mODULES Dada

Une irruption est-elle encore possible ?

paru dans lundimatin#126, le 11 décembre 2017

Du 12 au 15 décembre, une pièce de théâtre probablement fameuse se jouera au nouveau théâtre de Montreuil. Un lecteur qui n’en est pas revenu nous a fait parvenir ce récit enthousiaste. Par fainéantise nous reproduisons dans ce chapeau la présentation officielle.

Dada : un cri d’espoir féroce, un cyclone d’oxygène, au moment où la Grande Guerre détruisait l’Europe. Hiver 1916, au cabaret Voltaire à Zurich, une poignée d’artistes enflammait la poésie, la danse, la musique et les arts dans un bouillonnement inouï. Contre la guerre, l’ordre social, la modernité industrielle. Depuis 1916, l’esprit « Dada », ses ricochets et soubresauts n’ont pas pris une ride. Alexis Forestier, qui a déjà présenté au Nouveau théâtre de Montreuil Le Mystère-des-Mystères (2012), déroule les fils de ce bref et interminable fragment d’histoire du XXe siècle. Le metteur en scène et musicien est un arpenteur insatiable de ce mouvement mythique et de ses ramifications. À ses côtés, quatre artistes, musiciens et acteurs. Au fil du spectacle, naissent des tableaux poétiques : mécanismes visuels, compositions bruitistes, poèmes dadaïstes répondent aux faits historiques dans un flux musical ininterrompu. Un spectacle ludique et érudit qui éclaire le mouvement Dada, ses affinités avec les révolutions en cours, et sa flamme : la contradiction, dévastatrice et fructueuse. Un appel à réveiller nos existences.

C’est avec une méfiance teintée d’amusement, voire d’ironie, que nous pénétrons les portes du théâtre. Comment pourrait-il en être autrement ? A l’heure où la réalité se froisse sous un empilement d’illusions de toutes sortes, comment ce lieu pourrait nous apparaître autre qu’un « temple de l’incontinence verbale » où siège la « glossolalie » culturelle ? Qu’est-ce que la culture aujourd’hui, sinon un zombie qui peine à faire davantage que divertir tout en animant avec grand peine des lambeaux d’héritages mâtinés de quelques inventions autistes ?

A vrai dire, nous sommes à l’égard de tout ce qui n’est pas directement en train de récriminer contre l’ordre des choses, d’une prudence quasi paranoïaque.

Est-ce parce que l’on partage avec ses auteurs cette disposition tordue—d’où découle notre refus d’être spectateur—que mODULES Dada se présente en premier lieu comme un bombardement d’artillerie lourde qui vous cloue à votre siège molletonné (quand il ne vous donne pas envie de fuir) ?

Dès le départ, en effet, c’est la baston. C’est le déluge, on perd le fil, inutile de chercher à raccrocher les wagons, on prend plaisir à nous égarer, à nous rudoyer même, pire : à faire comme si notre bien-être et notre compréhension n’entraient pas dans l’équation.

La pièce se présente comme une agression multiple.

Au point de vue de la trame des événements, au départ, sur fond d’apocalypse belliqueuse, Hugo Ball, membre fondateur du mouvement Dada, dialogue avec Kropotkine (c’est-à-dire les concepts d’anarchie et d’entraide) ; puis la figure de Lénine entre en scène (avec lui, bien sûr, le problème de la révolution mondiale) : exilé en Suisse en 1916, celui-ci habitait la rue où se fonde le cabaret Voltaire, premier haut-lieu Dada auquel il nous introduit d’une manière pour le moins paradoxale ; enfin c’est au tour de l’insurrection spartakiste de venir requérir une place—l’Allemagne offrant le dernier décor du dialogue entre les animateurs du mouvement Dada et leur époque tourmentée.

Tout ceci cisaillé de pirouettes phonétiques, de développements théoriques brutaux et sans fard, d’incursions contemporaines (on croise l’autonomie italienne), et d’une prolifération musicale aussi débridée qu’étonnamment en phase avec son sujet !

Au point de vue formel, il se pourrait que les endimanchés aient cherché, ainsi qu’on le suggérait précédemment, à décalaminer l’ornière où nous stagnions (inadmissibilité du théâtre, inadmissibilité du spectateur). Examinons de ce point de vue, comment le match s’est déroulé une première fois à Dijon du 14 au 18 février 2017, à raison d’une représentation par jour au Parvis Saint-Jean, centre dramatique national.

le moment mODULES

Pour mon compte, j’ai pu assister trois fois au spectacle. Pour chacune je me trouvais dans des dispositions entièrement différentes. Ayant accepté la proposition de fomenter l’apparition sur scène d’un groupe de manifestants ensauvagés, je découvrais initialement la pièce avec un but qui ploya vite sous les assauts visuels et sonores. J’admis non sans peine d’être bombardé d’une matière protéiforme et instable, de laquelle émanait une atmosphère chaotique qui laissait à sentir que tout pouvait arriver. Y compris la matérialisation du fantôme de Hegel sous forme d’une architecture monumentale, avec tambour, marionnettisme, élucubration dialectique, distorsion musicale.

La seconde fois, la plus intense, j’assistais à chaque séquence comme à autant de round d’un combat de boxe : me réjouissant d’entendre telle réplique, tressaillant au son de telle prouesse musicale. Galvanisé par le plaisir cruel d’imaginer que tous ces moments étaient autant de « sensationnel[s] coup[s] de poing dans la sympathique figure du public » ainsi qu’on nous le promet très tôt.

Cette disposition n’était pas étrangère au fait que nous devions prendre part au spectacle d’une façon qu’on pouvait espérer aussi sauvage que savoureuse.

La dernière fois, je venais en collectionneur dilettante et méticuleux, m’interrogeant à tout instant : qu’est-ce que Dada pouvait nous apprendre sur la manière de mener une existence révolutionnaire ?

J’ai peu de mal à considérer que ces différents regards ne peuvent être séparés les uns des autres, pas plus qu’ils ne peuvent l’être des discussions afférentes avec les créateurs du spectacle, ou encore des relectures postérieures de la conduite.

Cette semaine au contact du Dada des endimanchés fut à mon avis un événement collectif, à étages multiples, gravitant autour de la tentative d’une saisie commune. Une telle réception entretient sans doute un rapport intime avec la nature du travail proposé depuis longtemps par la troupe. Voilà l’essentiel.

Avec la complicité des auteurs, nous avons donc profité d’un moment de pantomime révolutionnaire (celui du manifeste … éructé sur un fond sonore à faire tomber les murs du théâtre) pour compléter le tableau. Abandonnant nos sièges de spectateur, la bande de compagnons que nous formions, tapie en haut des gradins, s’invita sur scène histoire d’incarner, le temps d’un pogo, l’ébullition insurrectionnelle. Lorsque brusquement la musique s’interrompit, ce fut à notre tour d’envoyer un coup de poing dans la figure du public, plus médusée que sympathique face à notre apparition. Et de l’inviter à abandonner sur le champ l’écrin culturel où il était venu peaufiner ses moisissures bourgeoises. Échec évidemment.

Faire irruption à 35 sur la scène du parvis saint-jean pour matérialiser l’agitation dada-spartakus avant de repartir en moquant le public dans une confusion goguenarde et maladroite, cela pourrait être classé au rang d’épiphénomènes : « les artistes sont amis avec une bande de rigolos ». Après tout, comme le disait un vieux bonhomme amusé qui hésita à nous rejoindre dans notre bousculade : que le public investisse l’espace scénique « cela se voit régulièrement ».

Mais...voici que le metteur en scène, en irrépressible phagocyte, réclame le droit à la parole !

« Si l’arrivée soudaine de 35 personnes sur le plateau du Parvis Saint-Jean à Dijon durant une représentation de Modules dada doit être « classé au rang d’épiphénomène », cela soulève néanmoins avec une puissance accrue et redoutable (celle du nombre et de la connivence collective en tant qu’elle peut-être offensive autant que joyeuse) la question de l’irruption du réel [ au théâtre ] en résolvant simultanément cette question par un envahissement massif du plateau, tel qu’il était impossible encore de se le représenter pour les protagonistes de la pièce par ailleurs prévenus de cette saillie possible dans la représentation. Ce corps étranger, au moment de son apparition, semble tout d’abord en parfaite osmose avec la tonalité ou avec l’humeur de la scène. L’instant est consacré à un manifeste dadaïste [ Qu’est-ce que le dadaïsme et que veut-il aujourd’hui en Allemagne ? ] vociféré à quatre voix sur la syncope musicale de Usé (Amphétamine), diffusé à fort volume et faisant l’objet d’une danse désarticulée… le tout dans les vapeurs nuageuses d’une fumée diffuse crachée depuis de nombreuses bouches, dissipant momentanément les frontières entre la scène et la salle. Trente cinq personnes donc parviennent à faire corps avec le chaos du moment, avant qu’il ne soit brutalement interrompu par une parole surplombante appartenant au spectacle lui-même ; laquelle parole introduit alors une logique négative ou tout au moins dépréciatrice à l’endroit du discours et de la gesticulation manifestes, rejetant ceux-ci dans les poubelles de l’histoire : « Ils essayaient de faire en sorte que les foules se mettent à riposter, … de prouver que le temps était venu » quel temps… ? Celui d’un soulèvement définitif dont on ne peut que constater, à fortiori sur un plateau de théâtre, et 100 ans plus tard qu’il n’est pas encore venu ; constat d’échec ou de passivité face auxquels le groupe d’intrus constitué ne pouvait que violemment réagir, dénonçant à la fois « la détestable rumination » des acteurs et leur culte du « discours rétrospectif »… soulignant enfin la « complaisance douteuse » des spectateurs (ceux qui regardent) avant de quitter le théâtre en renvoyant celui-ci à son inanité stérile. Cette intervention alors coupa momentanément la parole aux intervenants du spectacle qui se trouvèrent sans possibilité de répartie ou d’une quelconque reprise vis à vis de cette situation nouvellement introduite dans le cours de la représentation ; dominait le sentiment mêlé d’impuissance qu’il s’agissait là d’un don véritable (ce que l’on ne cesse d’attendre depuis cette pratique finalement coutumière du théâtre, où le réel, la protestation, trop rarement parviennent à s’inviter ou à s’autoriser (Durfen). Que faire alors de ce don sinon entrer dans une dimension de l’échange, et comment franchir l’abîme de ce temps suspendu entre le vécu partiel de la situation et le présent total auquel elle semblait pouvoir inviter. Il fût sans doute possible alors dans ce temps là, pour être à la hauteur de la situation, d’abandonner le théâtre à lui-même, de quitter avec le groupe présent le plateau, de suivre son invitation à déserter le théâtre, à s’en méfier, à rejoindre le réel, et partant, le dehors… c’est ce que firent les trente cinq personnes présentes… Pourtant l’injonction à quitter le théâtre ne fût pas assez claire pour que la scène et la salle puissent y répondre… ? Ce ne fût alors qu’une parenthèse et le cours de la représentation reprit avec les mots de Marx :

« La critique dans la mêlée… » : « (…) ces conditions sociales pétrifiées, il faut les forcer à danser, en leur faisant entendre leur propre mélodie ! Il faut apprendre au peuple à avoir peur de lui-même, afin de lui donner du courage. » Mais le public ne l’entendit pas de cette oreille et demeura tranquillement installé . »

Au fond la brusque irruption de complices, quoique déroutante pour les acteurs eux-mêmes (pas tout à fait préparés), compléta l’attitude provocatrice des mODULES à l’égard du « public ». Presque en ouverture Arthur Cravan, boxeur-danseur, promet de lui asséner un coup de poing censé le faire éclater de rire (histoire qu’il assume le plus vite possible sa proximité avec ces bourgeois venant se gausser des recherches picturales des « indépendants » durant le Paris de la Belle époque).


Ensuite, on le concassassine en faisant choir sur son crâne une pluie de débris littéraires, intellectuels, politiques, musicaux. Et ce, deux heures durant.

On entendra Tzara lancer : « Le Cabaret a duré 6 mois, chaque soir on enfonça le triton du grotesque du dieu du beau dans chaque spectateur, et le vent ne fut pas doux — secoua tant de consciences — le tumulte et l’avalanche solaire — la vitalité et le coin silencieux près de la sagesse ou de la folie — qui pourrait en préciser les frontières[...] ». Dans la foulée on assiste à une Dada-soirée, « Tzara manifeste, nous voulons pisser en couleurs diverses […] on crie dans la salle, on se bat, premier rang approuve deuxième rang se déclare incompétent le reste crie […] on proteste on crie on casse les vitres on se tue on démolit on se bat la police interruption. »

Et ce n’est pas l’unique fois que le cabaret devient le ring d’un peuple bigarré et de son auto-démolition. La proximité est telle dans la forme et dans l’adresse, qu’on serait tenté de dire que mODULES Dada est un exercice réussi de résurrection du cabaret !

Monsieur le metteur en scène vous avez déjà beaucoup parlé !...Pardon ?...Juste une phrase alors…

« Dans cet exercice à visée non de résurrection ou de reconstitution du cabaret, mais de reprise en vue d’approcher et de toucher une certaine humeur et de saisir à la volée ce qui pouvait bien être en jeu, nous demeurons en tout état de cause dans un entre deux où la moindre intention – fût-elle de travailler l’ambiance, la « Stimmung » - devient une chimère inatteignable, non transmissible par les seuls moyens du théâtre, terreau insuffisant par où quelques chose parviendrait à se soulever en tant que puissance dévastatrice. »

Admettons qu’en termes de restitution d’une « stimmung », la dimension musicale de la pièce est un coup de force : omniprésent florilège contemporain de punk, noise, etc. croisant à l’occasion l’opéra brechtien, on croirait pourtant être mis en présence de l’ambiance sonore de l’époque : on croirait entendre ce qu’entendait Dada !

Pour un peu, on pourrait appliquer aux mODULES cette évocation du cabaret par Greil Markus « Il y eut d’abord des étudiants, qui buvaient, fumaient et saccageaient la salle ; puis des citoyens, la “bourgeoisie’ injuriée, des curieux, puis, finalement, comme au Roxy en 1977, des touristes japonais. »

Comment ?! Encore un mot ?! Cela devient ennuyeux à la fin !

« Selon ce passage, ce qui était pur événement, insurrection instantanée, bouleversement en marche, devient avant même que l’on s’en aperçoive objet de consommation. et c’est là le trait de génie de cette démystification des commencements : évoquer dans le même temps la frappe irrésistible du cabaret, sa turbulence originelle et la logique programmatique qui aussitôt s’installe et modifie de manière irréversible la relation entre la scène et la salle, selon la seule logique du « spectacle » qui partout et toujours s’infiltre et l’emporte sur ce qui est directement vécu ; alors même que cette dimension de séparation par le spectacle, lorsqu’il est question d’évoquer le Cabaret Voltaire, est toujours présentée comme un effacement des limites. L’intouchable légende est ainsi violemment désamorcée par ce commentaire anachronique de Greil Marcus portant sur la scène punk de 1977. »

Outre les diverses irruptions organisées depuis les gradins, on suggère, à l’heure de la conclusion, d’ôter aux spectateurs tout rôle dans cette machinerie diabolique en en organisant la pantomime sonore. Au cours du dernier fragment (succédant à l’entracte dont quelques uns, partis trop vite, se demandent encore si elle était une plaisanterie de plus), la bande son donne à entendre des applaudissements. Cette moquerie finale est l’occasion d’un retournement contre la pièce elle-même. Non loin des applaudissements, on perçoit dans le fond sonore une voix avouer « en tout cas, moi je n’ai rien compris », en réponse à une dissertation différentialiste de Stockhausen. Aveu qui a l’effet comique et ruineux que l’innocence a sur l’orgueil.

Ça y est, l’auteur tente de s’arroger le monopole du discours !

« Par delà le caractère obsolète de la protestation dadaïste, Karlein Stockhausen, comme tant d’autres, dès les années 60, avait sans doute perçu à travers sa propre expérience la logique de récupération inévitable par le spectacle des moindres signes de protestation. Le fait d’intégrer alors les réactions, commentaires applaudissements, du public dans l’œuvre elle-même, devenaient les outils discursifs d’une recherche devenue par la force des choses essentiellement esthétique. »


Dans cette seconde partie « bonus », à laquelle en général un public restreint assistait (en plus de celles qui ne crurent pas à l’entracte, il devait y avoir quelques têtes vexées qu’on se permettent de les agresser ainsi au théâtre), le spectacle trouve une issue paradoxale. La dérision paraît l’emporter à Berlin après l’échec spartakiste (« chacun son propre football ! »), les derniers figurants dadaïstes s’éclipsent avec des rires mauvais, marmonnant en langues étrangères ; toute la mécanique de la représentation déraille, le « superDada » ne semble rien y pouvoir.

On nous expose notre âme sous forme d’un désœuvrement machinique : des poinçonneuses industrielles sur chariot roulant frappent bruyamment dans le vide. Le spectacle se dégonde en douceur à mesure que les acteurs installent des rouages et des courroies n’entraînant plus rien qu’eux-mêmes. Le metteur en scène se perd dans un monologue, sorte de méta-texte (parmi d’autres) révélant les tiraillements parallèles de Dada et des endimanchés (comment lier la fabrication d’une œuvre et la nécessité de changer la vie ?).

(Adresse à nos patients lecteurs : vous êtes autorisés à sauter les irruptions logopathiques de l’auteur-metteur en scène afin de poursuivre votre lecture en toute indépendance critique.)

« Il s’agit d’interroger les limites du « moment » théâtral, en tant qu’il serait devenu lui-même inopérant, pris dans ses propres ritournelles vides et de revenir sur l’absence de cloisonnement désirée autant qu’inatteignable entre le lieu de la scène et le retour au réel, sur l’échec de ce passage. En prenant appui notamment le soir de cette irruption incontrôlée sur la difficulté à trouver une véritable porosité entre la fabrique du spectacle et la réponse infaillible du vivant. La place de l’œuvre selon Lefebvre et, partant, sa possibilité avaient subies des secousses irréversibles dans la première moitie du siècle dont une secousse ultime, « fruit d’un fait historique immense : le demi-échec de la transformation révolutionnaire à l’échelle mondiale, de la transformation de la vie elle-même. » L’œuvre ne pouvait donc plus être rivée qu’à cette nécessité impérieuse de changer la vie et d’inspirer comme dada l’avait fait avant lui une critique radicale de la vie quotidienne, ou encore de trouver le point de non séparation absolu entre l’art et la vie… ce qui désormais allait devenir une quête infinie. Cette critique pouvait alors se réaliser dans une théorie des moments… logique opératoire des moments qui seule parviendrait après un long travail de découpage du réel, de discernement, à trouver les points de jonction, de passage et donc paradoxalement de dissipation ou d’effacement des limites. »

Le temps s’effiloche, l’espace s’emmêle, se disloque définitivement. La dernière image est celle d’un disque métallique qui, par sa rotation, fait rouler un reflet lumineux aux quatre coins de la salle.

Un grand calme gagne la scène.

On s’attend à ce que le public épars se disperse à l’image des acteurs et du texte, sans demander son reste, sans chercher à ressusciter encore, parvenu à cette pointe extrême de la représentation, la « vieille métaphore orpheline » de la foule contentée par le divertissement offert. Pourquoi, alors qu’une issue si claire s’offre d’en finir avec cette « condition pétrifiée », éprouve-t-on encore le besoin de conclure en sanctionnant la fin par des applaudissements ?

« Les applaudissements, après la reprise du spectacle et son achèvement dans la représentation comme seule issue possible, viennent en effet attester de cette séparation et de cette victoire attendue, confortable, rassurante, là où tout aurait pu être disloqué, éparpillé, rendu au désordre et à l’intensité du vivant. Ce point d’arrêt, cette « sanction » que marquent les applaudissements sont le signe d’un retour définitif à cette séparation radicale entre la scène et la salle – conclure pour mieux délimiter et consentir à nouveau à cette coupure – au moment même où s’offre une porosité possible, où survient un appel, où la vieille métaphore orpheline – celle d’un soulèvement attendu – pourrait être investie comme s’il ne s’agissait pas seulement d’une vieille métaphore. »


Erreur odieuse. Où prend-elle sa source ? Dans l’habitude ? Dans un souci quasi névrotique de suturer la brèche invoquée, ouverte, entre ce qui a eu lieu sur le plateau et ce qui pourrait avoir lieu partout ailleurs ?

L’expérience singulière qu’a provoquée mODULES Dada ne se résume pas au fait d’assister à une représentation théâtrale—et d’y avoir ressenti ou pensé certaines choses. Cette expérience fut un moment qui devait excéder une réception strictement individuelle, tout comme la création présentée était en excès sur le cadre de référence qu’impose la scène de théâtre. Du bistrot à l’amphithéâtre molletonné, des rues afférentes où nous échouâmes à l’issue de notre interruption jusqu’à la Quincaillerie, laboratoire ouvert où les endimanchés assemblent des bouts de théâtre avec le reste de la vie, mODULES Dada est une concrétion bizarre, une mise en communication évanescente de dimensions éparses et de leurs possibilités de contact.

C’est grâce à ce genre d’excès en tout cas, qu’on peut encore faire « cause commune » avec la production artistique pour tenter de « survivre à l’effondrement de la culture ».

Et maintenant, où se joue mODULES Dada  ?

Modules dada à La Fonderie au Mans les 6 et 7 décembre ;

Au nouveau théâtre de Montreuil du 12 au 15 décembre 2017 ;

Et, s’il vous plaît, n’applaudissez pas !

(Note : ce récit comporte une seconde partie, qui explore le traitement des rapports entre art et révolution dans les mODULES, disponible dans un document qui sera diffusé sous format papier au moment des représentations.)

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