POLITICIENS
Le ministre de l’Intérieur, Matthias Fekl s’est exprimé rapidement sur les événements de la journée. Il avait bien appris la litanie post-manif que son prédécesseur, Bernard Cazeneuve, avait rodé durant le mouvement contre la Loi Travail. Il a ainsi monologué sur les « centaines de casseurs », « professionnels de l’agitation, de la casse, de la violence », venus pour « attaquer les forces de l’ordre, casser du policier, commettre des dégradations » et même « pour blesser et pour tuer des policiers ». Il annoncé que tout serait « mis en œuvre pour retrouver ces criminels ». Il a enfin promis de se rendre au chevet des deux policiers blessés. L’un, membre de la compagnie CRS 51, basée à Saran, près d’Orléans, a été brûlé au 3e degré à la main et au cou. « Il n’a jamais perdu connaissance ou été en urgence vitale comme cela a été dit hier, mais son état est très grave », comme l’a révélé le journal 20 minutes. L’autre a été « gravement touchée à la main par une grenade de désencerclement » - sa « propre » grenade de désencerclement.
1er Mai : La flic grièvement blessée s'est fait mal toute seul avec sa grenade https://t.co/MwwO3NcgF3 pic.twitter.com/HuWlpyxRaQ
— Paris luttes (@Paris_luttes) 3 mai 2017
En employant les termes « criminels » et intention de « tuer », M. Fekl redonne ses lettres de noblesse à l’expression « criminalisation du mouvement social ».
Comme l’avait fait avant lui M. Valls, qui, dans le but interdire les manifestations contre la Loi Travail en juin dernier, avait affirmé que ces dernières accueillaient des personnes déterminées « à tuer des policiers ». Et avait demandé à ce qu’on ne mette plus en cause les forces de l’ordre (qui nous défendent « contre le terrorisme ») pour de « soi-disant violences policières ».
Ce discours semble comme dicté par les syndicats policiers. Ainsi la CGT Police a t-elle dénoncé, à la suite de la manifestation du 1er mai, une « tentative d’assassinat » menée par des « criminels ». (Et en a profité pour condamner un tweet de la CGT Publicis qui souhaitait décaler le regard sur les violences subies par les manifestants). L’Unsa Police, par l’intermédiaire de Régis Debord [sic], s’est évidemment posée en victime, sur BFMTV.
[Régis Debord :]« Pour moi c’est pas des manifestants, c’est du tueur de flic »
[Voix off :]Pour répondre aux casseurs, les forces de l’ordre ont utilisé des gazs lacrymogènes et des grenades de désencerclement [sur l’image on voit un policier recharger son lbd40].
[Voix off :]On a des lbd 40mm, des lanceurs de balle de défense qu’on nous a interdit d’utiliser, de les laisser dans nos véhicules. [sur l’image on voit deux policiers avec des LBD 40)]
Régis Debord, CRS et délégué UNSA police dit à l'instant sur BFM qu'ils n'étaient pas équipés en LBD40 lundi. Sur cette photo, le contraire. pic.twitter.com/EZr6sD4TzW
— Louis Witter (@LouisWitter) 2 mai 2017
M. Fekl se contente donc de reprendre les éléments de langage des syndicats policiers et des ministres de l’Intérieur qui l’ont précédé. Mais cette idée de manifestants meurtriers s’en prenant à d’innocents policiers fait son chemin à Gauche… Ainsi voilà ce qu’on pouvait lire sur le compte twitter d’un certain JLM, le lendemain de la manifestation :
Totale compassion avec le CRS brûlé. Ignoble violence de cette tentative de meurtre. Assez avec les provocateurs !
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) 2 mai 2017
Le fait que le leader de la France Insoumise reprenne l’argumentaire Vallsofeklien peut surprendre. Mais c’est surtout le fait qu’il n’évoque pas les dizaines de manifestants blessés le 1er mai qui a fait réagir.
@JLMelenchon Un CRS en feu, pour combien de manifestants, photojournalistes, jeunes filles et autres personnes âgées parfois blessés gratuitement ?
— Lamoussiere Victor (@vlamoussiere) 2 mai 2017
@JLMelenchon pic.twitter.com/Ks3RrqWcpB
T'as raison mec, totale compassion... #CRSS
— FléⒶu (@SbCdtMakhno) 2 mai 2017
Il faut noter que sa conseillère en communication, Sophia Chikirou, ex-proche du PS (puis, rapidement, de l’UMP), est allée plus loin que son leader dans la surenchère verbale. Elle parle, elle, de « barbarie » et d’un homme qui « a été brulé vif » par un cocktail molotov. Elle réclame un sévère « châtiment ». Là encore, le manque de contextualisation lui a été vertement reproché.
@SoChik75 @Itvan Et ça tu le justifies comment ? pic.twitter.com/H47ztACbBm
— Alexiel (@Hevalsteff) 2 mai 2017
Très occupés à célébrer leur défaite sur le boulevard Beaumarchais, ces deux Insoumis n’ont peut-être pas assisté aux affrontements qui ont eu lieu, trois heures durant ,sur tout le parcours de la manifestation. Et se sont-ils donc contentés, comme tous les absents, de lire la presse...
PRESSE-PREF
Le Figaro avait dépéché sur place, entre République et Nation, Thibault Izoret et Vincent Roux. Qui expliquent que :
Peu avant le départ des manifestants donné vers 14h30, nous avions appris qu’une centaine de personnes cagoulées avaient été repérées. Au total, les autorités ont annoncé avoir isolé environ 150 personnes masquées en tête de cortège. Toutefois, des jets de cocktails molotov ont été observés, des pétards ont également retenti. […] Des dizaines d’individus cagoulés ont en outre été vus place de la Bastille, où la manifestation devait se terminer. Visiblement décidés à en découdre, certains ont été aperçus en train de s’armer avant de passer à l’action, boulevard Beaumarchais. […] le corps du cortège était pour le reste bon enfant ; de nombreuses familles avec enfants étaient présentes.
« Nous avons appris », « les autorités ont annoncé », « ont été observés », « ont été vus », etc. Les deux compères ont visiblement fait la manif au téléphone. Et ont recopié les sms de la Préfecture de police. Ces derniers se trouvant condensés dans le communiqué suivant :
#manifestation Le préfet de Police, Michel Delpuech, condamne fermement les dégradations et les violences commises sur les forces de l'ordre pic.twitter.com/8SWVJjT1gT
— Préfecture de police (@prefpolice) 1 mai 2017
Le Parisien est-il plus au courant de ce qu’il s’est passé dans sa ville ? Là encore, le journaliste paraphrase la Préfecture de police :
Dès les premières minutes, peu avant 15 heures, alors que les manifestants venaient juste de quitter « Répu », l’atmosphère s’est tendue.
Une centaine de personnes, masquées ou encagoulées, vêtues de noir ont pris la tête de la foule plutôt bon enfant, pour jeter des projectiles et des cocktails Molotov en direction des forces de l’ordre. Qui ont répliqué en faisant usage de grenades lacrymogènes.
#France : Protesters clash with riot cops during #MayDay2017 rally in #Paris. pic.twitter.com/asgTPtDMeG
— th1an1 (@th1an1) 1 mai 2017
Le Huffington Post a d’autres sources :
Les heurts se sont concentrés principalement aux abords immédiats de la place de la Bastille, selon les images diffusées par les chaînes d’information en continu et l’AFPTV.
Il ne pleuvait pas, mais il vallait visiblement mieux, pour certains, rester au chaud devant les « chaînes d’info en continu ». Qui, elles, se contentaient de réciter les infos de … la Préfecture de police. On tourne en rond :
Manifestation du 1er mai : un CRS touché par un jet de cocktail Molotov pic.twitter.com/1tnkncyRWS
— BFMTV (@BFMTV) 1 mai 2017
COEURS ET ESPRITS
On retient tout de même deux choses à la lecture de ces quelques articles : « Black Bloc » et « cocktail molotov ». Au moins deux personnes devraient donc pouvoir nous éclairer sur ce qu’il s’est réellement passé dans cette manifestation. Il s’agit d’Abel Mestre, journaliste au Monde, qui prétend avoir suivi le défilé, « au cœur du black bloc ». Et de Zakaria Abdelkafi, l’auteur d’une photographie qui a fait la Une de nombreux journaux, français et étrangers.
Le premier nous livre un récit des affrontements. Attention ! ça commence :
Ils l’avaient promis : le 1er mai 2017 serait « ingouvernable ». « Ils », ce sont les militants radicaux – se réclamant de l’antifascisme, de l’anarchisme ou de l’autonomie – qui constituent ce que l’on appelle le « black bloc », en raison de leur tenue entièrement noire, masques ou cagoules compris. Lundi, environ un millier d’entre eux ont pris la tête du défilé syndical parisien et ont violemment affronté la police pendant plusieurs heures.
Le "cortège de tête" du #1ermai pic.twitter.com/IjWiU4A2zB
— Abel Mestre (@AbelMestre) 1 mai 2017
De la suite de l’article on pourra retenir le scénario suivant : selon M. Mestre, le black bloc s’est « glissé » à l’avant du cortège, selon une « méthode éprouvée », pour aller, rapidement, « à la confrontation avec la police ». Le groupe, qui était « déterminé à livrer combat », a lancé des bouteilles sur la police, qui a, bien entendu, « répliqué ». Des tirs de mortier ont aussi visé les policiers. Un cocktail molotov a atterri sur un CRS. Les policiers « n’ont pas hésité à tenir en joue avec leur Flash-Ball les manifestants ou journalistes présents ». « Au bout de plusieurs minutes [sic] les forces de l’ordre ont réussi à isoler le cortège violent du reste de la manifestation. »
Au coeur du Black Bloc, Abel Mestre n’a donc rien vu - ou rien pigé.
Tournons-nous alors vers ce photographe syrien, qui couvre désormais les manifestations en France, et qui pour être certain d’obtenir des photos sensationnelles se colle aux « Black Bloc » :
J’ai vite repéré les types qui sont toujours en noir, et cachent leurs visages avec des foulards, les Black Bloc. Je les suis à toutes les manifestations parce que je sais par expérience qu’ils causent toujours des problèmes.
L’opportuniste ayant eu quelques ennuis avec certains manifestants (« je les prenais en photos pendant qu’ils étaient en train de détruire des choses, quand l’un d’eux m’a collé une cigarette sur l’objectif ») s’affirme plutôt proche des forces de l’ordre :
Je me suis déjà pris des coups par la police ici. Je me trouvais au milieu des rangs de manifestants. Et franchement, si j’étais policier, j’aurais fait la même chose.
Il a aussi de l’empathie pour le policier brûlé. L’événement lui rappelle les bombardements à Alep (pour bien faire comprendre le parallèle il fournit d’ailleurs à l’AFP, pour le making-of de sa photo, un cliché montrant cinq corps de victimes d’un bombardement aérien).
@Cauchemardos @zakria_alkafi Ne pas oublier non plus le bon goût de l'utilisation de photos de corps en Syrie pour illustrer ce beau papier dépolitisé à souhait.
— Claire (@claire_fr) 3 mai 2017
Le photographe n’a pas vu le cocktail Molotov partir. Il a « juste vu le policier enveloppé par les flammes ». C’est alors qu’il a « déclenché [son appareil photo] en rafale ». Cela ne l’empèche pas de critiquer encore une fois les manifestants : eux qui « s’en fichaient complètement » de voir le CRS aux prises avec les flammes.
Les seuls éléments de contexte qu’il apporte finalement sont ceux-ci :
Je me trouvais entre eux et la police, sur un côté. Et en prenant des photos, je me suis dit que l’histoire était celle de l’agression contre la police. Parce que les types en noir leur lançaient des pierres, des bouteilles en verre, tout ce qui leur tombait sous la main. Et la police se contentait de répliquer par des tirs de lacrymogène. Autant dire rien.
COUPS ET BLESSURES
On le voit, l’AFP, le Figaro, le Monde, le photographe starifié, ou les stars insoumises n’ont pas daigné évoquer les violences policières lors de cette manifestation.
Pourquoi vous ne parlez pas des tirs de flashball, des canon à eau ou des blessés civils ? #1ermai #Manif1erMai https://t.co/QrpgsWUvlp
— Nicolashou (@grandriz) 1 mai 2017
#JeuDuFN
Celui qui jette le molotov ?
ou les médias qui ne parlent que du policier blessé et pas des manifestants et journalistes blessés ? https://t.co/aUwVaMqWVy— A. Kraland (@akraland) 1 mai 2017
Rien sur les manifestant.e.s blessé.e.s où les grenades des flics lancées dans des foules compactes, supprimez @lemondefr https://t.co/ZllwM03hlK
— Startup Rumple ☭ (@Fry_Rumple) 1 mai 2017
De nombreux manifestants sont pourtant ressortis du cortège choqués. Leurs récits remettent notamment en cause le scénario simpliste d’une agression rapide et inattendue, par des manifestants violents, de CRS qui n’auraient fait que se défendre :
#1ermai LES CRS ont attaqué les manifestants avec des grenades bien avant le fameux cocktail molotov sur le policier https://t.co/eRdSJlznev
— DOC du réel (@du_doc) 3 mai 2017
Les keufs ont séparé le cortège de tête du reste de la manif (classique) avec la coopération évidente du carré de tête syndical
— !S (@sociodeter) 2 mai 2017
Jusqu'à Bastille (au moins), ils nous ont fait avancer à la grenade de désencerclement qui, comme son nom l'indique, n'est pas faite pour ça
— !S (@sociodeter) 2 mai 2017
Et là, à partir du début de l'avenue Daumesnil, c'était de la violence pure. Ils voulaient juste nous défoncer, détruire le cortège.
— !S (@sociodeter) 2 mai 2017
Certains (photo)journalistes ont eux aussi constaté la violence décrite ci-dessus. Notamment lorsqu’elle s’est retournée contre certains de leurs collègues. Ainsi le Nouvel Obs écrit :
Tous les reporters, dont ceux de « L’Obs », revenus du traditionnel défilé des travailleurs du 1er mai 2017 sont unanimes : il s’agit de la manifestation parisienne la plus violente vécue ces derniers mois. Pour Gaspard Glanz, de Taranis News « c’était la pire manifestation depuis un an ». [...] Des journalistes et des reporters sont également revenus blessés de leur reportage, avec du matériel détruit. Gaspard Glanz a vu une dizaine de ses confrères repartir blessés de la manifestation. « J’étais avec une équipe de Vice UK, qui revenait d’un long reportage en Ukraine. Ils n’ont rien eu. Mais hier, ils sont repartis tous les deux avec des blessures conséquentes , à cause de tirs de flash-ball et d’éclats ».
En effet, contrairement à certains récits journalistiques ou policiers que nous avons retranscrit plus tôt, la police ne s’est pas contentée de « répliquer par des gazs lacrymogènes ».
C'était mon outil de travail. Un policier vient de me tirer un flashball à un mètre alors que je faisais des images de la manif #PremierMai pic.twitter.com/Jp5cYfBueZ
— Louis Witter (@LouisWitter) 1 mai 2017
Charge de la police avec plus de 10 grenades de désencerclement jetées dans le dos de manifestants qui fuient : nombreux blessés #1ermai pic.twitter.com/wACLMeGHmj
— A. Kraland (@akraland) 2 mai 2017
Or, l’usage de telles armes (lbd40, grenades de désencerclement) provoque des blessures graves.
Manif du #1ermai à Bastille les street Medic soignent les blessures des manifestants attaqués au flashball pic.twitter.com/W2Nunxyx6k
— Cyril Castelliti (@13kapsy) 1 mai 2017
En SOUTIEN au collègue livreur Deliveroo GRAVEMENT BLESSÉ EN MANIF du 1er mai :
Tir tendu flashball au visage,
MACHOIRE et DENTS CASSÉES— CLAP (@_CLAP75) 2 mai 2017
Je vois Molotov en TT, c'est vrai que les CRS ont été tellement gentils avec les manifestants #manif1ermai pic.twitter.com/BfSucGmDAp
— MDG (@YohannBordello) 1 mai 2017
Une femme a été grièvement blessée par des policiers, aujourd'hui à Paris. https://t.co/qq3qOPB90c
— Violences Policières (@Obs_Violences) 1 mai 2017
Yae Cce blessée comme une centaine d'autres par les CRS #1ermai #grenades #flashball pic.twitter.com/qjRVqWwByb
— DOC du réel (@du_doc) 2 mai 2017
Les Street Médics ont notamment publié après la manifestation un rapport accablant pour la police.
Voici la liste des 168 blessures soignées par les Street Medic le #1erMai à #Paris
Voilà ... pic.twitter.com/nvnNO9lzmw— ... 📷 (@NnoMan1) 3 mai 2017
BONUS
Laissons une dernière fois la parole à M. Debord, syndicaliste policier. Il se plaint, encore, du manque de moyens des CRS :
[Régis Debord :]« L’engin lanceur d’eau n’était même pas présent. Ya une personne dans la chaine hieréarchique qui a dit « pas de lanceur d’eau » ! »
Régis...
Canon a eau inséré dans la manifestation du 1er mai. Provocation. #ViolencesPolicieres pic.twitter.com/udEcpNxAIf
— Merle moqueur (@revolutionow23) 3 mai 2017
LES MOTS DE LA FIN
Entre-deux tour présidentiel. Quelque part entre l'uberisation et le fascisme #1ermai pic.twitter.com/mG3OmuqOHf
— DOC du réel (@du_doc) 2 mai 2017
@manuelvalls ta gueule une nouvelle fois. Arrête de tweeter, tu n'es qu'un furoncle politique.
— CGT Publicis (@CGTPublicis) 1 mai 2017
Apparemment au bout de 10ans à tirer flashball et grenades sur le mvt social, les gens finissent pas répliquer au molotov. Je suis surprise.
— SoeurRose De La Foie (@SoeurRose) 3 mai 2017
#manif1ermai pic.twitter.com/GzSlcuJqXL
— Emmanuel Dee (@Emmanueldi) 1 mai 2017
#macron le mec qui va te faire croire que #2016 n'a pas eu lieuhttps://t.co/ZFPco2OZYx pic.twitter.com/3Y31joqZjW
— pelo de gerland (@pelodegerland) 2 mai 2017
Je les aime. #1ermai pic.twitter.com/zb3EkRu45U
— Claire (@claire_fr) 1 mai 2017