Premier tour des législatives : nager en eau trouble

Dimanche matinal et électoral.

paru dans lundimatin#109, le 21 juin 2017

Contrairement aux croyances populaires les plus ancrées certains lecteurs de lundimatin votent. Claire Dietrich nous raconte son dimanche.

9h. Sur l’avenue de la République, les citoyens sont rares.
Je présente mon sac à l’entrée du bureau de vote, découvrant au passage une petite culotte. Du désavantage d’avoir voulu enchainer élections avec natation. Cela me vaut les haussements de sourcils du vigile à l’entrée, et une première rougeur aux joues, qui ne sera pas la seule de la journée.

A l’intérieur, plus de piles que de pelées. Pas de tondus, c’est l’avantage du 11e arrondissement.

Boboe parmi les autres, je fais la (petite) queue jusqu’à ce qu’on m’appelle :
— Début de l’alphabet s’il vous plait.
J’avance et présente ma carte d’électeur.
— 522.
Pendant qu’on me cherche sur les registres, l’homme en chemise blanche qui m’a attribué ce doux sobriquet s’adresse à moi :
— Est ce que vous serez disponible ce soir 20h pour le dépouillement ?
Moi, pas préparée :
— Euh…c’est une éventualité.
La chemise :
— Ça par contre c’est pas possible. Nous, c’est des certitudes qu’il nous faut, pas des éventualités.
Deuxième empourprement de la journée. 522 se tient penaude, enveloppe à la main devant l’urne. La trappe d’ouverture coulisse avec un claquement sec.
— A voté.

Retour sur l’Avenue de la République avec comme l’impression d’avoir déjà pris une douche avant même d’être arrivée à la piscine.

J’arrive dans la rue Desnoyers, avide d’un couloir de nage salutaire dans lequel je pourrais crawler mon humiliation. Je suis accueillie par des cris et des splashs. Le dimanche est un mauvais jour pour les catharsis aquatiques : la nage ne se fait pas en file mais en foule, priorité familiale oblige. Once again : du désavantage d’avoir voulu combiner élections et natation.
Après une vaine tentative de barbotage au milieu des frites (en mousse) des mamies (en chair) et des familles (en nombre), je déclare forfait et abandonne ma brasse, coulée.

Histoire de faire passer de l’eau (chaude) sous les ponts, je change de décor et d’arrondissement, direction le 5e. En visite chez Annie. Scrabble et Camomille.
Sous les tasses fumantes, une pile de tracts que je m’autorise à examiner, le temps de laisser les herbes infuser.
De ce côté-ci de la Seine, les poissons sont de taille. Cranant sous la surface : NKM, bien sur, nageant fièrement en eaux bleues républicaines face à un Guaino, qui dans des eaux plus troubles tente de passer entre les mailles de l’étiquetage politique. Hors du filet, Gilles Le Gendre (parfait) inconnu au bataillon il y a un an, et qui, au jeu des « petits poissons venez » semble en bonne marche pour gagner.
L’épluchage de la pile se poursuit (mention spéciale à Fabien et sa suppléante Apolline, jeunes gardons surprises de 18 ans, dont le tract me laisse à mi-chemin entre l’admiration face à l’initiative – précoce - et la rigolade face à l’allure – diaphane -) quand soudain, un tract aux couleurs noires et jaunes qui détonnent, signe que la pêche va être bonne.
Je me saisis du poisson et m’y arrête. Quelque chose ne passe pas.
Reprenant le modèle des paquets de cigarettes sans nom, version A5, le tract de Nicolas Rousseaux ferait passer un paquet de Gauloises sans filtre pour un bonbon Crema.
Je dis Gauloises car évidement, c’est de territoire que Rousseaux parle en premier.
En guise d’hameçon une photo choc : une rame de RER dans laquelle est assis un homme noir, sale et affaissé, entouré de déchets.
Au-dessus de lui un message, inscrit façon fumer tue : l’immigration est une chance pour la France !
Tentant de décoincer l’arrête que Rousseaux vient de me coller au travers de la gorge, je me concentre, utilisant mes vieux reflexes défensifs d’analyse de l’image. Évider les entrailles du poisson pour y lire à l’intérieur : me voilà devin en train d’essayer de deviner comment on a pu laisser nager pareille poiscaille.

Il est ainsi curieux de s’attacher à la manière dont l’équipe de campagne de Rousseaux a conçu ce tract bien étrange. Prenant soin par exemple de coller un rectangle violet sur les yeux de l’homme qui y figure, nous empêchant de le reconnaitre, mais laissant visible et ostentatoire le sigle MacDo qui marque de son sceau les différents happy meals qui entourent ce vilain criminel qui visiblement ne sait pas ce que c’est qu’une poubelle. Que conclure de ce choix douteux et aléatoire du marquage des signes de reconnaissance ? Que l’immigré est anonyme, mais pas ses crimes ? La ligne de com’ de l’équipe de Rousseaux se dessine.

Si sur le fond, ces sombres idées semblent claires, sur la forme en revanche, ça pêche et on est en droit de questionner les compétences de cette dite équipe quand on constate que quelque soit leur nombre, aucun n’est visiblement capable d’insérer un JPEG dans un PDF afin d’imprimer un tract en en respectant les proportions. Ce qui fait que l’homme à l’affiche, en plus d’être noir, sale, affaissé et entouré de déchets est … déformé.

C’est sans doute mon passif de photographe qui fait cela. Mais de toutes les substances nocives (et il y en a beaucoup) que contiennent le tract de Rousseaux, c’est celle-là qui me choque le plus : l’anamorphose.

Anamorphoser c’est reproduire une image sans en respecter son ratio largeur/longueur, provoquant un effet d’aplatissement, ou de compression selon le sens dans lequel on tire. Cette pratique est utilisée ou bien de manière volontaire par quelques génies de la Renaissance, ou bien de manière involontaire, par quelques gros manches de Photoshop.

A bien y réfléchir, cette histoire de proportions mal respectées résume bien tout le programme de Rousseaux : vision du monde aussi large qu’une rame de RER à partir de laquelle on tire à l’extrême quelques constats haineux crachés au dos du tract avec la légèreté d’une baleine et la grâce d’un cachalot (et encore, en disant cela, on fait du tort aux cachalots).

Car après l’anamorphose, l’équipe de Rousseaux se lance dans le collage. Au dos du tract : 9 clichés (toujours aussi mal formatés dans leurs proportions, n’ayons pas d’espoir) qui font se juxtaposer sur trois lignes mal alignées des prostituées asiatiques, des pompiers devant la Belle Equipe, des commerces illégaux de Belleville, deux porches et des noirs devant la Tour Eiffel, sans oublier le détour obligé par l’Hyper-Casher sans lequel le patchwork ne serait pas complet. En guise de glu et de légende, un appel au général : est-ce que de Gaulle aurait pu imaginer un tel délabrement de la France ?
Maréchal, nous y voilà.
Touchée en plein dans mon blush, ma dernière rougeur de la journée me prend puis me quitte définitivement.
Carré blanc sur pommettes consternées.
Je fais un rapide calcul.
Certes le 5e arrondissement n’est pas connu pour être le plus peuplé de Paris.
Ni le plus pauvre, bien sûr.
Cependant quand bien même il y aurait de l’argent pour envoyer ces tracts aux plus huppés des nantis, comment peut-on avoir laissé imprimer ainsi de pareils torches-culs ?
Je ne connais pas assez le texte de Gargantua par cœur pour pouvoir me rappeler de la longue énumération rabelaisienne des objets hétéroclites servant tous à essuyer la même merde, mais il me semble que le tract de Nicolas Rousseaux y aurait sa place.
Rousseaux.
Si j’en avais le cœur, l’homonymie me ferait sourire mais le poisson est déjà suffisamment gros à avaler et je sens qu’il est en passe de rester coincé.

En sortant de chez Annie le soir à 20h, n’ayant pas assez de certitudes pour assister au dépouillement dans le 11e arrondissement et pas assez de courage pour suivre en direct les résultats dans le 5e, je décide d’aller boire un verre avec des amis.
Ayant finalement trouvé les eaux cathartiques dans lesquelles noyer tous mes poissons, je suis rentrée chez moi, un peu tard et un peu ivre.
Alors que je rangeais mon sac, lourd de cette longue journée, il y avait au fond, sous le maillot de bain, encore un peu humide, un papier, humide lui-aussi, plié en 4.
C’était l’infâme tract de Nicolas Rousseaux.
Ayant retrouvé un peu de courage, et surtout de la curiosité, j’ai allumé mon ordinateur et fait quelques recherches.
Sous l’oeil bienveillant du canard de Duck Duck Go, j’ai trouvé quelques chiffres que je me permets de partager ci-dessous :
Il y a entre 140 et 160 feuilles dans un rouleau de PQ.
Le 5e arrondissement de Paris, rattaché à la 2e circonscription, compte à peu près 60 000 électeurs.
Des 60 000 or so électeurs, qui ont reçu le tract de Nicolas Rousseaux, 0,2 % ont décidé qu’il était suffisamment convainquant pour aller jusqu’à le plier en 4 et le mettre dans une urne.

0,2 % c’est 45 électeurs.

Il y a entre 140 et 160 feuilles dans un rouleau de PQ.

Le tiers d’un rouleau, c’est l’électorat de Rousseaux.

De l’anamorphose au syllogisme les poissons se mordent la queue, et moi je finis par aller dormir, c’est encore ce qu’il y a de mieux.

Claire Dietrich

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