Confinement, Emmanuel Macron et journée de l’autisme

« Des autorisations de sortie en pdf. Fallait y penser ! »

paru dans lundimatin#237, le 6 avril 2020

Je dois être un peu autiste. Comme mon fils. Sauf qu’émile il n’est pas un peu autiste, il l’est complètement. Il s’est même un peu radicalisé ces derniers temps. Mais moi, son père, je dois être un peu autiste quand même parce que, comme souvent les autistes, je suis complètement perdu quand un discours s’éloigne, même un peu, de la vérité.

De l’idée que l’on se fait de la vérité. Alors en ce moment, autant vous dire que je ne suis pas à la fête, dérangé dans mes petites habitudes autistiques, par exemple tous les soirs quand j’entends tout le quartier qui tape sur les casseroles et qui applaudit, et qu’on m’explique, en bon autiste je n’aime pas le bruit, si vous saviez ! que c’est pour remercier le personnel soignant en France. Du coup ça me chiffonne parce que si je me souviens bien, et je dois être un peu autiste parce que j’ai bonne mémoire, la dernière fois que le gouvernement se préoccupait du personnel soignant c’était en s’assurant que les stocks de lacrymogènes étaient bien achalandés, et ils l’étaient, apparemment nettement plus que toute sorte de matériel médical qui fait aujourd’hui défaut, pour justement pouvoir applaudir, comme on faisait à cette époque-là, c’est-à-dire en les tabassant, les manifestants et manifestantes qui, fort dignement et avec un esprit de responsabilité apparemment rarement pris en défaut, encore aujourd’hui, tentaient d’alerter le gouvernement de peigne-culs du prochain effondrement du service de santé de ce pays. Il y avait même une pancarte qui disait les politiques comptent leur sous, on comptera les morts.

Pour tout vous dire tout ceci me chiffonne tellement que j’ai pris l’habitude désormais de m’interdire la prise de la radio et je n’ai jamais eu la télévision, mais voilà aujourd’hui mes outils de veille sur internet à propos d’autisme m’alertent à propos d’un certain discours, tout frais, du président, tout sourire, à destination du monde des autistes, notamment dans le contexte du confinement. Du tout frais donc. Je clique. Je n’aurais pas dû.

En fait je me demande vraiment ce qu’il va pouvoir nous dire, plus exactement ce qu’ont bien plus lui souffler ces fameux conseillers et conseillères en communication sur ce sujet savonneux de l’autisme, qui plus est en période de confinement, vu que ce sont les mêmes conseillers qui apparemment exigent de lui qu’il rassure et effraie en même temps, comme ils et elles disent, si possible dans la même phrase, et qui seraient prompts, les mêmes conseillers en communication, à faire défiler dans le ciel confiné rien moins que la patrouille de France pour soutenir le moral du peuple, je me suis dit que l’on pouvait s’attendre au pire. Et même que cela pourrait être aussi désopilant que cette idée saugrenue de patrouille de France en temps de confinement, qu’allaient-ils et elles nous réserver à nous les autistes ? J’étais loin du compte.

La première phrase est extraordinairement déroutante, le président s’adresse à nous, les autistes, dont les habitudes ont été récemment contrariées et nos habitudes sont donc celles de notre cadre de travail ou d’étude, les deux seuls cadres mentionnés. Alors cette histoire de cadre de travail, ça demande un peu de décodage. Il y a quelques temps déjà j’avais décortiqué le dernier plan autisme de ce gouvernement de peigne-culs qui disait agir parce que ce serait dommage de se priver des forces vives des autistes et ne pas les insuffler dans le monde du travail, et j’avais démontré à quel point cette parole était délirante, résumons-nous, il n’y a pas assez de travail pour tout le monde, pourquoi emmerder celles et ceux qui ont précisément trouvé le moyen de s’isoler loin de cette démence ? Donc, deux ans plus tard, le gouvernement de peigne-culs n’en démord pas : les autistes ils et elles sont soit au travail soit en train d’étudier, j’imagine pour pouvoir travailler plus tard. Je ne sais pas de quels chiffres ce gouvernement de peigne-culs dispose sur ce haut niveau d’employabilité des autistes, et cette forte présence dans les lieux d’études, mais si quelqu’un pouvait leur faire passer l’information que la plupart du temps les autistes sont soit à la maison soit en institutions, en fait assez loin du monde du travail et des études-qui-te-forment-à-un-métier. Ce dont je ne suis pas certain d’ailleurs qu’il faille les plaindre.

Après c’est touchant parce que le même gars qui est en guerre, donc qui se voit en chef de guerre, « eh Macron si on était en guerre la Suisse ne serait pas concernée » ironise Thomas Wiesel, et qui donc adopte désormais ce ton martial de type qui est, en fait, en train de faire dans son froc, ce même type, tout soudain, est en train de nous parler sur un ton de voix que l’on réserve habituellement aux enfants le soir quand on leur raconte une histoire. C’est touchant, il aurait donc un cœur. En revanche penser qu’il faille nécessairement parler avec lenteur et en détachant bien chaque mot aux personnes autistes a peut-être été mal conseillé, je dis ça je ne dis rien mais ce serait bien de l’intégrer dans les éléments de communication la fois prochaine.

Et c’est bien ça le problème. Parce que je suis resté tellement interdit après avoir écouté ce discours. Je ne comprenais pas. D’habitude nous les autistes on ne doit pas trop déranger l’ordre du monde parce que l’on ne parle jamais, ou presque, de nous. Non pas que nous n’existions pas, mais franchement c’est très rare qu’on parle de nous, qu’on se préoccupe de nous ou même qu’on nous demande ce qu’on en pense. Du coup je me suis posé la question de savoir comment cela se faisait que tout d’un coup un président, qui avait sans doute mille autres choses plus pressantes à faire, il est en guerre, comment cela se faisait qu’il prenne le temps de nous parler à nous les autistes, pour ne pas dire les gens qui ne sont rien, ça c’était avant les efforts de communication. Ça m’est revenu d’un coup : hier c’était le premier avril, le jour des blagues, le jour d’après c’est le jour des autistes. Un peu comme vous avez le jour des femmes, le 8 mars, « laisse la vaisselle Chérie tu la feras demain », ben le jour des autistes c’est aujourd’hui, il serait largement temps que je me réveille. Sinon je vais rater mon jour. Parce que dès demain ce sera plus du tout le jour des autistes. Mais alors plus du tout.

Mais, en fait, déjà ça, déjà maintenir ça, ce petit ça, c’était pas mal, je ne dis pas qu’on s’en serait contenté, mais c’était déjà un geste, un peu inutile, un peu comme d’applaudir des personnes qu’on avait précédemment maltraitées, disons que c’était un premier geste dans la voie et le sens du pardon. Oui mais.

Il n’échappe sans doute à personne depuis quelques temps que les peigne-culs au pouvoir ont l’air soucieux, je crois qu’ils et elles devinent, c’est sans doute cela leur insistance à l’unité nationale, qu’à un moment leur incurie va finir par se voir et à vrai dire ce moment est dépassé depuis longtemps. Oui, non seulement cela se voit, mais en plus là on en est déjà à demander des comptes, à compter les bouses alors que la foire aux bestiaux n’est pas encore terminée, comme le veut le joli dicton auvergnat. Et que de telles demandes d’explications après-coup risquent de ne pas faire joli-joli, parce que souvent les peigne-culs jouent sur le fait qu’en quelques mois ou années on a pu oublier ce qu’ils ou elles ont dit, souvent sur un ton martial qui ne souffrait pas la contradiction, mais qu’en ce moment, on a la mémoire fraîche parce que les déclarations sur l’inutilité des masques et autres grossièretés proférées sur le coup de panique, pour cacher aux yeux de toutes et tous que le matériel médical non seulement on ne l’a pas reçu mais on ne l’a pas commandé non plus, et bien elles sont toutes fraîches, et on n’a pas pu les oublier, du coup la partie s’annonce nettement plus difficile et serrée que d’habitude.

Alors j’ai mis un moment à comprendre, pas seulement parce que je suis autiste, mais surtout parce que je ne suis pas un pervers comme ces personnes au pouvoir, je ne suis pas capable de raisonner en ces termes : « bon ça chauffe pour notre matricule, il faut absolument qu’on commence, dès à présent, à se refaire une image, bon qu’est-ce qu’on a au calendrier ? Le 2 avril, jour des autistes. Parfait. Qu’est-ce qu’on pourrait leur donner qui ne coûte rien ? Des autorisations de sortie en pdf personnalisé. Parfait. On fait ça. » Fallait y penser ! Encore un coup de génie de la communication. Et pour vous dire c’est tellement improvisé, ben en fait le 2 avril, le putain de pdf il n’est toujours pas accessible, c’est pourtant pas grand-chose un pdf. Pas grave, demain nous serons le 3 avril ce ne sera plus le jour des autistes et on pourra nous oublier comme les 364 autres jours de l’année, 365 cette année. Je ne voudrais pas faire mon autiste.

C’est tellement moche. Se servir des autistes. En pensant sans doute que nous les autistes, nous n’allions pas nous en rendre compte. Peigne-culs !

Philippe De Jonckheere, un peu énervé mais pas vraiment autiste, le 2 avril 2020.

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