1979 : Papon en Argentine - par Jérémy Rubenstein

« Papon aura été d’une belle constance, platitude exemplaire de l’administration de la terreur. »

paru dans lundimatin#218, le 25 novembre 2019

La première fois que j’ai entendu parler de cette histoire ce fut de la bouche de l’un de ses survivants, Miguel Benasayag. Au détour d’une conversation publique [1], il nous raconta qu’il avait été libéré d’une prison argentine, en plein milieu de la dictature, du fait de l’intervention d’un ministre français, Maurice Papon. En substance, commenta-t-il brièvement, il s’agissait d’une histoire perverse qui faisait que quelques militants de gauche devaient leurs vies à un sinistre personnage de droite, pas de quoi atténuer le syndrome de culpabilité attaché à la survivance.

Que faire de cette information pour le moins choquante ? Bien des années plus tard, je proposais à Benasayag de réaliser un entretien en vue de l’écriture d’un article. Il était partant mais, moi peu insistant, lui toujours occupé par mille activités, cet entretien n’a toujours pas eu lieu. Entre temps, dans une hémérothèque de Buenos Aires, je faisais le tour des journaux traitant de la visite officielle du ministre du Budget français en avril 1979, puis consultais le dossier Papon aux Archives Nationales à Saint-Denis. Pas de grandes révélations, plutôt un banal voyage diplomatique, avec sa succession de cérémonies publiques et de rencontres à huis-clos avec les plus hauts dignitaires de la dictature suivis de communiqués.

Mais, tout de même, Papon en Argentine, venu sauver la vie de militants révolutionnaires ? Comme on s’en doute, pas vraiment, mais un peu aussi, entre deux accords commerciaux. Avec un jeu au milieu qui consiste, pour la partie argentine, à exulter de recevoir un ministre français –-c’est la première fois depuis le début de la dictature (le coup d’Etat remonte au 24 mars 1976) qu’un représentant européen de rang ministériel fait le déplacement ; et pour la partie française, à insister sur son objectif de libérer ses ressortissants des geôles argentines. Voici donc le récit d’une banale visite diplomatique, avec ses dîners entre officiels qui, des deux côtés de la table, sont des personnes ayant dirigé des crimes d’Etat particulièrement abjects au vu de leurs nombres et de leurs modalités.

Rappelons-le, Maurice Papon (1910-2007) n’est à cette période-là qu’un simple haut-fonctionnaire passé en politique dont la carrière menait presque naturellement à la tête d’un ministère, à la fois puissant et technique, comme celui du Budget. Si une partie de la gauche se rappelle probablement qu’il fut le préfet de Paris durant le massacre de Charonne en 1962, ceux autours du 17 avril 1961 sont alors publiquement totalement ignorés. Quant à ses affectations dans les colonies, elles n’ont jamais suscité de débat (il a pourtant, entre autres faits d’armes, occupé le poste de préfet de la région de Constantine entre 1956 et 1958. A ce titre, il coordonne la répression, appliquant fermement les principes de la Doctrine de Guerre Révolutionnaire [2], ce qui n’est pas le moindre de ses crimes). La révélation sur son rôle, à la préfecture de Gironde, dans l’envoie de centaines de Juifs vers les camps allemands – le seul de ses crimes qui sera jugé lors de son procès de 1997-, n’apparaît que le 6 mai 1981 dans le Canard Enchaîné (durant l’entre-deux tours des élections présidentielles). Le nom de Papon résonne donc moins, en 1979, avec les bains de sang administratifs de l’Etat français qu’avec la terne technocratie de la Giscardie.

Quant aux crimes de la dictature argentine, ils sont relativement peu dénoncés en France jusqu’à la fin de 1977 mais cette situation change alors rapidement. L’opinion publique est interpellée par la disparition de deux religieuses françaises à Buenos Aires, Alice Domon et Léonie Duquet, qui ont été séquestrées le 10 décembre 1977, victimes d’une opération qui a aussi fait disparaître entre autres Azucena Villaflor, l’une des toutes premières "Mères de la Place de Mai". Dans le même temps, se développe une campagne de boycott de la Coupe du Monde qui doit se dérouler en Argentine en juin 1978 (le premier appel au boycott est publié dans Le Monde en octobre 1977, un comité est formé dans la foulée [3]). Un autre comité organise un contre-sommet de cancérologie à Paris, ce qui permet à de nombreux scientifiques de prendre position contre la tenue du Congrès International à Buenos Aires, pour refuser que « des médecins et des chercheurs apportent par leur présence une caution morale à un pays où règnent l’assassinat et la torture » [4].

Cette nouvelle visibilité publique explique pour bonne part que le gouvernement français s’intéresse au sort de ses ressortissants (en fait, la plupart ont la double nationalité), parmi les milliers de prisonniers politiques argentins. La diplomatie française obtient ainsi la libération d’un premier contingent de cinq détenus en septembre 1978, dont Miguel Benasayag et Roberto Sanchez [5]. Il est probable que le voyage ministériel de Papon ait été un élément dans les négociations diplomatiques menant à ces libérations, comme gage de bonne volonté exigée par la France. En tout cas, on peut observer un changement d’attitude des autorités argentines, à travers le cas de Benasayag, dont au moins deux sollicitudes de libération et déportation avaient été auparavant rejetées [6]. Pour autant, cela ne veut pas dire que le voyage de Papon ait eu pour principal objectif de libérer des ressortissants français, l’intitulé de son ministère est clair sur les intentions. Il s’agit essentiellement de nouer ou d’approfondir des relations commerciales. Mais le contexte interroge sur la nature exacte des accords commerciaux recherchés.

Coopération militaire ?

Une des premières questions que je me suis naturellement posée avec ce voyage d’un ministre du Budget est de savoir si les accords commerciaux qu’il vient signer incluent la vente des missiles français. Ces Exocets sont célèbres en Argentine car ils ont servi durant la Guerre des Malouines (avril-juin 1982), entre autres à couler un destroyer britannique. Surtout, plus tard, il apparut que les Français entrainaient les marins anglais à déjouer les missiles qu’ils avaient vendu aux Argentins [7]… de quoi alimenter la chronique. Or, les contrats de vente sont précisément de 1979, d’où l’intérêt pour Papon en représentant de commerce cette même année. Seulement, il n’est pas un seul document de la visite de Papon qui fasse référence aux ventes d’armes, ce n’est pas si étonnant car celles-ci doivent certainement dépendre de l’accord du ministère de la Défense. Reste que, à la vue de la gabegie à laquelle s’adonne la dictature en achat d’armes (la possibilité d’une guerre avec le Chili est alors loin d’être exclue), il est difficile de croire que le gouvernement français n’est pas voulu favoriser ses marchands de canons avec une petite visite ministérielle. Un graphique sur l’endettement argentin (par décrets secrets) pour l’achat d’arme est assez éloquent pour se passer de commentaire :

Par ailleurs, les décrets secrets argentins montrent deux contrats, l’un du 27 avril 1979 pour deux corvettes et un second du 11 mai 1979 sur les Exocet avec l’entreprise publique Aérospatiale (dont le PDG est le général Jacques Mitterrand –le frère cadet-). Les dates de ces contrats, si elles ne prouvent pas l’implication directe du ministre du Budget suggèrent tout au moins que la visite ministérielle a favorisé un « climat de confiance » (pour utiliser le jargon en vogue dans les milieux commerciaux). Ajoutons que la Marine argentine commande 14 avions « Super-Étendard » en juillet 1979 à Dassault, qui en a déjà livré 5 lorsque commence la Guerre des Malouines [8].

Coopération militaire (bis) ? Quelques commentaires sur un rapport parlementaire

Ainsi, les documents diplomatiques prouveraient, par l’absence, que la visite de Papon n’a pas grand-chose à voir avec les contrats d’armement. Mais, si ces contrats ne dépendent pas du ministère du Budget ou de l’Économie, c’est qu’ils dépendent de la Défense. Ici, il n’est pas inintéressant de revenir sur un rapport parlementaire français de 2003 [9], chef d’œuvre de contournements et d’occultations visant à nier la coopération militaire entre la France et les dictatures du Cône sud.

Présenté par le député Roland Blum, ce rapport rejette la proposition, portée par Noël Mamère, de former une commission d’enquête en vue d’établir « la politique de la France et son armée à l’égard des dictatures d’Amérique latine entre 1973 et 1984 ». Blum explique son refus par une proposition qui serait « fondée sur des faits inexacts » car « aucun accord de coopération militaire entre la France et l’un des trois pays d’Amérique latine n’était applicable lors de la période considérée », et conclut « Il n’est donc pas possible d’étudier l’application d’accords de coopération inexistants ». Certes, l’intention de Noël Mamère, visait plus spécialement les coopérations sur le savoir-faire contre-insurrectionnel français. Sa demande fait suite à la publication du livre et du documentaire de Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort [10], qui ont révélé au grand public le détail de ces coopérations. Il n’empêche, les contrats d’armement contredisent le député Blum. Noël Mamère, en se focalisant uniquement sur la coopération en matière contre-insurrectionnelle [11], n’a pas relevé la flagrante occultation des accords commerciaux qui relèvent du domaine militaire.

Poursuivons avec Blum qui affirme « la politique française à l’égard de l’Amérique latine fut à l’époque dépourvue de toute ambiguïté ». La seule visite officielle d’un ministre suffit à anéantir cette affirmation. Mais, pourrait-on objecter –et c’est à quoi s’attache la communication diplomatique-, cette visite aurait pour principal objectif d’obtenir la libération de ressortissants français, ce qui justifierait cette ambigüité nécessaire. Alors, non. D’une part, la France est loin d’être le seul pays à obtenir la libération d’une partie de ses ressortissants ; ce sont tous les pays européens qui font de même, sans envoyer de ministre. D’autre part, si l’objectif était bien celui-là, alors ce serait le ministre des Affaires étrangères ou un secrétaire chargé des droits de l’Homme qui serait requis, et non pas celui du Budget, dont le seul titre dit l’intention commerciale de la visite, « ambiguë » donc.

Si on voulait encore douter de la mauvaise foi du député, il l’expose plus clairement encore lorsqu’il évoque la soi-disant absence de coopération entre les services de renseignement français et les juntes :

« l’allégation selon laquelle la DST aurait indiqué aux services de renseignement chilien l’identité des réfugiés retournant dans leur pays, celle-ci repose uniquement sur un témoignage particulièrement douteux, celui du général Contreras, l’ancien chef de la police politique chilienne ».

Singulier argument qui consiste à estimer que puisque Contreras est peu fiable, il n’est pas besoin de vérifier ses dires par une enquête. Surtout, il oublie juste une opération autrement plus vaste et impossible à dissimuler aux yeux des autorités françaises : l’installation d’une base des services argentins comme annexe de l’ambassade argentine à Paris : le Centro Piloto.

Officiellement, cette base est déjà une unité de guerre psychologique, puisqu’elle a pour mission de promouvoir une image positive du pays, et donc de « contrecarrer la campagne de propagande de groupes militants » [12]. Officieusement, elle est un nid d’espions chargés d’infiltrer ces mêmes comités. Or, incidemment, le député Roland Blum cherche plus loin à prouver l’attitude ferme de la France face à la dictature argentine, en évoquant les poursuites entreprises par la justice française contre Alfredo Astiz dans les années 1980, et sa condamnation par contumace en 1990 –pour la disparition d’Alice Domon et Léonie Duquet. Il ne pouvait plus mal tomber, ce même Astiz a été précisément un agent de la Marine infiltré dans les groupes d’exilés à Paris. En soi, il est emblématique de la parfaite connaissance qu’avaient les autorités françaises des activités des services argentins à Paris, puisqu’il a été reconnu et dénoncé dans la presse dès avril 1978 [13], dans Le Monde on pouvait alors lire :

Dans un témoignage recueilli par la commission œcuménique d’entraide Cimade et par la commission d’entraide Justice et Paix, une réfugiée argentine affirme avoir formellement reconnu, lors d’une récente réunion d’exilés à Paris, un membre des services de sécurité argentins, qui avait réussi à s’infiltrer à Buenos-Aires au sein de la ’commission des familles de personnes disparues ’, dont elle faisait partie. Cet individu voyagerait aujourd’hui avec un passeport au nom d’Alberto Escudero. Ses indications auraient entre autres conduit à l’enlèvement dans la capitale argentine, en décembre dernier, d’une quinzaine de membres de la commission et des deux religieuses françaises, sœur Alicia Domon et sœur Léonie Duquet, disparues depuis.

Ainsi, la présence d’agents argentins à Paris était déjà bien documentée dès 1978. Si la DST ne voulait pas savoir, elle n’avait certes qu’à éviter d’acheter le journal ; de toute évidence, Roland Blum a fait de même 25 ans plus tard.

Astiz, à l’extrême gauche de la photo, réunion pour le contre-congrès de cancérologie, probablement en mai 1978.

Banal diner à l’ambassade, assommant donc

On le voit, la visite de Papon en Argentine s’inscrit dans des relations plutôt très cordiales entres les deux gouvernements. Elles ne sont néanmoins pas exemptes d’une « ambiguïté », précisément dans la même ligne que celle suivie plus tard par Blum : il s’agit sans surprise d’afficher une grave préoccupation pour les droits de l’Homme, sans que cette gravité n’entame en rien l’entente avec ceux qui les violent. Cette acrobatie d’une affligeante banalité est permise grâce à des partenaires tout aussi hypocrites :

« Les dirigeants du pays ont eu le tact de ne jamais laisser entendre que le déplacement d’un membre du gouvernement français pouvait être considéré comme une caution au régime, ayant compris qu’une exploitation ostentatoire de l’événement pouvait nous placer dans une situation délicate. On est heureusement resté sur une réserve de bon aloi » [14]

En fait, il n’y a pas grand-chose à raconter sur la succession de rencontres officielles suivies de communiqués jargonneux. Si ce n’était cette étrange situation, où le président-dictateur Videla rencontre le ministre Papon, soit deux tortionnaires en chef appliquant à vingt ans de distance exactement les mêmes méthodes (et pour cause), qui discutent sérieusement du sort de plusieurs prisonniers (une dizaine en tout), pour la plupart militants décidés de gauche. Comprenaient-ils la macabre ironie de la situation ? Il y a fort à parier que non, à l’intérieur du vaste éventail de personnalités qui compose le monde des tortionnaires, ces deux là sont de froids administrateurs exempts de toute trace d’ironie, y compris d’humour noir type nazi et son travail qui rend libre. Non, il faut plutôt les imaginer se penchant sur le problème administratif qui a surgi du fait des protestations et tâchant de le résoudre avec « une réserve de bon aloi ». Les pense-bêtes griffonnés de Papon sont éloquents à ce titre, certains sont pour se rappeler des secteurs économiques à défendre, d’autres le nombre de prisonniers à négocier.

Quoiqu’il en soit, la « visite en Argentine a été un succès » comme l’écrit si bien Destremau à Papon, d’autant qu’il « semble que la presse française n’ait pas porté les coups auxquels nous nous attendions ».

On peut partager sa surprise mais, surtout, la phrase révèle combien le ministre et l’ambassadeur se sont préparés à recevoir des critiques. Et là, on voit bien l’intérêt des prisonniers qui peut à tout moment être brandi. En somme, les petits calculs cyniques des hauts fonctionnaires et ministres n’ont rien à nous apprendre tellement ils sont évidents. A cet égard, Papon aura été d’une belle constance, platitude exemplaire de l’administration de la terreur.

Jérémy Rubenstein

Post-sciptum

Petite curiosité (bien obligé, la visite diplomatique est si rasante qu’on remarque les motifs des rideaux) : l’empressé ambassadeur qui accompagne Papon dans tous ses déplacements (et principal producteur de nos très ennuyeuses sources) est un ancien champion de Rolland Garros. En effet, Wikipedia nous apprend que Bernard Destremau remporta le tournoi en 1942, il est vrai une année où celui-ci abandonna son caractère international (la France traversait une période d’isolement diplomatique), mais tout de même, belle performance. Pourtant, il serait hâtif de voir à Buenos Aires une rencontre entre deux anciens collabos, le jeune champion de tennis s’est hâté de rejoindre la France libre une fois la coupe gagnée.

Autre petite curiosité, cette fois de la communication actuelle de l’ambassade : elle a oublié de la liste de ses titulaires ses ambassadeurs durant la période 1976-1981 (François de La Gorce et notre champion Bernard Destremau).

Liste des ambassadeurs :

Les manquants :

[1J’ai assisté à plusieurs de ses interventions au début des années 2000, si bien que je peux confondre, mais il me semble que ce fut lors d’une présentation de livre dans la regrettée librairie Païdos à Marseille probablement en 2003.

[2La Doctrine de Guerre Révolutionnaire est souvent évoquée dans les pages de lundimatin, ses principes sont expliqués entre autres ici https://lundi.am/Les-derives-d-une-absence-d-analyse

[3Marina Franco, El exilio Argentinos en Francia durante la dictadura, Ed. Siglo XXI, 2008, p.182

[5Roberto “El Gordo” Sanchez devient par la suite une légende chuchotée parmi les gauches latino-américaines, entre autres pour avoir participé en septembre 1980 à l’opération pour exécuter (“ajusticiar” on dit en espagnol dans ces cas-là), à coup de bazooka en pleine avenue de Asunción (Paraguay sous dictature de Stroessner), l’ancien dictateur du Nicaragua Anastasio Somoza. Sanchez trouve la mort en 1989 (mais son corps reste disparu) dans l’attaque de la caserne de la Tablada dans la province de Buenos Aires. Je tâcherai d’écrire un article sur l’itinéraire de ce militant révolutionnaire, en attendant pour un récit circonstancié en français du triste épisode de la Tablada, on peut consulter ma thèse ici [http://graphomaniaque.blogspot.com/2019/11/la-sedition-militaire-de-semana-santa.html, pp. 234-246

[6Décrets secrets des 22/12/1977 et 18/05/1978, Benasayag est officiellement prisonnier depuis avril 1975 (décret du 04/04/1975), ce qui ne préjuge pas de la date réelle de sa détention, probablement antérieure de plusieurs semaines. L’ensemble des décrets secrets de la période a été publié en 2012 et sont consultables sur internet depuis.

[7A ce propos, on peut écouter l’émission de Patrick Pesnot, Rendez-vous avec X, https://www.franceinter.fr/emissions/rendez-vous-avec-x/rendez-vous-avec-x-17-mars-2012

[10Marie-Monique Robin, Escadrons de la mort, Ed. La Découverte, 2004. Le documentaire est diffusé pour la première fois le 1er septembre 2003 sur Canal+

[11La coopération en matière de contre-insurrection remonte à 1958, aussi toute une génération d’officiers argentins a déjà été formée et très influencée par « l’école française » lors de la dictature de 1976. Autrement dit, les officiers argentins n’ont plus besoin de cet enseignement qu’ils ont déjà assimilé, ils sont même en mesure de la délivrer à leur tour (en Amérique centrale en particulier). En revanche, il est très probable que des officiers français continuent de donner des conseils à leurs pairs argentins. En particulier, ils ont très probablement été conviés à une réunion cruciale du haut-commandement argentin, en septembre 1975, qui décide du caractère essentiellement clandestin de la répression d’Etat. Pour une bibliographie étendue sur cette réunion secrète, voir ma thèse p. 101 (téléchargeable ici http://graphomaniaque.blogspot.com/2019/11/la-sedition-militaire-de-semana-santa.html)

[12[La Nación, 14 janvier 1978, cité par Marina Franco, op.cit, p.326

[13La preuve incontestable de cette présence est, certes, apparue seulement en 2009, avec une photographie découverte par Gabriel Périès dans les archives personnelles de son père, où l’on voit Astiz assister à une réunion d’information sur la situation en Argentine. Néanmoins, cette présence était déjà dénoncée dès avril 1978, en première page d’un journal parisien lié au Parti Socialiste, Le Matin de Paris, dans Libération qui titrait « La découverte d’un agent des services secrets argentins à Paris, Alberto Escudero, met en évidence les projets de la Junte. » [cité par Stéphane Joahny, « Paris-Buenos Aires, le tango de la mort », JDD, 7 août 2010 https://www.lejdd.fr/International/Paris-Buenos-Aires-le-tango-de-la-mort-212459-3103427, ainsi que dans les pages du Monde du 17 avril 1978. Alberto Escudero est le pseudonyme sous lequel s’est présenté Astiz. Le rapprochement entre l’agent qui a infiltré les Mères de la Place de Mai, menant à leur séquestration (avec les religieuses françaises) en décembre 1977, puis les milieux d’exilés argentins à Paris quelques mois plus tard, avec le nom d’Astiz apparaît durant la guerre des Malouines en 1982. En effet, le capitaine Astiz est alors un des premiers officiers à se rendre sans combattre aux forces britanniques, et apparaît à cette occasion sur des photographies publiées dans la presse. Il est immédiatement reconnu par l’ensemble des groupes qu’il a infiltré et des plaintes sont déposées à Paris et Stockholm qui demandent son extradition. Mais, prisonnier de la Grande Bretagne, Thatcher invoque les Conventions de Genève pour le rendre à l’Argentine, non sans avoir auparavant tenté d’occulter son identité. Thatcher a toujours été attaché au respect des droits des militaires du Cône sud, son ami Pinochet en savait quelque chose. Sur Astiz prisonnier en Angleterre, voir https://www.lanacion.com.ar/politica/londres-planeo-devolver-a-astiz-a-la-argentina-bajo-un-seudonimo-nid1541566

[14Bernard Destremau, ambassadeur de France à Buenos Aires, 16 avril 1979, Adresse Diplomatie Paris N°334-38. Cette « réserve de bon aloi » explique l’absence de photographie de Maurice Papon avec Jorge Videla ou un autre dignitaire de la junte.

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