Règle numéro 3 : Bouffe ou crève !

« La clim à bloc nique un iceberg au pôle ! »

paru dans lundimatin#163, le 30 octobre 2018

Règle numéro 3 : Bouffe ou crève !

Bouffe et bois de tout sans préjugés ni retenue,
Sans crainte de devenir cannibale,
Car tu l’es probablement déjà.

*

Quel ventre est plus vide qu’une âme ?
Quelle âme est plus vide qu’un ventre ?

*

Du coup,
Toi qui kiffe les extases négatives de ouf,
Sache que
Le troisième cercle de l’Enfer selon Dante,
Celui de la gourmandise,
Je l’ai survolé avec mon drone hologramme camouflé en corbeau chamanique,
Et j’ai vu,
Un trou boueux puant arrosé de pluie brûlante acide,
Grouillant de CRS gueules de roquets montrant les crocs,
Matraquant avec une fausse mollesse
Un nombre incalculable de nos aïeux,
Tous ceux qui ont mangé de tout au-delà de toute raison,
Tous en fait,
Du coup.

*

« Qu’est-ce que l’Histoire à côté de la Nourriture ? » [1]
Vont-elles ensembles comme l’âme et le ventre ?
Et qu’est-ce-que la Poésie à côté de la Faim ? Vont-elles ensemble comme la terre et la charrue ?
Et qu’est-ce-que la Politique à coté de la Poésie ? Vont-elles ensemble comme la mer et la lune ?

*

Je mène de front
Avec les Galettes de Tata Junon
Et le Jambon à l’Os de Tonton Jupiter
Une double relation dialectique adultère.

*

J’ai faim j’ai faim la faim me meut
Que ça que les crocs que ça
Alors je pars à la chasse
Avec mon arc à visée laser
Mes flèches de carbone
Et mon chien numérique
Mais dans la Cité l’été le gibier est rare
Les Rats rachitiques
Les Pigeons pitoyables
Les Chats châtrés
Me narguent dans une lumière jaune soufre
Comme les troupeaux humains qui gambadent dans la Nature
O savanes !
O marécages !
O forêts !
O rivages !
O bocages !
C’est la fin de ma vie de chasseur
J’ai faim j’ai faim la faim me meut
Que ça que la dalle que ça
Alors j’entre dans un discount alimentaire
Il y a des Bananes Bio du Panama
Il y a du Jus d’Orange de Californie
Il y a du Pain frais fleurant bon l’additif
Il y a du Salami du Danemark
Il y a de la Bière Artisanale Locale
Il y a aussi deux paquets de Chips au Chili pour le prix d’un
E tutti quanti !
Et il y a un sosie de Johnny qui karaokète pour les siècles des siècles !
C’est cool la vie est belle je remplis mon caddie
O le joli petit bidon d’Huile d’Olive du Portugal
Et m’insère dans la queue trop longue
C’est l’été blème le stagiaire payé au lance-pierre rame à la caisse
L’autre une noire aux cheveux bleu manga est au four et au moulin
Je réalise que je suis parti à l’aventure sans ma sans contact
En lisant un panneau
La Maison n’accepte pas le liquide
Merci de Votre Compréhension
L’Argent atteint un sommet d’abstraction à son Image
Circulant sans frein ni fin dans l’éther saturé de données numériques
Le Tao est une putain de savonnette
O le bon jus Citron Vert Papaye Ananas Yuzu !
Des supporters avinés entrent en hurlant
On est en Finale On est en Finale On est en Finale
Je transfère mes achats prix libre dans mon sac
À l’ombre de la joie nationale
Et m’éclipse en catimini
Et distribue mes victuailles
Aux migrants qui titubent
Le long du canal qui mène aux ferries
En partance pour la Perfide Albion
Et improvise avec eux une manif
Pour réclamer un aller simple pour une exoplanète
Où on cultivera des vergers d’arbres à boudin noir
Et boira direct aux pis de vaches à bière…
J’ai faim j’ai faim la faim me meut
Que ça que la faim que ça
Si je cessais de consommer,
Perdrais-je pour autant ma liberté de consommateur ?
On s’en fout hurlez-vous !
J’ai faim j’ai faim la faim me meut
Que ça que ça rien d’autre que ça
Alors il faut bien bouffer
Avant que la mort nous bouffe
Tous
Un par un
Jusqu’au dernier.

*

Avec un collier de racines autour du cou
Un sachet de vitamines dans le pagne
Une saucisse végan dans le cul
Expulsé par mon coach dans une nature hostile
Je fus secoué par un fou rire mémorable
Qui me valut une exclusion immédiate
De la pseudo communauté des semblables.

*

C’est le mois d’août
J’ai le moi out
Et ma Voisine Bourgeoise en partance pour un trek au Pôle Nord
Insiste pour me confier son serpent en nourrice :
« Il s’enfile une souris blanche frétillante la semaine
Venez pour l’apéro vous verrez c’est fascinant
On commandera des souris blanches vivantes sur internet
Et des blattes pour les souris
Et du fumier pour les blattes,
Tant qu’on y est autant en profiter… »
C’est dommage il me restait une bonne vieille tapette et du bon vieux gruyère
De quoi piéger même un de ces rats qui pullulent autour de ma cellule
Comme les hommes à la surface du monde...
Je monte chez ma Voisine Bourgeoise
La canicule l’a déshabillée
Elle est seins nus et libres telle une femen indomptable
Une bouteille de porto blanc et un saladier de graines multiples et variées
Sur la cage de verre de Scott
Scott c’est le python
Cage de verre qui comble du raffinement sert aussi de table basse
Scott ondule mollement dans un décor de Far-West
Avec pour seule compagne une grosse mouche qui se crashe
Contre les murs transparents du désert...
Ma Voisine Bourgeoise est ivre et dégage
Un parfum sexuel...
Et nous voilà surfant sur les sites de bouffe pour animaux !
100 Fœtus de Souriceaux pour Petits Serpents !
Foin de Crau labellisé AOP pour Lapins !
Aliments Holistiques pour Tortues Terrestres !
Croquettes Bio pour Ecureuils !
Vers multiples et variés pour Perruches !
Substrat de Forêt Tropicale pour Lézards !
E tutti quanti !
Chaque maillon de la chaîne alimentaire est un segment lucratif du marché !
Ma Voisine Bourgeoise tape son numéro de carte bleue
Tout ce commerce organisé pour la survie des animaux en appartement
Animaux dont nous sommes les geôliers bienveillants
Captifs nous-même d’autres geôliers bienveillants
N’y tenant plus elle pose une main sur ma cuisse
Avortant dans l’oeuf
Mes considérations métaphysiques
À propos du Capital considéré comme Dieu de la Ruche
Je m’enfuis !
Qu’elle trouve un autre pigeon pour son python !
Dehors la nuit tombe sur la canicule
La ville transpire
Le macadam est mou comme un caramel
Un troupeau de chevreuils s’engouffre dans le parking souterrain République
Un ragondin lape la flaque laissée par une canette Suicide
Les crevasses déchirent les façades des immeubles Reconstruction
L’horizon flambe…
J’entre dans le Bosphore !
Je commande un Américain Sauce Samouraï !
Je vais lui faire sa fête !
La clim à bloc nique un iceberg au pôle !
La télé fuit !
42 à l’ombre à Lisbonne !
Heureux d’avoir annulé mon charter !
Ma sueur ne rigolera pas dans ton lit, O Tage !
Au bagne les touristes !
J’ai déjà choisi d’habiter ma dernière demeure !
Je ne pense plus à rien
Juste encore vaguement
À mon grand poème sur la bouffe...
Avant de perdre complètement le sens de l’Histoire
Je décide juste de me lancer pour l’exemple
Dans une grève plus que générale
Pour en finir avec la fin des haricots.

Août 2018.
Emmanuel Thomazo

[1Bernard Noël. Le château de Cène, 1969.

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