Thomas Hippler - Le gouvernement du ciel. Histoire globale des bombardements aériens

Fiche de lecture

paru dans lundimatin#64, le 6 juin 2016

Thomas Hippler
Le gouvernement du ciel. Histoire globale des bombardements aériens
Les Prairies ordinaires
2014

« étrange coïncidence historico-géographique. Les bombes lancées pas les avions de l’OTAN tombent aux mêmes endroits que celles de Gavotti cent ans plus tôt. » Le premier bombardement de l’histoire a effet eu lieu en Libye, le 1er novembre 1911, soit un siècle, au jour près, avant les bombardements de l’OTAN… en Libye. C’est par cette petite histoire, que suivront bien d’autres,
que Thomas Hippler ouvre son livre Le gouvernement du ciel. Histoire globale des bombardements aériens. Il propose de revisiter l’histoire globale par le prisme de celle des bombardements aériens, dans un style largement accessible mêlant « anecdotes » et analyse philosophique, alors qu’aujourd’hui la « terreur venue du ciel » prend de nouvelles formes à travers l’utilisation militaire du drone.

Constatant que « [l]es activités des forces policières et militaires [sont] de moins en moins dissociées les unes des autres, la distinction entre le citoyen et l’ennemi à abattre tend elle aussi à s’effacer. » (p18), l’auteur s’attelle à démontrer cette intuition par l’étude de l’évolution des doctrines militaires et policières que l’auteur retrace la genèse ce ce nouveau dispositif de gouvernement, croisant cette évolution avec les imaginaires de l’aviation, du progrès, de la civilisation, avec les déplacements et les différentes acceptions des notions de « peuple » et de « démocratie » dans le discours des classes dominantes.

Avant même ses débuts, l’aviation porte avec elle la promesse de la paix perpétuelle, comme en 25 témoigne une lettre de Victor Hugo citée par l’auteur : l’aviation, « c’est l’évanouissement des armées, des chocs, des guerres, des exploitations, des asservissements, des haines ». (p48) Mais les contemporains des premiers « pas » de l’aviation, qui croyaient également à l’avènement d’une paix perpétuelle, le justifient par un autre argument, symétrique aux propos de Victor Hugo : « L’aviation a le pouvoir miraculeux de rendre la guerre impossible, non parce qu’elle libère les hommes, qu’elle les rapproche les uns des autres, qu’elle abolit les frontières, mais paradoxalement, en vertu de sa puissance de destruction. » (p48-49)

Loin de ces utopies, l’aviation sera utilisée dès son apparition par les puissances impérialistes pour faire régner l’ordre dans les colonies. En effet, « c’est dans la périphérie colonisée que l’aviation fait la démonstration de sa puissance. A elle seule, elle peut réprimer toute tentative de perturber l’ordre mondial et rétablir ainsi la paix perpétuelle ». (77) Les puissances colonisatrices se justifient de ces guerres par l’argument de leur devoir civilisateur envers les peuples « sauvages » et « barbares » au nom d’une vision bien occidentale du progrès. Les pays qui « ont atteint un degré de civilisation supérieur eux autres » on donc « non seulement le droit mais aussi le devoir humanitaire de sortir les autres peuples de leur état d’infériorité ». A ce titre, toute rébellion ou insurrection s’apparente à un refus du progrès apporté par l’Occident.

Alors que la force aérienne est d’abord pensée comme un outil permettant des opérations de police dans la « périphérie », gouvernants et stratèges militaires vont vite songer à l’utiliser à des fins de police intérieure (Jan Smuts, premier ministre de l’Afrique du Sud fait appel à l’aviation pour mater une grève de mineurs blancs, en Afrique du Sud, en 1921 et la même année, le général Neville Macready autorise l’emploi de l’aviation contre les rebelles du Sinn Féin en Irlande) . Dans le cadre de la seconde guerre mondiale, le bombardement massif se pensé comme un outil de déstabilisation de l’adversaire. Puisque détruire les usines et les ,axes de circulations ne fonctionne pas, le but est désormais de créer, par le bombardement, les conditions d’une révolution à l’intérieur de l’état ennemi. « Misant sur la non-coïncidence du peuple et de l’état, l’offensive aérienne cherche à défaire l’unité du corps politique et à la réduire à l’état de ’’populace’’. » (p130). La guerre est aussi une guerre de classes.

Avec le fin de la seconde guerre mondiale vient le temps de la décolonisation où les Etats impérialistes vont devoir faire face à des insurgés pratiquant la guérilla. Ces derniers, souvent soutenus par la population, se cachent en son sein. Au Vietnam, les forces aériennes américaines bombardent sans distinction civils et insurgés, afin que ces derniers perdent le soutien de la population.

Nous le savons, cette évolution débouche sur la guerre aérienne de basse intensité, dans laquelle les drones occupent une place centrale, profitant du flou du droit international, très en retard sur ce sujet. L’auteur conclut son ouvrage en constatant que le drone est devenu « la matraque mortelle du flic global ». Nous pouvons aisément suivre l’auteur lorsqu’il affirme que « le bombardement aérien d’aujourd’hui n’est qu’un pôle dans une stratégie contre-insurrectionnelle globale, dont la surveillance totale constitue l’autre pôle » et que « cette dernière s’étend d’ores et déjà à l’ensemble de la population mondiale. » (p219) Alors que la France est sous état d’urgence, que la répression se fait de plus en plus intense et que les usages du drone se multiplient, il est plus que jamais nécessaire de réfléchir à ce qu’impliquerait son utilisation dans la gestion des manifestations.

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