Qui sont les Black Blocs ?

« Ils ont des têtes de loup sur leur ceinturon »

paru dans lundimatin#145, le 10 mai 2018

La semaine dernière fut agitée par cette question : mais qui sont donc ces foutus « black blocs » ? Nous sommes partis à la pêche des meilleurs analyses, produites par les meilleurs experts, pour tenter d’y voir plus clair.

France 2, le 1er mai au soir, le journal télévisé s’ouvre avec un sujet consacré aux "Blacks Blocs". Sujet épineux, puisque, dixit le journaliste : « Il est difficile d’établir un profil type, il n’y a ni chef, ni hiérarchie. Ils semblent être rassemblés par le rejet du capitalisme. » Une brume de mystère entoure le phénomène, et si la télévision publique n’a pas réussi à la dissiper, d’autres affirment y être parvenus.

Par exemple pour Samuel Zralos, de RFI si « les Black Blocs fascinent et intriguent », en réalité, « ils n’existent pas. » Ou, plutôt, « il est faux d’en parler comme d’un mouvement uni, ou même comme d’une mouvance politique. Le Black Bloc est avant tout une technique de rassemblement, dont les codes sont pensés en fonction de leur efficacité supposée ou réelle. »

Thomas Séchier (France Inter) va dans le même sens. Selon lui, « le Black Bloc n’est pas un groupe », simplement « une technique de manifestation, qui consiste à manifester entièrement vêtu de noir et le visage masqué, pour s’assurer l’anonymat. »

Les deux analyses convergent, et le constat est simple. Il serait pourtant dommage de ne pas creuser un peu plus la question.

Habillement : la "burqa paramilitaire"

Tout le monde s’accorde à dire que « les Black Blocs » sont tout de noir vêtus, et le visage masqué. Mais certains experts vont plus loin. Pour Jean Marc Leclerc et Caroline Beyer dans le Figaro du 2 mai : « Perruques, cagoules, fusées marines, cocktails Molotov, marteaux de chantier, masques à gaz font partie de leur panoplie. ». Dans le Parisien du lendemain, Jean-Michel Décugis, Catherine Gasté et Nicolas Jacquard nous apprennent que les « masques à gaz, lunettes de protection, coupe-vent noirs et mini-sac à dos ne laissaient aucun doute sur leur intention d’en découdre. » Pour Guillaume Liénard, expert no limit, dans un article paru sur regards.fr, le 2 mai, il n’y aucun doute « tout de noir vêtu, cagoulé, muni de l’indispensable sac à dos, il y a tout de la burqa paramilitaire dans le dresscode des ’vedettes’ du jour. »

Mais qu’en est-il de leur accoutrement dans la vie de tous les jours ? Marc Crapez, (chercheur en sciences politiques associé à Paris X) est en mesure de nous éclairer dans le Figaro du 4 mai, car il a une anecdote : « Dans une université, j’ai croisé un professeur titulaire qui arborait, au vu et au su de tous, un uniforme de Black Bloc, tout en se revendiquant anarchiste. » Il l’a vu donc il développe : « ces individus ne sont nullement des libertaires à cheveux longs et chemises à carreaux. « Ils ont des têtes de loup sur leur ceinturon », me confiait effarée une universitaire. Ajoutons qu’ils ont le cheveu ras pour enfiler rapidement leurs cagoules, en cas de « baston » contre les flics, ou pour tabasser du « facho ». »

Quant aux policiers, qui ne comptent pas rester à la traine question expertise, ils ajoutent que les Black Blocs disposent de « matériel (…) de plus en plus sophistiqué. » En plus des perruques cachant leurs cranes rasés et de leurs boîtes à outils, ils transporteraient avec eux « des gilets pare-balles et des boucliers tactiques » (selon un membre de l’Union des policiers nationaux indépendants, cité par RT le 2 mai).

Mais qui sont-ils ? Des bourgeois étudiants, fans du Red Star

Francis Dupuis-Déri, professeur à l’Université du Québec à Montréal, indique qu’ils « sont différents selon les lieux et les époques en termes de composition de classe, de sexe et de race ». Pas trop de risques pour ce monsieur de se tromper… Mais d’après la collab’ entre le Figaro et Marc Crapez, ne vous y trompez pas « beaucoup sont en effet des enfants de la bourgeoisie, ou ont une activité professionnelle prestigieuse. » « Il y a chez eux un côté « Docteur Jekyll et Mister Hyde » !

Pour nos experts du Parisien (Jean-Michel Décugis, Catherine Gasté et Nicolas Jacquard), le Black Bloc est un véritable melting-pot : « derrière les capuches » il y a certes « un noyau dur de militants d’ultra-gauche ». Mais aussi des « ultras » de clubs de foot, « des gens du Red Star ou du PSG. » Et « pêle-mêle s’y agrègent « zadistes », anarchistes, autonomes et étudiants « lambdas ». »

Leur idéologie : le parasitage alternatif et la chevalerie queer

Pour Guillaume Liégard le plus ressentimental de nos experts c’est « une mouvance habituellement qualifiée d’’ultra gauche’. Comme tout parasite, cette dernière vient se greffer sur des mobilisations en cours auxquelles à vrai dire, elle n’accorde que peu d’intérêt. »

Quand pour Francis Dupuis-Déri « on y retrouve des anarchistes, des communistes, des écologistes, des féministes et des queers, des sociaux-démocrates en colère ».

Pour Marc Crapez, ils ont juste changé de noms au fil du temps « Ces activistes se sont successivement appelés spartakistes, trotskistes, redskins, antifas ou Black Blocs. » « … ils n’ont que faire du « social » et de la révolution. Ils dérivent de courants d’extrême-gauche baptisés « autonomes » ou « alternatifs », basés sur la haine de la police et de l’État-nation. Les Black Blocs ne déclament pas de slogans, commettent à peine quelques graffitis. Leurs coups d’éclat ressemblent à la « propagande par le fait », ces bombes anarchistes de la fin du XIXe siècle. Il s’agit de narguer les autorités. »

Il ajoute : « Il y aura toujours des vocations : Clément Méric était un apprenti Black Bloc. L’attirance provient d’une image de confrérie chevaleresque volant au secours des victimes d’injustice sociale ou des immigrés. » 

Leurs modes organisations : inspirés des oiseaux, comme des poissons

Dans le Figaro Paul Sugy écrit par la voix de ce bon vieux Marc Crapez qu’il s’agit d’ « une sorte de société secrète, avec uniforme, mais sans conjuration, sans rituels ni serments. On y participe par agrégation spontanée, par proximité avec un réseau de sociabilité, et non par cooptation hiérarchique. À titre individuel, ils sont très présents sur Internet et les réseaux sociaux. Très actifs et parfois « gradés » sur Wikipédia. Ils sont dans leur élément dans un monde d’opacité et de pseudonymes. Car ils ont une véritable pensée stratégique : mobilité et dissémination paralysent l’efficacité des forces anti-émeutes. »

Heureusement, lepoint.fr repose les bases : ce serait « par l’intermédiaire des réseaux sociaux que le mouvement parvient à recruter de nouveaux membres. Ce mouvement très bien organisé utilise aussi Internet pour communiquer. »

Pour France Inter, Thomas Séchier convoque un nouvel expert : [Olivier Cahn, maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise. Selon lui, « Il est difficile de les appréhender et de les infiltrer. Ils sont autonomes, fonctionnent sans hiérarchie et utilisent la tactique du ’coucou » C’est-à-dire ? « ils se changent discrètement pendant les manifestations et réapparaissent en noir par surprise. » Ah, ok.

Sebastián Compagnon dans Le Parisien du 2 mai, nous apprend quelques techniques d’organisation propre aux Blacks Blocs….et aux animaux.

« Dès la formation d’un Black Bloc, les participants utilisent la méthode dite du coucou, observe le CREOGN (Centre de Recherche de l’École des Officiers de la Gendarmerie Nationale). Tel l’oiseau qui pond dans les nids des autres, ils s’infiltrent dans le cortège et apparaissent au cœur de la manifestation sans que celle-ci n’ait été prévenue de l’existence du Black Bloc à l’avance. Ce regroupement rapide et inopiné constitue souvent une surprise. »

« Lors d’une phase d’attaque, une tactique spécifique aux Blacks Blocs est appelée le « swarming » (essaimage). Celle-ci consiste « à se disperser en petits groupes au moment des actions pour saturer les services d’ordre adversaires, puis à toujours se rassembler au sein du bloc pour assurer une défense de manière solidaire. Ce regroupement n’est pas sans rappeler les bancs de poissons », souligne le CREOGN. »

Le rapport à la casse : raisonné

Ne nous y trompons pas les Blacks Blocs, s’ils s’organisent pour tout détruire, ne sont pas pour autant des casseurs, ainsi que nous l’explique RFI :

« En fonction du contexte, les individus rassemblés ainsi « vont être plus ou moins violents », concentrant toujours leurs actions sur des cibles « politiquement symboliques, que ce soit la police ou des symboles du capitalisme », constate Olivier Cahn, maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise. Ce qui les différencie de simples casseurs, puisqu’il s’agit d’une « action politique » et non d’un geste « irraisonné ». » Parce que les casseurs, eux, sont juste dingos.

« A l’inverse, « on parle de Black Bloc dès que des activistes s’en prennent aux forces de police, or ce n’est pas forcément le cas », souligne le chercheur, qui estime que la manifestation du 1er mai 2018 à Paris constitue « probablement » le premier « vrai Black Bloc » depuis le sommet de l’Otan à Strasbourg en 2009, à l’occasion duquel un black bloc d’environ 2 000 personnes et 9 000 policiers se sont affrontés. » Nous avions tous oublié cet épisode du Seigneur des anneaux à Strasbourg.

Sylvain Boulouque, spécialiste de l’anarchisme, du syndicalisme et du communisme partage cet avis dans les Inrocks, interrogé par Guillaume Narduzzi-Londinsky : au sein du Black Bloc il n’y a pas de casseurs normaux (c’est à dire foufous). Car rappelons-le, si « un casseur va s’en prendre à tout mobilier urbain sans se poser de questions », le Black Bloc lui, réfléchit à tout. Dans un McDonald’s il ne voit pas un fast-food, mais « un symbole de la mal-bouffe, de l’exploitation des salariés ». S’il hait les concessionnaires automobiles c’est parce que « la voiture est polluante et représente une entrave au bon fonctionnement du monde. »

Leurs profils : de l’opportuniste au pas content

Arrivés ici, on commence à y voir plus clair. Il y a, pour résumer et selon nos experts, plusieurs catégories de Blacks Blocs, dans le Black Bloc, qui n’est lui-même pas un mouvement politique mais une tactique. Simple, basique. Là où la chose se complexifie c’est que selon BFMTV on rencontre plusieurs profils de Blacks Blocs au sein même du Black Bloc :

Il y a par exemple l’opportuniste, venu profiter du désordre « pour vulgairement parlant ’casser du flic’, ’casser de la vitrine’, et éventuellement récupérer des marchandises ».

Il y a aussi le révolutionnaire, qui est là « pour des raisons idéologique émeutières, insurrectionnelles, révolutionnaires ». On a pu en voir un certain nombre lors du 1er Mai puisqu’il y avait des « drapeaux avec le marteau et la faucille, il y a des sigles communistes, donc c’est l’idée effectivement d’insurrection révolutionnaire ».

Il y a enfin le Black Bloc pas content, qui en a ras le casque ! Qui fait partie de ces « gens qui n’en peuvent plus, qui sont mécontents du système ». Ainsi, les collègues de BFM travaillant à RMC ont retrouvé un Black Bloc qui confirme que ’casser des boutiques’ est pour lui une manière ’d’exprimer un ras-le-bol’. ’Ce n’est que du matériel, les gens en ont marre ».

Conclusion

Faut-il écouter les experts ?
Article garanti sans contradictions.

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