Partie 1 : Quand j’entends le mot « culture »
Il est, parmi les menées gouvernementales, des offensives si sournoises et si muettes qu’on ne les atteste vraiment qu’au moment où se dresse contre elles la révolte ouverte, populaire, incendiaire. La métropole, ou plutôt le « processus de métropolisation », est de ces offensives. Avant les gilets jaunes, la métropole fournissait un thème de dissertation urbanistique ou sociologique marginal, dont le sérieux même restait sujet à caution. Depuis les gilets jaunes, c’est un fait politique. Il suffit de voir comment réagit l’humanité métropolitaine chaque samedi que les « gueux » envahissent ses centres-villes vitrifiés, à Bordeaux, à Toulouse ou à Paris, pour ouvrir les yeux sur une sourde offensive de vingt ans, et ses résultats. Une certaine façon de vivre, qui s’est crue l’apogée de la civilisation parce que la plus artificielle, la plus précieuse parce que la plus fragile, à qui l’on a raconté qu’elle incarnait le rêve réalisé de tout un chacun, et qui l’a cru, découvre effarée la détestation qui la cerne. Et elle déteste en retour copieusement ces gilets jaunes qui viennent briser son monde d’illusions périssables. Non seulement toutes ces formes de vie en jaune, réputées archaïques, presque disparues ou ayant en tout cas vocation à être dépassées, demeurent, et n’ont pas honte d’elles-mêmes, mais en outre elles ne comptent pas se laisser métropoliser. À les voir persister, vient même le doute que ce ne sont pas elles qui sont l’aberration, mais peut-être cette civilisation même qui aura livré avec la métropole son dernier fruit amer.
La critique de la métropole n’est pas neuve, et il peut être intéressant pour éclairer l’actualité d’un jour inattendu, de se remémorer quelques textes oubliés. Des abysses des internets, nous en avons remonté trois, tous issus d’un recueil anonyme intitulé La fête est finie, publié à Lille en 2004. Il s’agissait manifestement pour ses auteurs inconnus de ne pas laisser sans réponse l’offensive urbanistique de métropolisation intitulée « Lille-capitale-européenne-de-la-culture ». Le contenu des trois textes que nous avons sélectionnés n’est pas sans rappeler, étrangement, certains passages de L’insurrection qui vient, ou un développement de thèmes esquissés dans la revue Tiqqun. Le premier, intitulé de manière provocante « Quand j’entends le mot culture », constitue l’article d’ouverture du recueil. Le voici.
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