Procès de « Jawad » [Reportage]

Malaise au tribunal

paru dans lundimatin#131, le 29 janvier 2018

L’une de nos reporters a assisté aux trois premiers jours d’audiences du procès de "Jawad", le "logeur de Daesh" devenu risée nationale. Elle raconte.}

Le procès du « logeur » des tueries du 13 novembre 2015 s’est ouvert le 24 janvier dernier au palais de justice de Paris. Il s’agit d’un dossier dont les faits se déroulent sur cinq jours, entre les tueries du 13 novembre 2015 et l’assaut du Raid sur « la planque » de Saint-Denis où Abdel Hamid Abaaoud, Chakib Akrouh (tous deux membres du commando du 13 novembre) et Hasna Ait Boulahcen décèderont. Sur le banc des accusés, il y a Jawad Bendaoud et Mohammed Soumah, deux « associés » dans un commerce de vente de cocaïne à la cité des Franc Moisins (93). Ils sont accusés de recel de malfaiteur terroriste.

Tout commence avec Hasna Ait Boulahcen, cousine d’Abdel Hamid Abaaoud qui, selon les écoutes téléphoniques, semble être fascinée par son cousin devenu l’homme « le plus recherché du monde ». Au lendemain des attentats, elle est contactée par un homme localisé en Belgique qui lui demande de trouver une planque pour Abaaoud. Alors que la presse l’annonce en Syrie, ce dernier est en réalité caché dans des buissons d’Aubervilliers, sa cousine active tous ses contacts afin de lui trouver un logement en urgence.
Au téléphone elle est parfois très floue, parfois plus directe au sujet de son cousin qu’elle appelle tantôt « le mec de la télé », tantôt « un frère en galère ». Mais personne ne veut l’aider, jusqu’à ce qu’elle tombe sur Mohammed Soumah, un dealer de la Place Rouge. Alors qu’elle lui achète de la cocaïne, elle lui demande s’il n’aurait pas un « plan » pour héberger son cousin. Soumah la met alors en contact avec Jawad Bendaoud connu pour louer des squats dans son quartier. Entre temps, Hasna Ait Boulahcen a fait part de son entreprise à sa colocataire qui prévient la police. Tous sont immédiatement mis sur écoute [1]

Au cours des débats, il s’agira de déterminer, à partir de témoignages et des trois jours d’écoutes téléphoniques, si les prévenus sont coupables de complicité idéologique avec les auteurs des tueries, s’ils savaient qu’ils aidaient des « terroristes » ou s’ils avaient à tout le moins perçu des « signes » permettant d’avoir des doutes ou des soupçons sur l’identité des personnes hébergées.
Tous contestent vigoureusement avoir compris qui étaient les deux hommes mais savent qu’ils sont difficiles à croire pour qui ne vit pas leur réalité.

Parmi les trois accusés, l’un d’entre eux attire toute l’attention médiatique. Il s’agit de Jawad Bendaoud, surnommé « le logeur de Daesh ». Toute la presse et les chaînes télé l’ont annoncé : ce procès sera hors norme mais surtout, on devrait bien s’y poiler. La France va pouvoir, trois semaines durant, glousser et se repaître d’un « imbécile » dont tout le monde se moque depuis son arrestation en direct sur BFMTV.

Pour juger celui qui est présenté partout comme un « débile », la justice a mis les petits plats dans les grands. Trois semaines d’audiences, plus de 400 parties civiles représentées par 80 avocats, en face trois accusés et quatre avocats. Une tente pour l’aide aux victimes a été montée dans la salle des pas-perdus du Palais de Justice de Paris et une grande salle dédiée à le retransmission audiovisuelle des débats a été construite pour l’occasion. C’est toute l’émotion du 13 novembre qu’il s’agit de faire rentrer dans le tribunal.

A l’entrée de la salle, un gendarme en tenue d’intervention s’improvise hôtesse d’accueil :
— Vous êtes avocate ?
— Non, simple public.
– Puis-je regarder votre sac ?
Je lui présente mon sac à dos, il me remercie et m’accompagne dans la salle, me place parmi le public et me souhaite avec un grand sourire, une « bonne audience ». Je viens de m’asseoir dans une salle de cinéma. Le nombre de caméras en place permet de ne rien rater des réactions des accusés, des juges, du procureur, des avocats : plans larges, gros plans, champs, contre-champs et puis des effets d’incrustation façon Tourné Manège.

On nous dit que les victimes sont là et qu’elles sont venues pour comprendre. Mais beaucoup ne sont là que pour assister au « Jawad Show ». Il faut dire que les journalistes nous y ont bien préparé, l’extrait de BFMTV en boucle, copies d’écran des pastiches et moqueries les plus viraux, interviews des journalistes qui l’avaient interviewé, — la télévision se parle et se regarde—, vindicte et lynchage populaire n’ont jamais paru si fun et télégéniques. Alors quand Jawad s’exprime ça pouffe de rire, dans les rangées chacun y va de son commentaire amusé : « mais c’est un sketch », « mais il est fou », « il a dit quoi, il a dit quoi ? lol ».
Malgré cela, on peut percevoir un grand malaise, celui d’une comédie franchouillarde dont les ressorts s’appuient sur la douleur des victimes pour glousser de ces « mecs de quartier » qui sont « trop drôles avec leur manière de parler ».

L’enjeu d’un procès est toujours d’opposer deux récits et de déterminer lequel va l’emporter sur l’autre. Ici, ce qui s’affronte c’est d’un côté le récit national d’une France qui a peur, qui a les yeux rivés sur les écrans télés, qui retient son souffle ; et de l’autre, la banalité du quotidien dans une cité de Seine Saint-Denis. Au fond ce qu’on reproche aux accusés c’est de ne pas avoir vécu ces cinq jours comme un moment exceptionnel, de ne pas avoir suivi le rythme frénétique de la France angoissée, d’avoir continué à vivre de leur commerce de drogue, de squat, sans « se poser de questions ». On leur reproche de ne pas avoir « percuté » que les « frères muz » qu’ils ont hébergés pour « se faire un billet » (150 euros au total), étaient les auteurs des tueries du 13 novembre.
Mohammed Soumah :« Vous, vous êtes terrifiés mais nous nos vies de criminels continuent. »

C’est vrai que Jawad parle beaucoup, et que son attitude est fascinante. Mais lui, il ne rigole pas, il prend tout au sérieux, et ne laisse rien passer. Lui aussi, il a la télé et accès à la presse, il sait qu’on a fait de lui un bouffon, que la France entière se fout de sa gueule. Le spectacle qu’on a fait de lui, l’amène parfois à quelques lapsus, à plusieurs reprises on l’entendra dire « Quand je me suis fait interpeller par BFMTV », la juge devra lui rappeler : « C’est pas BFMTV qui vous a interpellé, c’est la police. »

On lui parle en premier lieu du témoignage d’un co-détenu qui date de sa première incarcération et qui le dépeint comme quelqu’un de « radicalisé ». Ce témoin dira de Jawad qu’il fantasme sur Mohammed Merah, qu’il lui voue une admiration, qu’il a une haine envers les juifs.
« Une fois sorti de prison tout est sorti de ma tête. Pourquoi on parle de ça ? Vous imaginez pas madame les milliers de détenus qui crie Allah akbar en prison et en sortant qui se pètent un mojito et des escorts girls  ». « J’ai dit que Merah il avait des couilles pour aller à la mort, pour gâcher sa vie sur un coup de tête, pas pour buter des enfants, ça c’est pas avoir de couilles. Par contre pour dire nique la vie comme il l’a fait, d’un coup, plus de maman, plus de papa, nique la vie ! »

Précisons que ces soupçons de connivence idéologique sont extérieurs aux débats juridiques pour Jawad Bendaoud et Mohammed Soumah. L’instruction a en effet déjà tranché cette question en disjoignant ce dossier de celui du 13 novembre. Mais c’était sans compter sur l’intervention de Paris Match qui a la veille du procès a réchauffé le scoop de l’ADN de Jawad Bendaoud retrouvé sur le scotch d’une ceinture d’explosifs. Bien que les enquêteurs et les juges d’instruction n’aient pas considéré cet élément comme suffisant, les parties civiles vont tout de même s’en ressaisir pour demander dès le début de l’audience une requalification des faits de recel de terrorisme en recel en lien avec une entreprise terroriste. L’argument invoqué : même sans adhésion idéologique la connaissance de leur entreprise suffit à les associer à l’entreprise. Le procureur rappelle qu’à la question Mohammed Soumah et Jawad Bendaoud sont-ils terroristes ? Le ministère public a déjà répondu non. Du côté de la défense, Maître Nogueras fait valoir qu’on ne peut déterminer une intention terroriste en s’appuyant sur le simple fait d’héberger des terroristes. La juge joint la demande de requalification au dossier, la question sera tranchée à l’issue du procès.

L’enjeu pour Jawad Bendaoud, c’est de faire comprendre à l’audience comment il a pu héberger les tueurs du 13 novembre sans même s’en rendre compte, et cela alors que la France entière avait les yeux rivés sur les images du massacre. Pour cela, il est prêt à tout dire, à tout raconter dans les moindres détails : son quotidien de dealer, d’agent immobilier clandestin ainsi que tous ses adultères. Ses déclarations ont beau confesser 46 délits à la seconde, il s’en moque, et c’est peut-être pour ça aussi qu’on se moque de lui.
Quand la présidente lui fait remarquer qu’il n’a pas voulu balancer Mohammed Soumah, son associé dans le commerce de cocaïne qui l’a mis en contact avec Hasna, il s’explique :
« Au début j’ai merdé je me suis défendu comme si j’avais volé un sac à main. Quand on m’a demandé « Yeux rouges » c’est qui ? J’ai rien dit, j’ai pas balancé, y’a des enquêteurs c’est leur boulot. J’ai fait comme si je m’étais fait arrêter dans une affaire de stup, on balance pas. J’avais pas saisi l’ampleur du truc. Après j’ai vite compris qu’on était dans un autre délire, dans les affaires de terroristes y’a pas de code d’honneur ».

Il dit et répète inlassablement, qu’il s’agissait pour lui de se « faire un billet » comme il a l’habitude de le faire, en louant son squat à des sans papiers, des prostituées ou des mafieux russes : « Moi je suis comme le gars de l’imprimerie dans laquelle les frères Kouachi se sont planqués, j’ai pas choisi. »

Pour expliquer comment il a vécu ces cinq jours, entre le 13 novembre et son arrestation, il tient à être précis et ne lésine pas sur les détails. La couleur et la marque de sa voiture, le nom de son parfum, la marque de ses sapes, rien ne manque.
« J’avais cette veste Schott éditions années 70, collector, à 4000 boules, vous savez avec le dessin sur le côté là (il dessine le logo sur son épaule) ». La juge : « Non je ne vois pas désolée ».
Ces cinq jours il a eu le temps de les ressasser pendant les plus de deux ans passés dans sa cellule. « Le lendemain je me suis dit "comment j’ai pu être aussi con", il y avait des signes mais je les ai mal interprétés" ». Alors quand il oublie, par exemple, s’il a croisé le regard d’Abaaoud avant ou après que ce dernier lui ait pris le balai des mains, il s’excuse de son manque de précision et tient à rappeler :
« Madame ça fait 27 mois que je suis à l’isolement, j’ai pas vu une promenade depuis 2016, mon cerveau me fait défaut ». Il lui arrive aussi de confondre ce qu’il a appris par la télévision depuis sa cellule et ce dont il avait connaissance au moment des faits, confusion que personne n’ose vraiment remettre en cause.

En réalité, ce que tout le monde rapporte ou perçoit comme des « punchlines » amusantes, sont les images qu’il convoque pour faire valoir sa bonne foi et faire comprendre à l’auditoire comment il n’a absolument pas vu venir l’histoire de fou dans laquelle il se retrouve aujourd’hui embarquée : « J’aurais pas pu me dire que Mohammed il allait me ramener des terros. Imaginez, c’est comme si Joey Starr avait rejoint Daesh », ou encore « c’est comme si Snoop Dog tapait une soirée avec Ben Laden. »

Jawad Bendaoud, c’est un briseur d’audience, il la sait intégralement à charge mais refuse de se laisser dépeindre par ceux qui ne le comprennent pas. On l’a déjà assez lynché à la télé, il ne laisse donc rien passer, coupe la parole quand il considère qu’on raconte n’importe quoi sur son compte et se moque bien de la mise en scène du tribunal. La cour est prévenue : « Vous ne m’im-pres-sion-nez pas ! ». Lorsque son avocat lui demande de se taire il s’exclame : « Mais Xavier, il faut qu’ils comprennent ! ».

Le récit auquel il se confronte a déjà été raconté mille fois dans la presse, maintenant, c’est à son tour de parler. À la lecture d’une retranscription de conversation téléphonique lors de laquelle Hasna Ait Boulahcen utilise le terme « frère muz », pour parler d’Abaaoud et de Choukri, il prend la juge de cours, avant même qu’elle n’intervienne :« Par exemple demain, vous êtes maghrébine, vous portez le voile, je vous croise dans la rue, je vous appelle sœur muz. C’est comme ça au quartier, ça veut pas dire plus ».

Cet art de la mise en situation, c’est le procureur qui en fera le plus les frais. Ce dernier revient sur ce que Bendaoud a dit le soir à sa femme et à un pizzaïolo après avoir accueilli Hasna Ait Boulahcen et ses acolytes : « Les mecs étaient louches ». Là, Jawad Bendaoud s’énerve : « Mais si j’avais su qu’ils étaient terroristes, j’aurais dit direct ’terroristes’, j’aurais pas dit louches ». Quelques minutes plus tard, alors que l’audience est passée à autre chose, Jawad interpelle le procureur : « Pour que vous compreniez ce que je veux dire quand j’ai dit ‘louche’, c’est comme si par exemple, je vous parle dans la vie et je me dis ’ouais le mec il est un peu efféminé, c’est louche, peut-être qu’il est homosexuel’  ».

Les journalistes le dépeignent comme un agité. Sur twitter, le journaliste de 20minutes présent dans la salle, va même profiter d’une suspension d’audience pour s’enquérir auprès de l’avocat de Jawad de l’éventuelle prise de médicaments de son client.

C’est que dans les deux mètres carrés de son box, entouré de six gendarmes, Jawad Bendaoud mime ses propres souvenirs. Parfois, il se retrouve même dos à la cour, et parle loin du micro, afin que l’on comprenne bien les scènes qu’il reconstitue. Quand on lui prend 250 euros dans sa poche arrière après un deal, c’est qu’il avait le dos tourné à une voiture de colombiens.
Pendant que la juge lit les compte-rendus d’analyses des explosifs retrouvés dans l’appartement, Jawad en profite pour se sentir les aisselles. Dans la salle ça rit, sur twitter ça s’emballe, « wah ce mec est fou, il se sent les aisselles ! ».

Le week-end suivant les attentats, lui, explique qu’il était dans une autre réalité. Les évènements du 13 novembre, pour lui, se résument, à un boom entendu au loin quand il dansait sur du Claude François autour d’une Toyota Yaris rouge ; à une affichette devant le bar-tabac et une carte avec des étoiles sur BFMTV.
Il venait d’apprendre qu’une de ses maîtresses était enceinte, il savait pas comment « gérer le truc », « vous voyez ce que je veux dire madame la juge ; hein ». Quand il accueille ses locataires clandestins, il a déjà consommé 7 grammes de cocaïne transformés en crack. Il parle de la drogue comme d’un moyen d’oublier, de se détendre. Il veut que l’audience comprenne ce que c’est que de prendre de la drogue. Il veut que l’audience se plonge dans l’état dans lequel il était quand il a accueilli Hasna ait Boulacen, Abdel Hamid Abaaoud et Chakib Akrouh : « Parce que y’a pas de consommateur ici ? (il s’arrête et regarde les dizaines d’avocats de la partie civile) enfin si dans les avocats, là (en balayant la salle avec sa main) y’en a qui consomment. Je commence par prendre un gramme, deux grammes et pic et pic et colégram, ainsi de suite. La coke, on commence on s’arrête pas. Je la fume moi, j’aime pas mettre ça dans le nez. Ensuite j’ai roulé un joint pour casser la défonce, je fais une sieste en les attendant. Et puis ding dong ’entrez’ ».
« Après ça je rentre chez moi, j’ai mangé mon sandwich poulet Boursin, allumé Netflix invité un pote à moi qui est pas venu. Faudrait que ce soit de la glace dans mon sang pour faire ça en sachant que j’ai des terro chez moi. »

Jawad Bendaoud prend beaucoup de place, mais c’est aussi que le déséquilibre est grand, entre son récit et celui auquel il fait face. Son avocat rappellera un autre aspect de ce déséquilibre, « nous sommes quatre avocats en défense, vous êtes 80, et il y a cette vitre entre moi et mon client. Je n’ai pas envie en plus, d’avoir à monter sur ce banc pour lui parler. Je demande à ce qu’on baisse la vitre du box de 20 centimètres pour qu’on puisse se parler à hauteur d’homme ». Ce qui est considéré comme une faveur lui sera accordé, à condition que Jawad ne joue pas au con.

Le troisième jour, c’est au tour des avocats des parties civiles de poser les questions. Leur mise en scène avait d’abord consisté à faire sortir le rouleau de scotch des scellés pour le mettre bien en évidence devant la juge. Quand on invite Maître Nogueras, le conseil de Bendaoud et du frère d’Hasna, à l’observer, il tacle : « C’est bon je l’ai déjà vu dans Paris Match ».

À l’issue du premier jour d’audience, un avocat des parties civiles avait déjà donné le ton devant les caméras, « On est face à des jeunes qui ne veulent pas comprendre, qui ne se posent pas de questions ».
A l’audience : « vous vous posez pas plus de questions sur ceux que vous hébergez ?  »
Jawad Bendaoud : « Mais monsieur, c’est comme si vous, vous étiez en galère, on m’appelle on me dit ’ouais y’a un avocat il s’est embrouillé avec sa femme, nin nin nin, il a besoin d’un logement’. Je vous demande pas si vous allez tuer votre femme dans les deux jours suivants. C’est comme dans toutes les cités de France, la curiosité est un vilain défaut ».

Jawad, encore : « Moi la première fois que j’ai entendu parler du Bataclan c’est devant la télé avec mon père qui mangeait des lentilles au bœuf, y’avait des étoiles sur une carte. Je suis passé, j’ai vu 20 secondes de télé, j’ai demandé à mon père s’il me trouvait beau gosse et je suis parti dans ma chambre.  » (...) « À ce moment là, quand on me dit Kamikaze, moi j’ai une image de Paki. ».
La juge : « Mais il y a avait déjà eu les frères Kouachi, et c’était pas des Pakis. »
Jawad : « Mais madame, là c’est des types qui se font couper en deux avec une ceinture d’explosif, c’est pas la même chose ! Moi à ce moment là, je m’imagine des Pakis ou des Hindous pas des jeunes comme moi »

Quand on lui demande s’il aurait « prévenu la police si [il avait] su que les locataires du squat étaient des terroristes ? », il répond « je lui aurais envoyé un coup dans sa gueule à Hasna pour lui dire de dégager car tout ça, ça ramène les flics ».

Dans le fond, ce que l’on ne supporte pas c’est que son histoire soit banale, alors on le fait passer pour un idiot, à la Dostoïevski. Celui qui se mate un Netflix alors que la France est sous état d’urgence, celui qui se pointe devant BFM TV avec sa carte d’identité alors que le Raid défonce son appartement, celui qui ne connaît même pas le Bataclan.

Finalement, le discours de celui qu’on nous a présenté comme un illuminé, est cohérent. Alors quand un avocat de la partie civile qui cherche aussi à « l’amadouer » (terme quelque peu animal qu’on retrouvera dans la presse) et concède qu’il n’est « pas bête », c’est pour dire qu’il est «  intelligent, très intelligent ». Il s’agit alors de saper l’évidente spontanéité de Bendaoud et d’insinuer son machiavélisme.

Comme il a regardé la télévision la veille et a donc entendu les déclarations des avocats des parties civiles aux caméras, Jawad Bendaoud est très remonté : « On essaie de dire que je suis au théâtre  »... «  c’est pas de la comédie c’est de la réalité ». Quand les avocats de la partie civile s’esclaffent, il arrête son récit se tourne vers eux et leur rappelle « c’est pas drôle ! ». « Toi, toi et toi (en désignant les avocats de la partie civile), « c’est mort de chez mort, vous oubliez tout de suite de me poser des questions, je vous ai vu m’insulter à la télévision. Je veux mon droit au silence ». Le silence, il ne peut pourtant pas le garder. Là dessus aussi, on se moque « Vous avez dit droit au silence alors respectez le !  ». Mais comme il ne supporte pas les insinuations derrière les questions, il continue.
« Vous c’est Maître Reinhart c’est ça ? Y’a pas moyen, vous approchez pas. Vous êtes un menteur. Arrêtez de mentir monsieur, respectez votre robe, on ment pas quand on a une robe… enfin si y’en a qui mentent parce qu’on les paie. » Il rajoute : « Sérieusement monsieur, on va s’arrêter là. J’ai l’impression que vous êtes perché sur un arbre et qu’on va avoir du mal à vous faire redescendre ».
Bendaoud ne supporte pas ce qu’il appelle « le mensonge », qu’on le prenne pour un charlot. Il torpille chacune des interventions des avocats des parties civiles :« Vous m’avez dit A j’ai dit B, y’a pas de i, e, o...  »
Quand on l’assimile aux terroristes, il répète : « Eh oh, mais moi j’aime la vie. J’aime les femmes, ma mère, mon fils, j’aime la vie, oh oh ?  ».

Après une suspension d’audience, Maître Reinhart fait une tentative : « Les parties civiles s’interrogent pour savoir dans quelles conditions vous avez donné un logement à deux terroristes qui ont participé au plus grand massacre depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous ne cherchons pas à vous provoquer, mais à se donner une vérité judiciaire et c’est le tribunal qui décidera. En aucun cas notre rôle est de demander une peine. Je vous invite à nous donner des réponses les plus courtes possibles et à ne pas vous sentir agressé ».
Le hic, c’est qu’à cette question, Jawad y répond déjà depuis 27 mois, au cours des interrogatoires, dans des lettres de 18 pages adressées à la juge d’instruction et depuis la veille à son audience.

Dans la presse on commence à dire que Jawad lasse, que le procès tourne en rond. Les salles de retransmission de l’audience se vident. aux micros de la presse, l’excitation du début de semaine retombe. Ce procès était-il finalement si digne d’intérêt ? Les journalistes font ce qu’ils peuvent, mais heureusement que Jawad est là pour meubler les directs.

Pendant que le Figaro tente un schéma :

Jawad sait que tout le monde le regarde, il sait aussi qu’il se tape l’affiche, mais lui, il n’a pas grand chose à perdre. Finalement, c’est peut-être tout ce qui lui reste, se raconter tel qu’il est, rester vrai. « Je viens de passer 14 mois sans sortir de ma cellule. À ma place, il y a plein de gens qui se seraient coupé les testicules et qui les auraient mis dans une barquette. Vas-y prends, c’est mes testicules ! » « Je suis fini, madame, ma vie elle est finie, quoi que je fasse. Que je sorte ou pas, qui voudra m’embaucher ? Si je veux rouvrir un point de vente de cocaïne qui me fera confiance ? »
Rires dans la salle.

Que va-t-il se passer maintenant ? Pendant trois jours, tout le monde a pu se payer la tête du « logeur », on a rapidement fait le tour du dossier comme de la blague. « "Granolas" et "kangourous" : les digressions de Jawad Bendaoud lassent le tribunal » titre déjà Le Parisien. Il en reste pourtant 12 des journées d’audiences. Il va en falloir de l’inventivité pour que les rires gras ne laissent trop rapidement et visiblement place au malaise. Il va en falloir de l’humour pour continuer à rire aux éclats d’un petit délinquant enfermé dans une cellule d’isolement, 24/24h depuis 27 mois avec comme seule incrimination tangible, d’avoir été à la masse. D’ailleurs quand on y repense, qu’avait-elle de si drôle cette vidéo de Jawad ?

[1Youssef Aït-Boulahcen, frère d’Hasna Ait Boulahcen et cousin d’Abdel Hamid Abaaoud est lui aussi renvoyé devant le tribunal. Il comparait libre pour non dénonciation de crime terroriste. On le soupçonne d’avoir su que les deux tueurs du 13 novembre préparaient des attentats à la Défense et de n’avoir rien dit à la police.

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