ZAD : 4000 grenades tirées

Combien de GLI F4 ?

paru dans lundimatin#142, le 20 avril 2018

Mercredi 11 avril sur la ZAD. Les gendarmes qui jusqu’ici occupaient principalement la D281 lancent une offensive pour prendre position dans le « centre » de la zone. Le pique-nique organisé en face du lieu-dit des Fosses Noires est en train de se terminer. Depuis la veille, les forces de l’ordre utilisent, en plus d’un usage massif de gaz lacrymogène, de nombreuses grenades explosives. C’est avec celles-ci qu’ils canardent le rassemblement dans le but de le disperser.

Les gendarmes, plus tôt dans la journée, ont commencé par utiliser les variantes « à main », de ces explosifs, les balançant sur les groupes d’opposant s’approchant trop près de leurs lignes. Désormais ils en chargent leurs lanceurs « Cougar ». Ceux-ci permettent d’envoyer des grenades dotées de propulseurs à 50, 100 ou 200m de distance. Sur la ZAD, le ciel est régulièrement traversé par les ogives grises sortant de ces lanceurs. Elles libèrent par exemple six petits palets noirs qui en s’embrasant crachent des gazs lacrymogènes. Mais parfois, de plus en plus souvent même, ces ogives libèrent une genre de torpille qui tombe presque à la verticale. Les opposants ont fini par les reconnaître. Ils crient « grenade » ou « assourdissante », en les pointant du doigt puis en se bouchant les oreilles. En heurtant le sol, la cartouche explose, libérant une fumée noire, un son violent, et projetant de la terre et de la boue à près de 2m de hauteur.

Il s’agit de grenades dites « GLI F4 », fabriquées par la société « SAE ALSETEX ». Selon la notice du fabricant, leur effet serait avant tout « psychologique », visant à « déstabiliser les manifestants dans des situations particulièrement difficiles ». Cet effet psychologique est, toujours selon le fabricant, lié au son (165db à 5m), à une faible quantité de lacrymogène, mais aussi à « l’onde de choc ». S’il y a onde de choc, on pourrait suspecter que cette grenade, quoique l’entreprise n’insiste évidemment pas sur ce point, puisse provoquer des blessures. Parmi les plus de 160 blessés recensés en milieu de semaine par l’équipe médicale de la ZAD, nombre d’entre eux affirment l’avoir été par l’usage de ces GLI F4. Lors de la « dispersion » du pique-nique, trois journalistes ont d’ailleurs été blessés, touchés par des « éclats », aux jambes voire au visage.

Pour se faire une idée de l’effet produit par l’explosion de ces grenades, vous pouvez regarder cette courte vidéo de Street Politics :

Mais ce ne sont pas les éclats qui sont les plus dangereux lors de l’explosion d’une GLI F4. Cette dernière est souvent surnommée, à tort, « assourdissante », les gendarmes l’appelant plus simplement « offensive ». Il faut rappeler qu’une autre grenade offensive a récemment été retirée de l’arsenal des gendarmes mobiles : le modèle OF F1, qui est à l’origine de la mort de Rémi Fraisse. Cette dernière en plus d’être enrobée d’une fine couche de métal (à l’inverse de la GLI F4), contenait 60g de TNT (un explosif), contre 25g pour la GLI F4. Cette quantité moindre de tonite, a pourtant suffit, il faut le rappeler, à lourdement blesser un opposant au projet nucléaire de Bure, en août dernier. Cet article, qui revient en détail sur la composition et le fonctionnement des GLI F4, rappelle ainsi que :

sa charge de TNT explose au moment où l’ogive touche le pied de Robin. La botte est pulvérisée, le pantalon déchiqueté, et le dessus du pied de Robin instantanément arraché par l’impact.

L’effet terrorisant de la GLI F4 est donc moins lié aux 165db, et à la fumée noire, qu’à la capacité de destruction de sa charge explosive. Surtout quand cette dernière tombe des airs. L’effet psychologique des jets massifs de GLI F4 au lance-grenade se résume en peu de mots : « et si ça me tombait dessus, et si ça tombait sur ma tête ? »

M. Hulot a eu le toupet de déclarer :

Les gendarmes ont procédé à l’expulsion avec, j’ose le croire, le plus de précaution possible"

Il sait pourtant pour les nombreux blessés recensés par les équipes médicales. Et s’il se soucie uniquement des blessures des forces de l’ordre (puisqu’il affirme aussi qu’« il y a plus de blessés du côté des gendarmes »), alors il ne lui aura pas échappé que dès le deuxième jour de l’opération un gendarme a été lourdement touché au pied. Au point de nécessiter une évacuation par hélicoptère et une hospitalisation. S’il a été ainsi blessé, malgré son équipement défensif, malgré les jambières qui équipent les gardes mobiles depuis les manifestations de marins-pêcheurs à Rennes en 1994, c’est que l’arme utilisée devait être rudement efficace. Pour cause, il s’agissait d’une grenade GLI F4.

M. Hulot pense peut être que les blessures provoquées par les interventions des forces de l’ordre sont marginales, au sens où elles découlent de quelques comportements inappropriés. On pourrait éventuellement penser cela des tirs tendus de grenades lacrymogènes, ou de balle de défense au niveau du visage (un opposant a eu l’arcade éclatée par un tel projectile) - pratiques interdites. Après tout, les gendarmes, quand ils enfilent leurs armures, ne laissent pas leur humanité au placard : ils peuvent donc être en proie à la haine, la vengeance, la bêtise, la méchanceté, l’idiotie, etc. (surtout quand leur animosité à l’égard des zadistes est alimentée... par la préfète elle-même).

Sauf que l’usage systématique et massif des grenades GLI F4, lancées sans discernement au lanceur Cougar, ne peut pas être considéré comme un ensemble de « bavures ». Il s’agit d’une méthode, ordonnée par le Général Richard Lizurey en charge des opérations, et validée par la préfecture.

Une méthode qui consiste à blesser (éventuellement jusqu’à la mutilation) indistinctement et massivement les opposants à la destruction de la ZAD.

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