Racket – Dominique Manotti – Bonnes Feuilles

paru dans lundimatin#163, le 30 octobre 2018

Ancienne des Cahiers de mai. Militante aux premières heures du planning familial. Membre de la CFDT dans les années 70. Professeure d’histoire à l’université, spécialisée dans l’histoire économique du XIXè siècle. Marie-Noëlle Thibault a notamment traduit La formation de la classe ouvrière anglaise d’Edward P. Thompson, œuvre majeure des sciences sociales. Dans le milieu, on la connait mieux sous le nom de Dominique Manotti. Romancière sur le tard, elle excelle maintenant dans le genre du polar. Sa dernière publication, Racket, est un des meilleurs du genre.

Du roman noir à l’état pur. Quand on commence un livre de Dominique Manotti, il faut être bien sûr de n’avoir rien prévu dans les heures qui suivent, car ça va très vite. L’emballement est immédiat. Le style est vif, l’écriture nerveuse et la trame passionnante. Nombre de ses récits se basent sur des faits réels. Dans son premier bouquin, Sombre Sentier (publié en 1995), l’histoire se noue autour d’une lutte des ouvrier-e-s de la confection dans le quartier du Sentier à Paris. Le roman KOP (publié en 1998) nous plonge dans un système de corruption et de magouilles dans le milieu du football. L’intrigue d’Or Noir (publié en 2015) raconte la naissance mouvementée d’un nouveau marché des produits pétroliers sur les cendres de la French Connection à Marseille. Ce ne sont que quelques exemples puisés dans sa bibliographie de plus en plus fournie. Ses livres sont toujours très renseignés, précis et écrits avec méthode.

Son dernier roman, Racket, paru au printemps 2018 (éditions Les Arènes), est fidèle à son style. Elle y raconte l’histoire du rachat d’un fleuron français de l’industrie du nucléaire (la branche énergie d’Alstom), Orstam dans le roman, par un géant américain (General Electric), nommé Power Energie. On entre dans les méandres du business international, des coups de pression économique entre grandes nations, là où d’habitude il est très difficile d’y voir clair, tant les infos sont secrètes et la presse inexistante. Alors oui, c’est du roman, mais ce qui est flippant dans tout ça, c’est qu’il y a une grande part de vérité et on en vient à se demander jusqu’à quel point.

D.M. : « C’est une forme très particulière de suspens car dès le début on connait la fin. La question, c’est comment on y arrive. Je me suis inspirée de l’histoire du rachat d’Alstom par General Electric, l’américain. Alstom c’est une entreprise « vitale » pour la France, puisque c’est elle qui fabrique les turbines pour l’industrie nucléaire, entre autres. Je me suis intéressée à cette histoire, je l’ai étudiée et ensuite je l’ai romancée. […] Je fonctionne de la façon suivante. Quand un sujet m’intéresse, que j’ai envie d’écrire un roman dessus, je commence par faire de la documentation. Tout ce que je trouve comme faits établis, je le garde. Je structure mon histoire avec ça. Après, j’invente. Autour de chaque fait, il y a des zones d’ombre, ce que j’appelle des trous noirs. Je vais prendre l’exemple de la première histoire, par laquelle s’ouvre le roman. Un cadre très supérieur d’Alstom est arrêté aux Etats-Unis le 13 avril 2013. Je signale au passage qu’il est toujours en taule. A partir de là, il est utilisé comme une menace pour faire peur à l’ensemble de l’entreprise et enclencher la mécanique de dialogue autour de la vente. Ceci, c’est le fait tel qu’il est rapporté. Là, j’ai le droit de me poser des questions. Il y a plein de zones d’ombre sur lesquels je ne trouve rien, dans les documents, dans la presse, dans les livres, etc. Exemple d’une question, pourquoi lui ? Des cadres supérieurs d’Alstom qui se baladent aux Etats-Unis, il y en a des tonnes. Qui ont été mêlé à des transactions douteuses en dollar, il y en a des tonnes. Pourquoi c’est sur lui que ça tombe ? Pourquoi c’est lui que choisissent les américains ? »

*

* *

Samedi 13 avril 2013 - New York

François Lamblin est de très bonne humeur lorsqu’il débarque en fin d’après-midi à l’aéroport JFK, en provenance de Paris, après huit heures de vol, trois whiskies et un excellent polar. À la descente de l’avion, l’air est frais, stimulant. Ce soir, une belle fille ramassée au bar de son hôtel de luxe et, après un repos bien mérité, il sera en forme pour rencontrer de gros clients qu’il séduira en leur présentant les performances des chaudières Orstam de nouvelle génération. Succès garanti, d’après le département Stratégie. Et, s’il triomphe sur le marché américain, sa carrière dans l’entreprise, la première entreprise française de turbines et de chaudières de tous types, sera au zénith, c’est certain.

Il se dirige vers les bureaux de la police aux frontières, tend son passeport. Deux policiers en uniforme surgissent, l’encadrent, posent les mains sur ses épaules, un troisième saisit son baise-en-ville, un quatrième lui passe les menottes aux poignets. Un flash éclate.

— Monsieur Lamblin ?

Foudroyé, bouche ouverte, incapable d’émettre un son. Dans son cerveau, quelques images en vrac : assis dans le bureau de Gus Anderson, le numéro deux du service juridique d’Orstam, ce salopard d’Anderson, ses grands yeux bleus et son accent british si distingué. Il se revoit, coincé dans son fauteuil : « La circulaire confidentielle du grand patron conseillant à ses cadres supérieurs de ne pas se rendre aux États-Unis, une lubie, ou le danger est réel ? Moi, j’ai de gros clients potentiels à New York. Je laisse tomber ? » Et l’autre, en face, serein : « Pour vous, aucun danger. Vous êtes protégé par le non-lieu de la justice française, et blanc comme neige depuis les résultats de notre enquête interne. Partez sans crainte. »

Retour au présent. Il finit par ânonner :

— Oui, je suis monsieur Lamblin.

— Vous êtes en état d’arrestation, suivez-nous.

Il s’insurge enfin.

— Qu’est-ce que c’est que cette comédie ? Où m’emmenez-vous ?

— Les chefs vous le diront, nous on exécute les ordres.

Autour de lui, les gens s’écartent, pressés, indifférents. Il est poussé dans une petite pièce aveugle, du côté du service des Douanes. Deux hommes en costume-cravate, la belle quarantaine et l’air avenant, assis derrière une table, l’attendent manifestement et lui font signe de s’asseoir. Un agent lui enlève les menottes. Lamblin se surprend à se frotter les poignets d’un geste mécanique, comme dans les séries télé.

— Vous pouvez me dire ce que je fais ici, le sens de cette mascarade ?

— Nous nous présentons, monsieur Lamblin. Je suis l’agent Morris et voici mon collègue, l’agent Wolfram, FBI. Vous êtes poursuivi pour corruption dans le cadre d’une enquête de la justice américaine ouverte, comme vous le savez, en mars dernier sur un marché passé par Orstam en Indonésie en 2004-2006, le contrat Pampa, dans lequel la filiale que vous dirigiez à l’époque ici, aux États-Unis, a joué le rôle d’intermédiaire.

— Absurde, rocambolesque, je ne suis au courant de rien.

— Ne jouez pas à ça avec nous, monsieur Lamblin, vous n’êtes pas de taille. Vous êtes parfaitement au courant de l’ouverture de cette enquête par la justice américaine, votre direction vous a adressé une circulaire confidentielle de mise en garde il y a un peu plus d’un mois. Certes, cette circulaire parlait d’une « supposée corruption », mais ni vous ni nous ne sommes dupes.

Lamblin contracte les muscles du dos, du ventre, pour encaisser le choc. Circulaire confidentielle, adressée à une centaine de cadres, peut-être, pas beaucoup plus…

— J’ignore comment vous vous êtes procuré cette circulaire. Si vous l’avez lue jusqu’au bout, ce que je suppose, vous avez vu que notre PDG nous recommande le silence dans un cadre comme celui-ci. Je vais donc me taire.

— Libre à vous, monsieur Lamblin. Pour l’instant, je ne vous demande que de m’écouter. Je pourrais vous lire quelques-uns des mails qui ont circulé entre votre bureau et la maison mère, comme celui-ci, du 12 décembre 2004, je cite : « À propos de Pampa, les électriciens n’ont pas confiance dans notre vieil ami. Ils craignent qu’après le versement de la récompense, il ne leur laisse que de l’argent de poche. Il semble opportun de remplacer, pour cette partie de la négociation, notre vieil ami par M. Genève. Paiement échelonné sur douze mois, 45 % au premier versement. Qu’en dites-vous ? » Pour nous, ce fut un jeu d’enfant de retrouver votre vieil ami. Peu satisfait d’avoir été écarté, il a accepté de témoigner quand nous le lui avons demandé. Avec des méthodes un peu musclées, je vous le concède.

Morris se tait pour laisser Lamblin digérer. Celui-ci essaie de garder son calme. Ils ont intercepté tous nos mails. Retour du visage d’Anderson, ses yeux bleus, son grand sourire et son air angélique, aucun danger, partez. Clairement, il m’a poussé à partir. Un traître ? Lui aussi est compromis dans ces histoires de contrats douteux… Sa peau contre la mienne ? Bien son genre. Un peu tard pour y penser. D’accord, c’est un désastre. Mais pas de panique. Aucun mail n’a été envoyé de mon ordinateur, aucun ne porte ma signature… Morris reprend :

— Je vois bien, vous vous demandez : Pourquoi s’en prend-il à moi ? La corruption est si généralisée, du haut en bas de la maison Orstam, et sur tous les marchés, pourquoi moi, sur un contrat d’à peine deux cents millions de dollars, une misère ?…

L’agent Wolfrom ouvre le dossier posé devant lui sur la table, en sort une série de photos en noir et blanc, qu’il glisse vers Lamblin. Morris continue :

— Regardez ces clichés monsieur Lamblin, regardez-les bien. Certes, ils ne sont pas excellents, ce sont des saisies d’écran, mais nous avons toute la bande, prise pendant cette soirée privée, lors d’un de vos passages à Londres, il y a quelques années, vous voyez la date, là, dans le coin droit de l’écran ? Mars 2007. Vous vous reconnaissez, sur celui-là, en train de vous faire une ligne de coke ? Et là, le même soir, en train d’en préparer une pour cette ravissante blonde, qui se l’envoie comme une pro ? Et qui se roule avec vous sur le canapé sur la photo suivante. Vous vous souvenez ? Chaud. La ravissante blonde était alors âgée de treize ans. Vous le saviez ? Trompeuse, hein, la paire de nichons… De nos jours… Et si la scène se déroule à Londres, la mineure est de nationalité américaine…

Lamblin fourre ses mains dans ses poches de pantalon, pour que Morris ne les voie pas trembler. Anderson, toujours lui… Je suis dans une belle merde… Tic nerveux au coin de l’œil gauche.

— Et je n’ai pas tout à fait fini. Vous avez déjà été pris dans une soirée cocaïne pendant votre année d’études à Harvard, il y a une vingtaine d’années, et vous êtes passé à cette époque devant un tribunal, sans grande conséquence, rien de bien grave. Mais cela fait de vous un récidiviste. Comme je connais votre grand patron, un gueulard sans une once de courage, dès qu’il apprendra ce qu’il y a dans votre dossier — et il l’apprendra, je lui fais confiance (ou devrais-je dire « Je nous fais confiance » ?) —, il vous laissera tomber, et vous le savez aussi bien que moi.

Lamblin se décompose. Sa paupière gauche bat frénétiquement. Morris le regarde pendant quelques secondes, puis reprend :

— Maintenant, nous pouvons causer.

*

* *

En prenant un peu de recul, on se souvient vaguement du rachat d’Alstom. C’était en 2015, et l’affaire n’a pas fait grand bruit dans l’opinion publique. A l’époque, Hollande était au pouvoir. Un grandiloquent ministre du « redressement productif » aboyait des cocoricos. Dans l’ombre, un jeune et ambitieux conseiller économique à l’Élysée, préparait son ascension fulgurante. Une ascension qui l’a véritablement mené au sommet, il est devenu entretemps président de la république. Entre l’ambition des cadres très supérieurs d’un fleuron de l’industrie française et celles des politiques en quête de reconnaissance, on est immergé dans un océan de requins qui reflète bien les eaux troubles dans lesquelles on se noie actuellement. C’est dans ce contexte que l’intrigue se situe. Une plongée dans les hautes sphère. L’odeur d’un rendez-vous d’affaire au Plazza Athénée. La lueur du soleil se faufilant entre les persiennes closes d’un bureau du ministère de l’économie, où se joue l’avenir d’une grande entreprise française. On a l’impression d’y être.

Dans Racket, on découvre ou redécouvre une notion importante pour comprendre l’étendue de la domination réelle d’une super-puissance comme les Etats-Unis. C’est l’extraterritorialité de la justice américaine, clé de voute du mécanisme.

D.M. : « C’est une traduction, en termes de droit, d’un rapport de force. C’est tout. Alors on peut dire que le droit, c’est toujours comme ça. Mais là, c’est très clair. Les Etats-Unis sont la puissance dominante. Un des instruments majeur de leur domination, c’est l’instauration du dollar comme monnaie d’échange internationale, après la seconde guerre mondiale. Mais ça n’est possible que suite à la deuxième guerre mondiale et comme traduction, sur le plan financier, d’un rapport de force. Dans un premier temps, le dollar est fondé sur l’or. Il est un équivalent or. Ce qui implique une rigueur budgétaire pour maintenir leur monnaie alignée sur l’or. 1971, Nixon. C’est là que ça commence. Il déconnecte le dollar de l’or. Sa phrase est géniale : « Le dollar c’est notre monnaie et votre problème ». C’est fondamental, parce qu’à ce moment-là, les Etats-Unis font marcher la planche à billet. C’est terminé, ils sont maître de la monnaie. A partir du moment où ils ont imposé ce rapport de force, suit l’extraterritorialité. Qu’est-ce que c’est que « l’extraterritorialité », au niveau du droit, c’est simplement la traduction de la domination américaine et du dollar. Quand une transaction à l’échelle mondiale s’opère en dollar, les Etats-Unis appliquent la loi américaine. Partout dans le monde où la transaction est faite en dollar. 85% des transactions mondiales sont faites en dollar... »

Au-delà de la réalité des faits sur lesquels se base l’auteurE, c’est aussi cette façon de dessiner le caractère des personnages qui est troublante. Parce qu’on y voit parfois les véritables traits de tout un tas de cadres supérieurs aux dents longues, très longues, aux costards tirés à quatre épingles et à l’appétit aussi gros que les bénéfices d’une entreprise du CAC40. Tous ces inatteignables, biens planqués dans les tours d’ivoires du capitalisme et du pouvoir. Ces gens auxquels, la plupart du temps, on ne penses pas. Mais quand il nous arrive de croire qu’ils ont peut être une responsabilité dans le merdier actuel, il y a déjà quatre lignes de CRS qui nous séparent d’eux. Ce sont, peut être, toujours eux les gagnants de l’histoire.

Lundi 15 avril - Levallois-Perret

Nicolas Barrot arrive à son bureau, au siège social d’Orstam, vers 8 heures, comme chaque matin. Jeune trentenaire joufflu, à la mise correcte sans élégance, il a toujours un petit frisson de plaisir et de crainte quand il appuie, dans l’ascenseur, sur le bouton du dixième étage, celui des bureaux de la direction. Frisson de plaisir d’être à l’étage des chefs, frisson de crainte d’en être chassé comme un usurpateur. Lui qui vient d’une ville perdue de province, où il a fait une école de commerce médiocre, il est depuis deux ans le conseiller privé du président. Parce qu’il est jeune, dynamique, inventif, le président l’utilise comme une boîte à idées et pour des missions non officielles. Parce qu’il ne sort pas des bonnes écoles et ne dispose donc pas de réseaux d’influence, il peut servir de fusible de sécurité et sauter à tout moment si la situation l’exige. Il en est parfaitement conscient, mais n’entend pas faire de vieux os dans l’entreprise, il compte sur sa proximité avec les hautes sphères pour se constituer au plus vite un carnet d’adresses, tremplin indispensable à une ascension sociale qu’il rêve rapide.

Ce matin, il est de bonne humeur, parce qu’il fait beau et qu’il n’a aucune raison particulière d’être préoccupé.

Jusqu’à ce qu’il ouvre son ordinateur d’un geste machinal et consulte sa revue de presse. Et le ciel lui tombe sur la tête. L’agence Bloomberg annonce l’arrestation à JFK de M. Lamblin, directeur de l’activité chaudières d’Orstam. Affaire de corruption, dit l’agence. La nouvelle est accompagnée d’une photo terrifiante : prise de trois quarts arrière, pour que l’on voie bien les mains menottées dans le dos, l’homme est entouré de deux solides policiers, dont les uniformes sombres font ressortir le visage livide du prisonnier, qui tourné vers le photographe, prend le flash en pleine face, décomposé par la stupeur et la peur. La stupeur et la peur sont aussi les premières réactions de Barrot. Il se voit sur la photo, menotté, à la place de Lamblin.

À ce moment précis, sonnerie du téléphone. Encore sous le choc, Barrot décroche sans réfléchir.

— Salut Nicolas… (Barrot reconnaît la voix de Sidney Morton, un journaliste américain en poste à Paris avec lequel il a toujours entretenu de bonnes relations. Mais aujourd’hui, cette voix…) Sidney à l’appareil… Vous savez pourquoi je vous appelle ? Un cadre de chez vous s’est fait arrêter ce week-end à New York. Une affaire de corruption, d’après l’agence Bloomberg. Vous pouvez me dire quelles sont vos premières réactions ?

— Sûrement pas.

Et Barrot raccroche. Avis de tempête, il faut que je me bouge. Première priorité : vérifier avec le service de presse, pour qu’il prépare un communiqué en langue de bois. Et voir Carvoux, le grand manitou. Nicolas, mon vieux, va falloir t’accrocher. Affronter une de ces explosions de colère ultraviolentes qui ont rendu célèbre le patron d’Orstam. Et il a de quoi être en colère parce que, à la différence des procès antérieurs pour corruption avec la Banque mondiale ou la Norvège, qui s’attaquaient à des contrats passés avant son règne, cette fois-ci, il a validé lui-même les contrats douteux qui ont conduit Lamblin en prison, il est en première ligne, juste derrière Lamblin, qui a effectué les versements d’argent sur ses ordres. Et juste devant moi, qui ai négocié les montants de commissions frauduleuses de même nature sur d’autres contrats du même type il y a moins d’un mois, songe Barrot. Il se lève, s’étire, fait craquer ses articulations, respire à fond lentement deux fois et se dirige d’un pas qu’il veut tranquille vers le bureau du président.

*

* *

Dans les romans de Dominique Manotti, on entrevoie la complexité de certains rapports de dominations, économiques ou politiques. Le témoignage d’une époque. La déliquescence d’une certaine forme du mouvement ouvrier. Dans Lorraine Connexion, publié en 2006, on entre dans l’intrigue par un accident de travail sur une chaine de montage. Une grève. L’usine part en fumée. Le patron s’enfuit avec un gros paquet de fric. Tout tourne au vinaigre. La pédagogie de l’auteurE et surtout l’envie effrénée de tourner les pages jusqu’à la dernière, nous amène à comprendre certains enjeux, parfois durs à avaler. On est toujours à la frontière entre réalité et fiction.

DM : « Je suis devenue écrivain par désespoir. L’objectif général de l’ensemble de mes romans. Que je poursuis par petites touches. C’est de raconter de façon suffisamment approfondie des histoires pour essayer de comprendre pourquoi et comment ma génération s’est plantée. Lorraine Connexion c’est une des étapes grave de cet échec. Tu ne peux pas gagner si tu laisses détruire ton propre passé. Il y a des choses absolument sidérantes dans cette histoire. Le mécanisme patronal. En clair, l’objectif d’une usine ce n’est pas de produire des produits. L’objectif, c’est de faire du profit. C’est vachement important à comprendre, c’est fondamental. Ceci apparaît tellement dans les histoires de la Lorraine post-sidérurgie. Toutes ces usines, elles avaient le même mécanisme. On les appelait à l’époque, les usines tournevis. C’était des usines qui ne faisaient aucun investissement, elles s’en foutaient. Elles étaient là pour capter les subventions. Elles se foutaient des investissements, elles se foutaient de la production. Pour moi, ce qui m’intéressait fondamentalement, c’était de bien montrer ça. Je fais une histoire que j’essaye de rendre passionnante. C’est réussi, si on s’intéresse aux personnages, si on accroche à l’histoire. Ce mécanisme là, alors qu’intellectuellement on le connaissait, on a été incapable de le combattre. La façon dont on a laissé mourir la culture ouvrière, c’est dramatique. »

Yan Dekel

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