ZAD de Notre-Dame-des-Landes : 5 personnes mises en examen pour enlèvement et séquestration

De la répression politique par le droit commun

paru dans lundimatin#176, le 31 janvier 2019

Le 17 janvier 2018, Edouard Philippe annonçait l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dames-des-Landes. Des années de lutte, d’occupation et d’affrontement acculaient finalement l’État à reculer et renoncer. Cette « victoire », tout le monde le savait, allait cependant s’accompagner d’une cruelle contrepartie : l’écrasement sur la zone de tout ce qui débordait l’état de droit, un retour à l’ordre.

La stratégie préfectorale a eu le mérite de sa transparence. Dans un premier temps, il s’est agi de réduire militairement par deux offensives ultra violentes au printemps, les capacités des habitants à résister. De nombreuses cabanes et habitats furent littéralement rasés à l’aide des mêmes blindés que l’on a désormais pris l’habitude de voir dans les centres-villes où les gilets jaunes sont le plus offensifs. La victoire militaire acquise, la préfecture a pu simuler une phase de négociations : soit les occupants qui restaient acceptaient les termes et les conditions de l’État, soit ils seraient eux aussi expulsés par la force et leur projets de vie écrabouillés à la pelleteuse. Un chantage à la violence présenté dans tous les médias comme une négociation bienveillante.
Depuis, de nombreux habitants ont quitté la zone, d’autres y sont toujours et tentent de se dépêtrer des inévitables contradictions inhérentes à leur situation. Comment ne pas abandonner la victoire sur l’aéroport à l’État ? Comment continuer d’occuper sans se laisser « normaliser » ? Comment ne pas perdre la partie lorsque la préfecture a désormais quasiment toutes les cartes en main ?

Mardi 22 janvier, soit un an après la « victoire », c’est une nouvelle offensive qui est venue frapper la ZAD de Notre-Dames-des-Landes, cette fois-ci sous la forme d’une opération judiciaire. Dès 6 heures du matin un impressionnant contingent de forces de l’ordre se positionnait sur la zone pour venir perquisitionner et interpeler une poignée d’habitants. Depuis, 5 personnes ont été mises en examen notamment pour les faits « d’enlèvement et de séquestration », trois sont écrouées dans l’attente de leur procès. Volontairement ou non, ces arrestations arrivent à point nommé au moment même où les baux précaires des habitants doivent être renégociés. Elles viennent aussi et très opportunément raviver des conflits profonds et de longues dates entre différents groupes d’occupants. Pour expliquer ces chefs d’inculpation pour le moins stupéfiants et ce qu’ils considèrent comme une énième manœuvre contre ce qu’il reste du mouvement, des habitants nous ont transmis ce communiqué qui permet de clarifier la situation, par-delà les rumeurs et embrouilles des réseaux sociaux.

Mardi dernier, cinq compagnons de lutte ont été arrêtés au petit matin. La machinerie policière et judiciaire s’est alors mise en route. Deux d’entre eux, Sarah et Guillaume, sont désormais sous contrôle judiciaire avec une interdiction d’aller à la zad, de se voir, et une obligation de pointer au commissariat trois fois par semaine. Les trois autres, F., Ben et Greg, ont été placés en détention « provisoire » dans l’attente d’un procès qui peut mettre des mois, voire des années, à advenir. Qu’ils soient « libres » ou en prison, ils ont été séparés de nous, soustraits à leurs amis, à leurs familles, à leurs activités, au soin de leurs animaux, à ce qui fait leur vie et la nôtre.

Cette opération visait en premier lieu à réduire le mouvement à un silence gêné, face à des accusations aux noms infamants, elle nous voulait sidérés, effrayés, mutiques. Sur ce plan-là, elle est en train d’échouer, parce que nous connaissons les techniques retorses visant à briser et diviser les luttes pour les avoir déjà rencontrées auparavant. Et parce que nous savons que les faits sont bien différents du récit journalistique et/ou policier qui en a été fait. Concernant le plaignant, il s’agit d’un homme qui vivait ici et qui, dans les jours précédant les événements, avait à plusieurs reprises menacé des personnes avec des armes blanches (un couteau de chasse et une hache). Suite à ces comportements inacceptables, il lui avait été signifié de ne plus revenir sur les lieux, c’est-à-dire à la ferme de Bellevue. Mais il y est malgré tout retourné à plusieurs reprises. Le 5 octobre, il est revenu une énième fois, muni d’une hache et d’un bouclier. Il lui a été demandé de partir, ce qu’il n’a pas fait ; c’est dans ce contexte qu’il a assené à Greg un coup de hache dans la jambe, puis dans la main qui protégeait sa tête. Ses blessures étaient graves et il a dû être immédiatement conduit à l’hôpital et opéré. S’il n’avait pas eu le bon réflexe de se protéger de sa main, le coup aurait pu le tuer. Devant la gravité de ces faits et pour parer au plus pressé, c’est-à-dire empêcher que d’autres coups ne soient donnés ou que la situation n’empire encore, il a été désarmé et éloigné de la zad (c’est cet éloignement qui est qualifié d’enlèvement avec séquestration par le juge d’instruction, sans que l’on sache aujourd’hui ce qui permet d’affirmer que les personnes arrêtées y ont bien pris part). Souffrant de bleus et de contusions, il a alors décidé de porter plainte, et a produit un récit affabulateur, tout en ne niant pas avoir donné des coups de hache. Mercredi dernier, alors que les arrestations avaient été relayées par les médias, deux personnes sont venues faire une déposition sous X à la gendarmerie.

Cette affaire s’appuie donc en partie sur des délations calomnieuses, de la part du plaignant mais aussi d’anonymes, qui peuvent raconter n’importe quoi sans que les inculpés puissent se défendre, sans que les avocats ne puissent faire de réelle contre-enquête sur leurs dires, sans qu’une confrontation n’ait lieu.

Alors que les arrestations étaient en cours, qu’une « bulle stratégique » entourait les lieux de vie des inculpés, un des gendarmes présents nous a dit : « Cela n’a rien à voir avec le mouvement, c’est du droit commun ». Comme si nous étions dupes, comme si nous allions répondre que dans ce cas-là, il n’y avait pas de souci… Nous comprenons très bien que ce montage en épingle n’émerge pas, comme ils le prétendent, de conflits politiques internes, mais du conflit politique entre l’État et un mouvement de lutte. Il y a eu, il y a et il y aura sans doute encore des désaccords entre nous, mais que vient faire cette histoire de violence, de comportement dangereux, là-dedans ? Une fois de plus, l’État tente d’instrumentaliser les différends pour affaiblir, diviser et diffamer ceux qui prétendent lui résister. Nous l’avons déjà expérimenté… L’enquête qui a eu lieu a été menée uniquement par le parquet, c’est-à-dire le procureur, c’est-à-dire le ministère. Un juge d’instruction (prétendument indépendant du pouvoir) ne s’en charge que depuis jeudi dernier. Ainsi, c’est l’État qui a décidé à la fois des charges et du calendrier. Il n’aura échappé à personne ici que ces arrestations ont lieu exactement au moment où nous devons renouveler la signature des Conventions d’Occupation Précaires et donc potentiellement des baux sur les terres que nous cultivons. Deux des emprisonnés sont dans ce cas. La situation qui leur est faite ne met donc pas seulement en péril leur vie personnelle, mais aussi nos projets communs. Tous les trois ont évidemment fait appel de leur détention.

Le mouvement a fait face cette année à deux offensives militaires accompagnées de multiples condamnations, à une offensive administrative, et voici que s’ouvre maintenant une nouvelle offensive judiciaire. Nous nous attendons dans ce cadre à d’autres arrestations, car il semble que n’importe qui puisse accuser des gens de n’importe quoi tout en restant anonyme, et les envoyer en prison. Mais déjà le soutien s’organise. Lundi 28 janvier, à 20h à la Rolandière une première réunion du comité de soutien aura lieu. Dans les jours qui suivent, nous donnerons une conférence de presse, et dimanche 3 février, des chantiers se dérouleront. Car nous n’allons pas laisser les activités des prévenus s’éteindre avec leur absence forcée, nous les maintiendrons jusqu’à leur retour parmi nous. Car si aujourd’hui il y a un bocage à travers nos fenêtres, si aujourd’hui ce ne sont pas les avions que l’on entend en se levant le matin, c’est parce qu’ils furent là pour s’y opposer. Il y a des souvenirs que rien n’obscurcit. Et un futur que l’on compte bien bâtir avec eux.

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