The Purge : Baltimore

Qu’est-ce qu’on attend pour foutre le couvre-feu ?!

paru dans lundimatin#21, le 4 mai 2015

Seulement deux heures avant que la purge ne commence. Nous ferions mieux de rentrer. Le crépuscule s’installe, dans le bar, la musique devient inquiétante. Nous sommes de moins en moins nombreux. La nervosité gagne ceux d’entre-nous qui ont décidé de rester.

Selon la police et les médias, toute cette atmosphère de révolte et de résistance a été déclenchée lorsqu’un groupe de collégiens a appelé à une « purge » à 15H30 dans un centre commercial du quartier. C’était une référence aux films « The Purge » [1]… la purge a lieu une nuit dans l’année. Tous les crimes sont légaux.
Il y a beaucoup à comprendre là-dedans. Ce qui nous intéresse avant toutes choses, c’est que ces gamins ont décidé d’eux-mêmes qu’ils allaient s’arroger l’impunité. Dans ce cas précis, les crimes consistaient quasi-exclusivement en une attaque massive de la police anti-émeute et des véhicules de police.

Dans le film, c’est le gouvernement qui décide cyniquement d’autoriser la purge. Un point de vue tout aussi cynique sur les émeutes de Baltimore pourrait suggérer que là aussi, ce fut le gouvernement qui réalisa l’intention du film : laisser à certains la possibilité de faire échapper la pression afin que le reste du corps social n’explose dans une révolte généralisée. L’idée étant que si quelques-uns sont autorisés à répliquer de temps à autres et dans un environnement contrôlé, cela permet de s’épargner une révolte de masse.

Mais en réalité, en prenant l’initiative, ces collégiens n’étaient pas en train de se défouler – ils construisaient une force collective. Espérons qu’ils n’oublient pas la puissance qu’ils ont éprouvé lorsqu’ils caillaissaient la police et mirent en déroute des dizaines de policiers anti-émeutes sur équipés. La police aux Etats-Unis, ne bat pas en retraite si facilement. Pourtant des ados de 13 ans armés de cailloux l’y ont acculé.

Ce ne sont pas les émeutes de la journée – ni même le chaos de la nuit – qui donnent l’impression de vivre la Purge. C’est le couvre-feu. Un ami disait la nuit dernière : « Il n’y a pas de situation que la présence de la police anti-émeute ne puisse pas empirer ». Seuls les braves s’aventurent à l’extérieur pendant la purge. Pendant la purge, des gangs armés et violents vous feront du mal ou vous enlèverons. À Baltimore, ils vous rançonneront. Ces gangs sont, évidemment, les différentes polices. Soutenus par la garde nationale, les policiers ont appliqué un couvre-feu : personne n’est autorisé à sortir de chez lui entre 22 heures et 5 heures du matin. En raison de l’état d’urgence, de nombreux droits ont été suspendus, dont la liberté de circulation et la garantie de ne pas être retenu plus de 24 heures sans passer devant un juge. On dit que la liberté d’assemblée a été suspendue.

Bien sur, tout ceci met en lumière l’absurdité du gouvernement et des droits qu’il nous octroie si poliment. Rien ne nous est donné qui puisse être repris sans notre consentement. Les seules libertés fondamentales sont celles que nous prenons par nous-mêmes. Hier après-midi, une manifestation festive se tenait à l’intersection de North Avenue et Penn Street. Une pharmacie brûlée fait l’angle ; des journalistes, des manifestants et des équipes d’éboueurs bénévoles entrent et sortent librement du bâtiment pourtant interdit d’accès par les inspecteurs municipaux – pour raisons de sécurité. Dehors, la police anti-émeute bloque la foule sur un côté, mais la laissent circuler dans les trois autres directions. C’était un rassemblement pacifique, mais certainement pas pacifiste. C’était une démonstration de force de notre part. La foule, plus ou moins collectivement, avait choisi la paix après près de 24 heures de pillage, de flammes et de résistance.

Baltimore, pour autant qu’on le sache, était prête à se calmer. Son message avait été entendue. Les gens n’avaient pas honte d’avoir fait entendre leur voix, mais la plupart d’entre eux étaient prêts à nettoyer et à passer à autre chose – pas à oublier, pas à arrêter de demander justice pour Freddie Gray et tous ceux qui avaient soufferts aux mains de la police – mais prêt à avancer dans une nouvelle direction.
À la même intersection, des centaines de personnes ont bravé le couvre-feu, ensemble. Ils étaient pacifiques et le seraient restés, si ne leur était imposé le pouvoir absurde et infantilisant qu’un gouvernement « démocratique » s’était auto-octroyé. Naturellement, les gens ont résisté. En pratiquant l’autodéfense – et le combat a duré pendant des heures.

Nous étions là, dans l’appartement d’un ami, à regarder les fils d’actualités frénétiquement, et à s’inquiéter. À l’horizon, on pouvait voir des hélicoptères de la police avec des projecteurs écumer la ville en quête de délinquants – c’est à dire, littéralement n’importe qui n’était pas policier ou n’avait pas une autorisation spécifique. Des hauts-parleurs installés sur les hélicoptères avertissaient que la police contrôlait la ville, que le couvre-feu était bien en place et en cours. De quoi être anxieux.

Une amie s’inquiétait pour les siens. Aux dernières nouvelles, plusieurs d’entre eux étaient coincés dans une église en train d’être gazée. Une autre amie avait essayé de quitter la manifestation, mais n’était toujours pas rentrée. L’hypothèse la plus plausible était que des hommes armés avaient dû surgir d’une voiture, quelque part, et l’avaient traînée dans une cage, puis retenue aussi longtemps qu’ils le voulaient. Pour avoir voulu rentrer en vélo à la maison. Il n’était pas possible de rejoindre ces gens coincés dans l’église, qui était à quelques kilomètres. Rien d’autre à faire que de s’inquiéter.

Le couvre-feu n’a pas pour but d’empêcher que l’on déroge à la loi. Si c’était le cas, il aurait commencé un jour plutôt, après les émeutes de l’après-midi, il aurait visé des quartiers spécifiques, et aurait été décrété pour des durées de 24h. En réalité, c’est une punition collective. Comme à l’école, lorsqu’un professeur fait attendre toute la classe dans le couloir au prétexte qu’un élève se serait mal comporté. Il s’agit de retourner les élèves les uns contre les autres et de faire en sorte que la classe soit en colère contre celui qui a agi. C’est de sa faute si tout le monde est coincé dans le couloir. À cet âge là déjà, on ressent à quel point cette pratique est odieuse. On en veut pas à son camarade mais au professeur.

Le couvre-feu existe et est instauré pour nous rappeler qui, aux dires du gouvernement, contrôle la situation. La résistance est là pour nous rappeler ce qu’il en est vraiment.

Margaret Killjoy

Addendum : Depuis l’écriture de cet article, il s’est avéré sur la « purge » ostensiblement appelée par des lycéens de Baltimore était très probablement une fabrication policière. Ces adolescents auraient été manipulés. Les bus pour rentrer chez soi étaient suspendus, le centre commercial fermé et ils étaient entourés par la police anti-émeute avant que quoi que ce soit n’arrive. Évidemment, cela rend la situation encore plus comparable à la série des The Purge.

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