Montpellier : #occupycomico

Subvertir la garde à vue … en garde à vue

paru dans lundimatin#144, le 1er mai 2018

Samedi 14 avril 2018, les policiers nous agressent. Ils gazent tout au long de l’après-midi. Ils chargent, frappent. Ils participent pleinement à un groupement commettant des violences sur personnes. Puis ils interpellent en masse, déchaînés, devant le magasin Carrefour près de l’Université alors que le cortège rentrait tranquillement à la fac. 51 arrestations. Le commissariat central de Montpellier voit toutes ses cellules de gardes à vue se remplir.

« Pendant quelques secondes je me suis demandé s’il ne valait pas mieux retourner au lit et dormir jusqu’à l’aube, mais plusieurs raisons me sont venues à l’esprit pour ne pas le faire. »
Roberto Bolaño, Les détectives sauvages

« Les autres évocations de cette soirée retentissaient en moi bien plus fort »
Hermann Hesse, Le loup des steppes

« C’est en effet la considération de ce qui s’est passé pour moi ce premier jour et du retour ultérieur, à cette occasion, sur certaines prémisses déjà anciennes,au demeurant très inexplicables, des faits en question, que j’entends faire jaillir une lueur nouvelle »
André Breton, L’amour fou

En garde à vue

Tout comme la violence démesurée exercée contre les manifestants, l’objectif des gardes à vue est de briser physiquement et psychologiquement le/la détenu.e. Conditions déshumanisantes et humiliations, les gardes à vue françaises sont des zones de non droit (tout comme l’est la France macronienne de manière générale).

Il faut en prendre compte et organiser la résistance en conséquence. Comment saboter ce dispositif autoritaire ? Comment faire en sorte qu’il n’arrive pas à ses fins ? Si, isolé.es, la situation s’avère bien différente, quand nous sommes arrêté.e.s en groupe, nous avons la possibilité d’en faire un moment de nouvelles complicités et d’amitié.

C’est à partir de cette réflexion que les détenus de la Cellule 3 ont tenté très tôt de s’organiser. Nous étions d’abord deux, puis trois, puis quatre quand Ben nous a rejoint avec son fauteuil roulant, dans une cellule prévue pour une personne. La seule banquette n’était d’ailleurs pas utilisable. Une mousse pleine de pisse la jonchait. Comme toutes les cellules, la nôtre sentait le vomi. Nous avons vécu un long moment en promiscuité et dans la crasse, mais nous nous souviendrons toute notre vie de ce moment et de notre rencontre qui fut fête. Nous nous connaissions seulement de vue avant de nous retrouver ensemble à lutter de l’intérieur du commissariat.

Nous étions Mathieu, Nathan, Louis et Benjamin, et nous voulons écrire nos mémoires de garde à vue dans l’espoir que cela puisse inspirer, encourager les autres camarades. Nous savons que nous sommes loin d’être les seuls à avoir fait le genre de choses que nous avons fait, mais nous voulons mettre notre petite pierre à l’édifice. Une camarade, de la Cellule 6 - qui avait un visu sur la nôtre, se joint d’ailleurs à nous pour écrire ce texte collectif.

En garde à vue, il est très difficile – mais pas impossible - de communiquer entre cellules. Nous sommes également complètement coupés du monde extérieur. Le temps passe donc aussi autrement. Nous utiliserons par conséquent les heures fictives que nous nous sommes inventées tout au long de notre détention afin d’avancer dans la mission que nous nous étions donnée.

Et quelle était-elle cette mission ? Transformer une détention violente et arbitraire en occupation active et festive. De samedi à dimanche, toutes les cellules étaient pleines à craquer, plus personne ne pouvait y rentrer. Le ministère de l’intérieur aurait voulu la prolonger jusqu’à lundi. Ceci était donc une action de blocage économico-policier (reconductible). Et nous la revendiquons .

Nous avions raté le 22 mars l’occupation nocturne de la fac de droit, mais nous avons été tellement déter.e.s que le 14 avril, nous avons occupé le commissariat central ! Et s’il le faut, nous sommes prêts à le refaire.

« Notre revendication, monsieur le gardien, c’est qu’on nous fasse sortir d’ici. Et tant que notre revendication ne sera pas appliquée, nous bloquerons et occuperons les lieux ! »

« Et la cellule elle est à qui ? Elle est à nous !! »

« ET L’COMICO IL EST A QUI ? IL EST A NOUS !! »

La Cellule 3 : Mémoires de jeunes gens pas rangés

« Ils ne partaient pas. Ils se sentaient distraits, dérangés au fil du rêve. En vérité, ils partaient ailleurs. Rompus à l’exercice qui consiste à se projeter hors de soi, ils appelaient distraction l’étape nouvelle qui les enfonçait en eux-mêmes. »
Jean Cocteau, Les enfants terribles

« La démocratie, c’est l’amitié, et je ne peux être amie avec vous, monsieur le président, ni même avec l’espèce humaine.
La démocratie, c’est de la contrebande. C’est un secret, une attitude personnelle qui est sans cesse en opposition avec le reste du monde. La démocratie, ce n’est pas l’élection d’une personne par des millions d’autres, c’est l’élection réciproque d’une personne par une autre. Je vais être claire, monsieur le président :
ceci est un rapport de force et je l’ai gagné. »
Martin Page, Je suis un dragon

17h40 – Nat et Mat se rencontrent pour la première fois, allongés sur le bitume, menottes dans le dos. Un keuf écrase Nat. Ils viennent d’être traînés au sol sur une trentaine de mètres. Nat a mal au cou, le sale coup d’un bacqueux ne l’a pas épargné. Il a failli l’avoir à la nuque. Nat et Mat aperçoive Ben, en fauteuil roulant qui les rejoint entourés de policiers. Lui aussi vient d’être interpellé. Des personnes autour, observant la scène, demandent que l’on crie nos noms. On s’exécute jusqu’à ce qu’un flic pète un câble : « fermez vos gueules ! ». Nat lui fait remarquer que nous sommes dans notre droit et le taré enrage : « Là t’es niqué là t’as compris ? On t’a eu, tu vas tomber ! ».

18h02 – Nat et Mat sont mis dans un camion. Gyrophare allumé, le conducteur roule comme un fou. Les deux autres robocops rigolent. Nous faisons remarquer que nous n’avons pas de ceintures et que Mat est à la place du mort. Le conducteur dit qu’il s’en fout et qu’il n’a pas le permis, nous prouvant au moins qu’il a un peu d’humour. Nat et Mat se regardent en souriant. Nat demande à Mat : « Est-ce que tu veux devenir mon ami ». Mat lui répond : « bien sûr ». Nat rétorque : « Avant qu’on meurt tous dans ce camion, je tenais à te dire que je suis ravi de t’avoir rencontré ». Le keuf copilote se retourne et Nat, pensant qu’il est jaloux, lui dit : « On ne se connaît pas mais c’était aussi un plaisir monsieur l’agent ».

18h15 – Nat et Mat sont parqués avec quatre autres personnes entre des policiers fiers d’eux. Nat demande à aller aux toilettes. Les uniformes lui disent qu’il ne peut pas.

18h33 – Nat et Mat sont à l’étage. Ils aperçoivent en bas une quarantaine de nouveaux interpellés encadrés par des policiers toujours aussi heureux et pervers. Il y a Ben. Pas de rampe d’accès pour handicapé au commissariat central de Montpellier. Il faudra y penser à l’avenir. Les policiers provoquent, poussent quelqu’un contre le mur et refusent d’aider Ben à monter. C’est à ses camarades que reviendra cette tâche.

18h40 – Nat et Mat se retrouvent dans la cellule 3. Nat demande toujours à aller aux toilettes, qui sont en face de la cellule, mais on lui refuse. Mat explique à Nat qu’il vient de se faire écraser à trois reprises les couilles lors de sa fouille. Nat lui dit que le policier est sans doute amoureux de lui sans oser lui dire et qu’il n’a pas appris qu’il fallait au moins inviter les gens au cinéma ou au restaurant avant de faire cela. Rires. Nat apprend le Ninja a Mat. Puis Mat apprend le bras de fer corse à Nat.

19h12 - On leur apporte du boulgour avec une sauce aux légumes bizarres. C’est littéralement immangeable. Nat et Mat se demandent par quelle magie noire est-il possible de rater à ce point un plat. Il faut être un génie du mal pour donner un telle odeur de vomi à des légumes – si on peut appeler ça des légumes. Mais bon, il y a une serviette en papier. Alors Nat tente de dessiner une étoile dessus avec la sauce, en hommage à Auguste Blanqui. Puis il la colle sur la vitre.

19h41 – Louis est amené dans la cellule. Mat et Nat sont heureux d’accueillir ce nouvel ami. Il explique qu’il a été amené avec plein d’autres dans un bus de la TAM réquisitionné pour l’occasion. Puis, il dit reconnaître Nat. Il l’a vu animer la remise des prix du fabuleux, grandiose, interdit, incroyable, gala inter-luttes et intergalactique de la fac de droit de Montpellier, organisé à l’Université Paul Valéry. On se rappelle de la bolognaise de sanglier cévenol, mais aussi du feu d’artifice lancé en plein campus afin de célébrer l’élection (presque officielle) des sept nouvelles doyennes nommées pour remplacer l’ex doyen Pétel.

20h – Un gardien crie à quelqu’un dans une autre cellule : « Ta gueule ! Mais ta gueule !!! ». C’est un peu violent. Une gardienne vient alors vers nos cellules et crie aux détenu.e.s « Calmez-vous ! Vous allez vous calmer ! ». C’est un peu absurde car c’est son collègue qui est fou. On la regarde un peu ahuris mais on ne dit rien quand son collègue enchaîne : « Ceux qui foutent la merde vont passer dans la salle de derrière !! » C’est quoi cette salle de derrière ? Apparemment, ça n’a pas l’air très drôle…

20h30 – Louis, Mat et Nat se racontent leur vies. Ils rient. Louis remarque : « C’est samedi soir camarades ! Elle est pas mal cette petite boite non ? »

20h45 – Les policiers laissent enfin Nat aller aux toilettes.

21h04 – Ben, avec son fauteuil roulant, ne veut pas rester avec les policiers dans le couloir. Il demande à être libéré de cette mauvaise compagnie et réclame en conséquence d’être enfermé avec des camarades. Nous observons la scène de la vitre et nous mettons à crier : « Avec nous ! Avec nous ! Avec nous ! » Les gardiens, un peu décontenancés, ne savent plus quoi faire et décident d’accepter notre revendication. Ben rentre dans notre toute petite boite puante sous les applaudissements. Il nous dit : « Ils m’ont enfin libéré ! ». Les policiers craquent. Il y a 51 interpellés pour une douzaine de cellules. Il n’y a plus de place nulle part. On entend un policier dire qu’ils ne peuvent plus arrêter personne. On explose de rire : « putain, les gars, on occupe le comico !! ils sont bloqués ! ». « Le comico il est à qui, il est à nous ! ». Les autres détenu.e.s ont un peu de mal à nous entendre. Alors on crie plus fort. On essaie de faire du morse pour communiquer avec les cellules voisines, mais bon … on se rend compte qu’on ne connaît pas plus de trois lettres.

21h21 – Il est temps qu’on complote nous disons-nous. Il faut organiser cette occupation. Que faire ? Mat a réussi à garder une pièce de monnaie. Nat monte sur la banquette pleine de pisse et grave sur le mur #occupycomico.

21h30 – Les gardiens apportent du poulet au curry aussi ignoble que le boulgour aux légumes à Louis. Ben refuse qu’on lui en donne. Il dit vouloir sauver son honneur. Il faut dire qu’à l’Université, Ben est un des pro de la commission cuisine ! Il explique au gardien qu’il est prêt à s’occuper de la cuisine pour tout le monde. Ce dernier l’ignore, nous regarde d’un air méprisant et s’en va.

21h43 – Être dans la cellule en face des chiottes, c’est vraiment un bon plan : la cellule 3 doit devenir le ministère de la propagande ! Désormais à chaque fois qu’un.e autre détenu.e ira aux toilettes, on lui criera notre message, calculant tout de même un peu l’humeur du flic l’accompagnant car la menace de passer dans la salle de derrière pèse toujours sur nos têtes … Et certains de leur regards et menaces ne sont vraiment pas rassurants. Il faut jauger notre marge de manœuvre. Il faut agir, toujours agir, mais sans trop s’exposer. Il faut réussir à remplir notre mission sans se faire humilier physiquement et psychologiquement. Si de manière générale, tout le monde semble tenir le coup, cette garde à vue est particulièrement difficile pour certain.e.s. On se doit de leur offrir nos plus beaux sourires. Il faut considérer chaque sourire rendu comme une petite victoire, avancer de sourire en sourire. Nous faire les yeux fous. Faire de cette garde à vue un lieu dont nous sortirons plus forts, plus organisés, plus unis ! « C’est une occupation nocturne super réussie camarade ! »

22h – Il faut qu’on réussisse à inscrire un message dans les toilettes. Comment ? On ne peut graver sur le carrelage mural des immondes chiottes… Une idée ! Comme l’étoile (qu’on a du retirer entre-temps) … une serviette et – cette fois-ci – du curry ! La cuillère de plastique cassée en deux en guise de stylo. #occupycomico !

23h – Nat demande à aller aux toilettes. Il place le mot entre la cuvette et la chasse d’eau. Ce mot restera jusqu’à l’aube ! Vu les regards des gens sortant des toilettes, on comprend qu’il fait l’effet escompté.

23h34 – Nat est appelé pour son interrogatoire. Chacun de ses codétenus lui font un câlin, ce qu’on fera pour chaque interrogatoire, puis il sort le cœur fort et l’esprit serein. À son retour, il trompe le gardien en faisant croire qu’il est dans une autre cellule. Cela lui permet de faire le tour de toutes les cellules, de répertorier qui s’y trouve et de saluer en grand prince nombreux de ses futurs amis ! Le gardien est un peu effaré de voir tant de sourires désinvoltes et tant d’héroïques saluts.

Minuit – Nous ne savons toujours pas quelle heure il est … « Mais la cellule elle est à qui ? ! ELLE EST À NOUS ! »

1h – On voit que d’autres détenu.e.s dans d’autres cellules ont eu des couvertures de survie. Il nous en faut !! Revendiquant notre occupation, notre idée est de faire une banderole avec une couverture.

1h30 – On obtient nos couvertures de survie. On réfléchit à tous les moyens d’en faire une banderole mais on doit se rendre à l’évidence : ça ne fonctionne pas. C’est un échec cuisant. Ben déclare solennellement : « nous avons perdu une bataille, camarades, mais nous n’avons pas perdu la guerre ». Nous l’applaudissons et crions en chœur : « Garde à vue ! »

2h – Dans la cellule 5, une des détenues vomit depuis le début de la soirée. C’est assez impressionnant. Des gardiens daignent parfois l’amener aux toilettes mais pas tout le temps. Cette fois-ci ils acceptent enfin d’apporter quelques serviettes de papier pour que ses camarades puissent un peu nettoyer la cellule. Nous sommes énervés, et nous ne pouvons laisser passer cela ! Une autre fille d’une autre cellule a ses règles et doit sans cesse aller aux toilettes. Les gardien.ne.s disent qu’ils n’ont pas de serviettes hygiéniques.

2h37 – Nos couvertures de survie ont leur belle face dorée. Nous décidons de devenir les Quatre Fantastiques, euh non, les Quatre Communistes. Nous transformons nos couvertures en magnifiques capes brillantes et nous lutterons contre l’injustice ! #Kick Ass

3h – On remarque que lorsqu’un camarade va aux toilettes, le gardien qui l’accompagne fait exprès de ne pas attendre qu’il sorte de ce lieu diabolique et s’en va. Le camarade est alors à chaque fois obligé de frapper sur la porte pendant bien du temps avant qu’on vienne le libérer. Il ne nous en faut pas plus pour se mettre à crier à chaque fois que cela arrive, dans nos postures de super héros : « Libérez notre camarade ! Libérez notre camarade ! », en tapant nous aussi sur notre porte, dans un mouvement de zbeulification de la gav. Nous essuyons encore des méchantes menaces mais nous savons rester calmes quand il le faut.

3h30 : on arrive à fabriquer un petit cœur qu’on fixe sur la fenêtre en face de la caméra de vidéo-surveillance. Un gardien vient nous le confisquer et le met dans sa poche.

4h – Nous décidons que le nom de Quatre Communistes n’est pas super. Un grand débat s’ouvre au sein de la cellule 3. Nous organisons alors une réunion com’mob’ de la cellule. Nous votons et deviendrons finalement la ligue des justes huissiers

4h30 - « Notre revendication, monsieur le gardien, c’est qu’on nous fasse sortir d’ici. Et tant que notre revendication ne sera pas appliquée, nous bloquerons et occuperons les lieux ! » « Le comico il est à qui ?!! ». Une cellule d’en face (que nous ne voyons pas, un mur nous sépare) nous répond : « Il est à nous ! ».

5h28 – On lâche nos capes pour décorer notre cellule et organiser un gala à l’intérieur. La fièvre du samedi soir nous emporte. On réussit tant bien que mal (grâce à de minis trous dans les murs sales) à transformer notre cellule en château, aux murs entièrement dorés et au sol argenté. C’est magnifique.

5h35 – Un gardien hésite à nous confisquer nos couvertures. On lui explique qu’on les utilise à bon escient, qu’une couverture de survie est un isolant du froid comme du chaud, que le trou d’aération vient d’en haut et qu’on essaie donc de faire circuler l’air plus facilement dans toute la cellule. Ben, en fauteuil roulant, se place bien devant la porte en signe de résistance. Le gardien abandonne et fait même semblant de croire à nos mensonges !

5h40 – Un autre gardien passe devant notre cellule « zadifiée » : « Mais c’est n’importe quoi, ils font du camping là ! ». Heureusement, celui d’avant vient lui expliquer que ce n’est pas du camping mais un système d’aération. Cela nous fait bien rire.

6h – On danse dans la cellule en chantant Partenaire Particulier, Lolita, Trois nuits par semaine, et la belle Toka de Fianso !

6h30 – On réclame du café et des croissants. Quand les gardiens viennent essayer de nous calmer, on leur répète toujours notre revendication. « On ne sortira pas d’ici tant qu’on ne sera pas libérés !! C’est tout et c’est très clair monsieur l’agent ! ». On leur explique aussi que si ça continue comme ça, on va leur mettre une super mauvaise note sur Tripadvisor et qu’on ne rigole pas ! L’hôtel de police va vraiment avoir une mauvaise pub. L’accueil est vraiment froid, les chambres sont dégueulasses, la bouffe est infecte et le service laisse vraiment à désirer. Les gardiens sont un peu exaspérés mais ne savent pas quoi faire.

7h – On nous apporte une brique de jus d’orange et quelques gâteaux secs.

7h30 – Un conflit éclate entre un gardien et un détenu d’une autre cellule. Il est amené dans la salle de derrière.

7h35 – On entend des bruits de coups, des cris. De la fenêtre on voit des gardiens qui mettent des gants noirs pour rentrer dans la fameuse salle de derrière et les enlèvent quand ils sortent. On entend ce qui semble être un jet d’eau. Puis des cris. Une thalassothérapie gratuite ? Hum, ce n’était pas prévu dans le forfait …

8h24 – La fête ne doit pas s’arrêter, le sabotage de la GAV doit continuer, même s’il faut tenter d’éviter la douche froide. L’équipe de gardiennage étant – nous l’avons compris – plus infecte que la précédente, nous décidons de nous reposer un peu. Seulement, Ben ne peut pas dormir avec son fauteuil. Alors on papote, on fait des relais. On vole dix minutes de sommeil par ci, dix minutes de sommeil par là … Les gardiens parlent encore de nous confisquer nos couvertures, alors on se fait un peu oublier car on y tient à notre château doré, la meilleure boite du quartier selon les détenu.e.s des autres cellules !

10h59 – La fièvre du dimanche matin nous emporte. On décide de faire un spectacle pour les filles des cellules 5 et 6. On danse comme des fous, on chante, on fait des chorégraphies. Les deux filles de la cellule 6 en font de même ! C’est vraiment une super fête !! Un gardien vient nous voir énervé : « oh ça va ?! ». On lui répond en toute désinvolture : « Super monsieur l’agent, merci à vous. On a passé une super soirée, vraiment, on reviendra ! » Il soupire mais abandonne.

14h – On défait notre château pour reprendre du service. La fête est finie, il faut que les justes huissiers remettent leurs capes dorées ! « Libérez nos camarades ! Libérez nos camarades !!! ». Quand les flics passent devant notre cellule, nous refaisons ce que nous avions déjà tenté plusieurs fois : on tourne en rond en courant (en roulant pour notre camarade en fauteuil) dans le tout petit carré dans l’espoir de provoquer un vortex hyperdimensionnel nous permettant d’échapper à leur présence. C’est encore un échec, tout comme quand nous avons tenté d’entrer dans les autres cellules par la bouche d’aération ou en traversant les murs. Nous ne perdons pourtant pas espoir.

15h – On comprend que l’OPJ vient pour relever empreintes et ADN. « Bon sang ! Ne donnons pas notre sang ! Bon sang, ne donnons pas notre sang ! », crions-nous. Nous refusons un à un. La quasi totalité des détenu.e.s en font de même. L’OPJ est désespérée. Nous acceptons tout même les photos avec le numéro et tout, comme dans les films. Les justes huissiers y donnent leur plus beaux sourires.

16h27 – On vient nous dire que le ministère fait pression pour un prolongement de notre garde à vue, pouvant aller jusqu’à 96 heures … ça gueule dans les autres cellules, ça s’effondre parfois, mais nous sommes encore nombreux à garder notre calme et notre courage. « C’est un blocage reconductible camarades !! » « Le comico il est à qui, il est à nous ! »

17h – Finalement, même l’OPJ de Montpellier est, nous dit-on, contre le prolongement de notre détention. Les policiers n’en peuvent plus et ils disent qu’ils vont tout faire pour nous relâcher.

17h45 – On commence à nous relâcher ! Les quatre justes huissiers sortiront avec leur capes de la salle de GAV, certains même jusqu’en dehors du comico. Malheureusement et malgré nos requêtes insistantes, personne ne veut nous donner les vidéos de la caméra de surveillance donnant sur notre cellule. Notre film ne se fera donc pas et nous ne pourrons pas être sélectionnés pour le festival de Cannes. C’est ballot.

18h-19h30 – Il y a un rassemblement devant le commissariat. Les détenu.e.s sortent un à un sous les applaudissements des camarades les attendant dehors avec des gâteaux et des jus de fruit !

19h45 – On apprend que les chefs geôliers se sont vengés en gardant trois personnes, dont notre jeune camarade de la cellule 6.

22h – Notre camarade de la cellule 6 sort enfin.

Le lendemain, un de nos camarades est condamné à trois mois de prison ferme. L’autre est relâché dans l’attente de son procès.

Les jours qui suivent ... jusqu’aux montagnes, jusqu’à on ne sait où, jusqu’à Paris, jusqu’à ailleurs, jusqu’à partout, jusqu’à la suite, Hasta siempre – Nous sommes uni.e.s. Nous sommes complices. Grâce à cette GAV, certain.e.s d’entre nous ont appris à se connaître. Merci Emmanuel, tu nous a définitivement radicalisé.e.s ! Nous nous pensions des amatrices et amateurs, tu nous as transformé en agitatrices et agitateurs professionnel.les. Maintenant, nous attendons salaires.

Et nous risquons de devenir carriéristes.

Des (ex)occupant.e.s du Commissariat central de Montpellier

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