Valérie Pécresse, les lycéens, la drogue et Michel Foucault

« Quels parents souhaitent que leurs progénitures sombrent dans les affres de la drogue et ratent leur scolarité ? Grâce à Valérie Pécresse, ses dépistages biologiques, ses caméras de surveillance et des patrouilles de police, se sont des centaines d’enfants qui vont être sauvés et remis sur la voie de la réussite et de la bonne santé. »

paru dans lundimatin#62, le 28 mai 2016

Pour gagner la présidence d’un conseil régional d’Île de France, il faut savoir promettre et allécher. C’est ainsi que Valérie Pécresse avait annoncé la mise en place d’un « plan de lutte contre la drogue » — dépistages salivaires, contrôles de polices renforcés et mise en place de nouvelles caméras de surveillance autour des établissements — cela afin de lutter contre... la drogue et le « décrochage scolaire ».


Valérie Pécresse : « Je veux des tests... par leparisien

C’est dans ce contexte et non sans quelques remous, que la région Ile-de-France a adopté la semaine dernière, le principe de l’organisation de tests salivaires dans les 470 lycées franciliens. Quels parents souhaitent que leurs progénitures sombrent dans les affres de la drogue et ratent leur scolarité ? Grâce à Valérie Pécresse, ses dépistages biologiques, ses caméras de surveillance et des patrouilles de police, se sont des centaines d’enfants qui vont être sauvés et remis sur la voie de la réussite et de la bonne santé.

Cependant, pour mieux comprendre ce dispositif et en saisir le sens autant que l’importance, il n’est pas inutile de relire Michel Foucault : le fait que tout un chacun puisse être considéré comme coupable potentiel, le redressement à partir de la discipline pour rendre les individus dociles et productifs, ou encore l’utilisation des statistiques pour cibler les zones d’interventions. Autant de thèmes chers au philosophe que madame Pécresse a de toute évidence lu avec minutie.

Prévention, dépistage : mise en place d’un pouvoir disciplinaire

La prévention permet de délivrer le message mis en place par l’institution, auprès des élèves. Chaque lycée se voit désigner un référent prévention venant expliquer aux classes ledit plan, à l’aide de données statistiques décrivant l’augmentation de la prise de drogue et le décrochage scolaire. Cela va de soi, rapprocher la hausse du décrochage scolaire de l’augmentation de la consommation de drogue n’est ni évident, ni objectif, et repose sur des présupposés loin d’être neutres. Un des présupposés en question est l’addiction dont la valeur est attribuée par l’institution, en passant par la parole du médecin (qui détecte une addiction et déclare si elle est dangereuse). Celui-ci est là pour aider, pour soigner, donner une légitimité au discours officiel.Réciproquement, ce sont « des emplacements institutionnels [que] le médecin tient son discours, et où celui-ci trouve son origine légitime et son point d’application » [1].

Ici, le médecin effectue donc plusieurs opérations : « référer les actes [la consommation de drogue], les performances [la fréquence de cette consommation], les conduites singulières à un ensemble [les comportements addictifs] qui est à la fois champ de comparaison, espace de différenciation et principe d’une règle à suivre [ne pas être addict]. Différencier les individus les uns par rapport aux autres et en fonction de cette règle d’ensemble. » [2] Le discours du référent prévention représentant l’institution et l’action du médecin effectuent une différenciation au sein de l’espace visé, le lycée. Le but direct n’est ni de sanctionner ni d’interdire, mais de prévenir et de distinguer le bon élève clean du mauvais, consommateur de drogues.

On obtient une nouvelle façon de distinguer les élèves et un nouveau pouvoir normatif au sein des institutions scolaires.

Parents et administration main dans la main : alliance des pouvoirs normatif et coercitif

Pour que la différenciation ne soit pas qu’un discours, des moyens concrets sont mis en place pour détecter et corriger les élèves en situation d’addiction : des tests de dépistage salivaires.

« [leurs] résultats seront exclusivement communiqués au lycéen et à ses parents. Les chefs d’établissement n’auront accès qu’à de simples données statistiques globales et n’auront donc pas accès aux informations individuelles. » [3]

Ces tests ont donc une double utilité pour les autorités : utiliser le pouvoir des parents sur leurs enfants pour gérer leur consommation de drogue ou l’interdire et créer un registre de données statistiques à disposition des chefs d’établissement ou d’autres institutions.

Dans cette mise en place, une division entre pouvoir coercitif et pouvoir normatif est à l’oeuvre. N’oublions pas qu’il y a plusieurs enjeux dans la mise en place de ce dispositif : lutte contre le décrochage scolaire, dépistage des consommateurs de drogue et identification des dealers ; autrement dit : rendre des individus dociles et productifs, réduire une consommation non lucrative pour l’Etat, arrêter ceux qui font vivre ce marché illégal. En identifiant les élèves consommant de la drogue, et en incitant les parents à corriger ces derniers, l’administration exerce un pouvoir disciplinaire lié à l’établissement d’une norme. Ce pouvoir a un aspect positif, celui de la correction et de l’intégration de la norme : les drogués cessent de consommer, travaillent mieux, et pensent gentiment à leur avenir. Les parents, quant à eux,sévissent et punissent fermement, usant d’un pouvoir coercitif spécifique au cercle familial que l’on s’accorde encore à dire légitime.
C’est l’administration qui a le pouvoir de décider, si oui ou non, ce dispositif doit être mis en place dans le lycée.
Pourtant, derrière les bonnes intentions de certains, est dissimulé, de façon consciente ou non, un changement dans la manière de lutter contre la drogue, lié à la réorganisation d’un espace dans lequel elle prend pied : le lycée. La norme contenue dans le plan de lutte devient intrinsèque à l’institution, qui sous couvert de légalisme, va faire appliquer un respect des règlements internes visant à cibler des éléments n’ayant aucune chance d’être recadrés. Sur le long terme, une banalisation d’un discours se produit permettant la mise en place croissante de moyens coercitifs et la marginalisation extrême des drogués - côté négatif de la norme.

Le décrochage scolaire à cause de la drogue : événement probable

C’est le « dispositif de sécurité qui va, pour dire les choses de façon alors absolument globale, insérer le phénomène en question, à savoir le vol, à l’intérieur d’une série d’événements probables » écrit Foucault. [4]. Ici, le phénomène en question n’est pas le vol, mais le décrochage scolaire lié à la consommation de stupéfiants. Le dispositif va permettre d’inclure ces actes dans des registres statistiques, qui vont eux-mêmes être utilisés pour calculer des possibilités pouvant être différentes : corriger des élèves, attraper et sévir des dealers, donner des informations aux parents qui pourront punir, aménager les entrées des établissements pour avoir un meilleur moyen de les contrôler, etc.

Démanteler des réseaux de drogues anormaux

Les statistiques serviront aussi la partie que Pécresse a nommé « dissuasion ». « Le chef d’établissement a la possibilité de déclencher un plan de lutte contre les dealers, avec vidéoprotection et demande d’une présence renforcée des forces de l’ordre aux abords de son établissement, en concertation avec la police municipale ou nationale. » [5] De façon probable, les statistiques auxquelles auront accès les chefs d’établissement orienteront leur décision, tout comme les mesures prises par l’administration préprareront à l’intervention de la police. La logique de l’interaction sera mathématique et statistique : la police n’interviendra qu’en cas de dépassement de la norme statistique.

Force est de constater que ce « plan » mis en place à l’égare des lycéens parisiens ne se contente pas de vouloir leur bien malgré eux. À partir de l’évidence selon laquelle la drogue ne serait ni bonne pour la santé, ni propice à la réussite scolaire, c’est toute une oeuvre de normalisation, de discipline et de sécurisation qui se déploie autour d’un des rares espace de liberté des élèves : la sortie des cours.

[1Michel Foucault, Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, page 73.

[2Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 2004, page 182.

[3Valérie Pécresse, Notre plan pour des « lycées sans drogue » en Ile-de-France : https://www.valeriepecresse2015.fr/actualites/notre-plan-pour-des-lycees-sans-drogue-en-ile-de-france/

[4Michel Foucault, Sécurité, territoire, population, Cours au Collège de France (1977-1978), Paris, Gallimard/Seuil, 2004, page 8.

[5Valérie Pécresse, Notre plan pour des « lycées sans drogue » en Ile-de-France : https://www.valeriepecresse2015.fr/actualites/notre-plan-pour-des-lycees-sans-drogue-en-ile-de-france/

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