nos interférences

Serge Ritman

paru dans lundimatin#178, le 19 février 2019

Le progrès ne se loge pas dans la continuité du cours du temps, mais dans ses interférences : là où quelque chose de véritablement nouveau se fait sentir pour la première fois avec la sobriété de l’aube.

Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle.

les ronds-points devenus agoras
je te dis qu’on va souffler fort
circulez pas y’a tout à dire
démodent à toute vitesse les vieilles
rhétoriques des jeunes gestionnaires
en économie libérale hors-social
politique reste à trouver
au cœur de la colère les paroles
libres d’un vivre des égalités
solidaires sans les dualismes séparateurs
je respire à pleins poumons tes reprises
de vivante en utopie quotidienne
avec toute l’inventivité de nos peuples
rebelles qui passent les frontières
et tournent les ronds-points
à contre-sens des histoires officielles
tu me dis qu’on va faire résonance
ici et tout autour de nos méditerranées
ça tourne rondement avec
nos interférences

ça revient de loin ça remonte
la tourne que les bourgeois voient dans l’autre
sens le progrès de ceux qui n’auront jamais affaire
à la justice sauf accident ou petits pas
de côté dans la jeunesse puis la propriété
tu me dis maintenant le dérèglement
comme dans l’enfance l’insupportable
et courir à hurler comme des fous
avec tout l’air d’une récréation
viens dans la ronde jusqu’au perdre quoi
la mer ne dort jamais je te dis
même qu’après 1848 Heine rit la colère
alors fond avec la jubilation comme
dans ta robe rouge la danse
de nos cerisiers en fleurs avec la neige
d’avril ils distribuent des coups même si
je n’ai jamais fait de mal à une mouche
et toi à une araignée elle tisse sa toile
nos peuples ont l’élan d’une écriture en
plein air pour une irisation des voix

un petit psycho-linguiste veut aider les pauvres
enfants à enrichir leur vocabulaire
objectif assuré enrayer la violence des quartiers
il est en place au ministère sans avoir jamais
lu ni La Bruyère ni Voltaire encore moins
Montaigne et ses brésiliens transportés en France
tu aimes la naïveté originelle et je redouble
mes estrangements de la maternelle
aux enquêtes universitaires avec ce poème
des voix du peuple perpétuellement
utilisé massacré déçu par les bourgeois
Péguy publie Ménard qui avait passé trois ans
en prison pour ses poèmes de Juin
tu n’oublies pas sans rien dire et je l’entends
dans tes cris la nuit ils résonnent
ceux des petits enfants qui savent déjà inventer
des résistances des méfiances avec
ta confiance comme un juin toujours
actif de la révolution depuis
notre printemps je te rime de partout

parler pour et parler de gèrent le débat
sans écoute par ceux qui ont pris
jusqu’à notre nom notre voix je cours encore
toute la République jusqu’à ton souffle
ma sœur la vie avec un vieux souvenir
à plein souffle du cor Baudelaire
écoute les gestes fous de son grand cygne
quand Roubaud amuse la galerie parisienne
en volte-face rhétoriques à la Lamartine
je pense aux abris détruits plus lourds
que des rocs ce migrant le cœur plein
de son beau lac natal dort sur une bouche
de carbone chaud on nettoie vite
les karchers et les évaluations notations
tout y passe la vie court nue
les orphelins de la République remplissent
nos classes nos rêves tu cauchemardes
et j’essaie dans mes je-tu d’entendre
toutes les lèvres cousues à qui on a interdit
la mémoire vive nos histoires

la casse comme si une poubelle et une vitrine
une chaise de banque et un banc circulez
effaçaient les ressources humaines au suivant et puis
depuis 48 le chœur des philistins il faut
en finir avec ce goût du meurtre et mélancolie
esthétique et idylle touristique même les poètes
ou les philosophes louent l’éternelle misère
de tout avec le bon marché
des complices verbeux tout kitsch dans
les conforts des métaphores éborgnées
j’ai désarmé un flic quand tu défonçais
la banque et toutes nos expériences confondent
les refoulés j’ai l’épouvante mais tu ris
dans un chant général toutes les petites mains
grisent de fraternité sans aucune
allégorie nos peuples nos folies
sans réconciliation ni bestialisation
tu me donnes rendez-vous sous le blanc cygne
comme une physionomie de nos dates
sur un petit fleuve aux rythmes inachevés

Ces poèmes vers les Gilets Jaunes brutalisés (blessés ou incarcérés) par un pouvoir au service de l’ordre bourgeois et financier.

Merci aux œuvres de François Bégaudeau, Carlo Ginzburg, Dolf Oehler Michèle Rio-Sarcey, et bien évidemment de Charles Baudelaire, Gustave Flaubert et Walter Benjamin, d’autres qui viennent sans qu’on sache ou dont le nom est la vie

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