Vie de bug selon Mr. Robot

Ut talpa - paru dans lundimatin#107, le 5 juin 2017

La série Mr. Robot est inégale et parfois pompeuse. La solitude qui s’en dégage est loin des liesses de liens qu’une forme de vie pourrait souhaiter. Mais Mr. Robot pense en regardant sa série.

Le Deus ordinator est un dérivé de l’homo economicus, son comportement se réduit au choix rationnel en sa dimension la plus numérique qui soit : entrée, sortie, 0, 1, oui, non, on, off. Agir ou ne pas agir, telle est la seule question que pose l’informatique.

L’intériorité, l’intimité, le secret, le moi, n’est pas métaphoriquement code source, il est code source, le cacher c’est construire un labyrinthe de normalité qui le brouille. C’est surcoder son intériorité sur fond de codes sociaux. Drinking starburcks, have a girlfriend, doing gym, and like on instagram.

1, 0, on, off, sortie, entrée : La force ou la faiblesse, l’offensive ou la soumission, l’abdication maladive du père, la hargne rigoureuse de la mère. Le cancer n’est jamais médico-pathologique, il est d’abord structurel et capitaliste, il est le nom donné à la dette et au surtravail, c’est-à-dire : à la plus-value et donc, à la logique de la valeur et son optimisation même. Si l’optimisation et la valorisation, la valeur, la plus-value à l’origine de l’idée même de valeur, sont un cancer, sont la maladie avant la maladie, sont le paradigme abstrait du dol, c’est en un sens purement étiologique, c’est-à-dire causal. La cause première du cancer n’est pas d’abord la fureur d’une meute de cellule qui refusent de mourir, c’est l’optimisation, la valeur en tant que plus-value.

La logique du bug : le bug contre le code et la norme. Le bug génère une variation, il est la répétition différentielle : tout le monde a son bug, le « truc » qui le fait dérailler, gîter, fuir. Contre la répétition cadencée et mesurée de la vie normale, le bug, bien qu’on l’étouffe ou le refoule dans d’étrange crises de normalité (faire du sport, arrêter la clope, boire starbucks, manger des cup-cakes, piloter sur google, revenir sur facebook, trouver un.e copin.copine etc.), il revient, il est rémanent - homosexualité refoulée, pédophilie refoulée, meurtrier refoulé, poète refoulé, pâtissier refoulé, reptation refoulée, fuite refoulée, amour refoulé, haine refoulée. Alors le bug est la répétition de ce qui cloche, il singularise dangereusement là où l’on souhaiterait être aussi universel et abstrait qu’un numéro de compte en banque. Bien entendu, le bug est ce qui ne peut pas être valorisé, il n’a donc pas de valeur. Ni économique, ni moral. Il échappe à l’homo economicus, à l’animal laborans. Il donne la main à l’homo sacer : moins-que-rien, presque-rien, je-ne- sais-quoi.

Pourtant, justement, il y a moyen de le valoriser : le bug capturé devient amarre, prise. On appelle cela chantage, blackmail, de réputation, de droit, d’affect : le bug devient cela même par quoi l’on vous dénonce, et l’on vous détient, c’est pourquoi tant de gens cherchent au plus haut point à le dissimuler, leur maudit bug. Mauvaise conscience de bug. C’est par là que l’on vous tient : en haut de la sphère, et tout en bas.

Le diable est toujours plus fort lorsque l’on détourne le regard : comme un Programme silencieux, tapis dans l’ombre permanente, sous-conscience. Les bugs, on les appelle les « daemons » : gestes spontanés, schémas inconscients, structures latentes. On ne se contrôle pas, ce sont les daemons qui nous contrôlent. Tous ces glissements, ces craquèlements, roulis de surface, écumes envoyées par le fond. Le bug se révèle être un « daemon », une action sans interaction de la part de l’utilisateur, la flèche qui se déplace sans mouvement de souris, le pop-up qui nous déborde : là, la main qui tremble, l’oeil éclaté, le jaune du blanc, la drogue visible sous la peau.

C’est pourquoi ou bien l’ON nous rattrape par le bug, ou bien le bug nous rattrape : c’est la mise à jour. Mise à jour, upgrade, le bug, par sa répétition périodique, sa récursivité, transforme l’équilibre entre l’intimité-code source et l’extériorité-code social. Lorsque le code source est mis à jour par le bug, il n’y en a plus pour très longtemps. La nesse du réel redevient 0, 1, 1, 0 : oui, non, binaire. Le citoyen lambda ne cesse de soulager sa mauvaise foi de bug par des déclarations d’amour pour la nuance et la complexité : le monde n’est pas si binaire, dit-il, ce n’est pas oui ou non, 1 ou 0, activité ou passivité dit-il. Mais ces arabesques de l’esprit ne font que recouvrir le ou bien ou bien.

Indécidable sur lequel sa vie est construite : ou bien laisser libre cours à son bug, ou bien le traquer, le chasser, le discipliner ou le détruire. Parce que Mr. Robot est l’oscillateur entre Robot-bug (Fuck Society) et Robot-norme (Evil Corp). C’est pourquoi Mr. Robot a toujours une vision plus complexe des choses, plus nuancée  : il doit bien ça à sa propre contradiction, à son « sale petit secret », à sa contrariété. Le bloom bugue, il n’en finit pas de buguer, c’est même à ça qu’on le reconnait.

Il n’y a pas de contre-sens : le bug n’est pas le salut ni le bien. C’est d’abord une petite perversité. C’est d’abord quelque chose de honteux. Une haine mal tue, un désir sexuel déviant.

C’est là qu’intervient le Hacker : il révèle le petit bug, il décrypte le code source, et il le met à jour avec la vie. Le réseau de pédopornographie du patron d’une chaîne de cafés, les autres vies polygames d’un vieux con, le trafique de drogue-arme-viol d’un dealer. Alors oui, le Hacker s’exerce d’abord sur le petit bug des honnêtes gens, puis le Hacker décide de passer à l’étape supérieure : le bug c’est le bug social, la société comme code déviant au crible du Hacker. Donc : Fuck-society et fuck Evil Corp : mettre à jour ou faire buguer, faire buguer en mettant à jour, mettre à jour, en faisant buguer - ça n’a plus d’importance. Ce que remarque le Hacker c’est : je suis un bug traqueur de bugs, je suis un accumulateur d’énergie potentielle de bugs, un transformateur de bugs, du bug jaillissant à n’en plus finir. Un accélérateur de particules de bug, un attracteur. Ce que j’amène par lignes de code, c’est la décision contre la confusion. Se vivre soi-même, 0 ou 1, 1, 0, 1 ou 0. Ouvert, fermé, ami, ennemi, amour, haine, se vivre soi-même affirmé.

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