Réjouissons nous camarades !

« Camarades nous sommes l’arrière-garde : quelle joie ! Quel bonheur ! »

paru dans lundimatin#166, le 21 novembre 2018

Signé X, l’un de nos contributeurs irréguliers, nous a fait parvenir ce billet de bonne humeur. Si notre rédaction n’est pas certaine de partager son enthousiasme, son point de vue nous est apparu rafraîchissant.

Aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres, aujourd’hui les braves gens sont partis bloquer l’économie. Nous pouvons enfin écouter la radio. On y parle d’un bordel monstre ni ami, ni ennemi, pour lequel nous n’avons pas dû nous lever à 6 heures, aller en prison ou à l’hôpital. Aujourd’hui en zieutant BFM au kebab nous n’entendrons pas comment les nôtres se sont faits écraser, nos victoires oubliées, nos messages transformés. Nous n’entendrons pas le débat sur la violence, nous n’entendrons pas parler de division entre bons et mauvais manifestants, ni d’ultra-gauche ou de mouvance anarcho-autonome. Non.

Aujourd’hui, nous aurons plaisir à entendre que des policiers ont été blessés par des automobilistes-fous, que d’obscurs périphériques de province sont occupés par les canapés de la classe moyenne. Que les axes principaux sont bloqués, que rien ne passe, et que l’auto-organisation est passée dans le champ lexical de France Info. Que le mouvement citoyen est passé à l’action directe, que les barricades prennent feu et que nous n’y sommes pour rien.
Aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres, nous écoutons comment les bons français partent au front à notre place, et de bon cœur, comme en quarante.
Tout cela va fort bien. Que la France des profondeurs découvre donc le gaz et la matraque, qu’elle fasse un petit stage de remise à niveau des violences policières. Et ce jusqu’à ce que nous n’entendions plus un seul d’entre eux dire « la police avec nous ».

Assez de mépris camarade, les gilets jaunes c’est la foule, la multitude incohérente et volontaire, masse populaire dans sa majesté magnifique et dégueulasse.

Alors quoi ? Qu’ils se radicalisent ! Qu’ils usent leurs forces contre l’ordre au lieu de les user contre nous (et vice versa), que tout ce petit monde s’épuise ensemble. Pour nous aujourd’hui, c’est relâche. Les terribles gilets jaunes sont en passe de réussir ce que les syndicalistes et les partis ne sont plus à même de réussir et ce que nous n’avons pas la force de faire seul.es. Parfait, leur colère va au delà des taxes et leur mobilisation au delà des gilets. De manière spontanée et décentralisée, on voit fleurir une force pyromane, ingouvernable et déterminée. On croirait voir le printemps revenir ou alors en avance, « y a plus de saisons » c’est bien connu. Partout, des actes de violences et de non-violence, et cerise sur le gâteau : convergeant vers ce slogan inespéré « Bloquons tout ! » La masse apolitique, la masse des exclus devient l’avant-garde, grand bien lui fasse ! Ainsi non seulement nous pourrions caresser le rêve de sortir vivants de la révolution, mais ça nous fera un petit paquet d’ennemis en moins.

A tous les nôtres : attention, dehors ça sent le cramé, allons-y pour le moment en ballade, en observation, en touristes. Profitons d’être bousculé.es par les évènements : la cristallisation du désir et de la colère de masse. Laissons-les s’entretuer un peu (les flics et les fachos) mais préparons-nous à nous lancer bientôt dans la bataille sans nous méfier du lumpenprolétariat, cette force de désir.

Camarades la brèche s’ouvre et une chance historique nous est offerte.
Camarades nous sommes l’arrière-garde : quelle joie ! Quel bonheur !

Signé X

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