« Ultra-jaunes » vs « ultra-policiers » : Vers une "ultracisation" générale des corps

« En plus d’être riches et de le mériter, d’avoir eu le courage et l’intelligence d’y parvenir, nos "grands patrons" sont généreux. Ils ont vraiment toutes les qualités ! »

paru dans lundimatin#190, le 6 mai 2019

Afin de comprendre les conflits civils actuels, voici une tentative d’explication et d’organisation en trois actes mais ça foisonne quand même beaucoup :

I- La destruction du commun d’abord : détruire la Montagne d’or en Guyane

II- La séparation en traçant des frontières ensuite : faire de la Méditerranée un cimetière

III- L’asservissement des corps enfin : la production de la misère par l’ostracisation des corps, leur mise à l’écart des richesses, ce qui en retour provoque ce que l’on pourrait nommer leur ultracisation, une certaine radicalité dans le refus de sa condition sociale.

I- Destruction : une Montagne d’or

« Si la Montagne d’or ne recule pas nous allons droit vers l’affrontement et c’est vous qui l’aurez décidé »
Adresse de la Fédération des organisations autochtones de Guyane (FOAG) au gouvernement.

« L’universalité de l’homme apparaît en pratique précisément dans l’universalité qui fait de la nature entière son corps non organique [...] »
K. Marx, Manuscrits de 1844

A propos de l’extractivisme en général et en particulier :

On pense spontanément qu’il existe des biens communs aux vivants en général et aux hommes en particulier : eau, air, forêts, terre, lumière, un coucher de Soleil.

Pourtant, ces derniers sont soumis sans cesse à la prédation de certains, ceux qui tentent de les privatiser. Aussi n’existe-t-il pas de commun indéfiniment : que l’eau d’une rivière soit polluée permet sa privatisation ou sa captation par l’État pour en assurer son épuration et sa revente ou pour son rationnement à venir. Il en est de même de toute chose et les exemples sont multiples. Le commun n’est donc que provisoire et l’objet d’une lutte, celle qui oppose la défense d’un usage collectif à la promotion d’une confiscation : la propriété.

En ce sens le néocapitalisme s’impose comme cette privatisation progressive de la biosphère, de ses écosystèmes, voire de ses catastrophes passées et futures (Tchernobyl, Fukushima hier encore et accidents nucléaires de demain). Ainsi, ce qui apparaît comme actuellement inutile au système capitaliste, sans valeur d’échange, improductif, peut dans certaines conditions, être l’objet d’un retournement. En effet, le développement du ’’tourisme vert’’ par exemple ou la découverte d’une mine d’or peut faire d’un morceau de Terre auparavant perdu, noyé dans un océan de vert en Amazonie, l’objet du conflit commun/privé.

Le commun ne signifie pas un droit de propriété de tous mais un droit d’usage raisonné de tous, un usage lié à ses propres besoins. Par exemple, je ne peux pas brûler la mairie (pas impunément) sous prétexte que cette dernière est un bien public et que tel est mon bon vouloir. Le public ne relève pas de la propriété mais de l’usage. D’ailleurs, le simple énoncé : « Ceci est à moi » [1] est selon Rousseau le premier des abus. Ce dont je pense pouvoir disposer selon mon bon vouloir et sans compensation, est en quelque sorte la négation de l’usage collectif et en dernière analyse, peut-être la première des violences. Violence envers le corps commun des ressources naturelles par exemple.

On en vient donc nécessairement à se demander si toute propriété est un vol, une ablation illégitime faite à ce corps commun. Pourtant, ne suis-je pas propriétaire de mon corps, celui-ci n’appartient-il qu’à Dieu ou à la science ? Les objets que je fabrique, mon travail , tout cela est-il à moi ? Le texte écrit ici est-il ma propriété intellectuelle, mon bien ?

En écrivant, je recycle d’une certaine façon un langage et un savoir communs dont je suis l’héritier. Le papier que j’utilise (ou l’énergie consommée par mon ordinateur) provient des matériaux d’une Terre commune mais j’y inscris le résultat d’un travail, d’une énergie : du temps de vie. En cela j’acquiers légitimement, semble-t-il, un droit sur ce travail. Droit que l’on pourrait dire de propriété. Je peux jeter mon travail comme un peintre lacérer ses toiles.

Toutefois, mon travail n’est pas création ex nihilo, il n’est pas en ce sens une propriété absolue, sans condition, puisque la matière première était commune (les mots, la culture commune ici, le papier issu de l’exploitation de l’environnement), il est donc légitime semble-t-il, si j’en retire un bénéfice matériel qui dépasse mon strict besoin personnel, que j’en redistribue une partie, sous quelque forme que ce soit, à ma communauté.

Dans les sociétés sans État, l’obligation envers autrui existe aussi et un contre-don, si un membre du clan fait un usage personnel ou abusif du bien commun, sera nécessaire en droit afin de compenser l’amoindrissement d’un usage collectif possible.

De fait, ce n’est pas le cas évidemment et la liste des trafiquants et des évadés fiscaux qui pillent le bien commun sans contre-don (ou qui ne restituent que quelques miettes comme les Arnault, les Pinault, etc., afin, comme l’explique l’anthropologue Alain Testart sur lequel nous reviendrons, de « convertir, via des dépenses ostentatoires, le surcroît de richesse en prestige » [2]) est longue.

Dans un passage des Manuscrits de 1844, Marx dit de la nature qu’elle est « le corps non organique » des hommes. Ce concept me semble riche de promesses pour l’élaboration d’une écologie concrète et incarnée. En tant que nous pensons les plantes, les animaux, les pierres (et de même nous nous représentons notre propre corps), que nous partageons la même sphère, ils sont comme un corps générique dont nous ne sentons plus que de loin les souffrances.

La nature est devenue comme un membre fantôme, le même que celui dont nous parlent les personnes amputées. Nous sommes amputés progressivement, donc, de la nature matricielle, génératrice de nos conditions d’existence, amputés de ce corps commun, le corps du monde. Les symptômes en sont les maladies respiratoires, endocriniennes mais aussi toutes celles liées à la misère économique. Notre corps non organique a été anesthésié par le processus de consentement hypnotique auquel nous participons de façon automatique et quotidienne.

Se réapproprier la nature, c’est retrouver ce lien, ce système nerveux qui nous relie au monde par l’épreuve de la douleur. Aussi, s’agit-il de retrouver une intimité charnelle avec le monde, ce corps générique et commun. S’agissant du projet de l’ouverture d’une mine sur le site de la Montagne d’or en Guyane, il faudrait pouvoir dire, à la manière d’un amputé vis à vis de son membre fantôme : « J’ai mal à ma Guyane ! ». La lutte n’en serait que plus impliquée, acharnée, sauvage contre ceux qui font de ce monde un désert qui croît.

Zad Partout !

II- Séparation : un cimetière marin

« Advienne que pourra ! »

La Terre un désert et la Méditerranée un cimetière pour ceux que la misère expulse. Ceux-là sont perçus comme une sorte de dommage collatéral subi par une minorité, inférieur donc au bénéfice économique et à la qualité de vie qu’en retire une majorité sur le globe.

D’ailleurs, l’allégorie du bateau qui coule et qui ne peut pas accueillir toute la misère du monde est l’argument favori de ceux qui tentent de justifier leur manque de solidarité afin de préserver leurs avantages. Mais ce n’est pas ou plus possible.

Il faut détruire cette pseudo évidence, ce sophisme qui s’appuie sur un supposé ’’bon sens’’ partagé par tous mais qui contient une erreur dans son principe même.

A cette image du bateau, je préfère l’histoire du conte La moufle. Si vous ne la connaissez pas, je vais vous la raconter. Elle pourra servir de contre-argument ou de contre-exemple à celle du bateau à chaque fois que vous l’entendrez. C’est un conte de la tradition russe.

Voici :

C’est l’histoire d’un bûcheron qui perd sa moufle dans la forêt pendant le terrible hiver russe. Une souris transie décide de s’y installer. Puis viennent demander asile respectivement : une grenouille, un lapin, un renard et un loup. Les occupants de la moufle se serrent, acceptent à chaque fois le nouvel arrivant.

Arrive pourtant encore un ours énorme alors que la moufle est déjà prête à craquer (ou le bateau à couler). Dans un premier temps, les occupants lui refusent l’accès. Mais après les multiples supplications de l’ours, la souris craque et accepte. La moufle, elle aussi, est prête à craquer à nouveau mais la souris déclare : « Advienne que pourra ! » Les occupants se poussent, se serrent et l’ours entre.

Malheureusement, une fourmi qui ne demande rien, et cela est important de le noter, entre à son tour. La moufle éclate et projette les occupants dans toutes les directions, elle les sépare à nouveau.

Fin de l’histoire.

Nous sommes ici à l’opposé de la morale du ’’bateau qui coule’’ qui peut se résumer à : « Chacun pour sa peau ! ». Au contraire, dans ce conte, les habitants font place à chaque nouvel arrivant et ceci même si le bateau risque de couler, la moufle d’éclater. Ils sont liés par des liens de solidarité trans-spécifiques, supranationaux si l’on veut. La solidarité ne s’applique pas ici aux seuls cercles de la famille et de la nation, à ceux qui sont déjà dans le bateau ou dans la moufle mais s’étend à tous ceux transis de froid, aux miséreux.

L’allégorie du bateau repose sur une erreur fondamentale, c’est un sophisme en ceci qu’elle suppose des individus à l’extérieur du bateau. Or, cette vision est d’emblée erronée à l’époque de la mondialisation dans laquelle, précisément, nous sommes tous dans le même bateau, la même Terre ! Et le bateau est dans la moufle ! Notre monde est sans extériorité et chaque décision concerne le monde entier et l’on ne peut nier la misère des autres.

Il nous faut partager, nous serrer, sinon, effectivement, la moufle éclatera et le bateau coulera à la moindre petite fourmi qui se sentira exclue.

Pas de justice, pas de paix !

III- Asservissement : la condition historique de la misère

« La conversion de l’excès de richesses en prestige social est pour ainsi dire la seule stratégie qui s’offre à ces petites classes dominantes »
Alain Testart, Avant l’histoire, 2012

Sur le ton de l’ironie (car trop inquiet d’être mal compris ne serait-ce qu’un quart de seconde !) :

En plus d’être riches et de le mériter, d’avoir eu le courage et l’intelligence d’y parvenir, nos « grands patrons » sont généreux. Ils ont vraiment toutes les qualités ! Ils sont des élus de Dieu et ils peuvent le remercier, d’ailleurs, en donnant de l’argent pour restaurer sa maison : Notre-Dame de Paris.

Plus sérieusement, on peut s’interroger sur les raisons qui poussent ces riches à faire des dons si élevés. Revenons donc sur la généalogie des « dépenses ostentatoires » que retrace l’anthropologue Alain Testart. On peut, selon lui, diviser les sociétés en trois grands ensembles successifs :

Le « monde I » : sociétés sans richesse, et tout au plus propriété usufondée (la terre, une perceuse, un vélo, tout cela appartient à celui qui en fait usage)

Or, la « dépense ostentatoire » naît dans le monde II dans lequel la richesse ne peut être investie dans la rente foncière. La société humaine naît (monde I) forcément comme une société sans richesse car les premiers produits de l’activité humaine sont marqués par l’impermanence, sont consommables immédiatement. Avec la richesse naît l’épargne (et vice versa) qui est une non-consommation ou une consommation différée sine die. Dans le monde II, le riche est dans l’impossibilité d’épargner outre mesure dans des biens fonciers, il est donc raisonnable, par la pratique du don, « de convertir via des dépenses ostentatoires, le surcroît de richesses en prestige » [3].

Cependant, « la pratique du don - comme aujourd’hui la redistribution étatique - corrige les inégalités, elle ne les abolit pas » et leur permet de s’installer durablement en éteignant la volonté de révolte et attisant le processus de « servitude volontaire ». Ces inégalités naissent donc au néolithique, les « grandes familles » d’alors, possèdent les meilleures terres par exemple (de façon usufondée). Mais ce qui naît avec le monde III, est, selon Testart toujours, la misère : « La condition historique la plus générale de la misère, c’est la propriété fundiaire ». Si la propriété usufondée produit des inégalités, elle ne permet pas pour autant l’expropriation du travailleur, sa séparation avec les moyens de production : « tant qu’un travailleur travaille son champ, on ne peut le lui prendre » et il peut ainsi ne pas mourir de faim. En effet, « la misère naît avec la propriété fundiaire, lorsque des millions de paysans expropriés, donc sans moyens de travail et sans emploi, feront la plèbe de Rome, lorsque l’exode rural jettera au XIXe siècle d’autres millions de paysans vers les villes pour grossir une classe ouvrière ravagée par le chômage et les durées de travail journalières de douze heure ».

Persiste alors une question : si la dépense ostentatoire existe dans le monde II quand l’épargne reste impossible et que la richesse est dépensée en partie pour l’intérêt public, pourquoi cette dernière, la pratique du don perdure-t-elle dans notre monde III, celui de la misère ?

Que donne-t-elle à voir, cette dépense, dans ce monde ?

Rien d’autre que le pouvoir de l’argent, cette « puissance aliénée de l’humanité » [4] comme l’écrit Marx. On donne à voir « la puissance, mais purement économique, d’un homme capable d’employer – j’aimerais dire : capable de salarier – tous ses covillageois » [5]. On donne à voir une puissance quasi divine : celle de mettre en mouvement des travailleurs, des « forces de travail » qui sans l’activation octroyée par le « grand patron » ne resteraient qu’à l’état de potentialité, un rien.

Ces « grandes familles » ou grandes firmes ne donnent que les miettes qui tombent de la table du banquet qu’elles font sur notre dos, à partir de nos richesses communes. Elles laissent ce qu’elles ne peuvent pas ingurgiter à force de trop se gaver et elles ne donnent, pour ainsi dire, que par incontinence. Elles tiennent du singe hurleur, un « zoème » (néologisme inventé par C. Levi-Strauss [6], signifiant un schème de comportement analogue à celui d’un animal-type ou d’espèce-type). Ce qui caractérise ce singe amazonien est son « incontinence anale » : il chie indifféremment sur ceux qui passent au bas de l’arbre, sans retenue. Cette « incontinence anale » est la conséquence d’une « avidité orale » insatiable, et par analogie, les dons pour le « prestige » ne représentent que ce qui dégouline du cul, si j’ose dire, de ceux qui ne sont jamais rassasiés de richesses. D’une certaine manière, ces « donateurs » nous chient dessus tout comme les constructeurs qui bétonnent le monde. Freud avait déjà vu ce lien entre la merde et l’argent. L’enfant offre à sa mère sa merde comme un cadeau. C’est le premier détachement vécu d’un élément de corporéité, de soi. C’est une phase essentielle de la sortie du narcissisme autogène. La merde est un cadeau, une monnaie d’échange dans le rapport à autrui pour se faire aimer et apprécier. De façon symétrique, l’avarice relève donc d’une perversion qui remonte à un conflit mal résolu, non sublimé, du stade anal. L’avare garde pour soi. Il ne sort pas du rapport narcissique à lui-même.

Tiens, c’est bizarre, on parle de Marx, de Freud, qui minimisent le libre arbitre, la responsabilité de chacun. Quand on sait que ces deux auteurs disparaissent des programmes de philosophie au baccalauréat, on se dit que l’époque cherche à trouver des coupables !

Un don véritable serait celui qui abolirait les inégalités au lieu de les renforcer par la dépense ostentatoire qui rachète par le prestige qu’elle engendre, le peu de vertu de ceux qui se sont enrichis sur l’exploitation des autres et par la désertification, l’aseptisation de la planète. Ce don véritable, pourrait être conforme, pour ces adorateurs de Notre-Dame, à ce que les communautés chrétiennes originelles proposaient : « Tous les croyants ensemble mettaient tout en commun ; ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et en partagaient le prix entre tous selon les besoins de chacun » Actes des Apôtres, Luc (auteur anarcho-communiste primitif !).

Mais non, personne ne fera cela dans notre monde III car comme l’écrit Testart encore, « nous sommes si habitués à un univers social où la désirabilité de la richesse est si évidente que nous ne nous demandons plus pourquoi nous la recherchons ». Ce désir de richesse est devenu réflexe. Le désir de la conserver aussi et pour cela tous les moyens sont bons comme la fiction du libre arbitre qui consiste à rendre chacun responsable, potentiellement coupable, punissable.

Mais comme l’écrit Nietzsche : « Ce qui peut être pensé doit certainement être une fiction » [7]]. Ceux qui ont pensé ce piège, ont élaboré une fiction (Castaner lui-même est une fiction et en produit continûment) à laquelle on tient, celle du libre choix de la volonté, comme si toute action trouvait son origine dans une conscience. Cette invention permet de définir les gens bien et les gens mauvais, ceux qui en veulent et le feignasses, elle est le principe de la méritocratie (cette arnaque !), de la justice, de la morale des dominants.

Mais le phénomène d’ultracisation, si l’on peut dire, que l’on vit depuis bientôt six mois, pousse les corps à se révolter contre cette fiction, à briser leurs chaînes coûte que coûte. Ceux qui produisent la misère et s’en amusent, provoquent en retour un sentiment de détestation. Sommes-nous immoraux à cause de cela ? Non, bien sûr, ils sont détestables et leur détestation ne relève pas d’un choix mais d’une mécanique.

Et d’ailleurs, depuis quand est-il jugé monstrueux, répréhensible, par les tenants d’une moralité qui ne relève que de leur idéologie, de souhaiter la mort de ses ennemis ? N’y-a-t-il pas de différence entre un souhait et un acte ? La capacité à contrôler nos désirs constitue notre rapport essentiel aux autres. La répression des désirs par contre est illusoire. Reproche-t-on le rire, l’empathie, l’amour ? Pourquoi, alors, faire comme si haïr n’était réservé qu’aux criminels en puissance ? Les expressions du quotidien sans cesse rappellent ce désir cathartique de l’anéantissement de l’autre (« Je vais te tuer, etc.). Même les Apôtres du Christ, très souvent, souhaitent la mort de certains ! Pour cause de « simonie » par exemple c’est-à-dire de trafic des choses saintes : quand Simon veut acheter le pouvoir « d’imposition des mains », Pierre réplique : « Périsse ton argent, et toi avec lui, puisque tu as cru acheter le don de Dieu à prix d’argent ! » [8]. A ce titre, on se demande si toutes ces « grandes familles » (« grandes » en quoi d’ailleurs, si ce n’est d’avoir extorqué le travail des autres et d’avoir su organiser la défense de leur usurpation par tous les moyens ?) ne seraient pas coupables aujourd’hui de « simonie » aux yeux des apôtres en essayant d’acheter une sorte de « prestige social » ; et si peut-être, il ne serait pas sain (saint ?) de souhaiter qu’ils périssent ?

On s’offusque du « suicidez-vous » de certains lancé aux gentils policiers. Mais quel est le message de la police envers les manifestants ? Que montrent les dizaines de vidéos qui circulent sur le Web et qui témoignent de l’ultra-brutalité de la police ? Toutes les gifles, humiliations, tous les coups de matraque, les mensonges, disent : « rentrez chez-vous, acceptez votre condition, allez crever ailleurs ! ». C’est une injonction au renoncement à une vie bonne, valant d’être vécue, une injonction qui s’impose par la force brutale du LBD ou de la lacrymo. Que disent les images des faces haineuses, provocatrices des policiers, si ce n’est un désir d’éliminer son adversaire ?

La police et les manifestants s’affrontent nécessairement dans une confrontation orchestrée par le pouvoir vertical qui assiste, arrogant, fier, narcissique, à ses jeux du cirque. Il s’agit, comme pour l’organisation de combats de chiens, de mettre les individus dans l’impossibilité de ne pas se haïr, dans la nécessité de chercher à se détruire. La haine est provoquée, contrainte, et on la traite dans les médias à la solde du pouvoir comme un choix, un acte de volonté. L’intention est bien sûr celle de se donner les moyens de punir, ce qui pourtant, ne relève pas d’une responsabilité mais d’une mécanique comme nous l’avons dit. Il n’est pas possible de ne pas détester celui qui matraque nos proches (comme le dit le Chant des partisans : « Ami si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place »). Nous sommes sans cesse traversés de désirs que nous ne choisissons pas, que nous trouvons en nous comme une fleur dans les bois. Ce n’est donc pas le désir de faire disparaître ses ennemis qui est répréhensible et dont nous serions responsables mais un éventuel passage à l’acte. Or, personne, pour l’instant, ne tue, malgré les encouragements de ceux qui sont spectateurs du carnage en cours et qui n’attendent que ça, ceux qui font du désir de révolution un mal alors qu’ils l’encensent dans les livres d’histoire.

Alors, oui, on les déteste !

En conséquence des trois actes évoqués dans ce texte et qui aboutissent à la gestion par quelques-uns, de la misère des autres, voici un programme qui cherche à s’y opposer point par point :

I- Reconquérir le commun : Zad, réoccupations des ronds-points, gestion collective et réfléchie de l’espace et tout ce que l’on peut inventer encore...

II- Retrouver une solidarité entre nous, quand le pouvoir divise. En finir avec le mythe du Self-made man. On ne peut construire sa vie sur l’organisation du malheur des autres, parce que ces autres, à juste titre, ne l’acceptent plus !

III- De ce fait, toute ostracisation débouche légitimement sur une ultracisation des corps, une révolte qu’il s’agit alors de nourrir.

Tout cela, bien sûr, est à étoffer.

Koubilichi

[1- J.J Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755

[2- Alain Testart, Avant l’histoire, 2012

[3- Ibid.

[4- K. Marx, Manuscrits de 1844

[5- A. Testart, Avant l’histoire, 2012

[6- C. Levi-Strauss, La potière jalouse, 1985

[7- Nietzsche, Fragments posthumes, printemps 1888, 14 [148

[8- Luc, Les Actes des Apôtres, 8-20

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