Si l’on casse quelque chose c’est bien les habitudes.

Blast

paru dans lundimatin#168, le 7 décembre 2018

Si l’on casse quelque chose c’est bien les habitudes.
Le rodé s’érode. Une conscience des autres. On va pas les laisser non ?
Pas de futur avec des hordes de livides aigris entourés de murs qui s’érigent si haut qu’il en est difficile de voir s’il y a encore un ciel.
Tristes années que celles d’être témoins d’ une jeunesse qui se tue à essayer. Voir leurs forces s’effriter. Nos mains vides. Des bras las.

La Radio est allumée, les infos sur la crise des gilets jaunes est en continu :
On parle de la grande marche et je ris jaune.
On veut redonner un petit peu d’air aux français .
Je pense, va, prend une bouffée et économise la, y en a pas beaucoup.

La discussion se poursuit avec le bilan des experts.
— Bonsoir à tous ! Quelle réponse à la colère des gilets jaunes ?  
« Comparution immédiate »
« Impact économique »
« On attend l’Acte IV »

Il y a des rassemblements musclés, un équipement complet du manifestant gazé sans raison. Des témoignages.
« — C’était idiot pour se défendre il a foncé dans le cordon des CRS
Il arrive pas à s’en sortir »

Je joue un air au violon

On dit que c’est pas rassurant.
On répète président de la république cédez ou partez !
On bifurque sur l’équilibre budgétaire, la compétitivité emploi.

  • Qu’il s’en aille !

On emploie les mots dissoudre, distillée depuis hier.
On affirme de la présence des policiers gendarmes CRS.
On explique la Cible numéro 1
On hume l’ambiance insurrectionnelle.
On parle de trois mois dans les territoires.
D’un collectif gilets jaunes libres.
De bloquer Matignon.
Il y a quelqu’un qui demande où est le dialogue dans l’histoire ?

Il y a des chanteurs de Marseillaise de rue.
On constate le buste de napoléon décapité.
Un homme explique que la pierre est une matière fragile.
On répète qu’il n’y pas de porte parole.
Je note acéphale.

On observe des toilettes vandalisés.
On parle de la restriction de carburant.
« Cela peut encore changer dans les prochains jours. »
On utilise un mot comme chaos.

On est outré du fait des 13 milliards de perte dans l’agro alimentaire alors que d’autres sautent de joie, hurlent même.
— OUAIS !!!
— Rien que pour ça, faut y aller !
— C’est magnifique !

La parole est dédiée au mouvement des gilets jaunes, aux barrages filtrant devant les lycées.
Il y en a qui déclarent eux aussi ils se battent.
D’autres qui soutiennent que c’est pour des raisons différentes.

J’entends : — Han ! Le bordel !
Je traduis mal en anglais We are in deep trouble.
Qui ?
Il y a ceux qui parlent de question de vie ou de mort.

À l’info il y a l’hommage au milliardaire belge parti de rien, mort ce matin.
Je pense aux fenêtres brisées et à l’appartement saccagé.

On utilise le mot suscité et je pense aux suicidé-e-s.
Des voix aiguës et répétitives expliquent : on parle de répondre aux attentes.

Je vois une pleine lumière, des corps en belles éclaircies qui gagnent du terrain.

Ils proposent une séance de méditation en direct à la radio.

Quelqu’un crie dans un téléphone : — Attends ! J’entends super mal ! J’te rappelle j’te rappelle

« Le diable est dans les détails »
« C’est pas du tout dans leur éducation . »
« ça remet tout en cause , c’est bien. »

Quelqu’un demande où je peux benner mes déchets ?
Je pense au mot Berner.
« Ce serait pour quand ? »

Il est un peu dans son monde
« Le débat était plus large »
« Le besoin d’écoute »
« Il faut qu’on modifie notre pédagogie »

— Les syndicats devraient être représentatifs

— Macron n’a pas joué le jeu en envoyant chier les syndicats.

« Le faux air de révolution »
« La situation catastrophique »

Une femme s’écrie : « c’est une façon volontaire de faire de la part de macron, ce mépris affiché, c’est devenu intolérable. »

On revient sur l’effet de chaos volontaire.
Une grosse voix tonne : « nous voulons garantir la sécurité des personnes et des biens ! »
Je joue un air au violon

« Il fallait pas... »
« Est ce que vous l’entendez ? »
« Est ce que vous faites REMONTER l’info ? »
Un homme sérieux répond : « Constituer un monde de demain, un monde de travail »
« Le message que vous envoyez en HAUT ! »
Je pense encore à l’Olympe avec tous ces haut et remonter.

Apparemment il y en a qui réfléchissent à Comment on peut donner les bonnes solutions.
Effrontée, je chantonne en riant.
« ENSEMBLE ECHANGER ET CONSTRUIRE ! »
Je rejoue un air au violon

Quelqu’un dénonce les violences envers les lycéens aujourd’hui.
On se bat pour prendre la parole alors la journaliste s’immisce : « chacun après l’autre sinon ça n’a pas de sens. »
Un homme pense connaître les véritables attentes de nos concitoyens.
Je souffle : je sais pas comment ils font pour ne pas se saouler eux-mêmes

Il est question de remettre de l’emploi.
« C’est vraiment un discours de sourds »
Un homme phrase et termine toujours par insister sur le mot point.
Comme si on savait pas qu’une phrase en avait une.

« Les raisons profondes »
« attention ! C’est un petit peu difficile à manipuler »
« Son programme c’est ce qu’il pensait avant d’être président »

On va y aller là...
Fumer est néfaste pour la santé

Je chantonne :
« DISCUTER ET CHANGER  ! »

Un téléphone sonne.

  • Allô Mr Sandoux ? C’est Rémi G de la maison de l’habitat ! Je voulais faire le point avec vous au sujet de l’isolation de votre habitation…
  • Bah, non, j’ai pas le temps, on est en train de faire la révolution !

Les débats et les mots dans ma tête se mélangent et dans cette cacophonie un grand silence s’installe.
La détermination est la plus silencieuse des bombes. Un grand BLAST dans le vide des jours.
Un ange passe.
Ils détalaient grande-erre dans un monde blanchissant sous les fumées lacrymogènes, certains corps en antépulsion. D’autres en révulsion entre vomi et coups de matraque. Des errants dans le métal hurlant, le feu qui prend, les explosions.
Il n’y a pas de breuvage magique pour dissiper la douleur, la tristesse et la colère.

Est-ce que c’est papa sur le net avec son équipement du parfait CRaS qui tape sur « du » gilet jaune ?
— Le gouvernement, ils sont cinglés !
On parle de l’équipement du parfait manifestant casseur.
— Et s’il y a des morts Samedi ?
— Tout le monde prépare la bagarre et ça va être retransmis en direct live.
« Manu militari »
« Échauffourées »

Une étudiante explique que ça va trop loin pour nous, des feux de poubelles et des étudiant-e-s à l’hôpital.
On va éviter qu’il y ait trop de sang sur le trottoir.
On explique que pour l’acte IV, ils vont déployer des moyens exceptionnels.

« Un dernier message en selfie »
« Appel à la raison »
« Les loups sont de retour »
« 72 meutes dans 85 zones »

— ça risque d’être chaud Samedi
— Oui mais tout est organisé pour.
— Pourtant il suffirait que demain ils décident de démissionner.
— Mais ils veulent rester.

BLAST

Monella Guenier

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