Une politique expérientielle (III) – Michalis Lianos

Gilets jaunes : L’insurrection qui ne vient pas ! (Mais ce n’est pas important…)

paru dans lundimatin#197, le 26 juin 2019

Depuis le mois de novembre 2018, le sociologue Michalis Lianos est allé à la rencontre de centaines de gilets jaunes afin de recueillir leurs paroles et de tenter d’analyser ce mouvement aussi surprenant que protéiforme. Fin décembre 2018, nous l’interrogions à propos des premiers résultats de ses recherches (Une politique expérientielle – Les gilets jaunes en tant que « peuple »), s’ensuivait cette mise à jour en février (Une politique expérientielle (II) – Les gilets jaunes en tant que « peuple » pensant).

Alors que le gouvernement autant que les éditorialistes se réconfortent et s’auto-convainquent d’un essoufflement du mouvement, Michalis Lianos nous propose une nouvelle fois de regarder le réel avec précision et acuité. De toute évidence, les Gilets Jaunes ne sont pas parvenus à défaire Emmanuel Macron mais ils ont peut-être posé les bases de quelque chose de beaucoup plus redoutable et d’infiniment plus désirable.

lundimatin : Quels sont les conclusions provisoires que vous tirez à cette étape de votre recherche sur les Gilets Jaunes ?
Michalis Lianos : Pour ceux qui lient les révolutions aux grands soirs, le temps habituel de lamentation est encore une fois arrivé. Ce lien reflète à mon sens une approche attachante et poétique de l’histoire qui obnubile les analyses, y compris savantes, de tous ceux qui se penchent sur le processus du changement sociopolitique. Il s’agit à la fois d’une croyance épique agréable et d’un discours qui garantit la popularité, combinaison très demandée par les intellectuels et les militants.

En vérité, la plus grande force sociale est l’inertie et les changements les plus rapides et les plus durables arrivent par la continuité quand cette dernière s’inscrit dans une nouvelle perception des rapports sociaux et du pouvoir. C’est dans ce cadre que je place mon analyse de la situation actuelle. En effet, il n’y a pas eu de démission du Président ni même changement de gouvernement. Les mesures prises pour répondre aux demandes des Gilets Jaunes n’étaient que largement symboliques. On pourrait donc conclure que rien ne s’est finalement passé, le gouvernement a gagné, le mouvement des Gilets Jaunes n’a abouti à rien jusqu’à présent etc. Mais on aurait tort !

Si la victoire tactique du gouvernement – par la combinaison de la violence, de la communication et du soutien des structures établies – est indéniable, elle ne constitue pas le résultat majeur de ce processus. En premier, parce que nous sous-estimons le sens de la persévérance du mouvement dans son …recul. J’explique ce paradoxe. Le cadre sociopolitique établi (institutions, partis, “corps intermédiaires”) a essayé par tous les moyens d’imposer une forme semblable au mouvement. Il s’agit là du premier pas de la pérennisation d’une structure de pouvoir : l’homéomorphisme. Aux adversaires que vous ne pouvez pas éliminer vous proposez une place à votre table. Ainsi le jeu continue de la même façon, tous les joueurs précédents gardent leur place et les nouveaux-arrivés ‘apprennent’ à jouer selon les mêmes règles, tout en ajoutant quelques nouveaux enjeux, mais qui peuvent se poursuivre désormais selon les règles anciennes. Sans vouloir dénigrer outre mesure ce processus, il faudrait constater qu’il s’agit d’un déplacement conservateur et d’une assimilation politique plutôt que d’une modification importante des rapports de pouvoir.

Or, en dépit de leur immense impact en France et au-delà, les Gilets Jaunes refusent de façon inébranlable depuis sept mois cet homéomorphisme. Ils vont jusqu’à huer des ‘figures’ du mouvement qui cherchent ne serait-ce que se mettre en avant pendant un moment, qui tentent de former un groupe autrement constitué que par une architecture neuronale liant des individus, par exemple un rapport entre leader et suiveurs, une liste électorale etc. Pensons : vous dépensez une partie considérable de votre maigre budget et vous abandonnez votre famille pendant trente-deux jours pour avoir le plaisir de vous faire nasser, gazer ou pis. Vous n’êtes pas un.e habitué.e du pouvoir, vous vous pensez comme “le peuple”, vous demandez un degré modeste de respect et de reconnaissance. De plus, vous vous considérez comme “apolitique” et le système politique et institutionnel actuel est le seul que vous avez jamais connu. Il y a des gens parmi vous et comme vous – pas “des élites” – qui sont prêt.e.s à assumer une partie du pouvoir, tel qu’il existe, façon indéniable d’asseoir un degré d’influence dans le système actuel. Et vous dites absolument non ! Vous écartez l’opportunité majeure qui vous est offerte par l’histoire sur un plateau. Etes-vous inane, stupide, inepte à la politique ? Comme le propose une certaine bourgeoisie, méritez-vous votre sort parce que “vous ne savez pas ce que vous voulez” ? Ou, comme le proposent certains syndicalistes à carrière ascendante, tout simplement naïf et ignorant, sans cette compréhension nécessaire qui conduit à l’avancement de vos “revendications” ?

Laissez-nous deviner. Aucun des deux ?
En effet. Car, les Gilets Jaunes privilégient de façon spontanée leur pluralité en laissant dépérir leur influence tactique. Ce n’est encore une fois pas un plan d’action mais une protection de leur condition expérientielle. Cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas en désaccord, voire en conflit, concernant les voies déjà adoptées ou à suivre. Bien au contraire, vous entendrez des critiques virulentes entre les différentes composantes du mouvement. La grande nouveauté est ailleurs, et est tacite. Notamment, le consensus très solide selon lequel si on choisit sa façon de penser et d’agir chaque fois, on ne cherche pas à changer l’autre et encore moins à l’étouffer, même si on le considère inadéquat. Que signifie cette solidarité avec les gens différents, la tolérance de ceux dont les pensées et les actions peuvent nous paraître mal conçues ou même bornées et imbéciles ? On voit émerger dans cette configuration originale une autre conception des rapports de pouvoir qui refuse l’homogénéité en tant que socle d’influence. Autrement dit, s’il s’agit de générer un discours assimilateur afin de ’prendre le pouvoir’ – ou une partie conséquente de celui-ci – le résultat est considéré par les Gilets Jaunes comme politiquement nul. Je vous rappelle que c’était l’un des premiers points de consensus que ’remplacer Macron par quelqu’un d’autre ne servirait à rien. Le nouveau ferait la même chose’. Ce constat provenait des gens qui clamaient en même temps ’Macron démission !’ Aux nombreux observateurs et analystes hâtifs, cela paraissait contradictoire ou absurde. C’est le destin du complexe d’attirer ce genre de rejet. En vérité, nous avons ici un degré de maturité politique qui émerge par l’expérience collective et qui se concentre sur les aspects systémiques du changement politique et non pas sur la victoire tactique. Pour le dire en termes de bande dessinée, il ne s’agit pas de remplacer un calif par un autre, ni de devenir calif à la place du calif. Il s’agit de porter le jeu à une étape où on aura moins besoin d’un calif.

Attention ici, il ne s’agit pas de prétendre que les Gilets Jaunes sont des anarchistes convaincus. Il s’agit de constater qu’ils refusent de trahir leur expérience de vie en la diluant dans une voie politique qui l’efface, dans des rapports de pouvoir qui la neutralisent. Il ne s’agit donc pas de réussir le rêve de l’ascension sociale en s’imposant aux autres mais de rendre les places modestes respectées, dignes, vivables. Or, dans un mouvement qui a conscience que l’unité d’expérience compte plus que la divergence des avis, cet objectif d’une vie digne ne peut s’atteindre par la suffocation de la pluralité. Que ce soit ’les élites’, un parti politique, ou une majorité qui étrangle les moins forts, le résultat est le même : un rapport de pouvoir qui ne respecte pas une bonne partie du ’peuple’. C’est le sens d’une autre ’absurdité’ des Gilets Jaunes, à savoir que le régime actuel est une dictature, ce qu’ils ont répété à partir du moment où ils ont réalisé que les institutions ne cherchaient pas à les écouter – et encore moins à les comprendre – mais à les rendre de nouveau invisibles tout en prétendant les représenter légitimement.

En somme, leur sentiment est que leur objectif ne peut être de gagner le match mais de délégitimer le jeu.

Soit, mais sur le terrain il n’y a rien qui change. Les choses continuent comme avant. La déception et la résignation gagnent, les rapports établis de pouvoir restent en place.
Pas exactement. Il existe des changements très significatifs qui ne sont pas relevés dans l’espace public ou dans la sphère de la recherche. Par exemple, quel est le rapport entre les tendances électorales de ces dernières années et l’émergence des Gilets Jaunes ? Vous aurez remarqué que la bipolarité construite autour du centre-droit et du centre-gauche ne peut plus s’alimenter. Ce qui est reçu sans critique comme une victoire (le supposé triomphe de la ’République en Marche’) est en vérité la contraction du centre-gauche et du centre-droit en un seul espace. En même temps, on n’hésite pas à porter au pouvoir des ’novices’, ce qui démontre que la gouvernance n’est plus vue comme un savoir-faire mais comme une fonction opérationnelle, y compris par les couches puissantes.

Ces évolutions sont très étroitement liées à l’émergence des Gilets Jaunes de deux façons. Le renouvellement de la majorité gouvernementale a eu comme conséquence que le gouvernement central ne dispose pas à son arrivée de l’habituel appareil vertical omniprésent qui ’verrouillerait’ toute initiative à tout niveau et canaliserait toute vision critique vers des ’revendications’ fragmentaires. Cette configuration légitimait le pouvoir en place et neutralisait une vision politique alternative globale en la divisant en demandes éclatées de prise – ou d’abolition – de mesures. L’inexistence d’une telle structure a laissé l’espace nécessaire pour que cette vision alternative puisse donc se constituer de façon inverse. N’importe quel point fragmentaire – en l’occurrence, la taxe carbone – avait le potentiel de conduire rapidement à l’expression spontanée de la vision globale. C’est ainsi que s’explique la transformation immédiate de l’horizon de pensée des Gilets Jaunes entre le 17 novembre et le 1 décembre 2018. En deux semaines, de l’abolition d’une taxe au changement de l’architecture politique des sociétés contemporaines ! Comprenons donc que l’avènement de la République en Marche est, dans une mesure non négligeable, à la fois effet et cause de la dynamique d’émergence des Gilets Jaunes.

Plus récemment, aux élections européennes, on confirme que le mouvement conteste la configuration établie par trois voies : le rejet de tout pouvoir en place ; le retrait ; la pluralité. Vous voyez celles et ceux qui plaident pour le vote ’utile’, ce qui conduit au dépassement marginal de REM par RN. D’autres qui veulent éviter le RN mais se portent vers la vision de changement la plus horizontale possible, ce qui conduit aux Verts. D’autres encore qui par leur abstention érodent le système dans sa totalité. Et tou.te.s ensemble qui refusent leur propre représentation en rejetant les listes ’Gilets Jaunes’. Donc, non seulement la pluralité fragilise le système de l’intérieur mais l’abstention le fait de plus en plus paraître comme un univers clos qui se rétrécit, comme un ballon de jeu percé qui perd lentement son air ; si ce processus continue, à partir d’un moment ce ne sera plus un ballon et le jeu devra s’arrêter.

Dans ce contexte largement contestataire, la question qui taraude tout le spectre politique de gauche, de la social-démocratie à la gauche révolutionnaire, est évidemment pourquoi la dynamique des Gilets Jaunes ne les conduit pas massivement vers la gauche, aussi bien sur le plan idéologique qu’électoral. La raison qui explique en grande partie ce refus est à la fois simple et terrible à assumer pour les acteurs établis. Les Gilets Jaunes, et la dynamique sociopolitique qui les sous-tend, ne s’orientent pas vers un régime idéologique précis qui leur attribuent un rôle précis (par exemple, celui de la ’société civile’ ou du ’prolétariat’). Ils ne font confiance à aucun cadre préconçu, même s’il leur attribue une place dominante. La seule chose à laquelle ils font confiance est l’expérience. Ils ont vu – ou entendu de leurs parents et grand-parents – l’évolution de l’assimilation de la gauche par un système de grande flexibilité à l’Ouest et de grande rigidité à l’Est. Ils ressentent donc que la gauche – même au pouvoir – ne changera pas assez les choses pour eux, tant que les décisions appartiennent aux élites et pas au ’peuple’. Il a été d’ailleurs très intéressant de voir l’effet que cette approche expérientielle a eu sur les militant.e.s de la gauche qui ont rejoint le mouvement des Gilets Jaunes. Syndicalistes de la CGT, activistes de la FI et du NPA, radicaux et antifas, ont été amené.e.s à parler à des gens qui auparavant les exaspéraient par leur vision de droite populaire, voire les dégoûtaient par leur propension à voter RN. Ces militant.e.s commençaient à comprendre qu’entre déception et obstination, une partie des gens populaires ne croit instinctivement qu’au démantèlement des équilibres établis étant donné qu’il ne font pas confiance aux forces qui d’une façon ou d’une autre ont eu l’occasion de gouverner. L’attrait du RN est précisément dans le fait que ’les élites’ ne lui font aucune place, ni assimilatrice – comme pour les socialistes du PS – ni marginale, –comme pour le reste de la gauche. Il y a donc un élément de ’seul contre tous’ qui concentre le mécontentement, surtout à partir de la position des Gilets Jaunes qui se pensent mis à l’écart. Encore une fois, vous voyez ici cette dimension expérientielle qui se fie à ceux qui sont tenus à l’extérieur d’un jeu qui les dépasse, tout en déterminant leur vie. En même temps, les désaccords sont exprimés quand on vous fait confiance : ’il y a pas mal de fachos dans le mouvement’ m’a-t-on dit récemment, avec un calme qui serait incompréhensible en dehors du cadre des Gilets Jaunes. De la même façon, et c’est intéressant, les ’fachos’ ne semblent pas vouloir critiquer les gauchistes radicaux, sauf quand ils sont des ’faux culs’, à savoir intellectuels, bourgeois etc. En somme, le socle commun est que l’expérience sociale donne droit à l’appartenance et à la parole ; commentateurs abstraits s’abstenir [1].

Alors, je résume : une alliance inter-idéologique sur le socle de l’expérience sociale qui met en question l’organisation des rapports de pouvoir politique tout en refusant d’y participer, sauf sous condition de démocratie directe. Je ne dirais donc pas que rien ne se passe sur le terrain. Je dirais même que plusieurs transformations politiques profondes sont en train de s’accélérer. Nous ne savons pas si elles conduiront à la mutation vers une nouvelle organisation politique des sociétés contemporaines mais nous savons que c’est la première fois que les strates populaires affirment la volonté de ’construction spontanée’ d’un ensemble économique et politique. Il est difficile de trouver un phénomène qui plairait à la fois à Hayek et Polanyi, mais les Gilets Jaunes pourraient servir à cette fin.

Vous semblez inscrire le mouvement des Gilets Jaunes dans une série d’évolutions bien longue qui ne concerne pas seulement la France. Quels sont les points saillants de cette ligne et quelle pourrait être sa direction ?
Mon sujet d’étude est l’évolution de la socialité humaine dans la modernité et je l’ai choisi parce que je comprends le présent comme un mélange de continuité inerte, d’aléas et d’intentionnalité. En premier, mettons-nous d’accord qu’aucune dynamique historique n’a de direction préconçue ; au contraire, elle peut à tout moment revenir en arrière ou même aboutir à une impasse et y rester pendant des siècles. La dynamique de cette pluralité politique expérientielle dont je parle se rend pour la première fois visible, à ma connaissance, sur le plan international en 1999 par les protestations lors de la conférence de l’OMC à Seattle. Nous avons vu là par exemple une coexistence “bleue-verte” entre les focalisations sur le travail et sur l’environnement, qui portait sur la condition de la planète entière en tant que système à la fois sociopolitique et biologique. La fin des régimes socialistes peu avant n’est bien sûr pas sans rapport avec cette évolution. On commence à saisir le monde humain de plus en plus en termes de distance entre des expériences et à le séparer plus entre ceux qui pensent qu’il faut changer certaines choses dans la mesure où les marchés le permettent et ceux qui pensent que les marchés ne permettent pas assez rapidement les changements indispensables. Les cartes sont redistribuées non pas en termes de discours symbolique – vous trouverez difficilement quelqu’un pour vous dire qu’il ne faut rien faire pour l’environnement ou la justice sociale – mais en termes de rythme de changement. Autrement dit, on prend conscience que toute forme permanente de pouvoir est conservatrice, même quand elle se veut révolutionnaire, parce qu’elle ne peut veiller qu’à la stabilité des conditions lui permettant de continuer à faire faire des choses selon ses priorités. Commence alors à émerger la conscience que le problème n’est pas autant les acteurs spécifiques mais la configuration systémique. C’est un eurêka inconscient et collectif que l’on pourrait représenter par l’image d’un cube que l’on peine à renverser par des longues "luttes sociales" et des "insurrections" douloureuses. Le mieux que nous puissions espérer est que le cube se dépose finalement sur ce nouveau côté, nécessitant de nouvelles luttes pour bouger à nouveau. La réalisation lumineuse est qu’il faut peut-être se débarrasser de ce cube et le remplacer par une sphère qui bouge facilement vers toutes les directions que l’on choisit et qui ne permet pas de bien s’asseoir en haut. Tout le sens de la demande des formes de démocratie directe se trouve exactement là. L’avantage de la sphère est qu’elle n’a pas de point supérieur donné, tel que la représentation par des partis politiques ou l’accumulation permanente de valeurs financières qui ne peuvent pas avoir un sens dans la ‘vie réelle’. Et la ‘vie réelle’, qui dans la modernité post-industrielle est semblable pour nous tou.te.s, nous persuade que nous ne sommes pas si dissemblables que cela, y compris de nos “élites”.

L’altermondialisme, le mouvement des places publiques, les diverses formes de désobéissance, et même le ‘populisme’ nationaliste, sont en prise directe avec cette mise en question de l’architecture politique actuelle. Quand on a vu écrit par quelques Gilets Jaunes sur les vitrines de Dior “On veut pas débattre, on veut décider”, on a peut-être présumé à juste titre qu’un.e radical.e de gauche était à l’origine du slogan. Peut-être, mais ce qui est important est que les autres composantes de la pluralité du mouvement approuvent cela pleinement. Le motif de critique et d’action n’est pas un accord sur les objectifs précis, régis par une utopie réglementaire ; le motif est l’utopie du changement de la méthode par laquelle on produit des objectifs.

On pourrait effectivement anticiper ici la critique que l’on va trop loin dans l’interprétation d’un mouvement que l’on essaie le plus souvent de présenter en termes de “pouvoir d’achat”. Il faudrait comprendre que la transformation se trouve exactement dans le fait que les deux niveaux considérés jusque là comme séparés – le “quotidien individuel” et le “long terme universel” – se rejoignent maintenant à partir d’un socle expérientiel dans la conscience des gens ‘populaires’. C’est tout le sens de l’idée “fin du mois, fin du monde, même combat” et toute la nouveauté d’une démarche qui exige que ceux qui se vivent comme des gens modestes du “peuple” ont désormais la prétention de guider la vie collective en rendant le pouvoir de plus en plus diffus et impermanent.

Sommes-nous au seuil d’une révolution copernicienne dans la conception du politique ? Peut-être. Peut-être encore que ce seuil ne sera pas dépassé dans la conscience collective et la peur du désordre fera paraître encore une fois indispensable un pouvoir central qui persistera pendant longtemps. Une chose est sûre : le mouvement des Gilets Jaunes constitue une étape déterminante pour poser la question d’un changement très significatif à nous tou.te.s.

Michalis Lianos est professeur à l’université de Rouen et directeur de la revue « European Societies » de l’Association Européenne de Sociologie. Il est l’auteur de nombreux travaux dont l’excellent Le nouveau contrôle social - Toile institutionnelle, normativité et lien social. Son ouvrage le plus récent s’intitule Conflict and the Social Bond : Peace in Modern Societies.

[1A noter que c’est exactement ce point lié à l’expérience sociale qui explique aussi la compréhension envers les policiers ’qui font leur boulot’. Il en est autrement pour ces policiers qui font du zèle, donc plus que ’leur boulot’, c’est-à-dire les ’bacqueux’ auxquels on adresse directement des accusations de ’voyous’.

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