dernière en Belgique, mais qu’on entend bien souvent ailleurs aussi.

« Nous sommes tous / Des palestiniens ». Qu’est-ce que nous disent ces paroles, dès lors qu’elles sont chantées par des millions de personnes non-palestinien.nes (et c’est probablement d’abord de celles-ci qu’il sera question ici bas) ?

1. D’abord, que nous ne sommes pas tous des palestiniens, sinon nous n’aurions pas besoin de le chanter : certaines personnes ont d’ailleurs à ce point en horreur, consciemment ou inconsciemment, les palestinien.ne.s (comme figure exemplaire des arabes auxquels on les renvoie d’ailleurs pour mieux diluer leur identité singulière, pour mieux en faire l’objet d’une haine raciale), que les palestinien.ne.s aujourd’hui sont génocidés avec le soutien des puissances occidentales et dans l’indifférence d’une partie de la population peu soucieuse du sort des palestinien.ne.s. Bien des personnes ne chantent pas et il nous faut alors chanter fort contre ces personnes qui déshumanisent une part de la population, se déshumanisant du même coup, car c’est du côté des palestinien.ne.s que nous sommes, en lutte avec elleux contre l’Empire. Chanter ça c’est tracer deux camps : celui des agents de l’anéantissement et des indifférents qui s’en accommodent ; celui de celles et ceux qui sont des palestinien.ne.s, c’est-à-dire qui sont prêt.e.s à prendre des risques pour l’être et pour que la Palestine soit.

2. Que certaines personnes non-palestinien.ne.s compatissent avec les palestinien.ne.s (c’est le gros de notre chœur chantant), que certaines personnes non-palestinien.ne.s sympathisent avec la lutte (armée) du peuple palestinien contre son oppresseur (et déjà ici, notre chœur perd des voix). Le chœur chantant est donc lui-même divisé : tout qui s’y trouve n’est pas forcément sympathisant de la lutte du peuple palestinien, ni n’est forcément en lutte contre l’Empire ici. Ainsi dans le chœur peuvent notamment se trouver : des consciences morales sans activité politique aucune (humanisme dépolitisé), des consciences morales qui ont une activité politique moraliste (politique humaniste), des consciences politiques en lutte et en quête d’une certaine morale dans/par leur lutte (politique éthique). C’est un peu schématique, tant pis.

Ce chant dénote donc notamment un humanisme avec tout ce que l’humanisme comporte de limite : au nom de l’humanisme, jamais rien de politique ne s’opère. La « politique » de l’humanisme, c’est en dernier ressort l’humanitaire et puisque ce dernier a désormais été privatisé, au point qu’on parle aujourd’hui d’aide inhumanitaire, l’humanisme devenu inhumain renvoie mieux que jamais, en négatif donc, à ce qu’il a toujours été : nécessaire pour sauver des vies dont l’ordre social avait déjà fait des formes de mort ; indigent d’un point de vue politique. L’autre versant de cet humanisme, c’est le droit. Nous aurons ainsi vu, tout au long du processus génocidaire, « l’arme » du droit être brandie comme l’instrument privilégié de la lutte :

  • Des étudiant.e.s situant essentiellement leur lutte sur le plan de querelles juridiques avec leur université pour rompre, au nom du droit international, des partenariats qui y contreviennent. Ainsi nombre de petits fonctionnaires en herbe ont pu élaborer des stratégies juridiques pour prendre en défaut leur rectorat, créer des commissions éthiques, se rendre dans le parlement européen pour s’y répandre (dans des micros de parlementaires) en banalités sur la situation présente et y siéger serti.e.s d’oreillettes de parlementaires. Ainsi sont faits les habitus qu’aimanteront les partis socialistes dans quelques années. Ce que ces luttes étudiantes ne parviennent absolument pas à adresser comme problème en tant que tel c’est le régime universitaire de production de savoirs lui-mêmes ; Alain Denault, dans sa préface au livre nécessaire qui démontre en quoi la numérisation du monde ne va pas sans et n’ira pas sans le sang des congolais.e.s, écrit : « les universitaires sont partout au cœur des cercles produisant les problèmes les plus graves de la société » (cf. Barbarie numérique de Fabien Lebrun).
  • Des expert.e.s en tout genre, lorsqu’on leur demandait s’iels étaient pro-palestinien.ne.s, ont souvent répondu en ce qu’il faut bien appeler un bêlement de mouton humaniste « je suis pour le droit international ». Façon implicite de dire qu’on est pour la Palestine puisque le droit international est du côté de la Palestine, mais dont l’implicite même permet qu’on évite d’instaurer une culture antagonique où il s’agit bien de prendre parti. Et prendre le parti du droit international est bien commode pour ne pas se mouiller tout en prenant soin de laver sa conscience. Triste boussole que celle du droit international , surtout quand on en fait un chapelet, quand on oublie les rudiments marxistes sur les appareils idéologiques d’État (aussi bêtes soient ces analyses marxistes, on en viendrait à les regretter aujourd’hui), quand on a pas le minimum d’acuité politique pour pressentir que le droit international est en cours d’effondrement accéléré depuis des années. Boussole pathétique, et viciée.

L’humanisme, même politique, n’a qu’une fonction : éviter la politique, éviter l’antagonisme politique qui veut lutter au-delà du droit international dont, du reste, n’ont que foutre nos ennemis, depuis bien longtemps déjà. Car tout le problème est là : nos ennemis ne s’embarrassent pas du droit international, ils n’en usent que quand ça leur chante. À nous aussi d’en user de la sorte et de ne pas en faire le lieu référentiel de notre lutte. Sauf si l’on veut faire métier de cette indignation perpétuelle face à la violation du droit international, une indignation qui n’a d’ailleurs jamais entravé radicalement le cours de la violation. Un crime de génocide, on le prévient toujours trop tard.

Renouer avec la politique, voilà notre tâche. À l’heure où il est trop tard – pour la Palestine, pour le Congo, pour bien d’autres. Deux questions indémêlables se posent alors : Que veut dire ici politique ? Comment renouer avec la politique « à l’occasion » terrible d’un génocide qui a lieu à des miliers de kilomètres ?

C’est un autre chant qui nous donne l’indice de la politique qui (nous re)vient : « From the river to the sea, Palestine will be free ». À première oreille, c’est bien d’une libération nationale qu’il s’agit, l’énoncé balaie un espace territorial qui va de la mer au Jourdain : la terre des palestinien.ne.s. Mais il faut savoir l’entendre autrement et retrousser l’énoncé : l’espace territorial que balaie l’énoncé est alors autre, il part de la mer et du fleuve pour rayonner et se répandre de par le monde. La libération ne se fera qu’à ce prix là, car c’est bien un ordre néocolonial qui frappe la Palestine aujourd’hui comme son épicentre, et sans le soutien proactif de l’Empire occidental, et sans l’inféodation d’une grande bourgeoisie arabe à celui-ci, Israël ne pourrait pas déchainer sa violence avec une telle force : il n’y aura donc de Palestine libre qu’à nous-mêmes nous faire les agents de la destruction d’un ordre colonial, et nous ne serons jamais libres en Occident tant que la Palestine ne le sera pas. La Libération ne peut pas être uniquement nationale. Il ne s’agit évidemment pas de se poser ici en sauveur de la Palestine, car le sauvetage ne peut-être que double : c’est tout autant la Palestine qui peut nous sauver. D’où le pitoyable moralisme d’une gauche occidentale qui voudrait s’en tenir au strict BDS sans enclencher une lutte de libération sur son propre territoire. C’est bien cela que doivent par exemple assumer les étudiant.e.s : leurs universités n’ont pas moins les mains sanglantes que les universités israéliennes, elles ont juste pour elle d’être installées en Occident, c’est-à-dire dans l’imaginaire collectif : à distance des massacres, à distance pour quelques temps encore de la guerre, avec tout ce que cela leur confère d’humanisme de façade, mais leurs programmes de recherches sont de plus en plus orientés vers la guerre, leurs partenariats de recherche, pour peu qu’on y fouille, sont abjectes, et les finalités sociales de la recherche sont pour une bonne part proprement délirantes : bref l’Université n’est pas aujourd’hui abjecte parce qu’elle est en lien avec Israël, mais parce que le régime de savoir dont elle est productrice est proprement destructeur (de certaines partie du monde, exemplairement la Palestine, mais du monde en général puisqu’elle ne fait qu’alimenter le désastre écologique même quand elle fait voeu d’être actrice de cette nouvelle idéologie néocolonialibérale qu’est la transition écologique). Dès lors, il ne s’agit pas d’abord de passer les partenariats au crible pour repérer leur abjection (bien qu’il faille le faire aussi), de créer des commissions qui professionnaliseront cette évaluation, il s’agit de mener une guérilla au sein de nos institutions universitaires, une campagne de harcèlement des agents de l’ordre universitaire, de faire de l’espace universitaire le lieu d’une libération, c’est-à-dire aussi d’une réappropriation créatrice. Les sciences appliquées, les hautes écoles commerciales, la position même de recteurice, mais aussi les injonctions à la compétitivité/rentabilité au sein de l’Université, doivent être la cible de cette guérilla dont les formes sont à inventer. Étudiant.e.s, encore un effort pour être décoloniaux et anti-impérialistes.

De plus, ce qu’il faut probablement assumer aujourd’hui, à contre-courant des flottes et des marches qui prennent la direction de Gaza (sans jamais prendre les armes), c’est que la libération difficile de la Palestine et l’inopérativité du droit international témoignent de la difficulté que nous avons à nous libérer nous-mêmes, ici, de l’Empire et de son droit international. C’est pour cette raison que sont nées des campagnes comme celle de Stop Arming Israël, des campagnes qui montent en intensité au fil des mois, qui visent non seulement à faire en pratique ce que nos États se sont résolus à ne pas faire : un embargo sur les armes à destination d’Israël, en l’occurrence un embargo populaire (qui a par exemple réuni plusieurs centaines de personne à Bruxelles en Belgique la semaine dernière, pour un blocage déterminé d’une entreprise d’armement, où la police aura arrêté des centaines de personnes) [3], mais aussi à s’en prendre directement aux machines de guerre que deviennent nos États en ce moment (comme plusieurs autres centaines de personnes réunies à Tournai en Belgique la semaine dernière également, pour un désarmement tout aussi déterminé d’une autre entreprise d’armement qui a chiffré les dégats à hauteur d’un million d’euros, un désarmement à la suite duquel la police s’est lancée dans une chasse à l’activiste dans les bois pendant plusieurs heures sous le vrombissement menaçant d’un hélico) [4]. Ces actions viennent doubler ou multiplier le BDS auquel quelques politiques humanistes voudraient cantonner la lutte pour la Palestine. BDS : believe, destroy, strike. Believe : par la lutte, réactiver la confiance malgré ce « nach Gaza » terrible, car ce n’est que depuis une prise de parti et une action résolue que se devine, se goûte déjà et peut s’arracher cet autre monde auquel croire malgré tout. Destroy : lutter ce n’est pas s’en remettre à un ordre injuste en essayant de l’accomoder à la marge, ou en s’illusionant sur notre capacité à subvertir les institutions de l’injustice et de l’horreur, c’est assumer qu’il y a un monde ennemi, fait d’agents, d’infrastructures, d’institutions, et que c’est bien ce monde ennemi qu’il faut abattre, car il ne laissera jamais de répit aux autres mondes que l’on cherche à construire. Strike : frapper et mettre en grève le monde, c’est-à-dire s’organiser patiemment, même si la rage nous habite, pour ensemble désactiver le monde de l’ennemi, zone après zone, million après million, et s’il devait en aller d’une insurrection révolutionnaire... Un peu comme le disait un manifeste anti-impérialiste récent : l’espoir, le courage, l’insurrection [5].

À défaut de prendre les armes, nous faisons donc le choix de tout faire pour désarmer les entreprises qui alimentent ces machines de mort nommée Israël, nommée USA, nommée nazisme « juif », nommée fascisme démocratique de l’Occident. Guerre à la guerre, pour notre libération Insh Allah. Car nous sommes toustes des palestinien.ne.s, de la Mer au Jourdain, en passant par le monde.

[1Par retournement du stigmate, on revendiquerait volontiers la nomination « demi-juif » pour toustes les juifves qui s’abstiennent de définir le degré de pureté de l’identité juive et s’opposent à tout ce qui définit ce degré et discrimine à l’aune de ce degré. Adorno, qui n’avait pas d’égal pour traquer les potentiels fascistes et nazis là où on ne les soupçonnerait pas d’emblée, est à cet égard un exemplaire demi-juif. Du reste, il se présenta un jour à son ami Alban Berg comme étant « juif à 100% ou à 50% », ce qui fait certes signe vers son ascendance parentale mixte, mais ce qui définit aussi un rapport au monde méfiant vis-à-vis de toute authenticité revendiquée.

[2Ce qui n’est pas forcément contradictoire avec l’idée de Terre à venir ou de Terre promise, pour autant que même cette terre soit aussi et encore l’espace d’une extra-territorialité, un espace qui, pour répondre à l’idée d’une réconciliation non-faussée, doit faire droit à l’expérience de l’autre comme une nécessité sans quoi l’identité se refuse aux affects transformateurs et étouffe en la réduisant au néant la dimension utopique – révolutionnaire disent certain.e.s – du judaïsme. C’est ce critère notamment qui permet aujourd’hui de condamner avec force Netanyhou et son régime, de relire de façon critique cette guerre de cent ans, mais aussi de réfléchir un peu plus pragmatiquement à une solution – Inch Allah – à un État. Bien que tout.e demi juifve ne puisse probablement que voir d’un oeil soupçonneux l’équivalence entre la Terre promise et un pays unique, un seul État.

[5Les Peuples veulent, Révolutions de notre temps Manifeste internationaliste : « Bien que tout ait été fait pour en minimiser l’importance, pour lui couper les lignes de communication, pour en brouiller le sens, le pouvoir des peuples en révolte a été contagieux. L’espoir, le courage et l’insurrection ont traversé les corps, les territoires et toutes les frontières ».

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